Intrusion [Dame Alice - La Ruche]

4e jour de la 6e ennéade

À l'aube. Sickert à l'habitude des voyages mouvementés. Il a passé la moitié de sa vie sur les eaux de l'Eris qui ne sont pas réputées pour être les plus calmes. Les dernières années, ils les a passé à se balader partout en péninsule, et même au-delà, et à dormir dehors ou dans des endroits où mieux vaut ne pas vraiment dormir. Mais franchement, il estime que dormir dans un carrosse, c'est aussi désagréable que de dormir directement sur le dos du cheval.

Il ouvre les yeux en même temps que le soleil. Ils n'ont pas voulu arrêter pour la nuit puisqu'ils ne leur restait que quelques heures avant d'arriver. C'était tout à fait logique comme idée, mais c'est pas non plus comme s'il avait eu l’intention de s'endormir non plus. Il comptait possiblement s'assoupir, mais pas de s'endormir. De toute évidence, soit il était vraiment épuisé, soit le carrosse était plus confortable qu'il n'y paraissait. Au premier mouvement, il sait que c'est faux. Le carrosse n'est pas confortable.

- Bon sang, grommelle-t-il, en tentant de s'étirer. Mais le carrosse a beau être spacieux… Sickert est également spacieux. Bon sang, répète-t-il.

Alors il essaie de s'étirer en prenant le moins d'espace possible, mais ce n`est pas un succès. Il pousse un soupir agacé et finit par s’extirper du carrosse en marmonnant, de mauvaise humeur. Il n’a pas été de très bonne humeur de tout le voyage de retour. Il n’a même pas dit bonjour, mais il revient rapidement, quelques minutes à peine et il semble de meilleure humeur.

- Nous sommes arrivés ! annonce-t-il en ouvrant la porte mais en ne pénétrant surtout pas à l’intérieur. Il a assez fait de carrosse pour la journée… pour l'ennéade… pour le mois ! Bonjour ! Bien dormi ? Inutile de lui retourner la question, il est cerné. Il fera très bleu aujourd’hui.

Pas de nuage. Que du ciel et du soleil. Il irait bien piquer une tête dans le cours d’eau le plus proche. Mais il y a autre chose à faire pour le moment. Comme arriver à La Ruche. Les derniers cent mètres, il les fait à pieds, pour se dégourdir un peu les jambes… et tout le reste.

- C’est accueillant, ici, commente-t-il une fois arrivé devant la résidence. Sans cérémonie, il grimpe sur le carrosse pour défaire les liens et mettre à terre les bagages, aidé du cocher. Je croyais que la condition de noble impliquait un accueil festif, se moque-t-il, sans méchanceté.

Lorsqu’il se rend compte que de toute évidence, personne n’est venu. Le cocher repart avec le carrosse et Sickert, son paquetage à ses pieds, examine la résidence, puis Dame Alice. L’endroit est… désert, c’est le moins qu’on puisse dire.

- Vous avez la clé ?

La question est sérieuse, mais le ton est moqueur.

Sickert le lui avait dit à Velmonè. Dame Alice est une pessimiste. Déjà, qu’elle estime que la nuit fait le jour, est très pessimiste. Malgré sa mauvaise humeur apparente, il ne base pas le reste de sa journée là dessus. Ce serait comme affirmer aux premiers signes de l’orage qu’ils couleront. Il n’a jamais coulé et pourtant, des orages, il en a affronté.

- Bien sûr que si. Tant qu’on a pas à remonter sur un cheval ou même à s’en approcher, grommelle-t-il en sortant du carrosse.

Il n’est pas du tout un type à cheval. Vraiment pas. Il les a en horreur. Pas assez pour refuser la possibilité de grimper dessus, mais assez pour envisager toutes les alternatives avant.

Il n’est donc pas fâché de les voir partir. Au contraire, il se portera nettement mieux maintenant. D’ailleurs, son humeur redevient aussi festive que ce jour de la fin de l’été. Assez pour se moquer de l’accueil assez peu enthousiaste. En fait, il n’y a personne. Un piège, hum ? Effectivement, ça pourrait bien en être un. Après tout, elle est la soeur de Barbaque, non ? Mais Sickert n’a jamais été un paranoïaque. Peut-être aurait-il dû. Mais il a également très peu de remords ou de regrets face à ses décisions.

- Vous voulez dire qu’ils vont soudainement sortir et hurler « Surprise ! » avant de nous… de ME cribler de flèches ou je ne sais quoi ? demande-t-il sans craintes apparentes.

Il se dit que c’est que pour se moquer, non ? Eh bien si elle poursuit une tradition, ce n’est pas un bien grand hommage. Sickert se charge du reste des bagages, à savoir le sien et ce qui reste de celui de Dame Alice. Ce n’est pas comme s’il avait grand chose. Seulement l’essentiel. Et cette manie de lui donner du Monsieur… il faudra lui faire passer cette mauvaise habitude. Il n’est pas un Monsieur après tout. Non, il est Sickert. Il suis la Dame à l’intérieur de la cours, tandis qu’elle explique pourquoi ils… pourquoi elle n’a pas un accueil habituel.

- Vous voulez dire que lorsque vous n’êtes pas là, l’endroit ne vit plus ?

Une si grande maison, totalement vide. C’est bien une idée de ceux qui ont tout, bien qu’il sache d'expérience qu’à Solaria, il y a toujours quelqu’un. Agnès généralement. Et elle n’a pas la clé. Sickert hoche la tête. Ce n’est habituellement pas un problème. Il n’a jamais vraiment eu besoin de clé. Ce n’est qu’un outil, pratique, mais on peut s’en passer. Il se frotte déjà les mains en cherchant un chemin à prendre. Il trouvera. Il trouve toujours comment entrer quelque part. Toutefois, avec l’approbation de la maîtresse des lieux, il doit avouer, au moins à lui-même, que c’est la première fois.

- J’en sais rien, ment-il, je peux essayer. Et sans trop y aller fort, il secoue la gouttière, pour en tester la solidité. Il retire son manteau, parce que c’est pas la peine de se donner de la difficulté et il le jette sur sur le reste de son maigre bagage. Et vous ? Vous grimpez ? interroge-t-il en entreprenant l’ascension.

Si c’est son premier essaie. Eh bien c’est remarquable. Les premiers mètres sont aisés semble-t-il et il grimpe sur le premier balcon qu’il atteint. Il s’appuie sur la rambarde, l’air nonchalant.

- Vous tenez absolument que je passe par le toît ? Ce serait nettement moins long par ici. La vue est belle d’ici. Vous avez raison, mieux vaut grimper encore, dit-il avant de ne pas du tout se préoccuper de ce qu’elle peut lui répondre et il s’y remet.

Il se répète tout de même qu’il y a sans doute un moyen plus aisé d’entrer. Sinon nettement plus amusant. Mais ce n’est quand même pas si désagréable de si bon matin… quand le soleil est à peine levé. Deuxième balcon, puis troisième, il atteint finalement la corniche, ce qui, lui cause un léger problème, mais il s’en sort avec pas trop de difficulté. Il se hisse sur le rebord et vient pour sauter sur le toît, mais au moment où il allait sauter, il se retient dans un équilibre précaire qui manque de le jeter en bas.

- Heum… vous ne m’aviez pas prévenu que le toît était occupé...

Il y a un quelque chose de bizarre dans sa voix. Une minuscule touche de... de quoi, de détresse peut-être ?

Lui qui croyait que les domestiques devaient donner leur vie à leurs nobles… à moins que ce soit les esclaves… il a peut-être confondu. Enfin, il a sans doute confondu. Il pensait surtout qu’il y avait toujours quelqu’un dans la maison. Tout le monde ne vit pas de la même manière, sans doute. Mais oui, si on ne paie pas les gens parce qu'ils ne sont pas là, c’est profitable. Certains usent des esclaves, et Dame Alice donne congé. Ça se défend.

Au premier, balcon, il propose de terminer l’ascension, mais Alice s’indigne D’en haut, il la regarde taper du pied et l’informer de la fonction de la pièce en question. Il a un sourire ravi, la vue est belle d’ici. Il ne voit pas en quoi que ce soit la chambre de qui que ce soit l’empêcherait d’y passer, mais la vu d’en haut lui semble intéressante également. Et elle a tort, les mâts et les gouttières, c’est bien différent. Mais grimper sur un mât lui a nécessairement apprit à grimper le long des gouttières… et à grimper tout court. Il retourne à son ascension et atteint le toit.

Le toit et les ruches. Un équilibre précaire, il essaie de se retenir, mais il n’avait aucune idée que le toit était occupé par des abeilles… et que de toute évidence, la ruche la plus matinale est bizarrement juste au-dessus de la gouttière proposée par Dame Alice… elle a bien parlé de piège n’est-ce pas ? Ne pas tomber ? Tomber, ce n’est rien, on a pas le choix, ça se fait. C’est habituellement la finale de la chute qui importe. L’impact. Sickert est tombé bien des fois. Au propre comme au figuré. S’il ne peut pas éviter de bousculer la ruche au passage, l’impact est toutefois une réussite, au sens qu’il ne s’est rien disloqué, rien brisé et qu’il n’aura probablement même pas mal demain. Du moins pas en ce qui concerne la chute. Les abeilles, par contre…

Un essaim d’abeille contrarié, ça n’a jamais rien de plaisant. En fait, ça n’a rien de plaisant du tout. Les abeilles se font plus présente autour de la ruche et Sick s’en éloigne le plus possible, tout en prenant bien garde à ne pas trop s’approcher des autres ruches et ne pas empirer la situation. Quelques piqûre douloureuse, mais pas aussi dramatique que le sort réservé à l’abeille. C’est sans doute ce qui lui épargne bien d’autres piqûres. Les abeilles n’ont pas l’occasion de piquer deux fois. Il ne panique pas, bien que le bourdonnement des bestiole près de ses oreilles et la vibration près de sa peau provoquent chez lui un léger frisson de répugnance. Il serre les poings et les dents et cherche une sortie, même si ça implique de passer par une autre gouttière.

Elle a dit qu’elle arrive ? Quoi ? Et effectivement, elle arrive. Et il marque un temps d’arrêt en la voyant apparaître à la trappe qu’il vient de remarquer.  De un, quelle entrée a-t-elle utilisé qu’elle n’aurait pas pu utiliser avant. Il le découvrira. De deux… saleté de chipie. Il ne se fait pas prier pour entrer et s’il touche quatre marche de l’escalier, c’est le grand maximum. Et une fois la trappe refermée, il se permet de balayer une ou deux petites agonisantes.

- Bon sang, gromelle-t-il en essayant de cacher ce frisson de dégoût. C’était la plus grosse ruche ! Devant la gouttière que vous m’avez désignée, lui reproche-t-il. Même si elle prétend le contraire, il est certain qu’elle savait très bien. Et bon sang, le dard y reste, constate-t-il en grimaçant et en sortant sa dague. Il recule brusquement dans une tentative de dissimulation de ses piqûres. Et peut-être se mettre à l’abri d’Alice. On ? Qui ça on ? Et un instant, je n’ai besoin de personne pour me déshabiller et je ne compte pas me déshabiller du tout, dit-il en extirpant le dard avec la pointe de sa dague. Mais j’accepte la pommade. Il tourne un regard courroucé. Ça ne serait pas arrivé si vous m'aviez laissé tripoter vos loquets, conclut-il. Il plisse les yeux. Vous essayez de me prouver que ce n’est pas une bonne journée ? Ça ne compte pas si vous faites exprès.

- De mon point de vue, je vous assure que c’était la plus grosse, se défend-t-il.

Mais franchement, elle lui a vraiment paru la plus grosse… mais de là à savoir si c’était vraiment la plus grosse, il ne pourrait pas le jurer. Mais il ira vérifier. Ou pas. Va savoir. Faire l‘enfant ? Abîmer sa peau ? Qu’est-ce que ça peut faire ?

- Mais…

Il aurait bien protesté davantage, mais Dame Alice le tient fermement et l’entraîne par la main ou il tient sa dague. Il occupe, durant quelques secondes, son attention à prendre sa lame de l’autre main et la ranger en sécurité. Elle ouvre une porte et le tire à l’intérieur. Il fait sombre et de toute évidence, elle connaît bien la pièce, parce qu’elle fait un pas de côté au bon moment, ce que le mercenaire, lui ne fait pas et se prend le coin d’un bureau dans la cuisse.

- Hmpf, commente-t-il.

Un bureau massif et solide, détermine-t-il, au touché, parce qu’il n’a pas eu l’impression que le bureau ait bougé d’un centimètre. Elle cherche vraiment à le tuer ou le mutiler ? Elle l’assoit sur un tabouret, met un peu de lumière dans la pièce et lui dit d’attendre une minute. Une minute. Attendre. Attendre une minute ? On peut faire tellement de choses en une minute. Comme se faire piquer par des abeilles. Mais on peut aussi rapidement faire le tour d’une pièce. Et ce n’est pas la première fois que Sickert examine une pièce dans la semi-obscurité. Sickert est un fouineur rapide. Il faut être rapide quand on pille un navire en train de couler. Ça semble bien intéressant, mais quand même, en moins d’une minute, il n’étanche pas sa curiosité. Il reviendra, dans cette pièce. Lorsque Alice revient, il est sagement assis sur le tabouret, mais tout chez lui hurle un « Prouve que j’ai fouiné, maontenant »

- Ma pudeur ? Il n’y a que vous et moi ici.

En quoi ça pourrait enquiquiner sa pudeur ? Il ne pousse pas la question, parce que si se faire arracher le dard d’une abeille dans le cou n’est pas une torture, ça n’a tout de même rien d’agréable. Il ne se plaint pas, il est même particulièrement docile, mais il ne semble pas particulièrement enchanté. bien que ce soit nettement plus agréable que ce qu’il a pu connaître. Prewett ne s’est jamais vraiment soucié de le douleur que ses soins soient douloureux ou non. Et Madame Ingrid non plus d’ailleurs. Les remèdes de Madame Ingrid étaient souvent pire que le mal d’origine. Efficace par contre.

Lui ? Mentir ? Bien sûr que oui. Il baratine presque tout le monde tout le temps. Juste raconter sa vie est un mensonge, parce que bon, il ne raconte pas sa vie. Mais de quel mensonge elle parle en ce moment ? Bonne question. Ah, ça ? Sérieusement ? Euh…

- Vous savez, ce n’est pas parce que j’ai connu pire que les piqûres d’abeilles ne sont pas douloureuses. Et je ne crois pas que vous ayez la moindre chance de rendre mon existence misérable. Et si vous me donnez encore du monsieur, je vous jure que vous ne saurez rien sur cette vilaine blessure, dit-il en reprenant ses mots. Il a toutefois un léger hochement de tête. Mais vous avez tort. C’était une excellente journée. J’ai gagné, dit-il avec une satisfaction puérile et un sourire victorieux.  

Une femme qui croit pouvoir lui rendre la vie misérable ? Il a toujours été hors de question que sa vie soit misérable. Que ce soit un homme ou une femme, personne n'arrivera à lui rendre la vie misérable. La mort, peut-être, mais pas la vie. Et il n'est pas encore mort. Ni sur le point de mourir et ce, malgré les abeilles.

Et soudainement, une blanche obscurité, il se retrouve tout emmêlé dans sa chemise et le temps de protester, il se tortille pour récupérer sa liberté de mouvement et termine ce que Dame Alice avait commencé. Pour qui il la prend ?

- Oh, je ne vous prend pour personne d'autre que vous-même, Dame. Je posais une simple question, non ?

Et il la laisse lui retirer ce qui lui reste des abeilles. Presque stoïque. Il esquisse quelques grimaces, parce que ça n'a rien d'agréable sur le coup, mais il doit avouer que la pommade apaise la brulure. Il y a un silence, qu'il ne tient pas à combler et qui ne le trouble pas. C'est bien parfois le silence. Mais Dame Alice, elle, le comble. Comment elle doit l'appeler ? Sickert un nom de mercenaire ?

- C'est bien dommage, c'est si joli lorsque vous le prononcer. J'ai déjà eu un nom de mercenaire... quelques ennéades, je crois. Je ne sais plus. Probablement fouineur ou quelque chose du genre et sans doute moins flatteur, dit-il en souriant et remettant sa chemise à l'endroit. Mon nom, c'est Sickert. Et si vous considérez que c'est un nom de mercenaire et qu'il est pour le champs de bataille, et bien je dirai que le monde est un vaste champs de bataille et que votre maison est un endroit particulièrement agréable pour se planquer, si on fait attention aux abeilles. Aow, se plaint-il. Vous avez fait exprès parce que je vous contrarie ? interroge-t-il avec plus de sourire dans la voix qu'il n'y parait sur son visage. Mais pourtant, lorsqu'elle parle de son tatouage, il a un mouvement protecteur et croise les bras, pour le dissimuler. Je doute que vous ayez déjà vu ce tatouage avant, je m'en souviendrais, assure-t-il, amusé. C'est une simple rose des vents. Il y en a sur toutes les cartes et tous les marins aiment bien en avoir toujours une sur eux pour éviter de se perdre, ajoute-t-il pour détourner l'attention. Sickert est cartographe. Et aussi un espion, un éclaireur, mais surtout, c'est un enquiquineur. Et cette cicatrice, c'est une histoire tout à fait distrayante. Nous avions eu une mission ardue et nous prenions une soirée de repos. Nous avions déjà pas mal tous épuisé notre pécule pour la nuit en alcool quand un type m'a menacé. Comment je pouvais savoir, moi, que c'était sa table ? Elle s'était bien gardée de me le dire. Évidemment, les esprits se sont chauffés et tout ça s'est terminés en bagarre générale. Cette cicatrice, c'est une bouteille. Les tables sont parfois très chatouilleuses, surtout quand on lance à la cantonade qu'il peut la garder sa table, parce qu'il y en d'autres et de bien plus confortable. Mais bon, à la fin, j'ai gagné et j'ai dormi sous  la table.

Vérité brute, romancée ou du pur baratin, va savoir. Sans doute un peu des trois, selon les phrases.

Non, Monsieur Sickert ne lui plait pas. C'est le monsieur qui ne lui plait pas. Mais Alice contre ses protestations par une diplomatie qui ne satisfait aucun des deux parti. Il plisse le nez lorsqu'elle pose son index sur ses lèvres et il n'insiste pas. Il finira bien par l'avoir à l'usure. Tout le monde finit par céder. Dame Alice ne fera pas exception.

Son récit terminé, il espère qu'elle a oublié cette histoire de tatouage, et il croit bien avoir un peu réussit parce qu'elle lui demande quel était le nom de la table. Sickert fait mine de réfléchir et a un hochement de tête.

- Je crois bien que c'était Ursula, mais j'étais plutôt enivré, avoue-t-il sans gêne. Ah non ? Et pourquoi ? Je suis certain que j'arriverai à trouver un meuble qui vous irait à merveille.

Mais c'est raté. Non, elle n'est pas distraite. Mais elle n'insiste tout d'abord pas. Non, elle s'éloigne, le laissant dans le rayon de lumière provenant de l'extérieur matinal. Elle a raison ? Raison sur quoi ? Qu'elle a déjà vu son tatouage ? Non, il en doute. Il se souviendrait s'il avait eu à retirer sa chemise devant elle avant. Il est convaincu qu'il s'en souviendrait. Il l'entends farfouiller et il en profite pour remettre sa chemise, non seulement pour cacher le tatouage, mais aussi parce que bon, pour l'instant, ils sont seuls, mais ça pourrait changer et il ne tient pas à mettre Dame Alice dans une situation indécente.

Voilà ? Et quel est cette intonation victorieuse ? Il s'approche, parce qu'il est curieux de voir ce qu'elle a trouvé. Elle lui explique qu'elle a les cartes de la compagnie DuSaule et qu'elle en a d'autres aussi.

- Ah, alors c'est donc ici qu'ont échoués mes cartes des cinq dernières années. Je croyais qu'on finissait par s'en servir pour allumer le feu ou que DuSaule conservait celles fait avec le papier le plus fin à des fins personnelles ou quelque chose comme ça.

C'était un peu triste d'entendre que de simples cartes lui permettaient de voyager. Comment de simples cartes pouvaient-elles rendre justice à la vue d'un lieu ? Lui avait-on aussi fait la description des lieux sur les cartes ? Ou essayait-elle de visualiser en comparaison de ce qu'elle connaissait ?

- Et pourquoi les roses des vents et les monstres nautiques ? Ce ne sont que des éléments usuel d'une carte. Des fioritures décoratives surtout.

Habituellement pour désigner les vents dominants, les courants, ou quelques périls aquatiques. Mais il y a affectivement des monstres marins et comme toute créature, certaines ont un territoire bien précis.

- Bien sûr que j'ai remis ma chemise, je suis soigné, non ?

Et ça dissimulait la rose des vents. Il écoute Alice parler des cartes, avec beaucoup trop d'intérêt. Les cartes sont très précieuses pour les pirates. Et Alice semblait savoir pourquoi. Parce que toutes les cartes cachent des trésors. Mais tous les trésors ne sont pas les mêmes pour tout le monde.

- Oui, je sais à quoi sert une Rose des Vents, mais une simple croix bien orientée serait tout aussi efficace. Les Roses des Vents stylisées ne sont que des fioritures.

Dame Alice est une dissimulatrice, ou alors elle a une version romanesque des cartes. Ce n'est pas pour autant qu'il n'est pas du même avis qu'elle, mais le lui avouer reviendrait à trahir ce qu'il cache. Sickert est un dissimulateur.

- Mais pourquoi feriez-vous ça ? Si vous faussez les cartes, personne ne pourra les lire, dit-il en examinant la rose des vents qu'elle lui indique. Je suis cartographe, je ne dessine les cartes pour que quelqu'un d'autre puisse les suivre. Si je fausse les degrés, si je fausse la réalité, ceux qui les suivent pourraient se perdre. Il délaisse la Rose des vents, qu'il sait pourtant presque identique à son tatouage. Je ne crois pas que ce soit la même, déclare-t-il avec un détachement neutre avant de désigner la carte, bien à plat sur le bureau. Et puis, cette carte ne semble pas terminée. Elle n'indique rien. On voit des côtes, probablement, mais il n'y a aucune indication pour les identifier, dit-il en la délaissant elle aussi.

Et pourtant, il sait exactement de quelles côtes il s'agit. Il sait aussi ou se trouve le X que personne ne voit. Il le sait parce qu'il a déjà navigué jusqu'à cet endroit. Il le sait parce que Haize Sepiida a dessiné cette carte il y a près de vingt ans.

Un bruit sourd attire son attention et il tourne la tête en direction de la sortie la plus près. Il y a aussi les fenêtres. Il revient sur Alice, attentif.

- Vos gens ?

Il pense soudainement à ses bagages, son maigre bagage, dehors et il se dit qu'il aimerait bien passer des heures à paresser dans son hamac.

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Non, mais c’est jouer sur les mots, n’est-ce pas ? Ridicule ? Ah bon ? Non, pas vraiment. Ils sont ses gens. Elle l’a dit elle-même quelques minutes plus tôt. Oui, la loyauté des nobles. Il connaît. Il connaît des tas de choses chez les nobles et il doit avouer que ça le déprime un peu.

- Loyauté, obligation ou servilité, ils sont vos gens. Vous les avez qualifié ainsi, à notre arrivée.

Il s’en fiche. Ses gens, leurs gens, les gens, qu’est-ce que ça peut faire ? chacun ses choix de vie, lui il préfère avoir le choix. De rester ou de partir. De faire demi tour ou continuer. Toujours le choix. Elle n’abandonne pas la carte pour autant. Il fait celui qui ne saisit pas. Comme si tout ça était beaucoup trop complexe pour lui.

- C’est peut-être simplement un brouillon. Pas la peine d’insister sur les détails pour un brouillon.

Et elle insiste.  Il a du mal à la suivre. Elle passe d’un sujet à l’autre. Elle fait exprès pour l’embrouiller ? Il est plutôt attentif habituellement. Peut-être le venin des abeilles ? Il a l’impression de se sentir un brin fiévreux. La venin d’abeille et la fatigue.

- Je sais habituellement où je vais lorsque j’y vais, dit-il, dubitatif. Ce sont d’étranges questions. Je ne me suis pas engagé parce que je suis un égocentrique et j'ai la mauvaise habitude de faire ce que je veux, affirme-t-il, même si ce n'est pas tout à fait le vérité. C'est ce qui s'en rapproche le plus. Si je m'étais engagé, je n'aurais pas pu partir, comme ça. J’aurais été obligé de déserter et c’est généralement mal vu.

Et Barb serait mort de ses blessures s’il ne l’avait pas mené à Castielle. Bon, il aurait peut-être survécut, mais Castielle lui avait rendu la vie moins misérable. Elle avait fait beaucoup mieux que ce raccommodeur. Il hausse les épaules.

- Si vous aimez y croire, dit-il avec si peu d’enthousiasme. Sickert s’enthousiasme pourtant avec si peu d’habitude. Le venin d’abeille et la fatigue, sans doute. Il s’assoit sur le coin d’un bureau et croise les bras. Vous avez oublié quelque chose, au sujet des cartes. Elles ne servent à rien si on ne sait pas où on est ni où on va, mais elles ne servent à rien si on ne les suit pas. À quoi vous servirait une carte que vous êtes la seule à lire ? Je ne dessine pas des cartes pour faire joli et pour qu’elles restent roulées sur des étagères. Mes cartes sont faites pour être suivie. C’est peut-être une signature, oui. Mais c’est possiblement une simple rose des vents.

Des lettres ? Elle a des lettres pour lui ? Depuis quand elle le sait ? Et pourquoi elle ne les a pas apporté, il les aurait eu plus tôt, non. Deux ennéades plus tôt, assurément. Elle n’a certainement pas eu le temps de lire son courrier depuis leur arrivé. Nan, elle les avait. Et ces lettres ont été lu. Il serre la mâchoire, mais essaie de paraître détaché, bien qu’elle critique l’écrit de Finn.

- Oui, je suppose, je ne suis pas là pour le corriger.

Des lettres bien brèves. Et Alice sait exactement ce qui s’y trouve, même si elle fait semblant de les lire en même temps que lui. La lecture est brève. Ni Finn, ni Barb ne s’étendent trop longtemps en bavardage. Il replie les lettres, ou plutôt les messages et essaie machinalement de les ranger dans son manteau. mais il ne l’a pas. Il les pose plutôt sur le bureau sur lequel il est assis. Il se sent soudainement très las. Il dormirait bien trois jours d’affilés.

- Notre mère aussi croit que Finnegan lui appartient. C’est aussi pour cette raison que je ne m’engage jamais. Je n’appartiens à personne. Même pas à elle, dit-il sans préciser.

Leur mère, peut-être. La couronne. La couronne. Toujours si près de la couronne, des nobles, du pouvoir, sans y avoir droit. Il n’en veut pas. C’est si contraignant. Il n’appartient à personne. Plus maintenant. Un jour, il rassemblera ceux qui croient que Finnegan leur appartient et il leur dira que le meilleur gagne. Et il se débarrassera du vainqueur. Alice lui pose une question.

- Oh, la couronne, dit-il, encore moins enthousiaste qu’au sujet de la carte. Un truc de famille mais pas le mien. Une breloque sans importance.

Sans importance pour lui. Est-ce qu’il préfèrerais vraiment être là ? Oui, il préfèrerais être là, mais hier soir n’a rien de précis et il s’est passé au moins tout un mois, ou presque, depuis ces missives. Et il est à l’autre bout de la péninsule.

- Le voyage est trop long. Si j’arrive le premier, ce sera mal. Si j’arrive trop tard, ce sera mal aussi. Il se frotte un oeil, avant de descendre dans sa barbe déjà trop longue. C’est entre Finnegan et elle.

Il n’a pas l’air convaincu. Il a surtout l’air las et fatigué. A-t-il prit une décision ?

Si elle a dit ça ? Bien sûr qu'elle a dit ça. Il n'en doute pas. Il sait très bien ce qu'elle a dit. Elle, le sait-elle ?  Sans doute. Son petit frère est Barbaque, du coup, pas étonnant qu’elle soit tout aussi possessive. Et sa mère à lui est une sorcière. Très possessive également. Il se contente d’un bref ricanement, mais il n’insiste pas. Il trouvera bien un autre moment pour le lui remettre sur le nez. Ses gens. Il en ricanerait pendant des heures. Et soudainement, il se retrouve assailli par des mains délicates et bombardés de questions soudaines.

- Quoi ? demande-t-il en tentant de chasser son air inquiet et en tentant d’afficher son air assuré habituel. Il est tout rouge ? Euh... tente-t-il d’expliquer, avant qu’elle ne lui demande s,il fait une réaction au venin d’abeille. Et à voir son air, il semblerait qu’une réaction soit grave. Non... essaie-t-il de rassurer, mais elle l’entraîne plus loin.

Il se laisse faire parce qu’il essaie de comprendre ce qu’elle raconte et si c’est vrai. Il est fatigué, oui. Il est un petit peu… assez douloureux, certes. Alice le pousse sur un canapé et durant un instant, il se dit que bon, il va sans doute mourir. Puis les questions d’Alice deviennent plus précise. Démangeaisons ?

- Non, dit-il en essayant de chercher voir, si vraiment il a des démangeaisons. S’il a du mal à respirer ? Non. Non, pas vraiment. Peut-être parce qu’elle lui insuffle une légère vague de panique, mais il se raisonne rapidement, avant de la fixer soudainement, surpris. Quoi ?

Grands dieux. Non, pitié. Pas Alice. Et il est soudainement tout sourire. Il saisit soudainement Alice par les poignets pour qu’elle arrête de le tripoter.

- Ma retirer ma chemise vous obsède à ce point ? demande-t-il avec une oeillade sans ambiguïté et ouvertement moqueuse. Je n’ai pas de démangeaisons et je respire bien. Et les abeilles, c’est moins douloureux que les méduses. Tout va bien, Je vais bien. Il sait qu'il est sans doute un peu fiévreux, mais il ne va pas l'avouer, surtout pas à Alice. Ce serait pire, elle qui s'emporte parce qu'il s'est gratté la joue. Tout ce dont j’ai besoin, c’est de dormir quelques jours.

Ça Barbaque a dû le raconter dans une lettre. À leur arrivée à Thaar, il avait passé les trois premiers jours à dormir. Il n’avait pas bougé, pendant trois jours. Enfin, il ne l’avait pas vu bougé durant trois jours. Et Alice avait pu constater qu’à quelques siestes près, il n’avait pas dormi beaucoup entre Velmonè et la Ruche. .

Les vagues et les tempêtes, le large et les traîtres, Sickert les connait bien. Ce qu’il faut faire, c’est retenir son souffle et respirer lorsqu’il le faut et nager. Si Alice le fixe avec contrariété, lui, il conserve son petit sourire en coin. Oh, il vient de froisser la Dame de la Ruche. Il attend la réaction avec un intérêt assez peu subtile. Une Dame. Une Grande Dame. Elle lui ordonne de la lâcher, ce qu’il fait sans provoquer davantage, conservant son sourire jusqu’à ce qu’elle parle de séduction. Alors là, il y a soudainement une pointe de surprise dans son regard. Ah, c’est donc ça. Et ce n’est pas suffisant pour la séduire ? Il esquisse soudainement une moue boudeuse, comme si c’était justement le but escompté.

- Bon sang, moi qui croyait que ça marchait tous les coups, vous heurtez ma fierté virile, Dame.

Et il s’étire paresseusement sur le canapé, les mains sur la nuque. Il ne lui manquerait que le pouf pour les pieds et la paresse serait totale, il pourrait même s'endormir juste là, maintenant.

- Vous devez au moins avouer que c’était agréable à regarder, non ? demande-t-il, le ton plein d’espoir. Ernest dites-vous ? Il a un hochement de tête plutôt satisfait. Je prend note, ça pourrait être utile. Mais je veux vraiment dormir et si j'y vais, je ne dormirai pas. Surtout si elles sont aussi attrayantes que vous dites.

Et accessoirement parce que si on y sait y faire et si on y met le prix c'est une source d'informations utile. Et si on veut plus que de l'utile on demande les adresses plus luxueuses.

- Pour ma part ce serait suffisant pour me séduire quelques heures, si vous retirez votre chemise.

Il plaide l’homme facile et il sourit davantage.

Un sourire légèrement engourdi par le sommeil et l'inaction. Il a une inspiration tranquille avant que son sourire en coin ne revienne.

- Je suis désolé, ce n’est pas ce que je voulais insinuer. Il la détaille quelques secondes. Vous prix serait sans doute bien au-dessus de ma capacité à payer et je n’apprécie pas particulièrement avoir des dettes.

Oh oui, un peu de provocation, parce qu'il sait si bien le faire. Si Dame Alice apprécié qu'on lui obéisse au doigt et à l'oeil, eh bien elle sera souvent contrariée en sa présence. Sickert n'obéit aux ordres que s'il est d'accord.

- Et puis, c'est moi qui devrait être payé. J'ai été déshabillé non ? Ça se paie ces choses là, vous savez, dit-il d'un ton faussement outré, les yeux mi-clos.

Et malgré l’invitation presque formelle à quitter les lieux, il est toujours là, affalé dans le canapé.

- Ne vous inquiétez pas, dans deux ou trois jours, je serai reparti et vous vous direz « c’est tellement calme sans le babillage incessant de Sickert. » dit-il en haussant le ton de sa voix.

Il sourit. Encore une fois il a réussi à la piquer au vif. Il est doué pour agacer les nobles. Surtout les dames. Enfin, au moins deux. Les voir s'emporter et avoir un potentiel aperçu de ce qui les anime outre leur noblesse caractéristique et les bonnes manières, ça n'a pas de prix.

- Oh, tout le monde à un prix, Dame.

La nature de sa dette devrait lui peser ? Qu'elle dette ? Il y a quelques possibilités si on y réfléchit bien, mais il ne va quand même pas les avouer. Qui sait, peut-être qu'il y en à quelques unes dont elle ignore la nature. Le seul poid qu'il ressent pour le moment c'est celui de la fatigue. Toujours souriant, il profite du confort du canapé. Il se sent sombrer tout doucement dans l’engourdissement du sommeil. Mais il n'est pas encore tout à fait déconnecté de la réalité.

- Les soins ? Je peux facilement plaider que vous m'avez volontairement placé dans cette situation. Et que voulez vous ? Que je me déshabille encore ? demande-t-il, les yeux mi-clos et un brin d'hilarité dans la voix. Il se moque, ouvertement et ça l'amuse.

Oui, elle l'avait volontairement place dans cette situation et lui il s'y était jeté sans poser de questions. Peut-être était-il un peu prétentieux ? Ou avait-il voulu faire bonne impression ? L'impressionner, tout simplement ? Va savoir.

Dame Alice retire vivement le coussin derrière sa tête et il se cogne sur le montant de bois. Ouais, bien sans le coussin, c'est nettement moins confortable. Il tire sur l'autre juste à côté. C'est parfois utile la fantaisie. Elle refuse qu'il reste deux ou trois jours ? Scélérat ? Il n'a pas le temps de répliquer qu'il reçoit coussin en pleine figure et Alice en travers le corps.

- Humpf, commente-t-il en tentant de s'extirper de cette charge sans toutefois la brusquer.

Il réussit tout d'abord à retirer le coussin de sa figure au moment où le domestique… enfin, un des gens d’Alice ne vienne s'enquérir de l'État de la dame, de toute évidence. Et son état à lui, hum ? À moitié derrière le coussin, il murmure un « aidez-moi » plus ou moins convaincant tandis que la dame explique que c'est une pièce de théâtre sur les pirates et les mercenaires. Il se demande bien quel rôle elle peut jouer, outre celui du gagnant.

- Oui, Efrem, dit-il en retenant rapidement les nom et en se promettant d'aller bavarder un moment dès qu'il aura dormi. Avec Ernest aussi. C'est sans problèmes, je joue le perdant, vous avez remarqué, dit-il bien que d'avoir Dame Alice en travers le corps est loin d'être une perte tragique. Tout à fait captivante l'histoire ? Sans aucun doute. Vous voyez Efrem, je joue le mercenaire, parce qu’elle vient de m'aborder et que je croule de toute évidence sous le poids de son assaut...

Non, tout le monde a un prix. Mais tout le monde ne peut pas se le permettre. Certains prix sont difficile à établir, mais pourtant, tout le monde a ses limites. Il suffit de le trouver. Dans le cas de Sickert, ça se compte habituellement en pièces. Mais tous les prix ne sont pas en pièce. En même temps, Sickert est un mercenaire. C'est normal d'estimer un prix pour ses services. De toute manière, Sickert établissait rarement les prix lui-même. Mais après tout, si Dame Alice prétendait qu'elle n'avait pas de prix, il était bien prêt à la croire. Après tout, lui acceptait un prix selon la difficulté à effectuer le contrat. Il pouvait établir son propre prix, ça, oui. Et il était peu élevé...

Un piège. Un piège élaboré. Oui, sans doute, mais il avait joué le jeu. Et pour le moment, il ne risquait pas grand chose. Excepté un peu de sommeil. Un piège. Il devrait se méfier. Elle l'a prévenu après tout. La fatigue des derniers jours, le venin des abeilles et les bienfaits de la pommade, sans doute. Il n'est pas tout à fait endormi. Non, il est conscient, du moins assez pour l'entendre le prévenir que c'est un piège. S'il a l'impression qu'il ricane, peut-être est-ce seulement dans sa tête. Il entends, mais son corps, lui, s'est effectivement assoupi. Faire semblant ? Oui, ce serait un possibilité. Plus ou moins, aurait-il dit. Mais il ne dit rien. Non, il en est bien incapable. Enfin, si, peut-être qu'il arriverait à bouger, mais pourquoi le ferait-il ?

Toujours dans la même position, à demi assis, à demi étendu, il a encore ce sourire amusé sur les lèvres. Toutefois un peu figé, par le sommeil. Non, il ne fait pas semblant. Et doucement, la conversation de Dame Alice et d'Ernest semble s'éloigner.

Dormir profondément n'est pas un luxe que se paie Sickert très souvent. Il ne pensait pas le faire non plus. Dormir deux ou trois jours, d'accord, aussi profondément, non, pas vraiment. Il sait qu'il a profondément dormi parce que lorsqu'il vient pour bouger, ses muscles sont tout engourdi. Il ne sait pas trop ce qui l'a tiré de ce sommeil profond. Il ne sait même pas depuis combien de temps il est là. Il croit déceler une certaine luminosité, mais il n'est pas certain si c'est le jour ou le soir. Et franchement, il s'en fiche. Il est au chaud, ce canapé est confortable... il est au chaud ? Oh, il a une couverture... Elle voulait le mettre à la porte et elle lui a plutôt couvert. D'accord, c'était impoli de s'endormir, comme ça, au moment ou elle voulait le mettre à la porte, mais le canapé est si confortable.

Et il croit qu'il se rendort. Mais il ne sait pas combien de temps. Quelques secondes, minutes, heures, jours, il n'en sait rien. Mais il lui semble que la lumière n'a pas beaucoup changé. Mais cette fois, il sait ce qui le réveille. On bouge pas très loin de lui. D'ailleurs, il devrait bouger lui aussi... Enfin, il a du bouger, il ne se souvient pas s'être endormi de cette manière. Il bouge très peu quand il dort. Oui, on bouge près de lui. Il doute que ce soit un domestique, parce que ce n'est pas le genre d'endroit ou Alice laisse fouiner n'importe qui. Devrait-il se sentir privilégié ? Oui, probablement. Non, c'est alice, parce qu'elle parle. Elle parle à qui ? À lui ? Mais il dort... enfin, pas tout à fait... il somnole encore. Tant pis. C'est donc ce moment qu,il choisit pour bouger, sans doute le premier mouvement qu'elle le voit effectuer.

- Et il y en a eu beaucoup de pénibles matins ? demande-t-il en se retournant sur le ventre, sans toutefois avoir la moindre intention de se lever. Je vous promet que les prochains seront meilleurs, dit-il tout sourire, bien qu'il n'ait pas encore ouvert les yeux.

Il a un reniflement endormi, puis il inspire et expire longuement. Puis doucement, son sourire s'efface tandis qu'il semble vouloir s'abandonner une fois de plus au sommeil. Elle l'avait prévenu que c'était un piège et pourtant, il semble encore vouloir s'endormir.