Intrusion [Dame Alice - La Ruche]

Deux de trop ? Le premier matin dans le carrosse, n’est-ce pas ? Le deuxième, c’est maintenant, c’est ça ? Alors il n’a dormi qu’un seul jour ? Bon sang, ça explique pourquoi il n’a pas du tout envie de se  lever. Ce canapé est plutôt confortable, du moins si on compare aux endroits où il peut dormir habituellement.  Il ne sombre pas dans le sommeil bien longtemps, puisqu’elle… elle fait quoi au juste ? Elle le tape ? Sickert ? Ah, enfin, elle cesse de l’appeler Monsieur ? Bien, très bien. Elle le chasse ? Elle le chasse d’où ? Et comment ? Il a parfois été chassés et ça impliquait rarement qu’on le tire par la ceinture. Non, habituellement, lorsqu’on le tire par la ceinture, on ne veut pas le chasser… au contraire. Il ouvre les yeux à demi, juste pour profiter des efforts de la dame.En effet, habituellement, on le chasse avec des objets pointus, tranchants ou très lourds. parfois des projectiles. mais rarement à mains nues. Il faut qu’il voit ça. Il profite un instant des efforts de la dame pour le chasser… enfin, pour tenter de le faire descendre du canapé. Au moins. Et ça n’a de toute évidence aucun résultat. Mais c’est divertissant. Très divertissant de son point de vue.

Ah bon ? Il rit bêtement ? Ah ouais, tiens, c’est vrai. Il pourrait même dire qu’il est vraiment, mais vraiment hilare. Il ne s’en était même pas rendu compte. Pourquoi il est si lourd ? Parce qu’il n’a pas l’intention de se relever de si tôt. Même si elle tire dessus, il finit par se redresser et s’asseoir, tandis qu’elle lui tire sur les poignets. Mais il ne bouge pas vraiment autrement que par lui-même. Mais il est réveillé, n’est-ce pas ce qu’elle voulait ? Lorsque les mains d’Alice glissent autour de ses poignets, il saisit les siens, refermant ses mains rugueuses sur ses délicats poignets.

- Vous tirez tellement fort que si vous me lâchez, vous allez tomber à la renverse. Alors je ne vais pas vous lâcher, tant que vous ne cesserez pas de tirer. Il a un haussement d’épaule. Mon bavardage incessant vous manquait déjà pour que vous ne vouliez pas me laisser dormir encore ?

Et il sourit. Un sourire encore un peu fripé par le sommeil, mais tout de même assez alerte et ferme pour ne pas avoir l’air de fournir trop d’efforts pour la retenir sans la lâcher.

- Ce n’est pas moi qui suis lourd, c’est vous qui êtes trop légère Je pourrais rester comme ça durant des heures. Je pourrais même me rendormir, qui sait.

Et il ricane.

Et dès les premières insultes, le sourire de Sickert s'accentue. Encore une fois, il la fait sortir de ses gonds. Non, la Dame n'a pas l'habitude qu'on la contrarie et qu'on ne soit pas d'une docilité exemplaire. En public, il ferait attention pour ne pas trop ouvertement la contrarier, mais ils ne sont que tous les deux ici. Peut-être que Ernest ou Efrem écoutent, mais Sickert s'en fiche un peu de ces deux là.  En public, il ferait attention, parce que c'est quand même pas très respectable de la rendre furieuse en public. Mais entre eux, pourquoi pas. Il a toujours été doué pour tester toutes les limites. Les limites des gens comme ses propres limites. Et il se contente de s’en amuser jusqu’à ce qu’elle le compare à Barbaque. Il a un froncement de sourcils interrogateur et il se demande si vraiment, ils sont semblable. Oui, d’accord, peut-être qu’ils ont en commun d’aimer la contrarier, mais pour le reste… et il ne croit pas non plus que Barbaque l’apprécie vraiment. Utile, peut-être, mais il ne doit pas vraiment l’apprécier. Jamais lui ne pourra apprécier Barbaque. Il reconnait l’efficacité de certaines de ses méthodes, mais il ne les apprécie pas pour autant.

- Oh, non, je ne crois pas que Barbaque apprécie chez moi autre chose que Finn, dit-il d’un ton sérieux.

Et elle est tenace tout de même. Lui, il apprécie et même si son pied contre sa poitrine n’a rien d’agréable, au moins, elle a la volonté de se défendre. Enfin, il ne voit pas où il a pu être menaçant, mais tout de même. Non, il ne va pas la lâcher. Pas pendant qu’elle tire. Et d’un coup, ça l’amuse un peu moins. Elle est obstinée, c’est bien. Un peu trop pour son bien, par contre. Surtout pour rien. De toute évidence, elle n’a jamais eu à choisir de gagner ou de perdre. Choisir ses batailles, elle ne semble pas connaître.

- Négocier ? Vous voulez négocier ? D’accord. Si vous cessez de tirer, je vous lâche. Il desserre à peine ses doigts autour des poignets d’Alice pour lui montrer sa bonne volonté, mais il la retient toujours. Il ne la lâchera pas tant qu’elle ne cessera pas de tirer. Vous n’avez peut-être pas de prix, mais de toute évidence, votre hospitalité en a un. Et il est négociable, dit-il en ponctuant d'un sourire.

Et il attends sagement qu’elle cesse de tirer.

- Oh, alors votre accueil aussi est négociable ? demande-t-il, presque candide.

Sickert avait dormi nettement moins qu’il aurait du. Il avait spécifié deux ou trois jours parce qu’il avait besoin de deux ou trois jours. Mais ça ne signifiait pas qu’après une journée de sommeil, il n’était pas totalement alerte, mais ça le rendait peut-être un peu plus incisif. Il n’allait pas la lâcher pendant qu’elle tirait encore. Il allait la retenir, jusqu’à ce qu’elle cesse de tirer, même si ça prenait toute la journée. Ça ne prit finalement pas tant de temps que ça. Quelques secondes tout au plus. Quelques secondes ou il s’était contenté de la fixer, en attendant qu’elle cesse de tirer. Et dès qu’elle cesse de tirer, il ouvre les mains pour la libérer. Il a dit qu’il le ferait, il le fait. Sickert s’engageait rarement. Il ne faisait pas beaucoup de promesses. Presque jamais à vrai dire. Mais il respectait habituellement sa parole. Parfois c’était long. Mais il le faisait. Elle semble surprise et elle ne se dégage pas immédiatement. Ah bon ? Elle s’attendait à quoi ?

- Exprès ? Exprès pourquoi cette fois ? Oui, ne jamais laisser Finn seule avec Barbaque. Il le sait… mais elle en avait fait à sa tête comme d’habitude. Et il n’était pas là pour la retenir. Enfin, non, il n’était pas là pour la suivre. Malheureusement. Barb’ est seul avec Finn, quelque part entre Thaar et les Wandres, dit-il tandis qu’elle rajuste le col de sa chemise.

Finn avait failli tuer Barbaque deux fois. Qui était seul au final ? Devait-il vraiment être inquiet pour Finn ? Il dévisage Alice, qui semble vouloir lisser tous ses faux plis, avec une certaine perplexité. Elle joue à quoi ? Il n’en sait rien. Ça pourrait être un problème, mais il estime que pour lui, ça n’a rien d’un problème. Il ne prend pas sa main tout de suite. Il y jette un coup d’oeil, comme si c’était un choix dangereux. Ça l’est sans doute, mais il ne sait pas en quoi exactement ça pourrait être dangereux. Elle aime bien se plaindre. La pauvre.

- Ma présence vous étourdit ? répète-t-il avec un haussement de sourcil évocateur. C’est bon à savoir. Surtout que j’ai dormi toute la journée et toute la nuit. Et que je dormirais encore si vous ne m’aviez pas réveillé. Il semble moins souriant, ou moins sincèrement souriant. Et bien soit, je partirai. Il se lève et cette fois, il lui prend la main. Mais pas comme elle s’y attend. Et vous avez bavardé beaucoup plus que moi, Dame Alice, dit-il en lui offrant le plus galant des baise-main. Et comme elle ne tire pas, il la relâche aussitôt. Mais ce fut une conversation des plus agréable. Et il se rassoit sur le canapé. Le temps de remettre mes bottes et je vous laisse me mettre à la porte et ensuite, vaquer à vos… occupations.

Il a bien remarqué qu'il n'a plus ses bottes. C'est le genre de choses qu'on remarque. Mais il se demande sérieusement s'il les a retiré et il se dit qu'il ne s'en souvient pas. Il écoute distraitement Alice parler de ses occupations. Ah bon ? Broderie ? Ça ne ressens pas du tout à Alice la broderie. Pas qu'il doute qu'elle en soit capable mais il la croyait plus… comment dire… il jette un regard peu discret dans la pièce, à la recherche des travaux de broderie, mais surtout de ses bottes.

- Divertissant... commente-t-il, plus préoccupé par la disparition de ses bottes que par les occupations de la dame.

Elle finit par révéler où elles sont et le mercenaire la dévisage avec suspicion. Elle à fait ressemeler ses bottes ? Ses bottes à lui ?! Mais pourquoi !!! Mais ! Il ouvre la bouche pour protester, mais il songe soudainement qu'il ne va quand même pas partir sans ses bottes. Il ferme la bouche et se tait. Ses bottes étaient très bien comme ça… usées et souple, silencieuses… humpf. Mais bon, tout de même… et elles sont déjà prête ? Ah ouais bon…

- Oh… Oui… Hum… Merci… Je...

Il se contente d'un hochement de tête avant de se caler contre le dossier du canapé, pour attendre ses bottes. Non, il ne va pas traverser la maison sans ses bottes… et il est hors de question de quitter la maison sans ses bottes. Non, et puis quoi encore ? Alors il reste assis, les coudes sur les genoux et il attend ses bottes. Sa présence l'étourdit, alors il se tait. Et elle reste un instant sans bouger. Il la dévisage se demandant à quoi elle joue. Ne vient-elle pas de le mettre à la porte ? En même temps, si elle ne le fait pas maintenant, c'est pas plus mal. Il n'a pas ses bottes.

Les questions qu'elle pose sont personnelles. Et il sait tout ça. Il à une moue contrariée, mais il soupire et répond.

- J'avais... des choses à faire ici et Finn voulait rester à Thaar. Le détail sur ce qu'il avait à faire ici, Alice doit s'en douter. Après tout, elle lui avait certifiée que c'était une mauvaise idée quand il avait rejoint son Ange au mariage du duc et de la duchesse. Et ce n'est très certainement pas à Barb’ que j'ai confié Finn. Je ne lui confierait même pas Marion, dit-il en songeant qu'il ne l'avait pas non plus confié à Zoïle et pourtant, elle la lui avait dérobé et il ne l'avait toujours pas récupéré. Même si concrètement, il a dû la trimballer quelques heures. Mais je ne la lui avait pas confiée. C'est à Finn que je l'avais confié. Ce qui concrètement n'est pas mieux semble-t-il. De toute évidence mon petit frère n'en a fait qu'à sa tête encore, dit-il en soupirant. Tout le monde n'en fait qu'à sa tête, lui le premier. Ça lui avait causé pas mal d'ennuis d'ailleurs. Habituellement, contrairement à cette fois-ci, il finit par être complice de son entêtement… pas cette fois… il est loin. Trop loin… D'un autre côté, je crois que s'il croit que c'est à lui, on peut bien lui confier n,importe quoi. Et comme il croit que Finn lui appartient. Mais sinon, je crois qu'il ferait exprès de tout bousiller juste pour m'emmerder... tout le monde, ajoute-t-il rapidement pour éviter qu'elle croit qu'il a personnellement quelque chose contre Barbaque. C'était écrit dans le bref message de Barb’ que vous avez lu, lui rappelle-t-il. Les Wandres, c'est la maison et mère y est, dit-il en espérant qu'elle soit morte de la fièvre entre temps.

Enfin, Non, ce n'est pas sa maison à lui. Il ne vient pas des Wandres, lui. Mais ça importe peu. Madame Ingrid y est. Finn y sera bientôt. Il soupire et se lève brièvement avant de se coucher sur le canapé, les mains derrière la nuque, les mollets sur l'accoudoir opposé.

- Les choses ont tendance à dégénérer entre Finn et notre mère...

Et il a été complice, d'un côté et de l'autre, mais cette fois, il n'y serait pas…

Des réponses ? Il ne pose pas les bonnes questions ? Mais il n'a posé aucune question. Du moins, il ne s'en souvient pas. Et que peut-elle bien en savoir cette Alice des bonnes ou mauvaises questions à poser ? Surtout en ce qui le concerne. Qu'est-ce qu'elle sait ? Il observe Alice un moment, tandis qu'elle se déplace dans la pièce. Et c'est quoi ce regard qu'elle pose sur lui ? Il la dévisage, dubitatif, mais il n'ose pas lui demander ce que son les bonnes questions. Et pourquoi il lui demanderait ? Ça la pousserait à chercher et il n'y tient pas vraiment. Elle n'en sait rien. Et pourtant...

Effectivement, les questions posées par Alice touchent au but. Il les connait et il en connait les réponses. Enfin, ses réponses... il connait ses réponses... est-ce qu'elles sont les même que Finn, il n'en est pas certain. Finn est parti de Thaar parce qu'on lui a volé la couronne. Mais il est vrai que Sick ne sait pas pourquoi Finn a bifurqué vers les Wandres ensuite. Mais il sait pourquoi il l'a fait sans lui. C'est lui qui devait ramener Finn à leur mère... peut-être pense-t-elle y arriver plus discrètement s'il n'y est pas ? C'est bien possible... c'est probablement le cas... ou c'est l'opportunité...

Alice vient se faire une place sur le canapé et il n'a même pas le temps de le lui céder qu'elle est déjà installée. Et comme elle ne semble pas se plaindre, il ne lui cède pas plus de place. Accessoirement, ça lui garde les pieds au chaud. Rhys indigne de confiance ? C'est faux. Non, surement pas. Finn pouvait très bien faire ce qu'elle veut toute seule. Et Barbaque aussi... avec de la chance, si Finn affrontent leur mère, Madame Ingrid tuera peut-être Barbaque plutôt que Finn. Ce serait un moindre mal. Du point de vue de Sickert. Il doute que Barbaque ou Alice soient du même avis.

Il soupire et écoute Alice continuer de poser des questions, ou plutôt à répondre à des questions qu'elle pose elle-même. Les yeux fermés, il profite de la chaleur et de sa voix. Elle en sait trop. Elle en sait beaucoup trop. Il ne parle pas, mais il émet quelques son, pour montrer qu'il écoute, mais il se sent tirer vers le sommeil une fois de plus. Il devrait combattre, mais il n'y arrive pas vraiment. Sans doute parce que le canapé est plus confortable que n'importe quel autre endroit ou il a échoué ces dernières ennéades. Et parce que la Dame de la Ruche dégage une chaleur réconfortante, bien que ce soit une piège. Mais un piège n'en et un que lorsqu'on veut en sortir et qu'on y arrive pas. Mais les pièges n'ont jamais vraiment inquiété Sickert. Tout comme les prisons. Et puis, elle voulait le mettre à la porte quelques minutes plus tôt. Ou est le piège si elle voulait le mettre à la porte ? Et parce que sa voix a quelque chose d'envoutant, du moins dans l'état ou il se trouve.

Il entends vaguement la question. Il saisit que c'est interrogatif, mais il ne répond rien. Il aurait peut-être précisé quelques détails. Peut-être aurait-il avoué que oui, il est redevable dans la mesure ou il a aidé leur mère à jeter le sort sur Finn, bien qu'il n'ait pas comprit tout de suite la portée de ce sort. Avec de la chance, Madame Ingrid serait peut-être déjà morte lorsque Finnegan la retrouverait. Après tout, le sort perdait de son emprise et de sa puissance, depuis qu'il avait été jeté. Peut-être fallait-il seulement être patient... encore quelques temps...

Il doit avouer qu’il ne sait pas trop combien de temps il a dormi. Il fait noir et même en jetant un coup d’oeil à travers les volets, tout ce qu’il sait, c’est qu’il fait nuit. Mais à savoir si c’est le début ou non, il n’en sait rien. Il évite de bouger un moment. Il écoute autour de lui. Il devine tout de suite que Alice s’est endormie pas très loin. Il entend sa respiration. Il s’étire et constate qu’il a de toute évidence besoin de vêtements propres et d’une toilette complète. C’est silencieux partout. Ce doit être la nuit. Le milieu de la nuit probablement. Il écoute les sons ambiantes un moment, puis quitte la pièce sans bruits. C’est plus facile quand on a pas de bottes, il doit l’avouer.

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Lorsqu'il revient dans les appartements d'Alice, rien n'a bougé. Rien du tout. Il sait qu’il n'est pas parti longtemps. La seule différence avec son départ et son retour, c’est qu’il pose délicatement son sac près du canapé. Avec paresse, il se recouche un moment sur le canapé et ferme les yeux. Le sommeil reviendra peut-être. Mais non. Il doit bien se rendre à l’évidence, le sommeil ne reviendra pas cette nuit. Il s'assoit sur le canapé et essaie de percer la noirceur pour examiner le bureau où il se trouve. Difficile. Il se lève et arpente la pièce, mais il se dit que c'est risqué de la réveiller. Elle trouvera bien à se plaindre de lui. Et il se souvient qu'il lui a promit qu’il n'y aurait pas de troisième pénible réveil à ses côtés. Mieux vaut régler la situation avant qu'elle ne se produise. A pas de loup il s’approche, question de voir si la Dame dort profondément ou pas. Elle en a l'air. Délicatement, il lui retire la plume qu’elle a encore entre les doigts et la fait doucement basculer vers lui. Il manque de la lâcher lorsqu’il la sent bouger d’elle-même, mais elle lui passe un bras autour du cou et vient nicher sa tête contre son épaule. Il reste immobile quelques secondes.

- Eh ben ça… murmure-t-il pour lui-même.

C’est sans autres difficulté et sans autre crainte que Sickert soulève et transporte Alice jusqu’à sa chambre. Eh oui, il sait où elle se trouve. Il a quand même prit quelques minutes pour faire le tour. Et ce n’est pas sa première visite. Il réussit donc à la mettre au lit sans trop de difficulté. Prude, il ne lui retire que ce qui est vraiment encombrant. En faire davantage pourrait porter à confusion. Sur la pointe des pieds, il quitte la chambre d’Alice avec un sourire au lèvre. Son bureau est libre.

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Il a d’abord allumer une lampe, pour arriver à lire. Ensuite il commence par inspecter ce qu’elle faisait avant de s’endormir. Tout d’abord, il ne saisit pas trop ce que tout ça signifie, mais il persiste à continuer sa lecture. Puis soudainement, quelque chose lui semble familier. Il hésite à tirer des conclusions, jusqu’à ce qu’il fasse des liens. Il se redresse sur le tabouret et relit les dernières informations. Et il est relit encore. Il cherche un peu plus loin, essayant de retrouver quelque chose de familier également. D’accord, un, c’est possible. Deux, ça l’est moins.

- Non… ça ne peut quand même pas… Grands Dieux…

Quand l’aube s’est pointée, il a tout simplement ouvert les volets. L’air frais lui fait du bien. Après tout, il n’a pas mis le nez dehors depuis plus de deux jours. Et il revient vers les projets d’Alice, parce que c’est là où il en est. Après avoir découvert le passé il regarde vers l’avenir. Et quelques heures passent, certainement, parce que c’est plein jour lorsque la porte s’ouvre sur Alice, mais il est toujours plongé dans ses écrits et s’il relève la tête lorsqu’elle s’exclame. Il l’accueil avec le sourire.

- Ce que je fiche là ? Je fais ce que je sais faire de mieux, avoue-t-il, tout sourire.

Et il ne s'en cache même pas.

Elle l’avait laissée seule dans son bureau. Enfin, non, c’est lui qui l’avait sortie du bureau, mais c’était pour qu’elle dorme mieux. Bien sûr qu’il a osé. Il n’avait pas le droit ? En effet, il n’avait pas le droit. Mais il l’avait prit, comme elle avait prit le droit de le déshabiller, de faire ressemeler ses bottes et de lire son courrier. Alice avait expliquée d’emblée que sa maison était un piège. Le fait était que Sickert se retrouvait souvent dans un piège. Le problème, lorsqu’on prenait Sickert au piège, c’est qu’il était presque certain de le voir le démonter de l’intérieur.

- C’est vrai, je n’avais pas le droit, avoue-t-il, mais il ne semble pas vraiment regretter son geste.

Par contre, il a un peu de remords en voyant l’air alarmé d’Alice. C’était inévitable de la froisser, voir de la mettre en colère, mais il ressent presque une crainte panique se glisser en elle. Alors lorsqu’elle entreprend de retirer tout ce qu’il a à sa vue, il n’esquisse aucun geste pour l’en empêcher. Il reste immobile, comme s’il craignait que le moindre mouvement ne la choque encore plus. Il la laisse faire, se rendant bien compte qu’il en a fait assez pour cette fois. Sans doute un peu trop. Mais il ne regrette rien. Il répond à ses questions avec une franchise impitoyable.

- Presque tout. Il me manque les dernières pages, je crois.

C’est vrai, il a presque tout lu. Et ce qu’il a découvert est fascinant. Oui, il s’est un peu… pas mal incrusté. Oui, il a certes bafoué l’intimité de sa maison, mais en même temps, c’est elle qui l’a pris au piège, non ? Et oui, il l’a dépouillé, elle, un Dame, de ses secrets. Waip, bon à première vue, le tableau n’est pas très reluisant et en y songeant quelques secondes, ça n’a rien de très élégant. Mais ce n’est qu’une question de point de vue. Et son point de vue à lui est tout à fait admiratif. Et interrogateur. Pour qui il travaille ?

- Quoi ? Mais je ne travaille pour personne d’autre que moi. Bon, d’accord, j’ai potentiellement un contrat avec la duchesse, mais rien n’est encore déterminé.

Sickert n’a que des contrats pour des boulots ponctuel. Il ne s'engage jamais dans une compagnie. Un contrat, d’accord, se lier à un groupe, non. Il respecte ses contrats. Mais il ne s’engage pas dans une compagnie. Finn s'est engagée. Pas Sick. Sick est un indépendant.

- Mais si je choisissais un jour de travailler pour quelqu’un, ce serait pour vous, dit-il, sincère et avec une pointe d’admiration.

Elle faisait tout à partir d’ici. Il avait parfois, à ses débuts, devancé la Compagnie DuSaule. Mais il était sur place. Alice avait tout planifié d’ici. Ça forçait l’admiration.

D’accord, il en a peut-être trop fait. Mais après tout, elle l’avait laissé seule dans son bureau, là où étaient tous ses secrets. Elle le prenait pour un imbécile, comme presque tout le monde et c’était bien comme ça. Le hic, c’est qu’il aurait dû encore faire semblant d’être un imbécile. Mais c’était quand même une découverte grandiose et il n’avait pas pu cacher son enthousiasme. Du point de vue d’Alice, toutefois, il comprenait très bien que ça n’a rien de rassurant. Au contraire. Et comme Alice est ce qu’il vient de découvrir qu’on vienne fouiller dans ses affaires ne doit vraiment pas lui plaire. Comme lui de découvrir qu’elle est en possession d’une de ses cartes, celle de Sepiida.

- Pas toujours de manière purement égoïste, mais oui, toujours pour moi-même. Parfois avec les autre, mais rarement pour d’autres que moi-même. C’est beaucoup plus facile, avoue-t-il avec une légèreté et un semblant d’insouciance irréel.

Il joue toujours l’imbécile. En avoir l’air est une seconde nature. Surtout quand ça sent le roussi. Le pire qu’il puisse arriver à un petit malin comme Sickert est de se retrouvé face à un petit malin plus doué que lui. Et Alice en a tout le potentiel. Sa seule chance, c’est qu’elle estime que la menace qu’il représente est potentiellement plus utile en allié qu’en adversaire. Ce serait dommage de devoir détruire tout ça seulement pour rester en vie. Mais il en serait capable. Mais il aurait quelques remords. Ce que Alice raconte est tout à fait vrai. Ils n’ont pas du tout la même expérience de vie, mais elle semble en avoir vu beaucoup, de son bureau. Lui, il y était.

- Un peu des deux, sans doute, mais je ne pourrais dire lequel est venu avant, ajoute-t-il, légèrement, comme si c’était sans importance et d’une banalité à pleurer. Et je ne suis pas un loup, assure-t-il. Et je ne suis jamais vraiment seul. Vous êtes là, non ?

Il a un hochement de tête lorsqu’elle parle de Finn. Qu’en a-t-elle déduit ? Il ne sait pas trop, mais il ne répondra pas. Finn et lui ne se sont pas quittés comme ça sans prévenir. Il aurait bien voulu que Finn vienne avec lui, mais Alice l’avait dit plutôt, on ne possède pas les gens et si Barb’ avait du mal à accepter l’idée, Sick, lui, en avait parfaitement conscience, parce que personne ne le posséderait, lui. Il aurait préféré que son petit frère soit avec lui. Mais elle n’avait rien à craindre à Thaar. Bien sûr, dans les Wandres, il aurait préféré être présent. Mais peut-être que ça aurait compliqué les choses.

- Je ne mens pas sur tout. Je suis Sickert. Ce n’était pas toute la vérité, mais ce n’était pas un mensonge. Il est Sickert, mais il ne l’a pas toujours été. Je fais généralement là-bas ce à quoi vous penser ici. Du moins de tout ce que j’ai eu le temps de lire. Il me manque les dernières pages, dit-il en étirant le cou pour voir où elle a planqué ses papiers des projets à venir, avant de plutôt dévisager Alice. Pourquoi pour vous ? Parce qu’il est hors de question de travailler pour n’importe qui. Et parce que vous êtes redoutablement douée.

Il la fixe un instant. D’accord. Elle sait reconnaître une signature, il doit bien l’avouer.

- Vous savez reconnaître une signature. Vous êtes douée, je vous l’accorde.  Et parce que Sickert a toujours beaucoup de mal à ne pas faire l’imbécile, surtout lorsqu’on le lui demande. Peut-être est-ce seulement parce qu’il n’aime pas faire ce qu’on lui demande. Je suis doué, n’est-ce pas ? lui demande-t-il avec un large sourire à mi chemin entre la provocation et la fierté.  

Ce qu’il est ? La réplique le prend un peu de court. À bien y réfléchir, il n’en sait rien du tout. Outre lui-même, que peut-il bien être ? Il n’en sait trop rien.

- Je vais devoir y réfléchir, avoue-t-il.

Son sourire s’accentue lorsqu’elle répond qu’il est effectivement doué et son regard bifurque sur les papiers qu’elle repose juste devant lui. Avant de les clouer au bureau avec le coupe-papier. Il a une mine presque déçu, parce qu’il aurait bien fouiné encore.

Alice lui pose des questions bien pointues, mais encore une fois, il ne sait pas trop quoi y répondre. Ses intérêts ? Oh, ils sont très basiques. Enfin, presque. Il lui aurait bien cédé la chaise si elle avait fait mine de la vouloir, mais elle grimpe plutôt directement sur le bureau. Il ne peut s’empêcher de loucher sur sa proximité et ses pieds nus. Pour éviter qu’elle ne tombe, il étire la jambe pour que ses pieds reposent sur sa cuisse. Elle a les pieds froids, constate-t-il. Toutefois, il ne répond pas, parce qu’elle joue à deviner ce qu’il n’est pas. C’est plus amusant de ne rien dire et la laisser parler. Ça permet de savoir ce qu’elle sait, ou ce qu’elle croit savoir et peut-être même qu’elle en dira plus long qu’elle ne l’aurait voulu sur elle-même. Elle est doué, elle le fixe et elle arrive à en deviner pas mal. Elle sait observer et elle est bien informée. Oui, il devait tuer Finn. Il s’appuie sur le bureau, le menton sur le poing et soutient le regard de son inquisitrice. Oui, il a été un pirate. Non, ça ne le dérange pas trop qu’elle ait ses cartes. Par contre, qu’elle ait cette carte, ça, il doit avouer que ça le gêne un peu. Surtout que maintenant qu’il sait qu’elle est douée et qu’elle pourrait en comprendre plus que ce qu’elle a comprit pour le moment. Il refuse de mettre l’emphase sur cette carte en particulier, mais il se demande bien où elle a pu la dénicher ou de quelle manière s’est-elle retrouvée en sa possession.

- Ah, non, je n’administre pas beaucoup, je dois l’avouer. Il hoche la tête. Et je ne coordonne que moi-même.

Il se demande sérieusement s’il est égoïste. Oui, sans doute. En même temps, c’est très utile que les gens croient qu’on est très égoïste. Ça évite bien des complications si tout le monde croit que nos seules motivations sont égoïste.

- Je suis un opportuniste, dit-il en haussant une épaule. Votre compagnie n’a pas essayé de me tuer la première fois. Ni la deuxième, d’ailleurs, ce qui est très brave de leur part. Un toit, c’est le seul intérêt de votre maison. Et le miel. Je crois avoir un faible pour le miel. Il marque un temps d’arrêt. En ce qui vous concerne mon intérêt premier est surtout superficiel, quoique je me demande franchement comment vous et Barb’ pouvez être soeur et frère. Il est tellement... naturel de vouloir lui briser le crâne avec une chaise, tandis que vous... non. Il n'a jamais vraiment dit ce qu'il pensait de Barbaque, mais il n'a jamais contredit Alice chaque fois qu'elle la laissé entendre des choses sur son frère. Mais avec ce que j’ai découvert ce matin, votre personne m’intéresse plus que votre maison et même votre compagnie. Vous êtes presque aussi douée que moi, se moque-t-il, c’est fascinant.

Il hoche la tête. Elle na pas tout à fait tort, elle na pas tout à fait raison, à son avis. Barb’ n'est peut-être pas dangereux pour elle, mais pour le reste du monde, rien n'est moins sûr. Pour Finn peut-être pas non plus, malgré ce qu'il en dit et menace. Le temps le dira. Mais elle a raison, il ne peut pas être complètement mauvais.

- Et je ne suis pas complètement bon. Personne n'est complètement quelque chose. Il a hérité du pas complètement mauvais et vous du pas complètement bonne, c'est ça ?

Parce que la tête pensante d'une compagnie de mercenaire ne peut pas être complètement bonne. Tout comme le capitaine d'un navire pirate. Il remarque ses rougeurs et il se dit que son charme opère encore, ce qui est rassurant, tout de même. Opportuniste, mais sincère. Elle est fascinante. Cette manière de changer d'humeur pour tout et pour rien. Il a quand même fouillé dans ses papiers. Elle devrait être furieuse. Elle l'excuse presque…

- Vous voulez dire que vous avez laissé tout ça sur la table pour que je fouine et découvre tout ça ? Non, il n'y croit pas. Il secoue la tête. Je devrais prolonger mon séjour ici. Tout ce que je pourrais découvrir en fouinant dans tout ça, ajoute-t-il avec un grand sourire, pour la narguer. Mais il a un contrat à établir, avec la nouvelle duchesse de Soltariel. Il ne peut pas laisser passer une opportunité pareille.  Hum, je reviendrai, pas de doutes.

Toujours souriant, le coude sur le bureau, le menton sur le poing, il la fixe et il a presque l’air surpris lorsqu’elle lui demande quelles opportunités il voit. Son sourire se fige un peu. Oui, un opportuniste. C’est ce qu’il a dit. Mais de toute évidence, il n’est pas aussi rapide en besogne qu’il veut bien le laisser croire. Mais il ne se laisse pas démonter.

- Eh bien… je n’ai réfléchi à rien de concret pour le moment, j’en suis encore à l’enthousiasme d’avoir découvert une nouvelle facette de votre personne. J’aime bien admirer un trésor avant d’y trouver une utilité.

Elle l’avait traité de pirate après tout.

Oui, des nuances en millions de couleurs, parce que Haize Sepiida n’a jamais vu des nuances de gris. Ce n’est pas assez. Et puis l’Eris n’est pas grise. Pas tout le temps. Elle n’est pas bleue non plus d’ailleurs. Pas tout le temps. Et puis de quel substrat parle-t-elle au sujet de Barb’ ? Celui que en son âme il soit violent ou mauvais ? Les deux choses étaient différentes. Mais s’il perçoit l’angoisse d’Alice, Barb’ est loin pour le moment. Il ne lui demande pas de préciser de quels fils de la trame est tissé Barb’ au fond. Alice ne risque rien maintenant. Barb’ est avec Finn. Mais ça ira. Il le sait violent et mauvais. Il ne veut pas penser qu’il est un ou l’autre, ou les deux, fondamentalement. Non. Finn est forte, ça ira. Elle a déjà failli le tuer deux fois.

Alice saute du bureau et lui reproche encore d’avoir fouillé. Pourquoi encore ? Non, il n’a pas cette pudeur. Il a un haussement d’épaule éloquent.

- Je suis payé pour bafouer la pudeur des autres, vous savez, n’est-ce pas ?

Il est mercenaire, habituellement un éclaireur et un espion. Et un cartographe. Et des tas d’autres trucs. Alice ? Une femme ordinaire ? Il la fixe un moment, perplexe, avant de jeter un regard autour. Rien dans cette pièce n’est ordinaire et elle y passe tout son temps. Ce ne sont pas des occupations pour une femme ordinaire. En même temps, une femme ordinaire dépendait du milieu ou on se trouvait. Alice n’était pas ordinaire dans ce milieu. Une duc pouvait être ordinaire dans son milieu, tandis qu’un paysan pouvait être hors de l’ordinaire dans le sien. Tout dépend du point de vue. Et les points de vue de Sick était diversifiés.

Non, elle n’est pas quelque chose à cacher ? Alors elle est quoi ? Elle reste pourtant cachée dans sa maison.

- Les admirer, c’est ne profiter, non ? Ensuite, je les dépense et les utilise.

Ce n’est pas tout à fait vrai. Il en avait cachés quelques uns, pour les temps difficiles. Et le seul qu’il gardait caché, pour le préserver, à l’abri, c’était le Fossoyeur. Son plus grand trésor. Son heure viendrait. Il ne comptait pas s’en priver le reste de ses jours.

Il se lève à son tour. Vivant ?

- Vous êtes trop bonne, raille-t-il. Comme si elle avait pu le retenir. Pffft ! Défi accepté. Ça ne devrait pas être trop difficile. Il a beaucoup d’imagination. La décevoir ? Tant que ça ne le déçoit pas, lui. C’est un opportuniste, non ? Pourquoi refuserais-je une opportunité pareille.

Et effectivement, c’est vivant qu’il sort de la maison.