[MdO 2016] Le siège d'Amblère

Nakor avait lutté comme un beau diable, les sorciers du C'nros étant de brillant manipulateurs du feu et de la glace, il avait dû user de tous ses bons vieux tours. La différence la plus grande entre un archimage et les autres membres de la caste des magicien était la capacité à obtenir le même effet, avec plus de vivacité, plus de puissance, en usant pourtant de moins d'énergie interne alors que ses propres ressources arcaniques sont plus grandes que celles des autres. En bref, un soldat plus musclé, plus habile et plus expérimenté, avec une excellente épée, contre un jeune soldat certes frais et énergique mais encore un peu trop brouillon et avec une arme de mauvaise qualité. Le vieux fou avait donc un avantage mais pas au point de pouvoir balayer, en plein milieu d'un terrain de guerre, trois cents sorciers recrachés des entrailles du Puys. Ses gardes du corps avaient été malheureusement plus utiles que prévu ou qu'espéré! Nakor était furieux de ne pas avoir pu tous les sauver, ils étaient parti vingt autour du chapeau pointu et ils finirent par arriver aux abords du quartier de la forge à seulement sept. Ils étaient essoufflés, les épées recouvertes de sang frais autant que coagulé et le vieux fou aussi, s'appuyait de plus en plus sur son bâton et sur ses accompagnateurs, une estafilade recouverte par un morceau de tissu rouge sur le haut du bras gauche pour arrêter le flux sanguin. Il ne comptait plus les coups d'éclairs, de poings d'airs, les flammes détournées, les pics de glaces, les jets d'eau surpressurisés, les mouvements de sol et de terre écrasante. Le combat avait été rude mais à un moment les hostilités avaient cessés.

"Que diantre se passe-t-il seigneur Nakor?
- Ils se retirent ... les armées des seigneurs doivent avoir convergés ... il faut nous hâter! Aidez-moi.
- Allons y ... vous pourrez tenir?
- Il le faut oui! J'ai encore quelques ressour ... huuu! Faudrait pas vieillir."

La dernière phrase de Nakor avait été coupée par un râle de douleur, après tout, courir les rues de la guerre à six cent vingt huit ans, quelle idée! Les guerriers aidèrent le Magistère et ils avancèrent plus rapidement jusqu'aux forges. En arrivant sur place, le carnage fut total. Le vieillard cherchait désespérément plusieurs visages : Altiom son cher petit-fils d'adoption, Aymeric, la tête commandante dans cette bataille et surtout Jérôme qu'il était venu appuyer. Un drow, un combat, un homme à terre, un autre qui vient pour le déchirer. Ils étaient là! Un jeune chevalier venait de sauver Jérôme apparemment mais ...

"Hooo non!"

Nakor poussa violemment son garde du corps sur le côté droit pour libérer son bras et activa sa magie. Une immense bourrasque de vent vint combattre et repousser les flammes que six sorciers drows venaient de réunir et de balancer sur le centre de la place de la forge. Les flammes se relevant dans les airs, les mages du Puys gardèrent leur préhension sur le feu convoqué et le mirent en mouvement pour le redéployer sur les troupes. Nakor fit claquer ses deux mains violemment, paume contre paume. Une dépression se concentra au dessus de la place et toutes les flammes ne purent résister, elles furent aspirées, se condensèrent en une boule massive et dans une dernière impulsion, luttant contre les forces arcaniques ennemies, le Magistère du Firmament détourna cette boule de feu furieuse qui tourna casaque et alla s'écraser sur ses invocateurs. Ils moururent dans une explosion de flamme et de cris.

"Alleeeeeeeeeer!"

Nakor invita les hommes autour à cesser de regarder cet extraordinaire spectacle et à se hâter de terminer leurs combats. La guerre n'avait que trop durée et trop d'hommes étaient déjà mort pour cette folie! Il restait encore un peu de force à la vieille barbe blanche pour lancer quelques éclairs. Mais ensuite, il finirait sans doute par s'écrouler car on ne passait pas par un combat contre un si grand nombre de mages sans contre coup!

Jérôme leva la main devant lui, geste d'impuissance à vouloir parer un coup fatal. Ce dernier n'arriva pourtant pas, un cri appelant la déesse mère se fit entendre et le baron entendit un bruit de chute qui lui fit rouvrir les yeux qu'il avait involontairement clos. Le drow n'était qui s'apprêtait à le tuer n'était plus la mais juste à côté, un humain sur lui. Encore un signe divin ou cette chance insolente qui semblait coller le baron dans ses campagnes dévia le spectre de la mort une nouvelle fois. Il aurait voulu aider son sauveteur mais une toux occasionnée par ses multiples blessures et la douleur l'en empêcha, la suite se passant rapidement.

Un groupe se joignit au fou qui l'avait sauvé, rejoint par les troupes d'Etherna, d'Odélian et de la Sgarde, taillant en piège les sombres surpassés en nombre. Le combat fut sanglant comme depuis le début de cet assaut et d'une rapidité étonnante. Jérôme avait la tête tourné et il constata, à côté de lui, Walther Hohenburg. Il s'en souvenait pour l'avoir entendu dans la tente de commandement d'Aymeric et Lyarra lui en avait parlé aussi, c'était donc lui son mystérieux sauveur, un fervent de Néera, comme le baron. Jérôme chassa la douleur qui l'emplissait et il commença à se relever, tendant la main pour aider Walther à se relever également

"Je n'oublierais pas votre geste, sire. Je suis maintenant votre obligé. Par contre non ce n'est pas terminé, les combats perdurent. Que Néera vous bénisse et vous protège"

La rage sanguinaire qui avait prit le baron commençait à refluer après cet interlude durant lequel il avait flirté une nouvelle fois avec la mort. Celle-ci n'avait pas encore voulu le prendre et il en était gré à Néera et Tyra qu'il remercia d'une brève prière. Il ramassa son épée et sa hache puis il repartit en direction de la place des forges qui se trouvait fort près maintenant, faisant taire ses douleurs.

Au bout de la rue, il arriva à la place mais il n'y pénétra pas tout de suite. Les sombres étaient retranchés et ils vendaient chèrement leur vie. Etonnamment, alors que tous les pronostiques voudraient qu'ils se retranche à la citadelle, ils n'en faisaient rien. C'est alors que le baron vit la bannière d'Alonna qui flottait en haut de celle-ci, voila qui était surprenant. La place était au milieu de tous les combats, les humains arrivant par toutes les rues et ruelles pour faire jonction sur cet îlot central de la ville. Les carreaux et la magie pleuvait en partance des deux côtés. Jérôme ayant retrouvé une certaine lucidité, ne se jeta pas dans la mêlée, il appela les arbalétriers et les mages d'Othar qui l'accompagnaient et l'échange s'intensifia encore. Il aurait été suicidaire de se lancer à l'assaut pour l'instant. Vu le nombre d'hommes, les malheureux drows, si l'on pouvait les traiter ainsi, commençaient déjà à se jeter dans les eaux tumultueuses du fleuve pour tenter d'éviter le massacre qui s'annonçait.

Les combats diminuèrent avant de s'arrêter, Jérôme entra sur la place à la tête de ses hommes, sans avoir besoin de remonter les lignes puisqu'il l'avait mené depuis le début. Le sang qui le recouvrait, le sien, celui de ses hommes ou de ses ennemis, attestait qu'il n'avait pas été passif dans ce conflit. Rapidement, ayant déjà débuté leur arrivée, Gaston et Guillaume rejoignirent leur bras armée. Jérôme faisait tout pour ne pas écouter son état mais était évident qu'il aurait rapidement besoin de soins.

Seules les flammes éclairaient désormais le combat, sur la place des forges. Voila des heures que les hommes luttaient, aux prises avec l'ennemi noirelfique, si bien que la nuit les avait rattrapé. C'est donc dans une pénombre rougie par les torches et les incendies que se jouait l'ultime acte de la bataille. On avait enfoncé les rangs des puysards, et plongé dans une mêlée épaisse. Ici et là, c'était le ballet de l'acier, quand ailleurs s'affrontait la magie impie des drows, et les quelques gens de l'Art que comptaient les armées humaines.

Il y aurait tant à raconter sur l'affrontement de ce soir là, sur la manière dont les puysards, réduits aux derniers retranchements, se tinrent côtes à côtes, bardés d'acier, pertuisanes dressées vers un assaillant toujours plus nombreux. À l'évidence, la valeur des guerriers du Puy emporta nombre d'hommes ; pourtant, l’arithmétique implacable fit pencher la lutte en faveur des gens du Nord. Ainsi, tout braves qu'ils étaient, et féroces au demeurant, les puysards, acculés, finirent saignés à blanc, percés de viretons, chaque perte venant les affaiblir un peu plus, quand chaque homme tombé se trouvait suivi par cinq autres.

Bientôt, dans un fracas de sorcellerie, quand le magicien Nakor mit en déroute les séides du C'rnos, le moral noirelfique finit par flancher. Si les vétérans se bornèrent à mourir le glaive à la main, d'autres préférèrent tenter leur chance dans le fleuve. S'il ne nous appartient guère de rapporter la réussite ou l'échec de cette entreprise hasardeuse, il convient de mentionner celle pour ceux restés sur la terre ferme, tant elle confine à la scène de chasse plus que de guerre.

C'est que la piétaille, ivre de fureur contre cet ennemi séculaire, oublia bientôt toute retenue, pour se jeter corps et âme dans la poursuite des puysards en déroute. On voyait ainsi, à chaque coin de rue, des dizaines de piques alignées autour d'un seul elfe misérable, sa lardoire en main n'étant plus qu'un recours illusoire. Les puysards nichés sur les toits furent jetés à bas ; on s'amusait, non sans cruauté, à tourmenter les prisonniers de guerre. Et les drows de balancer subitement au bout des cordes! Quand ils n'étaient pas pendus, les puysards désarmés étaient assurés d'une fin différente, mais tout aussi funeste.

Les instincts incendiaires des hommes, alors restreints à des buts touts militaires d'enfumage, furent décuplés par la victoire, et l'on ne manquait pas de faire brûler quelque puysard. Ici, on avait brisé tous les os de l'un, avant de l'enfermer dans une grande armoire, désormais rongée par les flammes. Là, le pauvre hère voyait sa peau noire le devenir plus encore, léché par de bien turgescents brandons, impuissant devant sa calcination progressive en raison de ses membres cloués aux façades des grandes maisons. Le pillage n'était pas en reste, et si les hommes épanchaient leurs mauvais penchants sur l'ennemi vaincu, ils n'en ménageaient pas pour autant le mobilier local.

Ainsi, Amblère fut à nouveau livrée à la vindicte des armées. Quelques années après son premier incendie aux mains du baron Norman, la ville, qui avait subi entre-temps le joug noirelfique, faisait de chaleureuses retrouvailles avec un occupant bien humain. Les armées du Nord, comme privées trop longtemps d'une compagnie charnelle, firent subir au bourg leur étreinte jusqu'à l'épuisement. Tandis que l'astre lunaire se levait bien haut au firmament, les flammes, elles, semblaient vouloir le suivre. Finalement, à mesure que l'air devenait irrespirable sur la place des forges, et après que des poutres incandescentes furent tombées sur quelque pillard trop aventureux, on décida, d'un commun accord, de laisser la ville aux flammes, et d'emporter le butin vers les camps.

Ce dernier devint à son tour le lieu des débauches, et, avec pour spectacle formidable celui d'une ville toute entière devenue brasier, les hommes s'en vinrent avaler le rouge qu'ils s'étaient tant attelé à vider de jour. La soldatesque festoya ainsi jusqu'à l'aube, ivre de victoire.

Quand le marquis fit irruption de sa tente le lendemain, l'éclat incandescent d'Amblère, comme un deuxième Soleil, l'accueillit. Il était certes fourbu, mais demeurait exalté. Avec la fumée s'envolait un des pires ennemis qu'il avait eut à affronter, et c'est le cœur léger qu'Aymeric fit mander ses capitaines, et porter des enseignes à ses alliées. Il y décrétait un deuil général jusqu'à ce que l'incendie amblérois s'éteigne de lui même, durant lequel on se dévouerait aux morts et aux dieux. Il faudrait plus de trois jours pour que les flammes s'évanouissent, et le marquis entendait, après cela, fêter dignement son triomphe.

Amblère, une fois de plus, avait été purgée.