[Temple de Teiweon] Malheur aux Vaincus

Bàrkios, Huitième ennéade de l'an X du Cycle XI,
Puy d’Elda.

Les portes d’Uriz virent le retour de ceux que les intrigues intestines des cavernes puysardes avaient oubliés. Fers aux pieds, chaines enserrées autour de leurs poignets, une centaine d’esclaves passèrent les montants de métal où l’effigie du Père des Batailles trônait en maître. On avait déjà implanté dans tous les crânes le respect dû au Destructeur, et dans les chaires des plus récalcitrants. Les fouets restaient à la ceinture, dans l’éventualité où la face du Dieu des Sombre donnerait aux zurthans des sursauts de désobéissance.
Les remugles du souffre venaient du plus profond de la terre pour heurter les narines sensibles, firent protester les intestins les plus faibles, tandis que les drows accueillaient cette senteur avec la douceur que l’on éprouve à rentrer chez soi. La lumière des steppes laissa place à l’obscurité, dans laquelle les eldéens se complaisaient tant.
Les poitrines se bombèrent à l’entrée dans le quartier doeb, et l’on gueula l’arrivée de la caravane à grand renfort de coups sur la poitrine. Les esclavagistes virent avec bien peu de satisfaction cette main d’œuvre potentielle échapper à leur bourse pour tomber directement dans les mains de l’armée et du C’nros, qui se gratifiaient de leur labeur par cette fructueuse rémunération.

Les profondeurs du Puy voyaient leurs parois rivaliser de beauté. L’esplanade des neuf passa, avec ses majestueuses statues de part et d’autres. La pierre à nue du quartier doeb était ici taillée avec précision. Comme autant de prières, les marteaux avaient frappé le volcan pour le façonner à l’image des Dieux. C’était une beauté brutale, certes, mais nul n’aurait pu nier l’indéniable vénusté des visages gravés dans le basalte. Des scènes de combat homériques recouvraient les tunnels qui s’enfonçaient sans fin, d’où le sang semblait s’échapper par immenses gerbes.
L’Eda vengeur se rappelait à chaque drow au travers de ces fresques. Ici l’on voyait un drow couronné, le cœur palpitant dans sa poitrine éventrée, brandir une épée flamboyante aussi grande que deux hommes pour trancher une chimère agonisante. Là, une forêt brulait et vomissait un flot ininterrompu de figures longilignes guidé par une autre, aux yeux bandés, vers ce que l’on supposait être le Vatna. Tout baignait dans la lueur rougeâtre des flammes que l’on avait allumées sur des tisons aux parois.

L’odeur du souffre se faisait plus forte, se mêlant à celle des encens, des cendres et du sang. La colonne s’arrêta, le meneur ayant levé sa main. On approchait des temples.
Le temple de Teiweon de l’Esplanade se donnait les allures de celui de la Chambre Magmatique, sans toutefois pouvoir rivaliser en beauté avec lui. Les mêmes gardes, voilés des pieds à la tête, en gardaient l’entrée. Au-dedans, quelques rigoles d’eau recouvraient le bruit des chaines qui cliquetaient par celui des éclaboussements. La statue de la déesse, dissimulée elle aussi par un long velum, sous lequel on distinguait la silhouette décharnée de la Dame aux Ombres, surplombait.
Cinq zurthans et un mage avançaient, guidés vers l’autel par Khernal, dont la robe poussiéreuse balayait négligemment le sol. Ils furent forcés à s’agenouiller devant la Rusée, tandis que le Ditronw Da’re ployait le genou de Celle qui avait sa préférence.

« – S'argt, vok ulu l'ortelassa d'Dosst wanre
Gardienne, écoute la prière de Ton serviteur.
– Kyorl l'eluith'orth nindel Uk lanne pholor dos
Vois la ferveur qu’il Te porte.
– Zhaun l'honglath uk uriu wun ukt honglath
Sais la bravoure qu’il a dans sa Braise.
– Xal Dos balbau ukta Nahali
Puisses-Tu lui accorder le Nahali,
– H'uena ol zhah renor ::
Une fois celle-ci rendue charbon.

– Vetus, nym'uer l'ortelassa d'Dosst varn
Voilée, entend la supplique de Ton protégé.
– Eryx wun ukta l'khalith
Discerne en lui le courage.
– Lor a ukt zif Eluith'orth
Avise sa Foi inébranlable.
– Khluryar ukta whol ukt ultrinnan
Juge-le pour ses victoires,
– P'wal ukt Chath uriu nau g'jahall :: »
Car sa Flamme ne souffre d’aucune défaite.

« – Moi, Khernal, illustre descendants des Primes Exilés,
Réponds de mes actes devant Toi, ô Rusée. »

Le maître-mage se retourna vers ses esclaves et son subalterne qui s’étaient relevés. Nulle arme ne tenait plus en respect les impies, qui s’étaient résignés à leur sort.

« – A GENOUX ! tonna la voix du Sombre, tandis que ces mots résonnaient dans les esprits faibles des humains. »

Sans avoir besoin qu’on les y force, les cinq hommes du désert obéirent, une peur irrépressible étreignant leur tête.

« – VOIS, DAME AUX OMBRES, L’OFFRANDE DE TON SERVITEUR ! »

Sa lame jaillit de sous les pans de tissus pour se planter dans la gorge du subalterne, faisant ruisseler le sang sur les Promis. La main du Ditronw Da’re saisit au cou sa victime pour la jeter en travers de l’autel.
Malgré tout quelque peu indignés de n’avoir pu tenir que le second rôle dans la cérémonie, les prêtres voilés accoururent vers le cadavre poisseux de l’eldéen, que les derniers sursauts de vie animaient avant que sa Flamme ne s’éteigne à jamais.
Les cinq blasphémateurs furent éventrés de la même façon par les poignards sacrificiels des officiants.

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« – Les nouvelles, Stilh'Guar.
– Bien des choses, Jabbuk qu'Elaeruk Kre'Nael. annonça la Phord’ur. Un vent de rébellion se propage peu à peu, contre les têtes eldéennes. Il est probable que vous soyez vous-même visé. Ils ont déjà tué le Haut-Prêtre d’Uriz, il y a quelques ennéades.
– Velkyn est mort ? Comment ?!
– Assassiné Seigneur. Le Haut-Temple a été mis à sac et les prêtres brûlés quelques jours après sa mort. Les Cultes Majeurs sont en mauvaise posture, et l’Olath Blada se fait silencieuse. »

Khernal ne pipa mot.

« – Double la garde. répondit-t-il simplement. »