Traquenard [Sylfar]

Alydaëlle s'arrêta sous les frondaisons obscures. Le vent s'insinuait sournoisement entre les épineux centenaires qui cachaient la lumière décroissante du jour. Son souffle agitait les feuilles, produisant un bruit de frottement agaçant lorsqu'on fixait trop son attention. Le chemin s'étalait dans le bois sombre, avenant, et pourtant, la jeune femme hésitait. Son instinct la laissait en proie au doute, comme si elle sentait un danger imminent. Son arbalète dans le dos, elle se remit en marche d'un pas silencieux et alerte, tous ses sens aux aguets. Avec cette situation de guerre qui mettait une tension terrible entre les peuples de Miradelphia, les pièges, les traîtrises, les traquenards, tout était à craindre. Alydaëlle était une ennemie des humains comme des Elfes, et sa venue en ces lieux faisait croître le danger. Pourtant, la jeune femme n'avait pas le choix. En attendant une bataille ouverte de taille, combat où elle aurait une place, il lui fallait gagner sa vie. Autrement dit, il lui fallait trouver un employeur et obtenir un contrat d'exécution qui lui rapportait de quoi vivre...

La tueuse se glissa hors du chemin, s'approchait des fourrés. Elle devait rencontrer un type dans les environs, qui souhaitait utiliser ses services. Mais où se cachait-il ? Alydaëlle fronça les sourcils et dégaina son épée avec rapidité et grâce. Sa houppelande nuit caressait le sol sur ses pas et les derniers rayons du soleil venaient se refléter sur ses cheveux. Il lui sembla entendre un murmure. Imagination ou réalité ? La demi-drow était prête à parer à toute éventualité. Tout à coup, elle crut entendre le chant métallique d'une lame. C'était infime, mais perceptible. Alydaëlle concentra ses sens pour localiser l'ennemi qui s'apprêtait à surgir, sûrement au détour d'un chemin. Son coeur battait lentement, sourdement. Elle était pleine de sang-froid, calme et intrépide à la fois, maîtresse de ses sens pour parvenir à cloîtrer son inquiétude dans un coin verrouillé de son esprit.

Si on cherchait à la piéger, ses adversaires allaient avoir une mauvaise surprise. Un sourire cruel se dessina sur les lèvres de la tueuse et une lueur de sadisme s'alluma dans ses prunelles d'azur. Elle savait être gentille quand il le fallait, mais sa nature de Drow était trop prononcée pour que cela dure longtemps. Et dans certaines situations, Alydaëlle pouvait se montrer très, très méchante...

Sylfar court, Sylfar saute, Sylfar grimpe, Sylfar resaute, Sylfar s'arrête brusquement.

Pourquoi? Simple, il a glissé... Dans sa course effrénée à travers la forêt d'Aduram, c'est la première fois que le Drow prend le temps de faire autre chose que fuir.

"Les Divins, une vaste stupidité, oui..."

Une stupidité peut-être, mais toujours était-il que l'Elfe Noir avait couru à toute allure pour leur échapper. A présent, il est accroché par la main à une branche et il pend dans le vide à trois bons mètres du sol. Heureusement pour lui, Sylfar est un Elfe, il peut donc entamer cette descente risquée sans risque.

Ce qu'il fait sans hésiter; une pirouette, une figure aérienne et un atterissage parfait permettent à notre Drow de se retrouver sur le plancher des vaches. Il marche encore, inattentif aux bruits qu'il entoure, et tombe comme par hasard sur l'Assassine. Reconnaissant les formes et les atours d'une Elfe Noire, Sylfar-o-Karan la regarde passer devant lui sas rien dire, puis sort de l'ombre et s'annonce d'un toussotement léger.

-Ahem...

Alydaëlle fit volte-face, brandissant son épée, prête à abattre la lame meurtrière sur son ennemi. Mais elle suspendit son geste quelques secondes avant de frapper en identifiant... un elfe noir ? Que faisait-il par ici ? La jeune femme l'étudia un bref instant, le détaillant de la tête aux pieds. Un sourire narquois se glissa sur ses lèvres et elle se redressa, abaissant sa garde. C'était peut-être une erreur, ou peut-être pas.

"J'imagine que vous n'êtes pas le type que j'étais censée rencontrer ?" lança-t-elle avec ironie.

Styrak n'était plus digne de confiance depuis quelques temps et Alydaëlle se doutait qu'il finirait par vouloir sa mort, notamment depuis que Tebryn avait défié les humains. La jeune femme le regrettait car Styrak, un des hommes les plus dangereux dans le milieu criminel, était sans doute aussi son meilleur employeur. Il distribuait les contrats comme on distribue des bonbons et Alydaëlle ne s'en plaignait pas. Mais depuis que les choses s'envenimaient, les contrats se raréfiaient et Styrak avait fini par lancer ses mercenaires pour exécuter la demi-drow.

Soudain, un sifflement menaçant déchira l'air. La tueuse s'écarta précipitamment de la trajectoire mais la pointe d'acier entama la chair de son bras droit et elle étouffa un cri de rage. Aussitôt, Alydaëlle se précipita derrière un tronc d'arbre de belle taille, se mettant à couvert tandis que d'autres projectiles étaient tirés dans sa direction. Elle serra son épée avec colère et adressa un regard au Drow qui attendait non loin d'elle.

"A votre place, je ne resterais pas là. J'ignore qui vous êtes mais le spectacle qui va suivre risque d'être déplaisant..."

Elle eut envie d'ajouter qu'il y allait avoir de la viande humaine sur les murs, mais comme il n'y avait pas de murs, elle y renonça. Soudain, l'attaque cessa et les agresseurs sortirent de leur cachette. La tueuse en dénombra sept. Un jeu d'enfant. Un rictus cruel étira ses lèvres et elle quitta à son tour sa planque, battant l'air de sa lame dans un chant menaçant.

"Je suis tout à vous, messieurs !" lâcha-t-elle durement, sur un ton narquois.

L'attitude typique de la personne traquée, Sylfar l'avait reconnue chez Alydaëlle car il était lui-même pourchassé en ce moment. Ensuite, il avait également détaillé l'Assassine d'un oeil expert puis esquissé un léger mouvement du chef. Par la suite le Sorcier l'avait écouté sans l'interrompre et un sourire était né sur ses lèvres fines à l'évocation d'un "spectacle déplaisant".

Une troupe d'humains avaient alors jaillit des buissons, faisant sursauter Sylfar. Ce dernier reprit rapidement une contenance et lâcha avec dédain:

-Beurk, ça fait sale... Il n'y a donc pas de service d'hygiène ici?

Pas le temps d'en dire plus la Demi-Drow a foncé sur les mercenaires bille-en-tête avec la ferme intention d'en faire de petits morceaux.

Bientôt, le Drow repère dans le groupe un malotru armée d'une arbalète qui met l'Assassine en joue. Immédiatement, ses mains se referment sur son arc noir et sur une flèche.
Quelques instants plus tard, la flèche est plantée dans la cuisse de l'homme qui se tord de douleur au sol. Quelques gouttes d'un liquide vert sombre tombent du trait noir sur des feuilles mortes qui s'étiolent aussitôt. Goguenard, Sylfar lâche d'une voix enjouée:

-Tttt... Ttttt...
Messieurs, vous apprendrez que lorsqu'une créature comme celle que vous avez en face de vous s'offre à vos personnes comme elle vient de le faire, il faut la recevoir dignement...

Déjà, une autre flèche était encochée dans l'arc, prête à être ajustée et lachée...

Alydaëlle faisait jouer sa lame avec force et dextérité, lacérant les chairs et mutilant sans le moindre égard. Plusieurs de ses ennemis étaient déjà tombés à terre, certains déversant leurs entrailles dans des gargouillis inintelligibles, d'autres se vidant de leur sang la gorge ouverte, d'autres encore hurlant comme des damnés en cherchant des yeux leur main ou leur bras. Alydaëlle éclata d'un rire cynique lorsqu'elle transperça le coeur du dernier. Ce spectacle la réjouissait. En tant que tueuse, elle n'avait pas pu laisser libre cours à ses pulsions meurtrières depuis longtemps, et cela commençait à la peser. Bien évidemment, elle aurait préféré exécuter proprement un ou plusieurs contrats qui lui auraient procuré un peu d'argent, mais ça n'était pas le cas et il fallait faire avec.

Alydaëlle s'écarta gracieusement des corps à l'agonie, dont les cris de douleur ou de colère se muaient en gémissements signant la fin d'une vie. Pas question que le sang impur de ces sales humains vienne la souiller sa peau ou ses vêtements. Prudemment, elle contourna un adversaire éventré et essuya soigneusement la lame ensanglantée sur les vêtements de l'homme. Puis, elle se tourna vers l'arbalètrier qui, bien que blessé, semblait encore aguerri. Celui qui avait voulu la prendre en traître... D'une poigne d'acier, le regard glacial, Alydaëlle le saisit à la gorge et serra si fort qu'elle lui broya la trachée, lui causant de nouvelles souffrances et empêchant ainsi l'air de rentrer dans ses poumons. Elle entendit patiemment qu'il meurt. Il se débattait faiblement et bien que les muscles de la jeune femme s'endolorisse, elle était trop furieuse pour relâcher son emprise. Enfn, la vie s'échappa du mercenaire et lorsqu'elle le lâcha, elle lui envoya un coup de pied rageur qui le renversa violemment. Le sang teintait le chemin, inbibant la terre comme un poison malsain.

Satisfaite, la tueuse pivota sur les talons et s'approcha lentement du Drow, qu'elle étudia en silence. A l'évidence, ce n'était pas un ennemi. Mais Alydaëlle était connue pour sa méfiance et elle saurait garder ses distances jusqu'à la certitude.

"Merci pour votre... intervention," lâcha-t-elle après une minute.

Elle cracha par terre. Dans le feu de l'action, elle s'était mordue la langue jusqu'au sang, lui laissant un goût amer qui se mêlait pourtant à celui de la victoire.

"Ces pitoyables humains ont décidément la fâcheuse manie de prendre leurs ennemis en traître. C'est pathétique. Au fait, peut-on savoir qui vous êtes et ce que vous faites ici ?"

Sylfar était resté bouche bée devant Alydaëlle en action, tant elle était époustouflante. D'ordinaire, il en fallait beaucoup pour impressionner le Drow, mais l'Assassine y avait parfaitement réussi à l'instant.

"Terrible..."

Il revint bientôt à lui et fit disparaître toute trace d'émotion de son visage, c'était l'heure de l'examen... Le Sorcier supporta sans broncher l'étude de la Demi-Drow en lui rendant son regard inquisiteur avec un sourire narquois... Il haussa ensuite les épaules et lâcha:

-Mon intervention? Je ne vois pas de quoi vous voulez parler... J'ai seulement trouvé quelqu'un à tourmenter, ce que j'ai fait immédiatement...

Alydaëlle avait craché, et Sylfar fixa le sang expectoré d'un air songeur. Il dit alors, sans lâcher du regard le crachat de l'Assassine, sur le même ton badin que précédemment:

-Je suis Sylfar-o-Karan, du clan O-Karan...
Mais parlons de vous, pourquoi êtes-vous pousuivie par de telles larves?

Il désigna d'un élégant signe de tête l'amas de cadavres agonisants laissé par la Demi-Elfe, son attention toujours fixée sur le sang dans l'herbe. le Drow avait bien entendu éludé une des questions d'Alydaëlle, mais il n'avait pas vraiment envie d'avouer qu'il fuyait à toute jambe...

Alydaëlle haussa un sourcil lorsque l'inconnu affirma ne pas être intervenu pour elle mais avoir seulement trouvé quelqu'un à tourmenter, ainsi que furent ses mots. Un sourire cynique se dessina sur ses lèvres et une froide expression peignit ses traits. La tueuse n'était pas du genre à se laisser toucher ou impressionner par des piques verbales et sa propre arrogance la rendait apte au jeu. Toutefois, le Drow avait quelque chose d'intéressant. D'ordinaire, la jeune femme aurait sans doute fait demi-tour sans plus se préoccuper de l'inconnu, mais elle décida de l'étudier un peu.

Je suis Sylfar-o-Karan, du clan O-Karan...
Mais parlons de vous, pourquoi êtes-vous pousuivie par de telles larves?

"Sylfar... Du clan O'Karan ? Mmm... Je ne connais pas ce clan. Mais j'imagine que vous ne gagneriez pas à être connus."

Alydaëlle médita sa réponse concernant la raison de ce traquenard, songeant avec un certain amusement que le Drow était davantage curieux de savoir pourquoi ces hommes lui en voulaient plutôt que de connaître l'identité de son interlocutrice. Cela dénotait un trait de caractère bien Drow... L'homme était avant tout intéressé par le massacre que par un nom. Et puis de toute façon, Alydaëlle préférait autant garder l'anonymat. Elle croisa les bras devant elle, le vent balayant ses longs cheveux blancs.

"Ces hommes sont des mercenaires de Styrak, l'homme qui habituellement me fournit mes contrats d'exécution. C'est ainsi que je gagnais ma vie mais avec la guerre contre les Drows qui couve, il préférait visiblement me voir morte que dans les environs."

La jeune femme eut un geste dédaigneux vers les humains qui gisaient sur le sol et jeta un regard méprisant sur Sylfar, qui ne quittait pas des yeux le sang qu'elle avait craché.

"Vous nourrissez une obsession évidente pour le sang", lâcha-t-elle. "Prenez-garde ne pas vous noyer dedans un jour..."



"

Sylfar ne put cacher totalement son effroi devant la réponse d'Alydaëlle tant elle était préoccupante...

"Styrak?"

Le Drow, qui avait gardé son regard fixé sur la tache de sang, rangea son arc et la flèche qu'il n'avait pas tirée. Brusquement, il releva la tête et planta ses yeux verts dans ceux de l'Assassine, sourit énigmatiquement.

-Si vous voulez bien m'excuser...

Le Sorcier empoigna son bâton et inspira une longue goulée d'air, appelant à lui sa magie maudite.

Quelques secondes plus tard, des langues d'énergie noire s'enroulaient autour des corps des humains. D'une brusque exclamation de Sylfar, les cadavres se déchirèrent en un horrible craquement glauque, ce qui fit sourire le Drow. Ensuite, les morceaux, toujours portés par la force noire, s'assemblèrent sur le sol, formant des signes tribaux en langue elfe noire.

L'Elfe Noir revint élégamment à Alydaëlle, toujours souriant.

-J'ai laissé un petit message à mon cher cousin Styrak...

Styrak était en effet de la famille plus ou moins éloignée de Sylfar, quelque chose comme le fils de la soeur d'une tante de la mère du Sorcier.Mais, comme tout le temps dans la société drow, les rapports familiaux n'étaient pas au beau fixe...

Dans un sourire amène, le Drow raccrocha son sceptre à sa ceinture et dit:

-Faisons quelques pas voulez-vous?

Il se tourna ensuite, signifiant par là à la Demi-Drow qu'il désirait quitter les lieux en sa compagnie

Alydaëlle assista à l'étonnant spectacle sans laisser transparaître la moindre émotion. Elle leva seulement un sourcil, puis finit par esquisser un sourire discret. Intéressante démonstration. Le Drow était donc sorcier. Un allié digne d'intérêt, surtout pour Tebryn. Bien évidemment, il y avait déjà pas mal de sorciers Drows, mais plus ils seraient nombreux, mieux ce serait, car leurs chances de victoire grandissaient inexorablement.
Son sourire retomba lorsque Sylfar annonça qu'il était un cousin éloigné de Styrak. Elle ne sut si elle devait s'en inquiéter, ou trouver en lui un compagnon, un allié. Puis il lui proposa de faire quelques pas, l'invitant à quitter la scène macabre qu'ils allaient laisser derrière eux : un message pour... le cousin. La tueuse haussa les épaules et adressa un nouveau sourire au Drow.

"Pourquoi pas ? Votre compagnie n'est pas déplaisante et je suis curieuse d'en savoir plus si votre... parenté avec ce fils de chien !"

Elle avait craché les derniers mots, les yeux brillant d'une haine inextinguible. Si son regard avait pu foudroyer sur place, nul doute qu'il y aurait eu des morts dans l'instant... Elle emboîta le pas à Sylfar et vint se placer à son côté, l'esprit encore porté par le souvenir du réjouissant massacre dont elle s'était rendue responsable. Et Styrak ne subirait pas en sort plus enviable. Alydaëlle jura sa perte à voix basse, les poings serrés, prête à lui arracher le coeur à mains nues.

"J'espère que vous ne tenez pas trop à votre cousin car vous risquez de ne pas le revoir en un seul morceau..."

Les mâchoires crispées, Alydaëlle était préparée à une réaction plus ou moins violence du Drow, si jamais il était lié à son cousin, mais quelque chose en elle lui soufflait que ça n'était pas le cas. Le silence s'étira entre eux et elle attendit qu'il prenne la parole.

Ils marchaient tranquillement, et une fois que Alydaëlle eut parlé de Styrak, Sylfar éclata d'un grand rire bien drow. Elégant et chantant, cet éclat de joie aurait pu rendre n'importe qui hilare, mais il y restait une note malsaine, comme un plaisir sadique... Après quelques secondes, le Sorcier se calma et dit, la voix encore secouée de spasmes amusés:

-Vous ferez de mon cousin ce qu'il vous plaira, à condition qu'il en souffre suffisamment...

Le pas de Sylfar était fait délié et élégant, bien que pressé par le temps, il ne laissait rien paraître... Le Drow jeta un coup d'oeil et enchaîna, ignorant si Alydaëlle répondrait à son invitation muette.

-Votre sang est agréable à regarder et incontestablement drow, mais il y traîne comme une impureté...
Vous avez tout-à-l'heure parlée d'une guerre contre les Elfes Noirs, qu'entendiez-vous par là?

Le ton de sa voix était détendu, harmonieux même si ténébreux. Ainsi, Sylfar dissimulait le fait qu'il se savait en danger. Il avait pu avoir un aperçu des talents d'Alydaëlle,il ne ferait pas le poids si elle passait à l'offensive...

Alydaëlle eut un sourire lorsqu'il annonça qu'elle pourrait faire ce que bon lui semblait de son cousin. Son sourire devint rictus quand il ajouta la condition selon laquelle Styrak devait souffrir suffisamment. Elle hocha alors gravement la tête, lui décochant un regard orageux qui en disait long sur ses intentions. Oh oui. Si elle retrouvait Styrak, elle allait vraiment lui faire passer un mauvais quart d'heure, et il comprendrait alors à quel point la renommée des Drows était justifiée. Ils continuèrent à marcher dans la forêt, laissant un instant le vent envahir les bois, rendant les arbres étrangement grinçant et l'atmosphère lugubre à souhait. Puis Sylfar l'interrogea sur la guerre contre les Elfes Noirs et la tueuse eut un soupir.

"Vous n'êtes pas sans ignorer l'ambition des nôtres et notamment de Tebryn, notre roi ? Il veut rendre notre peuple maître absolu du monde et pour cela, il est prêt à tout. Il a d'abord empoisonné le lac des elfes, et concocté un plan machiavélique destiné à détruire les humains depuis leur propre royaume. Pour moi, ce sont des méthodes douteuses car quelque peu lâches, néanmoins, il faut reconnaître qu'elles ont leur efficacité et que la victoire nous fera plus facile à emporter. Alors qu'importe le moyen s'il le résultat est là."

Elle haussa les épaules pour appuyer sa réflexion, jugeant que Tebryn était roi et qu'il pouvait faire ce que bon lui semble. S'il préférait faire appel à ses sorcières et à son précieux poison plutôt qu'à ses talents de tueuse, grand bien lui fasse ! Alydaëlle trouverait bien quelque tâche utile à réaliser. Mais pour l'heure, elle préférait concentrer son attention sur Styrak.

"Alors vous voyez, depuis quelques temps, la situation est particulièrement tendue entre hommes et Drows. La guerre finira par éclater ouvertement et il faudra bien un vainqueur et un vaincu."

Alydaëlle avait à présent les sourcils froncés, car l'éternelle question qui la hantait depuis quelques temps revenait en force : que ferait-elle ce jour-là ? Garderait-elle une position neutre ou se joindrait-elle aux forces de Tebryn ? Probablement qu'elle se joindrait aux Drows, mais pour quel prix ? Que gagnerait-elle dans le nouveau monde organisé par le Maître des Sombres ? Sans doute rien. Mais Alydaëlle était une tueuse et... elle était prête à exercer son métier en toute circonstance...

Sylfar écouta sans broncher tout ce qu'Alydaëlle lui dit, ponctuant de temps à autres d'un hochement de tête, signe qu'il comprenait. Le caractère de l'Assassine lui plaisait, instable et dangereux comme il les aimait.

-Oui, Tebryn... Nous autres, O-Karan, jugeons que ce roi est la meilleure chose qui puisse arriver au peuple Drow, il fera connaitre la puissance de notre race et nous rendra la place que nous méritons...

En effet, le clan du Sorcier était une des nombreuses familles qui soutenaient le roi des Elfes Noirs. Bien entendu, il se jugeait de loin supérieur aux Elfes, Humains et autres Nains ou consorts.

Le Drow pila soudain, suspendant sa marche tranquille et son regard se fit ombrageux et lointain. Une troupe de cavaliers... derrière... ils n'avaient pas donc perdu sa trace... Il réfléchit encore une seconde ou deux, puis jugea que Alydaëlle le ferait repérer s'il ne faisait rien. Sa décision prise, Sylfar entra en action.

Il pivota sur lui-même, toujours aérien et distingué, et attrapa le bras de la Demi-Drow. Ensuite, l'Elfe Noir l'entraîna en dehors du sentier forestier qu'ils suivaient depuis quelques minutes déjà. Là, il planta son regard dans celui de l'Assassine et lui fit signe de se taire d'un doigt sur ses lèvres, puis ntra en lui-même à la recherche de sa magie.

Plusieurs minutes passèrent, quand un groupe de cavaliers déboula en trombe et passa devant eux à bride abattue. Le premier des poursuivants était le seul à ne pas être encapuchonné, mais celà aurait peut-être mieux valu... Un faciès tordu, un regard lubrique et un nez démesuré, voilà comment était le premier des gens à cheval... Sylfar avait déployé une aura autour de la Demi-Drow et lui, ce qui les masqua aux poursuivants du Drow.

Une fois ce groupe passé, l'Elfe Noir relâcha sa magie et vacilla sur ses bases, épuisé par l'effort fourni lors de son sortilège de camouflage... Il parvint encore à dire ces quelques mots avant de sombrer dans une semi-inconscience:

Ils vont revenir... ils ont un Traqueur... Une rivière... leur faire perdre notre trace...L'heure de me rendre la preille...

Puis, Sylfar se laissa aller contre un arbre, éreinté, luttant pour rester debout malgré tout. Il avait du s'abbaisser à demander l'aide de quelqu'un, et ça l'aurait mis hors de lui s'il en avait eu la force.

Au grand dam du Drow, son destin reposait entre les mains d'Alydaëlle...

('suis désolé, je pars pour une semaine . Pardon...)

Alydaëlle fut très étonnée par la tournure des choses. Elle entendit elle aussi les cavaliers se rapprocher, mais elle était loin de se douter qu'ils en avaient après le Drow. Fronçant les sourcils, elle se laissa entraîner sans résister hors du chemin forestier, se dissimulant entre les arbres. Elle ne dit pas un mot, laissant son compagnon oeuvrer pour les mettre tous deux hors de portée des humains, grâce à un quelconque sortilège de camouflage. Elle croisa les bras devant elle, prenant appui contre le tronc d'un arbre d'un air détaché. S'il l'avait fallu, la tueuse n'aurait pas hésité à se battre et massacrer ces quelques misérables humains. Toutefois, elle ne voulait pas non plus sous-estimer l'adversaire, et encore moins risquer la vie du Drow qui semblait dans une situation délicate.

Sylfar sortit de son sortilège particulièrement affaibli. S'appuyant contre un arbre, épuisé, il réussit à articuler une phrase qu'Alydaëlle saisit dans son ensemble. Apparemment, il basculait dans une inconscience liée à son épuisement imprévu. Ou la jeune femme le laissait à ses ennuis et disparaissait, ou elle acceptait de lui venir en aide. Choix difficile, car Alydaëlle était plus Drow que humaine, et elle se souciait surtout d'elle-même avant les autres. Cependant, quoi qu'ait prétendu Sylfar, il lui avait probablement sauvé la vie au cours de la dernière bataille et la tueuse avait son sens de l'honneur. Elle lui devait une vie et saurait s'acquitter de sa dette. Tranquillement, elle se détacha de son arbre et saisit le bras de Sylfar, le passant autour de son cou. De son autre main, elle l'attrapa par la taille, s'aidant de son corps pour le soutenir et quitter la forêt en direction de la rivière.

Elle ignorait si le Drow était ou non conscient, mais Alydaëlle jura qu'il lui devrait quelques explications. Qui étaient ces cavaliers et pourquoi semblaient-ils les poursuivre ? Ou plutôt, LE poursuivre. La tueuse aurait sans doute d'autres mercenaires de Styrak à ses trousses, surtout après le massacre perpétré à Aduram, mais les hommes qu'elle avait vu passer à cheval n'en étaient pas. C'était autre chose. Les dens serrées, la jeune femme supporta le poids du Drow et déploya toutes ses forces pour le traîner en sécurité.

"Vous avez intérêt à me dire la vérité lorsque je vous interrogerai", soupira-t-elle, quelques gouttes de sueur perlant à son front.

Ils continuèrent la progression jusqu'à la rivière. Là, elle lâcha Sylfar pour reprendre son souffle et se reposer un peu. Elle espérait qu'il allait vite se remettre car si les cavaliers leur tombaient dessus, elle n'était pas certaine de pouvoir le protéger. Assurer sa survie à elle ne serait pas un problème, mais la sienne, c'était une autre histoire. Elle n'avait aucune magie pour s'aider, et son épée chantait essentiellement pour sa personne.

Alydaëlle garda les mains sur les hanches, ne laissant transparaître aucune expression lorsque le Drow se déshabilla devant elle. Quand il se laissa glisser dans l'eau, elle s'approcha à son tour de la berge et s'accroupit, les mains jointes entre ses genoux, l'épée touchant le sol. Elle darda un regard orageux sur le Drow qu'elle avait transporté à la force de ses bras à travers la forêt, dans le but de lui sauver la vie. Une action qu'elle n'était pas certaine de se pardonner un jour, mais qu'elle ne regretterait pas car elle était fidèle envers son peuple. Et sa loyauté, son sens de l'honneur, l'avait obligée à venir en aide au sorcier.

"Je sais fort bien nager", lâcha-t-elle d'un ton froid. "Mais les hommes qui sont après vous... sont après vous... Non après moi. J'ai déjà les mercenaires de Styrak à mes trousses et si en plus, vous m'annoncez que ceux qui vous poursuivent sont pires qu'eux, je n'ai nulle envie de les avoir aussi sur le dos."

Elle continua à regarder le séduisant Drow évoluer faiblement dans l'eau, songeant qu'elle s'étonnerait s'il ne périssait pas noyé vu son état actuel... La tueuse eut un soupir, l'hésitation se lisant dans ses yeux bleu glacial.

"Je ne vois pas pourquoi je devrais vous suivre..."

Sa voix perdait de son assurance. Elle ne voyait effectivement aucune raison valable, mais son instinct ne l'avait jamais trahie et aujourd'hui, il lui soufflait qu'elle devait fuir avec lui.

"La fuite... " grimaça-t-elle avec un éclat de rage dans les yeux.

Lentement, elle entreprit de se déshabiller à son tour.

"Quelle lâcheté ! Je n'en reviens pas d'être réduite à une telle bassesse !! Tout cela par votre faute ! Je me demande bien ce que vous avez pu faire pour vous attirer de tels ennuis !"

Elle retira le gros de sa tunique, révélant une taille fine, un ventre plat et musclé, mais décida de garder le vêtement qui lui couvrait la poitrine. Elle n'allait pas non plus trop lui offrir de quoi se rincer l'oeil. En grommelant avec colère, elle révéla ses longues jambes au galbe élégant, et mit en tas ses vêtements, les gardant sous le bras tandis qu'elle avançait vers l'eau, plutôt fraîche.

"Je ne suis pas prête d'oublier cette rencontre..." grogna-t-elle en décochant un regard noir vers le Drow.

Elle découvrait une large partie de sa nudité à un inconnu, mais tout Drow qu'il soit et aussi séduisant qu'il puisse être, elle considérait cet acte comme dégradant. Alydaëlle était une belle femme mais sa froideur et son caractère de feu, digne des Drows de sang-pur, faisaient souvent fuir les prétendants. La douceur n'était pas dans ses cordes, même si elle pouvait en faire preuve...

*J'espère que cette damnée rivière ne va pas nous conduire directement dans la gueule du loup...*

Les paroles d'Alydaëlle arrivèrent tant bien que mal au cerveau de Sylfar tandis qu'il mobilisait toute sa volonté pour rester droit dans l'eau. En coureur de jupons centenaire qu'il était, les appétissants atouts de l'Assassine ne lui avaient pas échappé, mais il était bien trop mal pour les admirer à son aise.

Une nouvelle fois, le Drow se figea brutalement, son regard sombre partit au loin. Il lâcha un grognement satisfait puis se pinça l'arête du nez, comme si ça pouvait lui rendre quelque force.

Ensuite, l'Elfe Noir s'immergea complètement, ne laissant que sa tête sortir de l'eau. Tout de suite, l'eau recouvrit son corps finement musclé, et il ne fut bientôt plus qu'une tache claire (ses cheveux) dans le noir de la rivière. Son vêtement et son équipement furent hissés sur le gros bout de bois, puis le O-Karan entremêla ses mains affaiblies aux branchages.

-Vous... vengerez... plus tard... y aller... maintenant...

Le courant de la rivière, sans être démesuré, était tout de même rapide, si bien qu'un homme moyen devait prendre garde s'il s'aventurait trop avant dans ce cours d'eau. Sylfar jeta un dernier coup d'oeil en arrière, maudit intérieurement sa faiblesse en cet instant présent, puis donna une faible poussée contre la rive.

Ainsi le Drow, vidé de toute force, se mit à dériver au gré des flots. Il comptait se laisser porter un certain temps puis passer sur l'autre bord de la rivière...

Alydaëlle, à son tour, plongea dans l'eau. Elle récupéra ses affaires, les tint hors de la rivière afin de ne pas les mouiller, et s'éloigna de la berge, transportée par les courants. Elle surveillait d'un regard attentif le Drow affaibli, consciente que sa vie ne tenait qu'à un fil, mais maudissant le fait que presque tout dépendait d'elle. Comme les choses avaient-elles pu tourner aussi mal aussi vite ? La tueuse se mit à grommeler, les idées noires, se laissant dériver dans les flots.

"Jusqu'où comptez-vous aller ainsi ? Simplement de l'autre côté ? Ou allons-nous suivre les courants indéfiniment ?"

La mauvaise humeur perçait dans sa voix mais c'était plus fort qu'elle. La jeune femme était réellement énervée. Elle avait froid et elle fatiguait. Pourtant, elle continua leur étonnante progression dans l'eau, guettant comme elle le pouvait les alentours. Elle craignait presque de voir surgir ces damnés humains et les arroser d'une pluie de flèches. Mais fort heureusement, alors que la nuit approchait, les deux Drows se fondaient dans la sombre rivière, essayant de se faire discrets au possible.

"Hé ! Vous n'avez pas intérêt à perdre conscience ici !! Je vous préviens, je vous laisse vous noyer sinon !!!"

Alydaëlle, dans sa nudité, ne tenait pas plus que ça à devoir se coltiner le corps inconscient du Drow. A moins que ce ne fut parce qu'il la troublait contre sa volonté.... La tueuse chassa ces ridicules pensées avec un grognement mécontent. Et de toute façon, la fatigue commençant sérieusement à se répandre dans ses membres, elle doutait d'être encore capable de le traîner avec elle.

"C'est pas possible... Comment je me débrouille pour toujours me retrouver dans des situations pas possibles..."

Alydaëlle parlait plus pour elle que pour Sylfar, mais elle s'en fichait. Elle avait besoin de parler à voix haute, de s'exprimer, comme pour évacuer sa rage. L'eau la gelait et elle peinait à avancer. Elle aurait donné n'importe quoi pour se réchauffer près d'un bon feu...

Alydaëlle l'entendit maugréer quelques mots, et se demanda comment elle en avait saisi le son. Ou simplement l'avait-il imité, le voyant se hisser sur la berge. A son tour, la tueuse, d'une puissante brassée, se propulsa vers la rive. S'agrippant aux racines qui passèrent à sa portée, elle sortit de l'eau, épuisée. Son souffle précipité trahissait l'effort fourni. Des goutelettes d'eau ruisselaient sur tout son corps, pratiquement nu, et sa peau de satin s'horripilait à cause du froid. Frissonante, encore énervée, Alydaëlle s'écroula à son tour par terre, heureuse de quitter enfin les flots furieux de la rivière.

"Hé ! C'est pas l'heure de..."

La tueuse s'interrompit, le regard fixé sur le corps immobile du Drow. Un instant, elle crut qu'il était mort. Mais l'observant attentivement, elle vit son torse finement musclé se soulever au gré de sa respiration. Elle admira un instant sa froide beauté mais aussitôt que ses pensées s'égarèrent vers les pêchés de la chair, elle secoua la tête pour chasser ces brûlantes images. Grommelant, gelée jusqu'aux os, elle se rhabilla de quelques vêtements et entreprit d'aller faire du feu. Sa houppelande avait pris l'eau et ne la réchaufferait donc pas. Furieuse, elle jeta le vêtement près de Sylfar, déjà plongé dans un lourd sommeil. Alydaëlle l'envia mais ce n'était pas l'heure de se laisser aller entre les bras de Morphée.

D'un pas rageur, elle s'éloigna dans la forêt et récupéra du bois. Puis, fouillant dans ses affaires, elle prit de quoi allumer un feu, ce qu'elle réussit après un nombre impressionnants d'essais. Cela la mit dans un état de fureur indescriptible. Elle était épuisée, son corps endolori, sa colère la fatiguait aussi, et pourtant, elle tint bon. Quand les flammes crépitèrent vivement, elle s'écarta et un premier sourire effleura ses lèvres. Enfin un peu de chaleur. Lentement, elle se tourna vers le Drow, presque nu, et après un moment d'hésitation, s'en approcha. Elle le regarda un moment, puis le saisit par les poignets. Sans ménagement, elle le tira tout près du feu, mais à distance raisonnable.

"Pas le moment de te laisser mourir de froid..." grogna-t-elle avant d'aller chercher les habits du sorcier.

Avec des mouvements irrités, elle jeta les tissus sur le corps endormi et s'assit en tailleur tout près de lui, comme une mère veillant sur son enfant. Sauf qu'elle n'avait pas l'air du tout d'une mère bienveillante. Juste une tueuse expérimentée qui avait pris la décision d'aider ce Drow, pour une raison qui lui échappait encore. L'épuisement physique et mentale rendait ses paupières si lourdes... Mais Alydaëlle ne devait pas s'endormir. Elle devait monter la garde et assurer à tous deux leur sécurité. Elle essaya de concentrer son attention sur le feu crépitant, mais le silence menaçait de la faire basculer dans un sommeil réparateur. Que n'aurait-elle pas donné pour une bonne nuit de sommeil...

"Nom d'une lame... Je ne sais même pas pourquoi je fais tout ça..." s'énerva la demi-drow en jetant machinalement des brindilles dans les flammes.

Elle darda un regard hésitant vers le Drow, puis un éclat de dureté illumina ses prunelles bleues.

"Vous avez intérêt à vite reprendre des forces ou c'est moi qui vais en mourir... Fichue situation..."

Elle se tut, les sourcils froncés, une ombre sur le visage, attendant que la nuit les épargne.

[C'est bon... ^^]

Alydaëlle n'avait pas entendu le Drow se lever. A moitié somnolente, vidée de ses forces, éreintée, elle n'avait qu'une envie : dormir. Elle préférait se laisser tuer plutôt que de poursuivre une inutile cavalcade. Et puis plus elle y réfléchissait, plus elle se demandait quel sens avait pris sa vie depuis quelques temps. C'était comme si tout désir de vivre l'avait fuie. La tueuse étouffa un bâillement et eut un geste de la main, ajouté à un soupir, chassant ces idées absurdes. Renoncer à vivre ? Et puis quoi encore ?

La jeune femme sursauta presque quand elle aperçut, du coin de l'oeil, Sylfar revenir de... de la chasse ?? Etonnée, Alydaëlle voulut se lever mais ses jambes endolories refusèrent de la porter. Elle ne réussit pas à se lever et s'écroula sur le sol. Lâchant une bordée de jurons à faire pâlir les morts, elle renonça à se mettre debout et décocha un regard noir au Drow responsable de cet état lamentable. Jamais elle n'avait été dans une situation pareille. Elle continua de raviver le feu, branche par branche, et ramena ses jambes entre ses bras, se recroquevillant en grommelant.

Elle ne prononça pas un mot, ignorant Sylfar alors qu'il présentait le "petit déjeuner" de la journée. Des lapins... Appétissant. Toujours mieux que rien. Mais Alydaëlle n'avait pas faim. L'estomac noué, elle ne pensa plus à rien pendant un instant, puis l'image du Drow vint la hanter contre sa volonté, lui arrachant un hoquet de fureur... Machinalement, elle lui tourna davantage le dos, comme si elle espérait qu'il allait ainsi quitter son esprit torturé. Elle était indéniablement attirée par lui, autant qu'elle nourrissait une haine étonnante à son égard. De quoi perdre la raison... Elle s'efforça de penser à son dernier amant en date, mais rien n'y fit. Alors elle songea à un bon lit pour dormir, sans succès.

"J'aurais mieux fait de vous tuer..." maugréa-t-elle pour elle-même, sans vraiment penser ce qu'elle disait.

Avec un profond soupir, elle ferma les yeux, la tête dans les bras.

"J'aurais mieux fait de vous tuer..."

Cette phrase crachée comme un juron tira un sourire narquois à notre ami Sylfar, qui s'éloigna et s'accroupit à la recherche d'un support à la cuisson du repas. Il entreprit alors de trier les branchettes qu'il trouvait, puis la réponse vint pour Alydaëlle, traînante et ambiguë.

-Parfaitement, vous avez fait une erreur qui vous coûtera cher...

Une réponse bien drow, mais il ne dit pas tout le jeune Sorcier... Lui aussi en a commis une belle série (citées plus haut ^^) et s'il n'était aussi arrogant, il aurait reconnu ses fautes... Mais bon, Elfe Noir, c'est comme ça, on n'y peut rien.

Sans un regard pour l'Assassine, le Drow se releva alors, brandissant LA branche parfaite pour la cuisine quil projetait. Les lapins furent bien vite embrochés et suspendus au-dessus du feu, mais avec un détail étrange: l'Elfe Noir leur avait sectionné les oreilles et les faisait sauter dans les braises à la base du foyer. Son plat favori, des oreilles rôties au feu de bois, dommage que ce ne fussent que des lapins...

Le temps s'écoula ainsi dans le silence seulement interrompu par les grésillements de chair animale. Sylfar brisa la routine en se levant pour aller chercher sa robe de Sorcier et l'enfiler, non sans l'avoir époussetée d'un revers de main. Il prit ensuite les oreilles et les déposa sur un petit lit de feuilles vertes dressé au préalable et s'accroupit devant Alydaëlle. De son index fin et manucuré, l'Elfe Noir désigna les oreilles de lapin puis prit la broche avec la viande cuite et la considéra d'un air dégouté.

-Je ne mange que ces oreilles, le reste pourrira ici si vous ne le prenez pas...

Le O-Karan ne bougea plus, accroupi devant la Demi-Drow, et attendit sa réaction. Un coup de poing? Pourquoi pas... Un coup d'épée? Ce serait plus ennuyant... Quoiqu'il en soit, il resta là, la tête légèrement inclinée vers la gauche

Alydaëlle resta un long moment immobile, les yeux baissés vers le sol, le regard ombragé. Elle vit le Drow s'accroupir devant elle, l'invitant clairement à consommer le lapin qui rôtissait tandis que lui se contentait des oreilles. Sa bouche était crispée en une grimace irritée, mais progressivement, ses traits se détendirent tandis qu'elle levait presque timidement les yeux vers le sorcier. Une expression glaciale habitait ses prunelles bleues et pourtant, un étrange éclat, plus brûlant, transparaissait. Elle étudia Sylfar avec une attention nouvelle, sans faire le moindre commentaire. Après l'avoir dévisagé à volonté, sans la moindre décence, elle eut un sourire moqueur, mais étrangement triste :

"Vous croyez réellement que vous avoir épargné est une erreur qui me coûtera cher ? Je ne sais pas... Pas plus que je ne sais pourquoi je vous ai aidé..."

A nouveau, elle baissa les yeux, avec un soupir. Tout cela ne rimait à rien. Elle eut un regard pour le lapin, dont le délicieux fumet s'élevait. Mais elle n'avait toujours pas faim. Finalement, elle reporta son attention sur Sylfar.

"Mangez à votre faim, ce qui vous plaira. Pour ma part, je n'ai besoin de rien."

Ce n'était pas tout à fait vrai mais pas question qu'elle profite de la nourriture qu'il avait chassée. Et puis elle n'avait pas envie de se forcer à avaler quelque chose. Serrant les dents, elle se perdit un bref instant dans la contemplation du sorcier, puis détourna les yeux, essayant de concentrer son attention sur autre chose. N'importe quoi, mais quelque chose qui lui fasse un peu oublier cette aventure dont se serait volontiers passée...

Les traits de la séduisante Assassine étaient tourmentés, c'était un fait... Sylfar s'en était réjoui jusqu'à présent, mais une idée dérangeante s'était fait sa place dans son esprit tordu. Faire soufrir était dans sa nature, mais...

Eduqué exclusivement par sa mère, il avait reçu certains comportements vis-à-vis des femmes de son espèce. Ainsi, le Sorcier gardait-il toujours un certain respect pour les Drowes qu'il rencontrait. Mais voilà, il savait parfaitement qu'Alydaëlle était à moitié Elfe Sylvaine, et c'était là que le bât blessait... Partagé entre son attirance pour le côté Elfe Noir de l'Assassine et sa répugnance pour son côté Sylvain, le Drow commençait à douter de la conduite à adopter. *Ce serait plus facile si elle était moins agréable à regarder*, pensa-t-il amèrement.

Le O-Karan se reprit alors, se redressa et remit la viande cuite en équilibre au-dessus du feu. Il passa ensuite son arc autour du torse et son carquois à sa taille. Puis, ravivant le feu d'un air distrait, Sylfar dit d'une voix devenue atone:

-Nous devrions avoir jusqu'à midi avant qu'ils ne retrouvent notre piste, vous feriez mieux de vous reposer, je n'ai pas envie de vous porter sur mon dos... *Quoique...* J'ai laissé des filins-mouchards derrière moi, je le saurai quand ils approcheront trop...

Sans plus rien ajouter, il grimpa à l'arbre qui l'avait abrité durant la nuit, adroit comme un jeune marsupial et élégant comme à l'accoutumée. Une fois confortablement installé sur une longue branche touffue, le Drow posa son arme sur ses genoux et s'appuya contre le tronc du végétal.

Ainsi perché, à l'abri du regard si étrange d'Alydaëlle, il pouvait réfléchir à la situation...

[hrp : juste pour info, elle est demi-humaine, non pas sylvaine... ^^]

Alydaëlle n'avait plus la force de discuter. Elle peinait déjà à rester éveillée... Et puis quand elle fermait les yeux, c'était pour voir ce damné Drow danser dans son esprit. En d'autres circonstances, elle aurait trouvé ça plaisant, mais c'était le sorcier qui l'avait enfoncée dans les ennuis, comme si elle n'en avait pas assez comme ça. Les prunelles bleu glacial de la demi-drow balayèrent le vide devant elle, tandis que Sylfar ravivait le feu. La tueuse eut un soupir anéanti. Dans un sursaut d'énergie, elle se leva et réussit à tenir debout, même si ses jambes flageolaient menaçant de se dérober sous elle à tout instant.

Puis le Drow s'éloigna. Il grimpa dans un arbre tout proche, adroit et élégant, mais Alydaëlle ne s'intéressa pas longtemps à lui. Elle eut tôt fait de détourner les yeux avec irritation, déjà incapable de le chasser de ses pensées. D'un coup de pied rageur, elle envoya balader une pierre près du feu, puis commença à s'éloigner à son tour. Elle ne savait pas pourquoi elle réagissait ainsi, pas plus qu'elle n'était capable d'analyser ses sentiments. Colère, frustration, douleur... En passant près de l'arbre où s'était perché Sylfar, la jeune femme s'arrêta, les yeux braqués vers le sol.

"Ne vous en faites pas, vous n'aurez pas à me porter sur votre dos. Plutôt mourir que de subir pareille humiliation. Je suis une tueuse, et je déteste m'en remettre aux autres..."

Elle avait grommelé plus qu'elle n'avait parlé clairement, mais elle se fichait bien de savoir si le Drow l'avait ou non entendue. Lentement, comme pour assurer chacun de ses pas, elle marcha en direction de la forêt, essayant de demeurer attentive. Puis elle prit appui contre un tronc tout proche. Elle avait la tête qui tournait et le souffle rapide. Mieux valait qu'elle trouve un endroit sûr pour dormir un peu, ou jamais elle ne pourrait poursuivre son voyage...