Deux idiots chez les salades [PV Zaahrian]

Yenaël fut instantanément soulagé lorsqu’il entendit la voix de Zaahrian. Son ami ne tarda pas à se montrer. Et le jeune homme lui adressa un immense sourire. A première vue, sa situation ne s’était pas vraiment améliorée. Le semi-elfe n’avait pas dû faire grand-chose de la journée car il était resté non loin du campement de fortune et semblait toujours aussi crasseux que quand Yenaël l’avait quitté. Avant même que le jeune mage ait le temps de s’approcher un peu plus de son ami, la voix de l’un des elfes surgit des bosquets. Il reconnaissait Hiradrilion, qui prenait un ton ferme. L’escouade d’elfes était très certainement en train d’utiliser la même technqiue que lorsqu’ils avaient rencontré Yenaël quelques heures plus tôt. Ils étaient en train d’encercler les individus sans se montrer de manière à éviter tout danger. Seregon prit la parole à son tour afin de confirmer la méfiance des elfes face à Zaahrian. Pourtant, il ne fallait pas être devin pour voir que le semi-elfe était sacrément inoffensif et plutôt mal en point. Yenaël prit la parole avant que Zaahrian ne se mette à dire une quelconque sottise. Il s’adressa tout d’abord à l’assassin sans parler trop fort, avec un peu de chance les elfes ne l’entendraient pas.

- Zaahrian, tu dois me faire confiance, d’accord ? Donc lâche ton arme. Pose-la par terre, tout de suite ! Ces gens vont nous ramener à la frontière mais nous devons être le plus pacifiques possible.

Yenaël fit un tour sur lui-même en espérant croiser le regard de l’un des elfes. Mais ces derniers étaient toujours dissimulés dans les arbres. Le jeune mage venait de passer quelques heures avec eux, ils devaient bien voir qu’il n’avait pas un mauvais fond. Il prit la parole en gonflant sa voix pour être sûr que toute l’escouade puisse l’entendre.

- Je ne vous ai rien caché. Je vous ai dit que je voyageais avec un ami, c’est le cas. Je vous ai dit qu’il était blessé et c’est le cas. Il arrive à peine à marcher vu l’état de sa cheville. Certes, il a une arme. Je lui ai demandé de la jeter par terre pour vous prouver sa bonne foi.

Le jeune homme fit une pause afin de reprendre son souffle. Il ne voulait surtout pas que les elfes fassent demi-tour et les abandonnent ici, ou pire qu’ils les tuent sur le champ. Il tâcha donc de paraître le plus honnête et le plus convainquant possible.

- Vous pouvez venir. Nous n’allons pas vous attaquer, vous êtes beaucoup plus forts et en meilleur état que nous. Venez nous voir, nous répondrons à toutes vos questions, même si cela doit durer plusieurs heures.

Yenaël se tourna à nouveau vers Zaahrian et lui sourit. Il espérait que tout allait bien se passer. Il savait très bien que le semi-elfe n’affectionnait pas plus que ça le peuple d’Anaëh. Cependant, leur vie à tous les deux était en danger alors il devrait faire un effort. Le jeune mage tenta une phrase, plus désespérée qu’autre chose.

- Nous voulons vraiment quitter cet endroit. Pitié, nous avons besoin de votre aide.

Implorer ses semblables. Voilà quelque chose que le jeune homme avait bien rarement fait au cours de sa vie. C’était là la preuve que sa situation était vraiment sans espoir.

Zaahrian comprit qu’ils n’étaient pas seul à l’attitude de Yenaël. Il agissait comme s’il se savait observé. Il voulait se faire rassurant, mais sa nervosité était palpable et ne disait rien de bon à l’assassin.

— Laisser tomber mes armes? Je n’ai pas lâché cette épée depuis l’attaque du serpent. Faudra te montrer plus convainquant que ça…

Puis, il entendit la voix qui confirma ses doutes. Des elfes… Yenaël pouvait s’estimer chanceux de ne pas avoir été tué à vue. L’assassin regarda autour de lui, nerveux et agacé. Il avait demandé à Yenaël d’être convainquant… Voilà le genre d’argument qui le ferait écouter. Même en pleine possession de ses moyens, il lui faudrait bien plus qu’une bonne dose de chance pour venir à bout d’un elfe, surtout sur son propre territoire. Blessé… Autant dire que sa seule option était d’écouter Yenaël et d’espérer que ces elfes allaient effectivement les aider en dépit du fait qu’il incarnait une des choses qu’ils exécraient le plus en ce monde.

— Très bien… Je suppose que je n’ai pas trop le choix.

Il jeta son épée et sa précieuse dague sur le sol avec une pointe de regret et souffla à l’intention de son ami.

— Ai-je déjà dis que sans ma dague, je me sens plus nu que si j’étais effectivement à poils? Non? Maintenant tu le sais…

Il soupira longuement et, gardant les bras le long du corps, il déclara à son tour.

— C’est bon, je suis désarmé. De toute façon, vu mon état, je tiens à peine debout. Je confirme aussi que je suis un semi-elfe bien que vous ayez visiblement déjà remarqué ce détail. Ça serait donc grandement apprécié si vous évitez de me tirer une flèche au cœur. Non seulement ça serait terriblement dommage, mais je ne suis techniquement pas responsable de ce que mes parents ont fait sous les draps… D’ailleurs, mon père… Peut-être que vous le connaissez. Techniquement, il s’attend à ma visite. Il s’appelle Halandarin Las'Danir. Je devais venir avant, mais j’ai été retardé.

La dernière fois qu’ils se sont vus, son père lui avait dit que s’il se présentait en Anaëh, la simple mention de son nom devrait assurer sa protection. Il avait tout intérêt à lui avoir dit la vérité, car vu la situation, Zaahrian avait besoin de toute l’aide que pourrait lui amener son nom.

Une ombre se transforma en nuage et une silhouette en sorti. Petite et plus fine qu'une brindille, elle avait les traits d'une enfant et la froideur d'une statue de part son teint d'albâtre et son visage inexpressif. Sa voix résonna à peine émergé du nuage, grave et atone.

-Il n'est pas là.

Macabre se tenait à quelques dizaines de mètres des deux étrangers. Son regard impassible s'était plongé dans celui du demi-elfe et le soutenait sans le moindre effort. Elle n'eut rien le temps d'ajouter qu'une seconde ombre se mit en mouvement et Seregon apparut en plein jour, tendant une main protectrice vers la jeune elfe, lui demandant de ne pas approcher davantage.

-Mac.

Le fait qu'elle se soit dévoilé la première et aussi vite ne lui plaisait guère mais il savait que, malgré toutes leurs recommandations, elle faisait ce qu'elle voulait au moment où elle le voulait. La protégée de Tethien, quant à elle, avait l’œil suffisamment aiguisé pour constater que l'assassin n'était effectivement plus armé et que sa cheville était endommagée. Même s'il reprenait ses armes à terre, il n'aurait pas le temps de la toucher avant qu'elle ne soit retourné parmi les ombres.
Dans la seconde qui suivie la réponse de Mac, ses trois gardes étaient apparus les uns après les autres, Hiradrilion et Olorin bandant leurs arcs chargés vers le sol pour ne pas attiser les inquiétudes du second intrus plus que ne devait déjà le faire leur apparition soudaine ainsi que l'usage de la magie des ombres. Car, s'ils n'avaient usé que de leurs compétences pour se dissimuler aux yeux de Yenaël quelques heures auparavant, cette fois, il leur avait fallu être bien plus près pour pouvoir épier leur conversation. L'Art de leur protégée était parfait pour cela...

Hiradrilion reprit la parole, usant d'un ton aussi froid que sérieux.

-Le Toer Tamindal ne se trouve plus en Anaëh. Nous avons nous-mêmes cherché à le voir pas plus tard que l'ennéade passée et avons été contraint de lui faire passer une lettre par l'intermédiaire de ses apprentis. Nous ne savons pas quelle était sa destination mais tout nous porte à croire qu'il a quitté l'Oeuvre de la Mère.

Le regard du chasseur se posa sur Yenaël. Ils étaient venu voir un ami, disait-il ?... Ils n'avaient visiblement pas la même conception du mensonge qu'eux. Il avait certes omis de leur communiquer quelques informations concernant le blessé mais il existait une marge entre un aventurier et un assassin. Tout comme il y en avait une entre un ami et un père... C'était cela qu'il appelait un mensonge.
Hira fit un signe de tête en direction de Seregon qui comprit aussitôt le message et approcha des deux étrangers.

-Nous allons vous soigner et nous assurer que vous quittiez nos terres. Jusqu'à ce que nos chemins se séparent, nous vous confisquons vos armes, ainsi que votre focaliseur, Mage. Vous avez perdu le peu de confiance que vous avez pu obtenir de nous, il est hors de question que vous le conserviez sur vous plus longtemps.

HRP:

Honnêtement, les elfes lui faisaient peur. Zaahrian n’était pourtant pas du genre à être facilement effrayé. Il avait vu, subi et même commis beaucoup plus d’horreurs dans sa vie que bien d’autres. Néanmoins, il se trouvait très loin de son terrain de jeu habituel. Dans cette forêt, il n’était pas chez lui contrairement à ces elfes qui le toisaient de haut. Un lien existait entre eux et cette terre, quelque chose qui lui échappait totalement. Puis il y avait cette colère cachée sous un masque de froideur. Peu importe ce qu’il pourrait dire, Zaahrian était coupable d’être ce qu’il était. Sa part d’humanité était une souillure dans son sang et le nom de son père ne le rendait pas plus acceptable. Pouvaient-ils voir ce qu’il était vraiment? Voyaient-ils tout le sang sur ses mains. Décelaient-ils au fond de son regard toutes les agonies dont il avait été témoins? L’apparition aussi soudaine que mystérieuse de l’elfe au visage d’enfant surprit Zaahrian. Par réflexe, le même qui lui avait si souvent sauvé la vie, il porta la main à sa dague pour ne rien trouver. Elle gisait au sol à quelques pas de lui. Il regarda l’elfe dans les yeux, refusant de courber l’échine devant eux. Il ne détourna le regard que lorsqu’un second elfe prit la parole. Ainsi son père n’était pas là, mais une phrase retint son attention plus que le reste.

— Que voulez-vous dire par « quitter l’œuvre de la Mère? »

Cette phrase sonnait comme une jolie façon de dire qu’il n’était plus de ce monde. La vie serait bien cruelle de lui avoir rendu son père avant de le lui reprendre aussi vite. Ça ne serait pas son premier espoir déçu, mais il avait sincèrement cru en une chance de rédemption. On pourrait croire qu’il n’a qu’à arrêter de faire ce qu’il fait, de ne plus être un assassin, mais ce n’était pas aussi simple… Le sang ne se nettoie pas aussi facilement.

— Yen, je ne sais pas ce que tu leur as raconté, mais visiblement, tu n’as pas dit tout ce qu’ils auraient voulu savoir…

Zaahrian fronça les sourcils. Il était le premier à raconter des histoires quand ça l’arrangeait, mais avec les elfes, valait mieux ne pas rigoler.

— Ne vous inquiétez pas, je n’ai pas l’intention de m’attarder plus longtemps…

Il cachait sa déception sous un masque de neutralité qui tranchait de son sarcasme habituel. À côté de lui, Yenaël faisait vraiment tout en son pouvoir pour détendre l’atmosphère, sans succès. Il finit par détourner son attention des elfes pour se concentrer sur son compagnon.

— J’ai besoin de ton aide pour m’assoir. Je ne peux pas rester debout plus longtemps.

Prenant appuis sur l’humain, il s’assit sur le sol. Zaahrian retira ensuite sa botte et jeta avec le reste de ses armes le petit couteau qui s’y trouvait. Il haussa les épaules avec un petit sourire en coin. Il n’avait plus d’autres armes sur lui à l’exception de ses mains. Il enleva ensuite sa tunique pour dévoiler un torse sévèrement éraflé et contusionné suite à sa chute.

— Pour ce que ma parole vaut, je ne suis pas une menace. Je suis beaucoup trop affamé et épuisé pour tenter quoique ce soit de stupide… Enfin, plus stupide que d’essayer de rejoindre mon père ici, on s’entend.

Il soupira. Pour une rare fois dans sa vie, Zaahrian semblait réellement abattu.

L'attitude de Yenaël attirait plus de soupçons qu'autre chose tant il tenait à leur laisser entendre qu'ils souhaitaient partir. Peut-être était-ce dû au stress de la situation présente ou peut-être pas. De toute manière, Anaëh ou les Noss auraient raison d'eux si d'aventure ils cherchaient encore à s'enfoncer en forêt après avoir été reconduit à la frontière.
Seregon récupéra toutes les armes du demi-elfe ainsi que l'anneau du mage. L'humain n'avait nul besoin de leur expliquer le lien particulier qui l'attachait à cet objet. Ils n'étaient certes pas pratiquants de d'Art mais ils en connaissaient les bases. Ils savaient ce que représentait un focaliseur pour un mage. C'était bien pour cela qu'ils lui confisquaient le sien...

Une fois les deux étrangers désarmés, Hiradrilion rangea sa flèche et s'approcha, faisant signe à Olorin de rester où ils se trouvaient. Arrivant à proximité du fils d'Halandarin désormais torse nu et la cheville à l'air, il haussa un sourcil. Visiblement, Anaëh n'avait pas été tendre avec lui.

-Espérons que cela vous serve de leçon si l'envie vous reprenait de vouloir pénétrer une fois encore Anaëh par vos propres moyens. Anaëh étant l'une des Œuvres de notre Mère. J'ignore comment vous l'appelez. Pour nous, elle se nomme Kÿria.

Le chasseur posa un genou à terre pour se mettre à la hauteur du demi-elfe et commença à observer ses blessures. Sur le torse, il ne s'agissait que de bleus. Rien dont il ne puisse se remettre. En revanche, sa cheville bleue et enflée était plus préoccupante. Hira la manipula à plusieurs reprises et elle semblait très douloureuse. Il en vint même à hésiter entre l'entorse et la fracture. Si c'était la première solution, alors il ne s'était pas raté...
Dans tous les cas, il n'y avait pas grand chose à faire hormis faire désenfler la cheville, l'atteler et éviter de l'utiliser pendant quelques temps. Dans tous les cas, les elfes en auraient pour minimum quelques jours de gardiennage, sans compter le temps de ramener les intrus à la frontière.

Le chasseur se releva.

-J'espère que vous ne craignez pas le froid. Le meilleur moyen de réduire le gonflement de votre cheville sera de la plonger dans l'eau et, en cette saison, elle n'est pas des plus chaudes. Rhabillez-vous.

Hiradrilion se tourna ensuite vers Seregon à qui il parla en elfique. Ils échangèrent quelques mots puis le chasseur partit en direction du Nord Est d'un pas pressé. Avant de disparaître de la vue du groupe, il s'était mis à courir à petite foulée pour gagner du temps.
Le doyen des elfes se tourna vers les deux étrangers.

-Il est allé chercher un lieu plus propice pour séjourner le temps que vous vous remettiez. Rassemblez vos affaires. Dès qu'il sera de retour, nous partirons.

Puis, Seregon se tourna vers Macabre qui n'avait pas bouger depuis son apparition, immobile comme une statue de glace.

-Penses-tu pouvoir le déplacer sur quelques lieues ? Lui demanda-t-il en désignant le blessé.

Macabre hocha lentement la tête en signée d'accord. Ils avaient beaucoup marché mais elle était encore capable d'utiliser la magie jusqu'à leur nouvel abri. Sans un mot, elle s'approcha tandis que le doyen achevait son explication.

-Parfait. Ainsi nous aurons des chances d'arriver avant la nuit.

-Avez-vous déjà voyagé dans les ombres ?

Mac était arrivé à la hauteur du petit groupe et s'était arrêté à quelques pas. Son regard s'était posé sur le demi-elfe qu'elle interrogeait. S'il devait connaître l'art de se dissimuler aux yeux de tous de par son métier, il n'avait rien d'un mage. Le monde dans lequel il allait rentrer n'avait rien de commun avec celui qu'il connaissait. De plus, étant donné qu'il ne pouvait se déplacer seul, elle serait contrainte d'avoir recours à une autre particularité de sa magie pour le faire avancer. Et cela pouvait s'avérer être une sensation assez étrange. Voire désagréable pour certains.

HRP:

Zaahrian avait l’air défait. Du moins c’était ainsi que Yenaël percevait la chose. Certes, la situation n’avait rien d’amusant mais elle ne l’était pas beaucoup plus pour lui. Pour autant, Yenaël s’estimait heureux d’être encore en vie et en plutôt bonne santé. En effet, la cheville de Zaahrian faisait peine à voir. Mais les êtes vivants sont bien connus pour se réparer par eux-mêmes. Il suffirait que l’assassin soit un minimum patient … Mais ce n’était pas gagné. L’espace d’un instant, le jeune mage se demanda si la croissance des os des elfes était plus lente que celle des humains. Si Zaahrian avait une fracture, les os devraient repousser progressivement. Et vu que les elfes et les semi-elfes mettent plus de temps à vieillir … Yen secoua la tête. L’idée d’imaginer son ami alité pendant plusieurs ennéades l’inquiétait car il ne savait pas comment il ferait pour trouver des vivres, seul, une fois que les elfes les auraient quittés.

Pour l’instant, il se concentra sur la situation en cours. Yenaël vit l’un des elfes s’éloigner. Il cherchait un campement d’après les dires de Seregon, le doyen. La journée avait été longue et le soleil était déjà en phase descendante. Le jeune homme se demanda s’ils parviendraient à trouver un refuge avant la nuit. Instinctivement, le jeune mage chercha son focaliseur qui était dans sa poche un instant plus tôt. Il ne le trouva pas et son cœur se serra. Vivement le moment où il pourrait enfin retrouver sa bague fétiche.

Mac. La jeune fille avec qui Yenaël avait conversé durant le voyage retour jusqu’à Zaahrian se tenait plus ou moins à l’écart de la scène, sans dire un mot. Puis elle posa cette question étrange : « Avez-vous déjà voyagé dans les ombres ? ». En fait, le jeune homme n’avait pas compris sa question. Il se doutait qu’il s’agissait de l’une des fameuses compétences magiques de la jeune elfe mais il ignorait tout de son fonctionnement. Si lui n’y connaissait rien, Zaahrian serait certainement encore plus étranger à cette expérience.

Comme pour rassurer son ami, Yenaël s’accroupit vers lui et lui dit quelques paroles d’un ton calme.
- Ne t’inquiètes pas Zaahrian, ça va aller. Tu n’as rien à craindre avec elle, nous avons discuté ensemble pendant notre voyage retour jusqu’à toi et elle semble être une puissante mage.

L’espace d’un instant, le jeune homme se dit que le fait d’être convoyé d’un lieu à un autre via la magie serait une expérience certainement très désagréable pour le semi-elfe, d’autant plus qu’il avait plutôt en horreur les arts magiques.

Rapidement, le jeune homme se redressa et s’adressa à Seregon puisqu’il semblait qu’il était en train de prendre la tête des opérations.
- Je vous suis. Je ne sais pas où nous allons mais je fais confiance à Mac pour faire attention à Zaahrian. La voix de Yenaël s’adoucit de manière à ce que l’elfe puisse clairement percevoir de la reconnaissance dans ses paroles. Je sais que tout cela n’est pas encore terminé mais … Merci. Nous serions surement mort, à l’heure qu’il est, si vous n’aviez pas été là.

Zaahrian se sentait déjà assez stupide comme ça, il n’avait pas besoin qu’on en ajoute sur le tas. Il savait que cette forêt était dangereuse. Comme tout le monde, il avait entendu des histoires à son sujet, mais il n’a jamais imaginé que tout était vrai. Lui-même embellissait les récits qu’il racontait pour les rendre plus intéressants, pourquoi les autres n’en feraient pas autant.

— Il y a tout un tas d’histoires qui circulent sur cette forêt, des récits que l’on raconte au coin du feu. Parfois, ils ont été dits tellement souvent par tant de gens différents qu’il est difficile de savoir ce qui est vrai ou pas. Je savais que ça ne serait pas facile… Enfin, ce n’est pas comme si ça avait de l’importance maintenant…

Zaahrian se raidit à l’approche de l’elfe. Il ne lui faisait pas particulièrement confiance, mais dans les circonstances, il était leur meilleure chance. Il se laissa donc examiner sans le quitter des yeux. Les elfes étaient définitivement des créatures impressionnantes. Plus grands qu’un humain, ils auraient le dessus sur lui sans difficulté. L’examen de la cheville fut, de loin, le plus douloureux de tous. Il ne laissa échapper aucune plainte, mais son teint virant du rouge au blanc crayeux montrait que sa bravade n’était qu’une façade et qu’il souffrait terriblement.

— Je vais vomir ou perdre connaissance… peut-être les deux…

Il regarda Yenaël comme s’il espérait que l’humain pourrait faire quelque chose pour le soulager. Heureusement, son malaise passa en même temps que la douleur s’apaisait légèrement.

— Ça ira…

Malgré ses précédents plans, Zaahrian ne tenait pas particulièrement à bouger maintenant. La simple idée de se tenir debout le révoltait. La douleur le drainait de toute son énergie et maintenant, il voulait s’étendre et dormir, peu importe ce qui se passerait ensuite. Apparemment, il devra tenir un peu plus longtemps. Il regarda pour rassembler ses affaires quand l’elfe au visage de jeune fille s’approcha de lui. Quelque chose chez elle troublait Zaahrian. Il avait la désagréable impression qu’elle en savait beaucoup sur lui comme si elle pouvait lire dans ses pensées. Était-ce possible? À sa question, il fronça les sourcils.

— Je vis dans les ombres depuis très longtemps, depuis que je suis enfant, mais je ne suis pas certain de comprendre ce que vous voulez dire. Je ne suis pas un mage. Je ne connais rien à la magie. Je sais me battre, pour le reste…

Il ne termina pas sa phrase et se contenta de hausser les épaules. Dans son inébranlable bonne humeur, Yenaël tâcha de remonter le moral de l’assassin. Il n’était pas convaincu par les propos de l’humain, mais elles lui arrachèrent tout de même un sourire. Yenaël était tellement différent de Guilin. Ce dernier lui aurait probablement botté le cul en lui disant qu’il méritait de crever par excès de stupidité avant d’éventuellement lui donner un coup de main. Yenaël ne lui faisait même pas de reproches alors qu’il en méritait. La liste de choses dont il pourrait le blâmer était tellement grande qu’elle en couvrirait les pages d’un livre. Pourtant, il ne disait rien...

Seregon observa les deux étrangers, un sourcil levé. Il trouvait l'humain bien protecteur, à sa manière, essayant de rassurer son ami qui ne semblait pourtant pas manquer de sang froid. Certes, le fait d'être désarmé ne lui plaisait guère mais en dehors de cela il n'observait pas de peur dans son comportement ou son regard. Etant donné la façon dont il était équipé, le contraire aurait été surprenant. Il n'y avait qu'à voir comment il avait enduré l'examen d'Hiradrilion malgré son haut le cœur.
Lorsque Yenaël se leva pour lui dire qu'il était prêt à le suivre, Seregon se demanda s'il avait bien écouté ses paroles.

-Nous partirons lorsque notre éclaireur sera revenu. Rassemblez vous affaires. Acheva-t-il avant de s'éloigner.

Le vétéran retourna auprès d'Olorin avec qui il échangea dans leur langue natale. Se faisant, il regarderait régulièrement dans la direction des intrus, suivant avec attention et méfiance les échanges qui se déroulaient un peu plus loin.
Macabre était restée à sa place, son regard inexpressif toujours posé sur le demi-elfe. Elle avait vu Seregon s'éloigner mais ne lui adressa aucun regard. Elle était bien placée pour savoir que l'on pouvait parfaitement tuer quelqu'un sans arme mais elle ne craignait pas grand chose face à un mage sans focaliseur et un assassin en piteux état.

-Je vis dans les ombres. Et je les maîtrise. Répondit-elle avant de tracer un tourbillon devant elle d'un geste de la main.

La seconde suivante, un nuage noir sortit soudainement du sol, remontant le corps de la petite elfe à l'image du geste qu'elle venait de faire. Il la recouvrit complètement, formant un cône sombre autour d'elle. Puis la fumée commença à se dissiper, laissant apparaître la forêt au travers. Et rien que la forêt...

-A vous.

La voix de Macabre venait de la droite de l'assassin. A quelques mètres de lui s'étendait l'ombre d'un arbre qui abritait une chose étrange. Une silhouette semblait s'y dessiner. Intangible et transparente. La petite elfe au visage d'enfant se tenait là, à peine visible. Lorsque Zaahrian regarda dans sa direction, elle interrompit son sort et ses traits devinrent de plus en plus nets. Elle s'avança, entrant dans un rayon de lumière.
La protégée de Tethien tendit le bras, semblant aller chercher quelque chose dans le vide dans la direction du demi-elfe. S'il suivait le prolongement de sa main, il pourrait voir que ce n'était pas sur lui qu'elle portait son attention mais sur l'ombre qui se trouvait non loin. Lentement, la zone noire s'étendit, passant sous l'assassin pour devenir plus grande encore que lui. Macabre pencha la tête sur le côté et le jeune homme disparut soudain, englouti par l'ombre comme si le sol c'était soudainement affaissé sous lui. La seconde suivante, elle disparut à son tour, rejoignant Zaahrian dans l'ombre.

Le monde des ombres était l'endroit le plus lugubre et étrange qui soit. Tout autour d'eux n'était que vide ténèbres. Les couleurs n'existaient pas et apparaissaient en nuances de gris. La seule chose qui éclairait les deux individus venait d'au-dessus de leur tête. A y regarder de plus près, l'assassin y verrait les branches des arbres en-dessous desquels ils se tenaient l'instant d'avant, mais vus de plus bas encore, comme s'ils avaient grandit ou que eux avaient rétrécis. Ils n'avaient pas changés de position. Ils étaient en dessous...

-Voilà ce qu'est une ombre.

La voix de Macabre semblait s'éteindre en même temps qu'elle quittait la gorge de la petite elfe, comme si les ténèbres l'étouffaient dès sa naissance. Il disait vivre dans les ombres mais il ignorait ce que cela signifiait réellement. Ce monde était froid et intangible. Autour d'eux s'étendait un dédale de couloirs résultants des ombres projetées au sol. Voilà comme elle circulait sous terre... Et voilà comment elle le transporterait.

HRP:

La magie imposait à Zaahrian autant de la crainte que du respect. Il ne connaissait rien à ces forces mystérieuses et il le reconnaissait sans mal. Il s’était fait comme règle d’or de ne pas énerver quelqu’un capable de vous réduire en cendre par sa simple volonté. Ses talents d’assassins ne lui seraient d’aucune utilité contre un mage en pleine possession de ses moyens et sachant ses intentions. Un peu de concentration et l’assassin serait de l’histoire ancienne. Au contact des quelques mages ayant croisé sa route, il savait que l’Art était infiniment complexe et que ses variantes étaient quasiment infinies. Certaines formes étaient également plus encouragées que d’autres… Une chose était certaine, il n’avait jamais vu un pouvoir se rapprochant de celui de Macabre.

À la fois curieux et sur ses gardes, il vit le nuage d’ombre s’élever dans un tourbillon autour de l’elfe jusqu’à l’engloutir complètement. Lorsque la fumée s’estompa, il ne restait aucune trace de la femme. Pourtant, elle était encore là. Il entendit clairement sa voix, cette fois tout près de lui. Surpris, il porta la main là où il gardait normalement sa dague. Tous les elfes étaient-ils capables de ce genre d’exploit? Pourtant, son père lui avait semblé plutôt normal au moment de leur rencontre. En repensant à la crise qu’il lui avait faite, Zaahrian commençait à croire que son père aurait très bien pu lui briser la nuque d’une seule main. Tout ceci échappait totalement à sa compréhension.

Suivant des yeux Macabre, il vit l’ombre bouger. Dans sa tête, son instinct lui hurlait de fuir, mais il en était incapable. À son tour il fut englouti non sans jeter avant un regard paniqué en direction de Yenaël. Pendant un bref instant, sa façade se fractura et il laissa voir sa peur. Le monde changea autour de lui. Zaahrian était encore au même endroit, mais c’était différent. Poussé par l’adrénaline, il se releva, prêt à se défendre malgré la douleur. Finalement, la magie de cet elfe n’avait rien de fascinant. Elle était simplement terrifiante. Plus que jamais, il était motivé à quitter cette forêt.

— Quand je parlais d’ombre, je ne pensais pas nécessaire à ça...

Fidel à lui-même, il essayait par tous les moyens possibles de rester calme et en contrôle même si ce n’était pas du tout le cas. Rarement dans sa vie il n’avait eu autant envie de boire un coup et la dernière fois remontait sans doute à la mort de Djamel. Il avait quand même tué Daeron sur un coup de tête suite à ça.

— Vous savez déjà ce que je suis, non? Je veux dire, au-delà du fait que je suis un semi-elfe… D’ailleurs, vous devriez dire à vos copains de ne pas me regarder comme si j’étais un déchet, ce n’est pas très poli. Ce n’est pas comme si je pouvais faire quoi que ce soit dans cet état. Quoique c’est encore drôle… j’ai quand même tué ce putain de serpent à moi tout seul...

Hrp:

Macabre pencha la tête sur le côté en voyant la réaction du demi elfe. Il essayait de le cacher mais elle savait il la peur dans l'attitude et le regard de quelqu'un. Il était rare qu'elle emmène quelqu'un dans les ombres mais, les quelques fois où c'était arrivé, la personne avait pris peur. Il n'y avait guère eu que les mages pour ne pas avoir cette réaction. Elle ne savait pas comment faire pour l'éviter... Et le fait d'effrayer une personne de plus lui fit détourner le regard, fixant le sol de ténèbres devant elle tandis que l'expression de son visage se fermait.

- Vous savez déjà ce que je suis, non ? Je veux dire, au-delà du fait que je suis un semi-elfe…

La petite elfe releva ses yeux clairs -et dénués de couleurs dans cet univers- sur l'assassin. Tout comme ses compagnons de voyage, elle savait ce qu'il était. Eux l'avaient déduit de son équipement. Elle, le savait pour bien d'autres raisons.

-Je sais. Je le suis aussi.

Elle n'avait fait de mal à personne depuis son arrivée en Anaëh, soit depuis dix ans. Pourtant, elle se considérait toujours comme l'esclave de son maître. Elle était toujours son espionne et son assassin... Elle aimerait pouvoir parler au passé mais jamais son maître ne la libérerait. Même si leur chemin ne devait jamais se recroiser, elle ne cesserait de lui appartenir tant qu'il serait en vie.

-D’ailleurs, vous devriez dire à vos copains de ne pas me regarder comme si j’étais un déchet, ce n’est pas très poli. Ce n’est pas comme si je pouvais faire quoi que ce soit dans cet état. Quoique c’est encore drôle… j’ai quand même tué ce putain de serpent à moi tout seul...

Macabre l'écoutait sans comprendre. N'ayant pas été élevée dans les cités, elle ne pouvait savoir ce qu'ils avaient exactement en tête. Ils n'aimaient pas les étrangers, c'était entendu, mais elle ignorait que la nature de celui-ci mais aussi son métier leur déplaisaient plus encore, rendant sa présence intolérable sur leur territoire. Ils se trouvaient déjà bien gentils d'accepter de le protéger et de le soigner avant de le reconduire à la frontière... Ils en avaient pris la décision avant d'apprendre qui était son père.
Mais si la petite elfe ne pouvait expliquer leur comportement, elle comprenait ce que le demi-elfe ressentait.

-Je ne peux pas changer ce qu'ils voient. Je ne peux pas changer ce que vous voyez...

La protégée de Tethien tourna légèrement la tête sur le côté, voulant échapper au regard de Zaahrian. Si les elfes le regardaient d'une manière qui lui déplaisait, son regard sur elle la mettait également mal à aise. Elle savait maintenant lorsqu'elle effrayait les gens et elle le vivait mal désormais. Même maintenant qu'elle c'était réconciliée avec Neraën.

-On continue... ou vous voulez sortir ? Lui demanda-t-elle toujours sans le regarder.