[MdO2019] Fin Trame de l'Hydre :: La dernière tête de l'hydre

Lorsque le battant s’ouvrit, la Rose Noire écarquilla les yeux. Dans l’immense salle, se dégageait une odeur pestilentielle, subtil mélange d’une terrible magie et de la mort elle-même. Comme si Teiweon avait pourléché les murs de ce sanctuaire d’immondice, créant de sa bave tombée une engeance blasphématrice. Car là, devant eux, se tenait un amas plus pantin que vivant, plus mort que furieux. Pourtant les yeux moribonds, injectés de sang, ne la trompèrent guère : sous son apparence des Abysses, Malag’Eyl demeurait en pleine possession de son esprit.

Pour combien de temps ?

Les prunelles andrinoples cherchèrent derechef la présence de quelques nécromants sans succès. Il n’y avait qu’une succession entêtante de glyphes, et de cadavres dont le sang coagulé laissait la petite eldéenne d’autant plus perplexe. Il n’y avait qu’eux, la Bête, deux soldats vaillants et deux mages. Là, il n’y avait nul doute possible ; leur compagnie était en bien fâcheuse posture quand la moitié était déjà usés par les combats. Elle frissonna en s’emparant avec vivacité de sa poupée de chiffon qu’elle serra fort entre ses doigts poisseux par l’hémoglobine, tenant dans l’autre son poignard.

Elle reconnaissait un des mages.
Ses dents se serrèrent et enfin, la petite perdit le sourire.

Par Uriz ! Elle n’avait pas survécu à la bouche béante de la Déesse-Morte pour s’offrir maintenant, il en était hors de question ! Et pour autant, elle était bien impuissante face à la monstruosité ; il lui fallait de son sang. A peine quelques gouttes. Et lorsque les flammes s’éteignirent dans un rire gras, L’Renor déglutit, bondissant sur un côté alors que la chose fonçait déjà sur leur compagnie. Elle ne pouvait faire qu’une chose, alors que déjà elle tissait avec attention laissant filer quelques gouttes de sueur sous l’effort. Il fallait tuer les mages – et vite.
Les muscles tendus à l’extrême, elle n’avait plus la même allure insouciante et désinvolte : la Rose Noire était une machine de mort, celle qu’on ne voyait qu’une fois. Le visage clos par la concentration, le corps alerte, elle s’abaissa aussi vite qu’elle le put et altéra de sa lame le tracé parfait d’une marque. Il y avait peu de chance pour que cela aboutisse à quelques résultats probants, mais ce serait suffisant à créer une distorsion dans ce fatras magique. Une brèche, voilà ce qu’elle proposait.

« Son sang. Il me faut son sang ! »

Lorsque la porte céda sous le talent de l’entité magique, le paysage qui s’épanouit sous ses yeux lui causa des brûlements d’estomac. Le bougre était bien habitué à s’exposer devant ce genre d’immonde, mais là, c’était un tout autre niveau. Si la … chose … était une œuvre d’art, probable qu’elle n’aurait en ce monde pas son pareil. Du reste, un premier constat lui vint dare-dare à l’esprit : « Merde ... J’aurais vraiment dû me débarrasser du corps … », pensa-t-il en soupirant lâchement.

L’assassin n’avait souffert d’aucune meurtrissure, cela était une vérité. Problème étant, il ne pouvait décemment plus faire usage de son art, auquel quoi sa santé pourrait cette fois s’en voir compromise. Et lorsqu’il s’agissait du contre-balancier qui sévissait lors d’un inique usage de sa magie, les conséquences pouvaient s’en voir dévastatrices, voir même fatales.

Sous l’écho de l’ordre inquisiteur des deux maîtres mages, il ne se fit pas prier pour tenir l’arrière des troupes. Bien conscient de leur pouvoir, ce n’est évidemment pas parce que la menace était imminente, qu’il se précipiterait tête première pour tenter une percée. Dans ces cas-là, il valait mieux laisser agir les gros bras et tâcher d’écourter l’agonie des survivants. C’était plus sûr. Une technique testée et approuvée par les adeptes de la survie.

L’hobegobelin tenta la désintégration des lieux : une carte sûre et normalement gagnante. Sous l’échec cuisant du pâle géant, Kah grinça des dents et serra le poing. Une chose inévitable se dévoila aussitôt devant lui : il devra mettre main à la pâte, que l’envie y soit ou non. Encouragé par la doléance de son amante, il écarta sans ménagement l’épaisse charpente toute faite de muscle d’Urgoll et plongea une main dans une des poches de son ample mantel. Sans la décapsuler, il lança d’un mouvement vif du poignet ladite décoction en direction du duo de mage ennemi. Sous le contact du sol, le verre éclata en milles scintillements et laissa s’échapper de son étanche prison un épais et opaque nuage de fumée. Contrairement aux volutes qu’il laissait dans son sillage lorsqu’il usait de magie, le nuage aveuglant n’avait guère envie de se dissiper de sitôt. Un écran parfait, qui saurait pallier à son incapacité à se jouer des ténèbres.

Tirant profit de la surprise, il s’élança à l’aide de ses deux poignards et s’engouffra dans le nuage pour frapper de front les deux mages. S’il ne chercha point de prime abord à les occire, sa tâche première était de les faire saigner. Et si dans la manœuvre, le temps lui octroyait la permission d’emporter une âme dans sa manœuvre, alors il n’en serait que plus heureux.

Pendant ce temps dans le salle abandonnée...

- Je vois. " constata-t-elle simplement. Si elle se permettait une supposition, elle dirait qu'il avait été assez con pou goûter un des filtres de Kahveka... Bah ! S'il mourrait il ne pourrait s'en prendre qu'à lui-même. Encore touchée par ce qui s'était passé dans les illusions, elle avait du mal à rester très objective en ce qui concernait l'elfe pâle et L'Renor... Et le sort de blocage n'avait rien arrangé.

Posant les yeux sur Driz'na, elle regarda la tempe empoissé de sang.

- Mal. Aucun moyen de savoir si elle est dans le coma ou seulement assommée. Et même si elle se réveil, le crâne a toutes les chances d'être fissuré alors son esprit pourrait bien être définitivement brisé. Mais c'est le genre de mal contre lesquelles même les plus éminents prêtres des jumelles ne pourraient grand chose, alors il n'y a rien que nous puissions faire maintenant.

Encore une fois, elle constatait avec une certaine distance et une neutralité que bien des peuples - et même quelques eldéens - auraient jugé effrayante pour une mère devant le corps de sa fille aussi gravement atteint.

Au lieu de s'attarder sur ce détail, Krish profita plutôt de l’accalmie pour interroger Viconia sur ce qui s'était passé pendant qu'elle était inconsciente. Comment Vlos était en train d'attaquer ? Pourquoi elle était de l'autre côté de la salle ? Pourquoi L'Renor était couverte de sang ? Comment elle avait su que c'était une illusion ? ... et enfin, Ô grands Dieux, pourquoi Valsrik semblait la connaitre et la respecter ?

- Je vois. Tu es sacrément débrouillarde... C'est avec ce même esprit que tu as gagné le respect de Valsrik où il s'est passé quelque chose de particulier ? Non parce que pour qu'il aille jusqu'à te sauver la vie malgré toi alors qu'il n'est même plus en capacité de s'en faire pour sa propre vie, c'est qu'il y a forcément quelque chose.

Tuez ces maudits mysticistes. Le Gobelin ne voit pas d'autres raisons à la soudaine disparition des flammes. Tant qu'ils seront en vie, toute tentative de magie sera gênée, voire contrée... Et le petit géant n'a pas assez d'énergie à gâcher en vaines tentatives. Il attend, lames au point, l'arrivée du monstre. Le sol frémit à chacun de ses pas gigantesques, chaque grondement d'avalanche se répercutant dans la grande salle. Imposant, dans tous les sens du terme.

"Triumvir... Tu laissas le Puy sombrer dans le chaos. Pourquoi ?" gronde Urgoll'Ven, les yeux étrécis.

Le titan prend appuis pour abaisser son cimeterre... Le Haut-Prêtre en profite pour bondir. Malgré sa stature, il n'a qu'à baisser la tête pour passer entre les jambes de la chose, faire volt-face et plonger ses lames dans sa cheville, cherchant à lui couper les tendons. Et que coule son sang. En réponse, le pied se soulève et le percute, le projetant comme un enfant par les coups d'un adulte. Heurtant le sol sans douceur, roulant, il grogne sous l'assaut d'un intense vertige et la pression qu’exerce son plastron enfoncé. Il ne s'en relève pas moins, la gueule contractée en un rictus vorace. L'une de ses lames est restée dans sa main, il voit l'autre plantée dans la cheville.

"Gigantesque... Et si lâche." grogne-t-il avec un sombre amusement.

- Pas lâche.

Le corps du géant se tord avec une grande souplesse vers celui qui le juge. Les crocs de Malag’Eyl se dévoilent encore une fois alors qu’il change de trajectoire. Une première victime à sa merci. La plus replète peut-être de toutes celles à sa portée. Le Haut-Prêtre de Zakh’Bar pris en tenaille entre le fantassin et l’ancien triumvir  serait simplement mort si une flèche n’avait pas fusé.

Les mysticistes sont tes cibles premières. Tes Braises s’écrasent en un flux continu de commandes contre leurs défenses. Vous livrez un combat invisible, ta volonté contre les leurs, leurs volontés contre celle d’Urgoll. Et ils tiennent bon les chiures. Les glyphes et les cercles qu’ils ont creusé stabilisent leurs incantations. Alors tu ne peux pas les écraser. Et les marchombres ne peuvent pas tranquillement voyager. Et vous vous trouvez face à une situation plus difficile qu’elle ne devrait l’être.
Tu grognes. Tes muscles se crampent. Tes yeux s’affolent. Ta vue s’éteint. Tu ressens, mais tu ne vois plus rien. Tu ne vois plus rien d’autres que les corps en présence et leurs mouvements. Et tu cherches une faille, et tu cherches une brèche, et tu cherches une ouverture, sans succès, alors tu te contentes de presser sur leurs boucliers. Tu le sens flancher, tu les sens à bout, mais tu ne sens pas ton corps se creuser. Tu presses autant contre eux que contre toi.

La flèche plantée dans le crâne du fantassin l’achève sur le coup, ne laissant plus pour adversaire au colosse que celui face à qui il est minuscule. Le tibia monstrueux s’écrase dans les côtes du Haut-Prêtre, l’envoyant valdinguer à nouveau à travers les airs, suivi de la masse de muscle et de nerfs condensés qui s’écrase contre lui toutes épaules devant.

- Tu es juste de trop peu d’ambition pour comprendre… Mage.

Ton attention se tourne vers le Karliik, ta pression se transpose sur le Karliik. Leur énergie se détourne sur le Karliik. Fatale erreur. Une tout subtile intervention de la Poupée. Une brèche dans laquelle t’insérer. Le second marchombre trouve enfin un chemin vers La Dame ennemie. Les dagues trouvent avec une mortelle précision son cou. Il n’en reste plus qu’un. Et ce n’est pas suffisant.
Tes veines serpentent de plus en plus distinctement à travers ta peau. Le noir et le blanc se réarrangent de manière plus en plus spectaculaire. Les gemmes plantées dans le corps de votre gigantesque adversaire vibrent dangereusement.

Et un carreau perdu file vers toi. Et le carreau perdu s’écrase contre le mur invisible te séparant du monde.

Et sans ses gardiens pour tenir ses chaînes en place, la rage monte dangereusement chez l'abomination.

Liste des actions:

actions:

Les corps tombèrent au sol, mous. Les yeux alertes balayaient la salle avec minutie, jusqu’à en connaître chaque détail. La magie était instable autour de l’immense masse, alors que les glyphes faisaient leur œuvre. L’amputation sommaire de la Rose Noire sur cette magie blasphématrice avait fait vibrer l’air, une seconde à peine. Juste assez pour que chacun agisse avec précision, terminant la tâche qui leur était due. C’était à ce moment-là que resplendit enfin tout le potentiel de leur accord ; il y avait là le mélange parfait des meilleurs atouts de la Cité Eldéenne – et bien qu’il lui en coûta de se l’avouer tout à fait -, elle apprécia les compétences de chacun. Les muscles près à agir, les doigts enroulés sur la poupée et sur son coutelât, elle se ramassa un peu plus.

La Bête avait acculé le Géant, s’égosillant d’une voix qui n’avait plus rien de vivant. L’immense amas scintillait de magie et devenait à ce moment précis la dernière cible de la joyeuse compagnie. Et s’il n’avait s’agit du Haut-Prêtre, peut-être que jamais n’aurait naquit sur son visage de porcelaine ce sourire satisfait. Car là, bien qu’elle eut d’autres intentions pour le suffisant personnage, elle se réjouissait à le voir en si mauvaise posture. L’hémomancienne n’avait plus de barrière à présent que jonchait le sol le dernier mysticiste. Une œillade à Kahveka lui suffit pour retrouver une rage bouillante. Elle s’en occuperait plus tard.

Plutôt, elle débrida complètement ses capacités. Il lui faudrait bien cela pour venir à bout de la Chose. S’élançant avec rapidité, elle arriva en quelques foulées souples jusqu’au pieds immense dans lequel s’était planté la dague. Un geste sec, et elle lui retira cette maudite épine avant de se jeter sur le côté avec la précieuse prise. Alors, les prunelles grenats attachés fermement à la dernière tête de l’Hydre puysarde, elle glissa le fil d’acier dans sa bouche. Son sang était épais, et âpre. Il avait un goût de mort, et pourtant Malag’Eyl était bel et bien vivant. Plus de vingt litres d’hémoglobines. Impossible pour la petite L’Renor de manipuler pareille masse.
Impossible mais.

Le sang commença à jaillir de ses narines. Un filet fin et continu, qu’elle finit par écraser avec les pans de chiffon sale. Ô Dula, il te faudra te montrer forte, bien plus forte que lui. Sa respiration s’apaisa, à mesure que se dessinait dans sa tête le plan le plus idéal. Alors, elle s’avança doucement alors que résonnait sa voix fluette, où quelques notes terribles vinrent s’écraser contre les murs vides de la salle. Et chaque pas qu’elle faisait accélérait l’afflux sanguin dans les yeux de la Bête. Bientôt, oui très bientôt, ils cèderaient à la pression. Bientôt, oui très bientôt, il n’aurait d’autre choix que de laisser tomber le Géant à terre pour s’arracher lui-même ses globes oculaires tant il aurait l’impression de mourir. Et s’il n’en faisait rien, cela le décontenancerait juste assez longtemps pour qu’un autre vienne à faire couler le précieux liquide.
Il lui fallait encore plus de sang.

Actions:

La charge d'un païm eut été moins douloureuse. Poupée de chair, de métal et de cuir, le Haut-Prêtre est jeté dans les airs comme un jouet avant d'être écrasé par le mastodonte.

De souffle, il n'en a plus. De cœur... Il n'est pas sûr. La pression est telle qu'il crache du sang sur l'épaule qui le compresse comme un insecte. Et encore, il y a son plastron. Et pourtant, ce n'est pas assez. Tout son corps, relâché, pour tenter d'encaisser. Et bien sûr, c'est insuffisant. Il entend ses côtes craquer comme des brindilles, sa chair hurler d'être transpercée de l'intérieur, son cœur lutter contre une pression mortelle. L'écho puissant l'assourdit, tel un tambour mortuaire sonnant les secondes qui lui restent à vivre. Il est aveugle et sourd à tout, si ce n'est son corps à l'agonie, et celui qui le tue.

Ce qui doit être... Fait... Son esprit s'accroche, malgré le gouffre qui se révèle et tente d'engloutir sa vue. Lui aussi... Bouffi... D'orgueil... Sa mort serait-elle une ode à Kiel ? Sans saveur pour elle. A Uriz ? Un échec parmi d'autres. A Valas ? Sans éclat arcanique... Au Prime Dragon... ? Ses dents crissent à l'idée que même Lui, il ne l'honorerait pas en périssant ainsi. Un grondement rageur, gluant de sang et de bile, s'extirpe d'entre ses crocs alors qu'il s'accroche d'une main à la chair honnie, ses mires sanglantes promettant le sang.

"Je sers... L'Elda... Vengeur...Et le Feu... D'Uriz...Imbécile." crache-t-il, avec un rictus rougi par ses fluides.

S'il a relâché ses muscles pour encaisser l'impact, sa main, jamais, n'a lâché sa dernière lame. Dans un dernier effort qui le fait gronder d'une douleur déchirante, il tranche dans la gorge de l'abomination.

La Bête pousse un terrible cri. Non pas de douleur, mais de colère, d’incompréhension, de confusion, alors que son corps lui échappe, que sa jugulaire saigne, que ses Braises lui échappent… toutes ses Braises. Les gemmes incrustées dans sa peau finissent par éclater sous la pression, et ce qu’il restait d’esprit à Malag’Eyl se tord et s’entremêle en une tempête de pensées disparates, auxquelles la créature ne trouve à répondre que par la violence.
La gigantesque épaule s’écarte du mur, libérant sa proie, seulement pour mieux s’écraser à nouveau contre lui. Mais cette proie a tôt fait d’abandonner le jeu. La garce. Urgoll ne bouge plus, et parce qu’il ne bouge plus, la créature devenue folle s’en désintéresse. Elle renifle la magie à l’œuvre plutôt, désireuse qu’elle est d’en retrouver la confortable étreinte, mais incapable d’en identifier une source bienveillante. Alors elle bondit en direction de la plus proche des sources de frustration, s’apprête à écraser l’hémomancienne sans autre forme de procès. Mais l’ombre projetée par le géant ne termine jamais d’avaler la Phor’dur.

La poussière se soulève autour de toi, tes doigts lâchent ta baguette. Ton livre n’est plus retenu à ta hanche que par ta chaînette. Tes bras s’écartent, tes serres se crampent, et tu termines de t’abandonner à ton art. La silhouette de Malag’Eyl s’immobilise complètement juste au-dessus de l’hémomancienne, incapable du moindre battement de cil. La poudre de basalte danse autour de toi, s’amoncelle en une large silhouette vaguement humanoïde en mouvement perpétuel. Et les crocs de la silhouette s’affinent, et les griffes de la Chimère s’allongent, et sa gueule s’ouvre dans un feulement silencieux, et la poussière vibre au point d’être chauffée à blanc. La Chimère se métamorphose en des serres griffues, qui se referment en une poigne brûlante sur l’ancien triumvir. Etreint par la Chimère, le monstre qu’est devenu Malag’Eyl est consumé à petit feu, à la merci de vous tous.

- Finissez-en.

Tu souffles dans un dernier effort, alors qu’enfin la réalité te rattrape. La douleur s’insinue à nouveau dans tes chairs. Qu’ils se dépêchent tous d’en finir.

La masse informe lâcha son jouet de chair. Le Géant s’écroula dans un bruit sourd et désarticulé, alors que les prunelles de l’hémomancienne ne s’arrêtèrent même pas sur ce tas moribond, gazouillant, presque mort. La mine stoïque, elle continuait sa marche lente et mesurée vers la Bête, qui furieuse tant de douleur que d’avoir abattu son objet, se détourna bien vite. Les vaisseaux éclataient, et ses yeux se noyaient peu à peu dans la torpeur carmine. Concentrée, presque suicidaire, elle ne s’arrêta pas plus ni se déroba lorsque l’ancienne Hydre se rua dans sa direction. La poupée valsa dans sa main convulsante, alors que filait toujours le fluide par ses naseaux. La magie avait un coût, et la sienne était celui du sang. Par intelligence – ou plutôt par chance sûrement – le Prêtre avait largement entaillé son cou. Il jaillissait de sa gorge béante un flot humide. Plus foncé que le sien, plus épais, elle ne put s’empêcher de tout de même se pourlécher les babines ; il agitait devant elle l’apanage de ses convoitises les moins secrètes, et peut-être était-ce par l’audace ou peut-être pour la gloire qu’elle ne cilla même pas lorsque l’énorme pieds se souleva.
Elle mourrait.

Ou plutôt, le temps se figea parfaitement lorsqu’au-dessus de son crâne – un mètre plus haut – traînait les cors et les cales de l’Abomination, tandis qu’à son côté le Mage Blanc tissa une ultime fois. Ce qu’elle voyait de cette puissante magie était un fil épais et chaotique que la fatigue s’empresserait bientôt de briser. Ils avaient peu de temps, elle le savait. Mais n’était-ce pas la chose de toutes les fleurs d’un jour perdre leurs pétales ? Ralentie par la surprise, elle était si concentrée, si tiraillée par son propre tissage qu’elle en oublia la présence de Kahveka. L’homme avait bondit de derrière, silencieux comme l’Ombre elle-même, taillant la chair. Elle le sentait déjà, l’odeur de la rate que l’on explose, et celle du foie que l’on ouvre. Comme toujours, celui qu’elle considéra le plus en ce monde avait fait mouche. Et, par fierté, elle débrida tout à fait son sort.

La gorge ouverte, le foie et la rate éventrés, les yeux de Malag’Eyl ne tardèrent à exploser à leur tour. De minuscules gouttelettes vinrent tâcher les visages tirés. Les mirettes de Maître Couard – comme elle s’amusait à l’appeler parfois – luisaient de l’envie irrépressible de tuer. Avait-il eu peur pour elle ? Troublée, elle se détourna bien vite de ces préoccupations, et se recula juste un peu. Ses yeux se fermèrent et le calme domina enfin. Elle oublia la salle, les morts et les cris. Elle oublia aussi les glyphes et l’immense entrelât de magie. Elle s’oublia même un instant, le souffle au bord des lèvres, dans ce Néant où plus rien ne subsistait. Seule face à ses envies intestines, elle ouvrit lentement la cage de l’Horreur. Le Monstre qui y sommeillait tira sur ses chaînes d’argent, bien plus terrifiant que l’Immondice qu’ils affrontaient là. Lentement, il planta ses griffes démentielles dans la chair de la jeune eldéenne, s’imprégnant de son âme, s’emparant de son corps.
« Il est à moi »

Les paupières s’ouvrirent à nouveau, laissant s’échapper l’hémoglobine par ses yeux, sa bouche et ses oreilles. Les quenottes rougies brillèrent, alors que l’éclat de ses grenats était devenu mortuaire. Sans plus de formalité, appréhendant ce corps dévolu, prison sacrée de chair, elle étendit ses longs crochets magiques avec vivacité. Telle l’Araignée Sanguine, ils se plantèrent dans la victime immobile. Sa respiration se faisait plus courte, plus sauvage, alors que sa main dextre lâcha le couteau. Alors que tintait la réplique métallique contre le sol chauffé du cœur du Vatna, l’Hémomancienne leva le bras sèchement, tranchant l’air sans trembler. Il ne fallut guère plus longtemps pour que s’entaille profondément la fémorale de la Bête. Le sang jaillissait, geyser brulant, alors que déjà elle attrapait vigoureusement un objet invisible aux yeux des néophytes. Déployant des forces que personne n’eut soupçonnées, le sang s’écoula à vitesse folle ; le ruisseau devint rivière, la rivière torrent, le torrent fleuve pour qu’enfin, une longue minute plus tard il ne demeure devant eux qu’une coquille vidée de son liquide, flasque.
Blême, tremblante, d’énormes gouttes de sueur se mêlait à présent au sang de L’Renor Crysto. Au bord de l’hypoxie, la fluette Araignée se terra à nouveau, tombant à genoux dans la marre écarlate. Devant elle tomba le Karliik Glenn, dernier vestige d’un triumvir décadent, mort comme il avait régné : comme un dégonflé.

Aux premières loges pour entendre la bête hurler, le Gobelin sourit de ce succès alors que la douleur lui transperce le crâne. Alors, quand la créature le relâche pour mieux l'écraser encore, il ne le sent presque pas. Son plastron s'enfonce toujours plus, son air se fait rare, son cœur manque de place. Un clignement de paupières et il est au sol, le souffle plus rauque que jamais. Sa dernière résistance consiste à rester en vie, à s'accrocher à la conscience comme une bête à la mâchoire enfoncée dans la chair, qui ne lâche pas alors même qu'une autre lui dévore le corps. Chaque inspiration est une lutte, chaque expiration une souffrance. Du moins ressent-il une certaine satisfaction à avoir la gueule pleine de sang plutôt que de bile : ainsi honore-t-il davantage Kiel que les Jumelles. C'est ainsi, le Gobelin a ses préférences.

Des profondeurs de son agonie, le Géant perçoit le déchaînement arcanique... Les détails lui échappent, dans le gouffre de douleur sourde où il est, étouffé, si ce n'est la joie profonde qu'exulte la Sanglante alors que le titan de chair se transforme en une outre percée. Il lui semble aussi entendre le son de lames qui déchirent la chair... L'Alchimiste ? S'arrache alors à la gorge malmenée d'Urgoll'Ven un rire lent et mortuaire, entre deux toux sanguines. Ce qui... Doit être fait... Aussi insupportable soit-elle, la garce rend un juste châtiment. En cet instant, le Gobelin l'honnie autant qu'elle le ravie. Cela ne l'en amuse que plus et lui arrache des râles de souffrance enjoués, alors que ses crocs claquent, au rythme des caresses de la Voilée.

Un rictus de joie sanglante sur son faciès, c'est ainsi que demeure le Géant, inconscient et prostré, dans la mare de sang qui lentement s'étale dans la salle de pierre froide.

Krish acquiesça. L'idée que Valsrik devait avoir des plans bien précis pour les capacités de Viconia l'intriguait autant que la désinvolture de la jeune femme l'interloquait. Elle restait d'un autre côté totalement imperméable aux égares que portaient la prêtresse à l'homme décédé pour leur sauver la vie. Objectivement, lui rendre les derniers hommages était important. Mais quelque chose l'empêchait d'en avoir vraiment quelque chose à faire. L'attention qu'elle ne portait pas sur l'illusionniste, bien loin d'être absorbée par l'état de Driz'na, courrait du côté des combattants à quelques salles de là. Un parfum d'encre et de sang qui la rendait pensive.

- Oui. ça doit être bon. " sourit-elle lorsqu'il fut enfin question de quitter les lieux.

Une fois face à la porte, Driz'na hissée sur son épaule comme un sac à patate grâce à l'aide de la prêtresse, elle constata avec plaisir que la jeune femme pouvait enfin traverser l'obstacle invisible. Elles s'enfoncèrent toutes deux dans les couloirs. Entre deux croisement, Krish tressailli. La douleur de son dos n'en était pas la cause. Elle posa un regard pesant sur le corps de la prêtresse, la jaugeant avec attention sans arrêté d'avancer, puis elle scruta le bout du corridor... Et elle soupira.

- Nous n'arriverons pas à temps. "

Peu après, deux coups colossaux firent tremblés la structure même du palais de l'état major. Une poignée de virages plus tard, les deux femmes sentaient une odeur cuivrée. De plus en plus chaude. De plus en plus méphitique. Il n'y avait plus de doute sur la direction à prendre... Ni sur la présence de charognes. Des marques d'érosion et de feu marquaient les pierres des murs. Sur le sol, un discret filet noirâtre s'échappait d'une arche au centre de laquelle aurait du se trouver une porte.

Krish marqua un temps d'arrêt, tendant l'oreille au silence assourdissant. Une respiration haletante. Pas grand chose de plus. Dans le doute, elle déposa Driz'na contre le mur, fit signe à Viconia de rester  à bonne distance, et s'approcha souplement de l'étrange antichambre. Toujours rien. Elle sauta le filet noirâtre d'un bon, faisant face d'un coup à l'intérieur de la salle, prête à recevoir d'éventuels agresseurs... Mais le spectacles était bien plus apocalyptique qu'un simple ennemis. Le sol était entièrement recouvert de fluide. Les glyphes qui ornaient les murs bavaient leurs significations scabreuses au-dessus des corps qui trempaient dans cette marre saumâtre.

Au milieu du carnage, un corps disproportionné d'une blancheur cadavérique, surplombé d'une minuscule tête, gisait face contre terre. Devant lui, deux guerriers n'étaient pas encore inconscient. Les deux ombres du pouvoirs dont elle avait douté au début de leur périple. Urgoll souriait au sol, plus mort que vif. Quant à Valsrik, elle n'était pas vraiment certaine de son état... Et pourtant un sourire contagieux vint aux lèvres de la Forgelâme.

- Par Uriz... ça c'est du morceau... "

Une pointe de jalousie perçait dans sa voix, mais les mots de leur Créateurs résonnaient toujours à ses oreilles. Oui... Elle n'avait plus d'enjeux ni de grâce à vaincre les armes à la main. Un jour son tour viendrait et il faudrait qu'elle soit prête, mais d'ici là, d'autres devaient prouver leur valeur. Quittant sa posture défensive, elle prit une seconde pour graver la scène dans sa mémoire et une phrase lui vint aux lèvres aussi sincèrement que toutes les pics qu'elle pouvait envoyer à longueur de temps.

- L'attention du Père des Bataille vous est toute acquise. Vous avez tous été à la hauteur. "

Puis elle fit signe à Viconia  que tout était en ordre... Enfin façon de parler. Et sans attendre, elle se dirigea vers son allier le plus proche - qui se trouvait être Urgoll - pour tenter de le garder dans le monde des vivant. Son plastron était partiellement enfoncé... Mais ce qu'il y avait dedans ne devait pas être en particulièrement bon état non plus. Sans crainte pour sa tenue ou sa peau, elle posa un genou dans la marre de sang et trancha une à une les courroies qui maintenaient les différents morceaux de l'armure sans tenter de boucher le colosse, puisqu'elle n'avait toujours que de maigres forces dans les bras.

Tout en officiant, elle parla d'une voix forte.

- Que tous ceux encore capable de comprendre ce que je dis gémissent. " Elle grogna elle-même en entaillant une courroie particulièrement épaisse. " C'est pas le moment de se laisser aller. Nous avons encore un triumvirat à annoncer à la foule, avant que d'autres factions utilisent la mort de Malag'eyl pour se placer... Et évidement, ceux avec qui je devrais pouvoir discuter de la mort de Vlos ne sont pas en état. " Un dernier coup sec. Enfin le métal tordu arrêta de faire pression sur le torse du Haut-Prêtre. Il pouvait recommencer à respirer... Et par chance, Krish n'eut pas besoin de tenter de le faire repartir en malaxant ses côtes cassées, il prit de lui-même une petite inspiration. Puis elle ajouta par dessus son épaule " Urgoll tient le coup. Valsrik est encore vivant ? "

Tu n’es pas inconscient. Tu es tout sauf inconscient. Tu es partout et nulle part à la fois. Tu as atteint le sommum de ce que ton corps est capable de supporter de ton art. Et maintenant il ne te reste plus que ton Art, sans rien de ton corps. Tu ne les sens pas te toucher, tu ne les entends pas parler, mais tu ressens leurs mouvements comme ta magie t’a toujours permis de les ressentir. Tu les ressens, mais tu es impuissant.

Lorsque L’Renor a saisi ta perche, tu as donné en même temps qu’elle. Tu as poussé de tes dernières forces, que la Phor’dur puisse économiser un peu de ses forces… ou alors n’étais-ce que pour te prouver ce dont tu étais capable même en arrivant à bout ? Un triste sourire orne ton visage éteint, tu as chu, à genoux, les épaules recroquevillées, et dans cette position tu t’es immobilisé. Tu t’es immobilisé sans savoir si tu serais capable de te mouvoir à nouveau un jour. Mais tu as confiance. Tu as réalisé ta tâche de Gardien. Tu as exploré un peu plus de toi-même. Tu as rendu fier celui dont tu es l’héritier, tu en es certain. Valas Tal’Berith t’accompagne en ce moment même. Si tu survis il fera de toi un vaisseau plus puissant que tu ne l’étais déjà. Si tu meurs alors il sera là pour plaider en ta faveur auprès d’Uriz. Si tu t’éteins, tu t’éteins avec les honneurs. Si tu t’éteins, tu laisses derrière-toi une héritière que tu espères ta mort suffisante à cultiver l’humilité.

Si tu t’éteins… Mais tu ne veux pas t’éteindre.

La poussière qui t’entoure n’est toujours pas retombée. Les cendres dansent encore autour de ton cadavre. La silhouette des mâchoires et des serres de la chimère t’accompagne encore, évanescente, mais bien présente. Pour ton plus grand malheur. La magie incontrôlée n’est jamais bon signe. La magie incontrôlée ne fera jamais que détruire ce qu’il reste de toi tant qu’elle ne sera pas à nouveau domptée.

Les yeux finirent par s'ouvrir, clignant plusieurs fois avant de s'agrandir correctement. L'enfant regarda un instant le vide qui s'offrait à elle, la respiration aussi calme que lorsqu'elle dormait, ne posant son regard violacé à aucun endroit en particulier. Elle aperçut le mouvement d'une personne s'éloignant d'elle, aussi ses yeux finirent par se poser avec du retard sur la jeune femme. Puis le silence. Enfin, le silence. Silence bienfaiteur après cette assourdissante cacophonie. Elle était bien, là, dans ce couloir qu'elle ne reconnaissait pas, à juste essayer de se concentrer et comprendre d'où venait la douleur qui lui vrillait la tête.

Les minutes passèrent. Ou était-ce des secondes ? des heures peut-être ? Le visage de la petite fille se tourna enfin avec un air moins hébété vers tout ce qui l'entourait. C'est alors que, titubante, elle se força à se lever pour rejoindre la dame qui parlait dans la tête des gens. Sans rien dire, sans un bruit, elle finit par trouver l'ouverture étrange menant à la salle où se trouvaient tous les adultes. N'entendant aucun bruit venant des couloirs elle entra et resta à l'entrée de la pièce, caressant chaque détail de son regard enfantin. Le sang était le reste de vagues s'échouant sur le sol ; les corps inertes étaient des rochers ; ceux vivants et debout ressemblaient à des reptiles aux drôles de positions ; les glyphes ensanglantés, enfin, lui faisaient penser à des marques sacrées disposées en cercle. C'était beau. Il ne manquait plus que... que... que quoi ? Rien. Non. Il fallait juste qu'elle fasse attention aux détails. C'était toujours important, un détail. Son père le lui répétait à chaque fois qu'il revenait à la maison.

Les reptiles disparurent, les rochers aussi, laissant place à l’œuvre d'art pouvant s'intituler "La dernière chute du Triumvir". Ou peut-être "La chute du dernier triumvir", au choix. Quoi qu'il en soit, l'air non affectée par la scène macabre qui aurait révulsé plus d'un gamin de son âge, elle finit par s'approcher de sa mère, gardant cependant une distance avec elle.

Aucun bruit. Aucun son. Juste deux yeux qui regardaient le Feu, attendant patiemment de savoir si elle pouvait faire quoi que ce soit.

"Il a... Perdu le contrôle." souffle une fois rauque.

Sa tête dodeline sous le poids de son épuisement, tant physique que psychique, pourtant, le Gobelin est bel est bien revenu à lui, avec sa respiration qui reprend. Cependant, ce n'est ni le retour de la douleur ni la vue du Feu d'Uriz qui l'interpèlent en premier lieu... Mais bien la sensation que la magie est encore à l'oeuvre. Illusionnistes ? Malag' ? Avec un grondement de douleur il s'est redressé, portant son regard crispé sur les êtres encore debout, aux aguets, jusqu'à  s'arrêter sur le corps étendu près de la seule illusionniste qu'il n'a pas envie d'éventrer. Plus tard.

D'abord, cette aspiration continuelle, ce petit vortex tenace qu'il perçoit. Vide, sa mélodie ? Le Gobelin retombe sur un bras, crache un amat sanguin en se raclant la gorge. Être écrasé contre la paroi n'a pas seulement compresser son thorax. Cela a aussi irrité la peau sensible de son dos, dont l'antique brûlure magique se réveille avec plus de vigueur, et le fait frémir d'épuisement et de douleur. Le visage crispé en un rictus de colère face à sa faiblesse, il évite le regard de la sombre près de lui, et de son rejeton. Sa maigre crinière pâle, sale et sanglante, jette de longues ombre sur son masque monstrueux. Le feu qui dévore... Il va être dévoré de l'intérieur.

"Son sort va... Le consumer. Il faut trouver... Un mysticiste..." ajoute-t-il laborieusement.

Le simili-cumulus causé par l’habile mélange de produits que possédait la fiole lancée par Kah se dissipa petit à petit. Au travers le brouillard improvisé, on commençait à apercevoir les dégâts qu’avait su causé notre assassin aux deux enchanteurs. Le constat fût bien simple : les deux lanceurs de sorts étaient raides mort, tiédis par les fourbes attaques des spadassins. Au grand dam de Kah, le coloré personnage ne put tirer tout le crédit du travail, compte tenu du fait qu’il avait reçu main forte de ses « collègues de fortune ». Ces spadassins de l’ombre avaient changés leur allégeance depuis un certain moment et, voyant le résultat de leur collaboration, il dut se rendre à l’évidence que ce fût pour le mieux.

Le maître des ombres essuya ses lames contre sa cuisse, s’assurant que ses poignards furent plus ou moins torchés du sang de ses ennemis. Une fois fait, son attention retourna vers Malag’eyl le profanateur et ce qu’il vit, en dehors de sa cuisante laideur, c’est que ce dernier s’était rué vers L’Renor après s’être débarrassé d’une taloche du nuisible Haut-Prêtre. À ce moment, il ne sut dire si c’était bien cela, mais une étincelle de peur lui secoua le rachis au point de lui procurer une chair de poule de tous les diables. Si elle venait à trépasser, qui le tourmenterait, qui lui tiendrait compagnie lors des coups durs et en qui d’autre aurait-il confiance ? Elle seule parmi tous les autres avait mérité autant son respect que sa confiance et l’idée que sa confidente puisse se faire terrasser par le colosse le terrorisait. Inspiré par cette pensée égoïste, Kah évalua ses options. La magie ? Plus possible. Des potions ? Pas qui soient utiles. Solution : tenter le corps à corps en espérant au mieux d’occire la créature et au pire d’attirer son attention.

Précipitamment, il s’élança contre la créature et bondit pour mieux atteindre le géant en traître, nichant profondément dans ses chairs en putréfaction ses deux lames. S’agrippant fermement d’un bras à l’un de ses poignards comme d’un point d’encrage, il mit à profit sa deuxième arme en poignardant le grand dorsal du monstre. Si près de ce dernier et suite à plusieurs vives attaques, il odit très clairement les glous glous intestinaux du mort-vivant ainsi que tous les autres joyeux bruissements relatifs à la pression sanguine. Alors, il comprit. Le moment était opportun pour s’éjecter dare-dare et laisser les thaumaturges opérer. Il eut le temps de se décrocher à temps avant que l’implosion démarre pour de bon. Le spectacle qui défila devant ses yeux ébahis le laissa complètement pantois : jamais il n’avait rien vu de mort aussi grandiose. La bête était morte, enfin, plus que morte et malgré tout, son amante s’affairait toujours à l’ouvrage. Elle le vida du tout au tout de toute matière sanguine, inondant le sol de la grande salle d’un lac aussi rouge que la pureté de leurs regards d’Eldéens. Un beau foutoir, mais qui évidemment charma en tout point l’assassin.

Lorsque Krish arriva, il reçut sa bénédiction et ne lui donna suite que d’un humble hochement de la tête. C’est que, maintenant que toute menace était enrayée, le bougre avait d’autres préoccupations. Il marcha d’un pas lent et continuel, comme s’il désira conserver un certain respect au travers toute cette boucherie. Arrivée au niveau de son amante, il la supplanta de l’ombre que son corps projeta et patienta qu’elle daigne redresser le nez pour mieux l’observer. Une fois fait, une fois que leurs regards se croisèrent, il lui témoigna un sourire, presque tendre. Jamais elle n’avait été aussi souillée par le sang d’une créature. Ses cheveux d’un habituel blanc immaculé furent autant teintés par le sang que sa peau et ses vêtements. Ainsi nimbée par ce liquide opaque, elle hérita des airs macabres que pouvaient avoir les cadavres une fois retrouvés sur une scène de crime. Ravagée par l'effort, son corps fût secoué par quelques tremblotements qui firent sillonner la marre dans laquelle elle baignait. Ses paupières peinaient à rester ouvertes et bien malgré la fatigue, il sut lire en elle la colère qui ne pouvait se résigner à disparaître. Elle avait vaincue, mais il persistait en elle une hargne latente, dirigée envers lui et il le savait que trop bien.

« Dos ph'ssin'urn, ussta jabbress.* » Souffla-t-il à son égard, s’assurant que nulle âme n’ait eu écho de cet aveu. S’il avait saigné, s’il avait subi la moindre égratignure, pour sûr qu’elle en aurait abusé et l’aurait à son tour fait couiner comme un pourceau. Intact et sans tare, Kah posa un genou dans la mare sanguine et lui chuchota derechef : « Rentrons. »

Spoiler:

Aux paroles de Viconia, puis à celles d'Urgoll, Krish pose les yeux sur sa fille pour la première fois depuis longtemps. Sans la moindre douceur ni la moindre considération, elle ordonne.

- Sort et va dire à Eshk'Oroth que nous avons des blessés et des mages en état critique. C'est facile. Suit toujours les couloirs les plus larges. " Son bras droit saurait quoi faire et vu le nombre de prêtre qu'il devait y avoir.. D'ailleurs en pensant aux prêtres, elle ajouta encore avant que la petite ne quitte la salle " Dit lui que le Haut-Prêtre de Teiweon est mort en me sauvant la vie. "

Sans attendre, elle se leva, marcha d'un pas décidé vers le mage à l'agonie, et lui donna un violent coup à la tempe pour le faire sombrer dans l'inconscience, tout en priant pour que cela ne le tue pas sur le coup. Puis, traversant pour retourner auprès d'Urgoll, elle regarda l'ombre et la sanglante se redresser pour s'enfouir dans l'anonymat.

- L'Renor, Kahveka... Merci. Vous avez été bien plus qu'à la hauteur... Et si c'était la seule chose en jeu, ce sont vos noms qu'entendraient la foule d'ici peu. Mais vous êtes trop importants dans vos rôles actuels. En tant que garants de la stabilité du triumvirat. " Sa sincérité solennelle s'effrita pour laisser échapper un sourire de connivence " Si vous voulez vous payer une sortie triomphale, libre a vous, mais si vous voulez vous éclipser, je vous conseille plutôt de sortir par derrière... Les portes de l'état major vous sont ouvertes à partir d'aujourd'hui, et je vous attends tout les deux de pied ferme pour que nous entamions la suite. "

Un grognement à la fois douloureux et ricanant d'Urgoll rappela son attention sur le géant moribond. Elle l'aida à s'appuyer à demi contre le mur sans se réduire les organes internes en compotes. Derrière elle, Viconia semblait s'affairer pour s'occuper de Valsrik le mieux possible. Par dessus son épaule, elle souffla donc :

-  Viconia. Attend une seconde, tu veux ? " Urgoll jeta un regard interloqué mais ne dit rien.
- En quoi puis je t’être encore utile Feu d’Uriz?
- Nous ne sommes plus que trois, vous savez ce que ça veut dire ? "

Devant les deux mines souffreteuses, Krish eut presque envie de placer une pointe sur l'état de délabrement de leurs cerveaux en manque de sang, mais l'instant était trop important pour... mouais non.

- Bon... Visiblement trop de coups sur la tête ne facilite pas la réflexion. Faudrait pas que ça devienne une habitude, ça ficherait un sacré coup au caché du nouveau triumvirat.

Elle les guetta, affichant toujours son sourire de chat. Viconia perdit lentement ses couleurs. Ses yeux se vrillèrent sur la Forgelâme sans ciller. Urgoll toussa, puis sa gorge émis un gargouillis étrange... desquels s'extirpèrent un rire douloureux. Ses iris sanguines étaient encore bien présentes, flambant d'un feu sauvage... Et pourtant un voile d'incompréhension face à la figure de Viconia le tétanisa un instant. Sa respiration rauque déforma son visage en une grimace contrariée. Chaque émotion qui le traversait était lisible, un détail étrange dans cet état à la fois parfaitement contrôlé et d'une grande vulnérabilité.

Devant leurs airs interloqués, Krish continua.

- la Haute-Prêtresse d'Uriz est morte hier. Le Haut-Prêtre de Teiweon est mort il y a quelques minutes et je ne pourrais pas assumer de guider seule notre peuple. Ce n'est pas mon rôle. J'ai besoin de croyants qui connaissent la véritable valeur des mots mérites et sacrifices. Des gens qui ne pensent pas que leur propre vie vaut plus que le Grand dessin de l'Eda Vengeur et qui ne tenteront pas de s'assassiner au premier revers. " Elle planta son regard sanguin mocheté d'or dans les yeux récalcitrants d'Urgoll, le forçant à la regarder plutôt que Viconia. Elle allait explicité, mais il gronda et lâcha un rocailleux :

- Je sers le Feu d'Uriz."

Elle acquiesça, pour l'instant sa suffirait... Pour l'instant. Ils auraient bien le temps de remettre les choses à plat quand ils seraient tous sains et sauf. Viconia était toujours décontenancée. Difficilement, elle se repris pour parler, cachant tant bien que mal le choc et l'hésitation qu'elle ressentait :

- Je suis jeune... Je ne suis qu’une prêtresse mineure. Mais... Si tu es certaine de ton choix, je m’en montrerai digne. "

Le sourire de Krish se fit sincère. Tout dans la physionomie de la jeune femme hurlait un immense " Pourquoi ?! " Elle lui rappelait un peu Wydrin à ses débuts...

- Je suis sûre de mon choix. Et en plus d'être intelligente, tu m'as dit avec franchise que la facilité te répugnait et que tu préférais affronter les problèmes la tête haute. D'un côté, tes actes montrent une dévotion réelle, tu respecte les rites jusque dans les situations les plus désespérée et ta ferveur ne ment pas. Pourtant tu ose me parler, yeux dans les yeux, tout en ayant conscience de n'être qu'un rouage dans un plan plus large. Toi et Urgoll êtes des exemples. Quel que soit votre âge ou votre lignée. En y mettant du tien, tu feras une parfaite voix des mages et de la diplomatie. Aussi parfaitement qu'Urgoll tiendra le sang des militaires en ébullition. "

Elle jeta un sourire féroce à Urgoll et se leva. Le bruit d'une cavalcade accourait dans le couloir. Les renforts. Les soigneurs... Elle ne devait pas s'attarder. Approchant de Viconia, elle posa une main sur son épaule et murmura à son oreille :

- J'ai passé ma vie à repérer des talents brutes, des potentiels dans leur état le plus imparfait. A travers les épreuves, ils se révèlent et se polissent... Parfois ces épreuves viennent d'elle-mêmes, parfois il faut savoir les provoquer... " Si elle se brisait, ce ne serait pas la première, mais Krish ne lui en dirait rien. En disparaissant à travers la porte, elle ne lança pas un regard en arrière. Une vie de juge, à la fois créatrice et destructrice, avait attiré le regard du Père des batailles. Son jugement était rarement erroné et elle avait fait bien des paris plus risqués que celui-ci.

- Driz'na, avec moi. " lança-t-elle simplement sans se préoccuper des renforts et de leurs saluts.

Suivant des instincts qu'elle ne soupçonnait pas, elle monta des marches perdues au milieu de la structure, tourna dans un corridor, puis une salle, et enfin un immense hall dans l’extrémité était ouvert d'une longue et haute fenêtre sans vitre, plus semblable à une meurtrière qu'à une baie vitrée, si ce n'était l'épaisseur du mur. Elle indiqua à Driz'na de rester dans l'ombre, lui permettant de jeter un coup d’œil à travers l'ouverture sans être vue en retour.

Lorsque son regard se posa sur la foule grouillante, la myriadénaire eut un haut le corps. Les têtes blanches aux yeux de sang formaient une mer compacte jusqu'aux limites de la chambre magmatique et dans l'escalier qui y menait. Ici et là, des groupes portaient des vêtements semblables. Prêtres, militaires, académiciens. On commençait à la regarder. Les yeux s'arrondissaient face à sa peau et ses cheveux couverts de sang. Son plastron d'acier luisaient d'un reflet rouge encore humide piqué de plaques de plus en plus ternes.

Comment sa voix pouvait-elle porter suffisamment loin pour que même les drows les plus près l'entendent ?

Elle inspira, et de toute la force de ses poumons, sa voix vibrante déclara face au Puy assemblé ce que les esprits avaient déjà déduit des échos de combats et des coups sourds qui s'étaient propagés à l'extérieur du Palais de l'état major :

- MALAG'EYL EST MORT. LE TRIUMVIRAT DES PARIAS N'EST PLUS ! " Elle reprit de l'air, se forçant à poser d'avantage sa voix alors que ses cordes vocales protestaient presque autant que ses épaules. " Aujourd'hui, ce sont des eldéens méritants qui montent à leur tour sur le trône hors de toute lignée et de toute appartenance. Ils ont risqués leur vie pour la grandeur du Puy sous les yeux du Père et Il les a reconnu ! Le dévoué serviteur de Zhak'Bar, Urgoll'Ven, Viconia X'Ianxin, dévouée de Valas, et moi-même prenons aujourd'hui la tête du Puy d'Elda pour que plus jamais nous ne plions l'échine face à nos instincts les plus médiocres ! "

Le silence obstiné des coalitions flouées se perd dans les cris de la liesse populaire.

Courir. Suivre les couloirs les plus larges, qu'elle avait dit. Se connaissant, elle aurait juste pris le même chemin qu'à l'aller, mais en sens inverse cette fois. Ce qu'elle fit, en fait. C'était habituel et, en prime, cela revenait au même. Il fallut juste qu'elle réfléchisse un instant en ne reconnaissant pas la première partie du couloir, peu étonnant puisqu'elle dormait à ce moment-là. Prenant soin de regarder autour d'elle à chaque croisement, elle finit par arriver à l'entrée de l'édifice. Il y avait du monde, des gens masqués dos à elle, et beaucoup de drows qui s'impatientaient de ne pas voir le triumvir ou sa tête par la fenêtre. Ca chahutait et Driz'na eut du mal à faire comprendre à Eshk'Oroth qu'elle était là. Le pauvre devait s'être demandé où la gamine était passée et ne l'avait très certainement pas vue entrer avec sa mère... Quand il se retourna et la vit, encore un peu hébétée, avec du sang sur la tempe, il lui jeta un regard si noir qu'elle crut qu'il allait lui donner une gifle sur le coup ! En vrai, à peine eut-elle le temps d'imaginer la scène qu'elle se prit une main gantée en pleine joue, suffisamment forte pour sonner l'enfant mais heureusement pas assez pour lui déboiter la mâchoire ou la faire replonger dans les bras de la Voilée. Driz'na tituba, des larmes lui montèrent aux yeux, mais aucune forte réaction ne la gagna. Lorsque son esprit comme son corps le purent, lorsque le grand guerrier se pencha vers elle pour pouvoir l'entendre, elle lui révéla les informations que lui avait demandé de transmettre sa mère.

Il n'y avait pas le temps de s'arrêter. Pour autant, tous furent touchés d'une manière ou d'une autre en voyant le corps du tout jeune haut-prêtre étendu sur le sol, mort par la morsure de deux carreaux d'arbalète. Carreaux qui se trouvaient encore fichés dans le ventre du pauvre mage. Driz'na ne put s'empêcher de se demander si elle n'avait pas condamné sans le vouloir celui qui l'avait aidée à décrypter son rêve. La fille du miroir avait fait le signe de Tesso, lui demandant ainsi de garder le secret. Ou lui signifiait que le secret et le mensonge la guideraient plus tard. Comme elle avait révélé son rêve au prêtre, peut-être Tesso avait-il décidé qu'il ne devait pas rester en Elda ? Qu'il rejoindrait Teiweon ? Si c'était cela... alors elle avait compris, elle se tairait. Et même si ce n'était pas cela, dans le doute, elle se tairait tout de même. La petite avança à travers la pièce, montrant où étaient les adultes aux repentis. Un dernier regard vers ce guide... qui était étrangement beau, ainsi allongé dans la mort, puis elle partit.

Arrivés. Les médecins et mages partirent rapidement s'occuper des blessés graves. A son grand étonnement, Krish lui demanda de venir avec elle. Driz'na ne se fit aucunement prier, heureuse de pouvoir voir ce qui allait se passer et ne désirant surtout pas se prendre une troisième gifle. Sa joue lui cuisait toujours, d'ailleurs... et sa tête lui faisait mal. Quand elles arrivèrent à la grande fenêtre, Lotha Suru se glissa dans une ombre et regarda un instant la foule amassée jusqu'à l'entrée de la chambre magmatique. C'était... impressionnant ! Mais encore plus impressionnant à ses yeux d'enfant : sa mère. L'enfant ne dit rien ; comme toujours elle regarda, écouta et... retint. Retint ce moment désormais gravé dans l'Histoire d'Elda, moment qu'elle écrirait dans l'un de ces livres dont elle tiendrait le secret.

Histoire écrite en lettres de sang.