[La Prime justice] Etape 2 : Former une équipe | Drystan, Nehril et Sirène

A l’image de Nehril, les traits de Sirène se détendirent à mesure qu’elle laissait sa concentration lui échapper. Sa démonstration avait mit un terme à leur exercice. Elle avait montré une partie de ce dont elle était capable. C’était loin d’être complet mais cela constituait un excellent point de départ. Son Art n’était pas toujours facile à cerner et elle accueillit les questions du demi-elfe avec un doux sourire emprunt de chaleur. Elle n'avait nullement cherché à l'impressionner mais elle était satisfaite d'y être parvenue malgré tout.

-Je manipule les flux eux-mêmes, sans distinction de domaine magique. Je les détecte, les identifie, les amplifie, les réduis jusqu’à les éteindre si je le souhaite. Je peux aussi en reprendre le contrôle à la place du lanceur. Les possibilités sont immenses, d’autant que je suis passée maître dans cet exercice. J’aurais tout aussi bien pu vous empêcher de lancer vos sorts en créant temporairement une zone sans magie autour de vous ou en vous empêchant de puiser à l’intérieur. Je peux affecter tous les sorts existants, quelque soit leur origine. Puis, se tournant vers Drystan. C'est comme ça que j'ai pu vous parler hier soir, en m'immisçant dans le canal laissé ouvert entre Monarth et vous.

La magie de l'immatériel était par définition bien plus difficile à appréhender que les autres. Son domaine d'expertise avait ceci de remarquable qu'il ne lui permettait pas de manipuler un seul Art mais tous. Au delà de ce que son corps était capable de percevoir, elle ressentait les flux de magie qui se mouvaient tout autour d'elle. Elle sentait ce que personne d'autre ne pouvait sentir, ce qui lui permettait de dénicher un mage voulant se cacher et d'anticiper la formation de ses sortilèges.

-Dites-vous qu'en matière de magie, je ne vois pas avec mes yeux. Vous ressentez les flux s'introduire en vous lorsque vous les appelez, moi je les détecte dès que je me concentre. Et je sais ce qui j'ai devant moi avant même de le voir. C'est tout cela qui m'a permis de me prémunir contre les effets de vos sorts, de les anticiper, de les repousser et de reprendre la main sur eux.

Pour impressionnant que pu paraître l’opposition et la démonstration, le dragonnier ne peut s’empêcher de s’interroger sur la finalité : l’un et l’autre ont surtout cherché à distraire, nul n’a vraiment cherché à prendre un avantage décisif et concret. Sans être déçu, après un premier engagement mollasson – mais impressionnant dans sa mise en scène -, il imagina davantage de l’un comme de l’autre pour le second.

Si les capacités – autant que leurs exploitations – du mercenaire ne le surprit pas, il en supposa un talent à l’épée à prendre suffisamment au sérieux pour convaincre une Princesse-Marchande ou se débarrasser d’une bande d’assassins, pour peu que tout ceci soit réel néanmoins – mais Nehril ne lui paraît pas être un menteur – mais cette partie-là, c’était à lui de la découvrir.
Celles de la Sirène, par contre, c’était tout autre chose... Outre la nature très particulière de son art, ce qu’elle paraît pouvoir faire de la magie d’autrui trahit un sacré talent ou une expérience suffisamment grande pour savoir quoi faire avec ce que les autres mages lui mettaient à disposition – voir plus probablement les deux – et c’est avec une confiance absolue dans ces facultés qu’elle évolue. Mais dans cette assurance, il voit aussi sa faiblesse et leurs raisons d’être : rien dans son attitude ne la préparait à une attaque plus franche et directe.
Complètement désarmée contre les véritables guerriers, elle est assurément une plaie pour la plupart des mages.

Quand la Sirène explique son art, cela confirme ce qu’il comprit la veille, mais cela suscite également un certain nombre de question. Dans quelle mesure pouvait-elle parvenir à ses fins ? Elle était douée, de façon générale et pouvait dès lors prendre l’ascendant sur des mages moins puissants, ou sur des magies passives comme celle qui le lie au dräke. Mais qu’en était-il face à un être plus puissant, plus doué, plus autoritaire ?
Un coup d’œil vers son dragon appuie sa réflexion… Sa manière de manipuler les vents et l’air, voir la foudre procède-t-elle d’une magie qu’elle peut prendre à son compte, retourner contre lui ou annuler ? Loethwil, plusieurs années auparavant, lui expliqua que le lien, leurs échanges… Que tout ceci échappe à la Trame, n’y laisse aucune trace, mais qu’en était-il du reste ? Et pouvait-elle prendre l’ascendant sur lui ?

« Et qu’en est-il de lui ? Désignant finalement son dragon. Qu’en percevez-vous ? » Il est curieux, il connait une partie des réponses, mais la Sirène présente l’opportunité d’en obtenir d’autres à des questions qui ne s’étaient, jusqu’à lors, pas présentées.

« Je crois comprendre que l’exercice magique est terminé, n’est-ce pas ? »

Arrivait à grands pas le moment où il lui faudrait s’illustrer pour s’assurer une part convenable de la prime… Fallait pas trop en laisser au sombre cador, tout de même ! Et s’il est probable que Nehril, avec plus d’expérience, soit meilleur épéiste, en vieux renard, il avait de la ressource… Moins ici, dans une clairière, certes, mais c’était le moment de briller par lui-même, pas seulement à travers la présence remarquable d’un dragon ou d’un dräke ! Et pas seulement du fait des écailles. Non, l’homme devait briller, à nouveau.

Suivant le regard de Drystan, Sirène sourit à Pradias avant de revenir sur le dragonnier.

-Contrairement à Monarth, je ne perçois pas votre lien. S'il en est un, alors il n'a rien de magique et ne peut être altéré par des talents tels que les miens. En revanche, toutes les créatures qui en sont capables puisent dans les mêmes flux. Je ressens donc son talent aussi bien que celui de n'importe qui et peux influencer ses sorts de la même manière. Dans son cas, néanmoins, cela me serait un peu plus difficile. Il est l'équivalent d'un archimage et je n'ai pas encore atteint ce niveau de maîtrise. Il serait peut-être capable de reprendre la main sur ses propres sorts si j'essayais de les contrôler à sa place. En revanche, je peux l'aider à être plus précis et puissant qu'il ne l'est déjà.

C'était un point qu'ils n'avaient pas encore abordé. Elle avait expliqué comment ses capacités lui étaient utiles dans la traque et contre des adversaires mais pas encore avec un allié. Elle croisa alors le regard de Nehril et l'appuya quelques secondes afin qu'il comprenne qu'elle pouvait en faire de même pour lui. Si d'aventure il ne se sentait pas capable de parvenir à maîtriser un sort ou à en faire ce qu'il le voulait, elle pouvait parfaitement l'y aider.

-Nous pourrons travailler ce point la prochaine fois si vous le souhaitez.

S'il avait perdu l'habitude de pratiquer intensivement la magie, alors il en avait fait assez pour aujourd'hui. Drystan réagit bien vite à sa réplique, attirant le regard de la femme au masque. Elle lui sourit, une lueur d'espièglerie dans le regard.

-Voyez qui est impatient de s'y mettre à présent ?

Se tournant vers Nehril, elle inclina noblement la tête dans sa direction, le remerciant pour cette séance. Puis elle commença à s'éloigner, s'avançant pour aller prendre la place du dragonnier. C'était à son tour d'observer un art qui ne lui était que peu familier. Avec les années, elle était devenue capable de juger de la compétence martiale de quelqu'un même si elle ne saurait se retrouver dans la mêlée...

Ce qu’il entend le rassure. D’abord, les mots de Loethwil sont confirmés et le Lien lui-même est à l’abri des intentions que pourraient nourrir quelques mages à ce sujet, ce qui rend le dragon et cette relation d’autant plus fascinant à ses yeux. Elle l’éclaire sur le second sujet et sans vraiment le surprendre, il intègre que la magie elle-même du dragon repose quant à elle sur la Trame, mais avec une maîtrise égalant au moins celle des plus puissants mages du continent, dans son domaine… Il avait déjà conscience de l’autorité et de la facilité avec laquelle son compagnon domine le ciel, cette confirmation le ravi et l’effraie à la fois, car bien que le sachant déjà, il prit davantage la mesure de ce à quoi il appartient.

“Je pense qu’il est déjà assez précis et puissant comme ça, et je doute qu’il apprécie le renfort d’une créature terrestre…” Les gobelins d’Anaëh ont déjà fait les frais d’une petite partie de cette force libérée, et la facilité qu’il a à tordre les vents ou à manipuler l’air, pour chasser ou dans leurs exercices tend à lui assurer la précision… Tant qu’il a une idée précise de ce qu’il veut en faire, les vents et l’air se plient à sa volonté. Il perçoit une confirmation de cette affirmation, il serait même probablement malvenu qu’elle use du même tour qu’il y a quelques instants et puise dans l’Art du dragon pour le mettre à son compte, ou de risquer un retour de flamme.

Après avoir fait tomber la pèlerine, il s’avance, échange sa place avec Sirène, le pas léger, se gardant d’afficher dans son attitude l’enjeu qu’il y a pour lui-même : ne pas se contenter d’être un dragonnier. Il tire Raumo, l’Orage, son épée courte en acier dont la conception elfique d’une élégante simplicité ne fait aucun doute, dépourvue du superflu à l’exception d’une inscription en elfe sur la lame “ainsi, le vent se fit tempête”, car c’était toute la symbolique de l’arme. Il est la part humaine d’une entité dont la colère empreinte la voix du tonnerre et convoque la tempête, son épée se doit d’en partager les attributs. Il laisse pour l’heure sa dague dans son fourreau.

“Dansons, veux-tu ?”

Nehril tiendrait-il la même réserve que contre Sirène, c’est là l’une des seules interrogations qui lui vient avant d’engager le combat.

A quelques égards, le combat entre le dragonnier et le mercenaire fut presque comparable à la démonstration précédente. D’abord particulièrement passif, Nehril incita Drystan à jeter le gant, à sa manière. Un mauvais coup, bien dosé, comme en ne l’apprend dans aucune salle d’arme honorable, et il devint finalement sérieux… Très sérieux.
D’abord surprit par la réponse aussi vive et spontanée du mercenaire – moins par son talent en la matière -, ce fut son tour de se tenir sur la défensive, de subir les assauts sans moyen, d’abord, de produire une ouverture dans laquelle s’engouffrer pour reprendre l’initiative. Pas l’exercice qui lui plait le plus, à vrai dire.
Comprendre qu’il est pas bretteur, le dragonnier, que ce soit l’assassin qui manipule la dague ou le chevalier et son épée, son style et son approche du combat n’a rien de particulièrement élégant ou spectaculaire… Comme ce Grégoire de Mélau – nom qu’il emprunta alors - qui brilla et acquit le surnom de Mentor à l’occasion du Grand Tournoi Royal, c’est par une endurance impressionnante et une efficacité rôdée et précise qu’il se démarque, tout en cherchant à expédier le problème, non par les gesticulations répétées et le chant des armes, ce à quoi le contraint le mercenaire.

Forcément, au bout du compte, et exploitant son allonge, le mercenaire finit par faire mouche. Après cela, ils poursuivirent un bon moment, et petit à petit, il prit lui aussi ses repères, brouillant les cartes, écourtant les échanges, balayant l’avantage de la distance au prix d’un effort physique plus important qu’il pouvait se permettre. Au bout d’un moment, et cette histoire de gant refroidie, ils s’arrêtèrent aussi soudainement qu’ils avaient démarré, jugeant la prestation suffisante pour aujourd’hui.

« Désolé pour le mauvais coup au départ, mais tu me paraissais un peu mollasson. » Il ne peut s’empêcher, sur le ton de la plaisanterie et un sourire qui en dit tout autant. Avec un petit peu plus de sérieux, il ajoute un signe de tête qui veut tout dire, entre « combattant », il salue la technique de son adversaire et lui rend le compliment, pas mécontent de lui-même pour le coup.

L’astre du jour eut le temps de faire une partie de son périple quotidien et sa chaleur se fit sentir : il était plus que temps d’en finir pour la journée.

« Je pense que vous feriez mieux de rentrer à la ville, ça sera bientôt la fournaise. Même pour les natifs de l’Ithri’Vaan, la canicule estivale représente un élément à ne pas négliger, vidant les rues les plus larges pour y préférer des boyaux plus étroit, dans l’ombre des bâtiments. On apprend, on s’y habitue, on vit et œuvre davantage le matin et le soir, ou la nuit, et en se met à l’abri au plus fort de la journée.  On se revoit demain, si je comprends bien. La bonne journée ! » Dit-il, l’air de rien, se redirigeant vers son dragon, récupérant sa pèlerine au passage.
Avec une facilité née de l’habitude, le revoilà sur son dos, Monarth regagnant le confort de sa petite sacoche avant qu’avec aisance et puissance, le Dragon Blanc s’arrache à la terre, d’une impulsion de ses pattes arrière bien vite accompagné de réguliers battements d’ailes.

Bientôt, le dragon s’élève et s’éloigne trop pour être encore aperçu.

Sirène observait mais ne disait rien. Un sourire discret s’était dessiné sur son visage tandis qu’elle constatait l’efficacité des deux guerriers. Leurs styles étaient diamétralement opposés mais ils se tenaient tête mutuellement. Leur façon de combattre, l’énergie dont ils faisaient preuve et le soin qu’ils prennaient à ne pas se blesser l’un l’autre en disaient bien plus long sur eux qu’ils ne le pensaient peut-être. Elle les regarda se saluer d’un oeil satisfait. Stephen les avait bien choisi…
Elle ne cacha pas son amusement devant l’humour de Drystan qui ne trouva qu’un sombre écho chez son partenaire de joute. Si le premier la fascinait, le second l’attristait. Mais ce n’était pas le premier dans sa situation qu’elle rencontrait et elle avait bien l’intention de lui apporter son concours, comme promis. A la semie-question du dragonnier, Sirène hocha la tête. En effet, elle leur redonnait rendez-vous dans cette même clairière à la même heure de lendemain. Et ce tous les jours jusqu’à la fin de leur contrat. Si tant est que ce soit le seul qu’elle leur propose…

Elle observa avec intérêt Drystan s’en aller et Pradias s’élancer dans les airs. Elle ne put s’empêcher de penser qu’un tel décollage devait lui demander une énergie folle… Mais ce n’était qu’une constatation.
Puis, baissant les yeux, elle retrouva ceux du mercenaire et lui adressa un chaleureux sourire.

-Vous me raccompagnez ? Demanda-t-elle innocemment.

Nehril accepta, pour sa plus grande joie et tous deux cheminèrent ensemble jusqu’aux portes de la cité.