Mieux vaut Thaar que jamais | Grayle

7ème jour de la 4ème ennéade de Favriüs de l'an 17:XI
Sur la côte au nord de Thaar, à quelques kilomètres de la ville.
Tôt dans la nuit.

Libre.

Ce mot résonnait encore et encore dans la tête de la cavalière qui ne pouvait s'empêcher d'être pensive en observant l'horizon. Seule, seul le vent qui soufflait sur sa capuche, les sabots de sa monture qui se posaient tour à tour au sol et le frémissement lointain des vagues lui tenaient compagnie. Un trajet depuis la cabane de Lolri qui n'était pas une très grande distance, mais, perdue sans ses pensées, il sembla durer une éternité. L'elfe était libre, plus aucune chaîne ni aux poignets ni aux chevilles, plus de collier de métal froid, plus de drow sur son dos... c'était comme être un phénix mais sans avoir de masque, pensa-t-elle dans un premier temps. Mais elle savais qu'en réalité, c'était l'inverse, elle allait être elle-même et porter un masque. Les rares fois où elle est passé à Thaar pendant son esclavage lui permettent de savoir qu'il y a des drows là bas, des drows fidèles au Puy, des marchands et des esclavagistes entre autres. Si la différence était ténue pour eux, elle avait son importance pour Cirincë, et qu'ils croupissent tous dans les P'leik, il était hors de question de se faire attraper de si-tôt. Changer de nom et de visage, autant que possible, c'était la moindre des choses, combien de temps allait-elle devoir rester à Thaar ? Impossible à dire, si la ville n'était pas sans risque, voyager seule sur une longue distance l'était encore plus, et connaissant les effectifs posté à Sol'Dorn, il vaudrait mieux faire profil bas dans les ennéades à venir.

Et puis, partir, pour aller où ? Tout s'est passé si vite, l'elfe s'était résignée à passer sa vie entière en tant qu'esclave, ses perspectives d'avenir étaient très limité, et aujourd'hui, elles devenaient infinies... et Thaar avait beaucoup de choses à offrir...

*******   *******   *******

Une fois en ville, l'elfe évita au maximum de croiser d'autres personnes. Même en pleine nuit, la ville était vivante et ne manquait pas de regards, discrets pour certains qui semblait tout comme elle éviter les ennuis, plus indiscrets pour d'autres, mais l'elfe se méfiait principalement des drows. Elle passa ensuite chacune de ses premières nuits dans une auberge différente, lui permettant par la même occasion d'un peu mieux connaître la ville. Après ces quelques jours, c'est une toute nouvelle personne qui arpentait les rues de Thaar.

Un style vestimentaire changé, des cheveux légèrement raccourcis et devenus noirs comme les plumes d'une corneille. Tout devait être remplacé... y compris ses lames drows... mais alors que sa main se portait dessus, un sourire en coin s'installait sur son visage. Il est vrai qu'elle pourrait en tirer un très bon prix, de quoi acheter d'autres épées plus neutres. Mais était-ce vraiment discret de vendre ces armes ? Pas tant que ça en réalité, en voilà une raison de les garder ! Mais soyons honnête deux minutes, l'elfe n'avait aucunement l'envie de s'en séparer de toute façon. Après tout, ces lames sont ses ailes, celles qui lui permettaient de s'envoler, d'échapper un peu à sa condition d'esclave l'espace d'un moment, alors en ce jour de liberté, elles siégeront à ses flancs, couvertes d'un fin tissu noir opaque, prête à être tirées de leur fourreau en cas de besoin... ne souhaitant pas voir ce moment arriver trop vite. Il va de soit qu'il vaudrait mieux éviter de se battre, et dissimuler sa magie également. Pratiquer à l'abri de tout regard, ne pas être une gladiatrice sans maître aux yeux des habitants de la ville, devenir tout autre chose.

Elle se regardait dans une glace, les pensées se bousculaient dans son crâne sans relâche. "...Qui êtes-vous, mademoiselle ?" se dit-elle avec un sourire amer, autant amusée que mélancolique. Une question si simple qui pourtant la laissait sans voix, incapable d'y répondre. Qui était-elle ? Un masque tombait pour en laisser apparaître un autre, l'histoire semblait se répéter. Cirincë ? Non...

Cirincë est morte.

Elle est morte le jour où elle fut récompensée par un séjour dans les fosses après avoir protéger les petites affaires d'une triumvir. La méritocratie tant vantée des sombres, un charnier sans espoir, même selon des critères d'esclaves. "Lorsque l'Eda vengeur se présentera, il aura déjà un sacré travail de fond à accomplir au Puy d'Elda". Cette même triumvir qui avait évincé la seule drow que l'elfe était arrivée à apprécier... Viconia... puis les phénix... Hjaldr... malgré sa liberté, elle tiendrai ses engagements envers eux, envers ses amis. Oui, elle n'avait plus peur de se l'avouer, c'était ce qu'ils étaient devenus pour elle, et c'était grâce à eux qu'elle pouvait découvrir les joies de la liberté. Ou plutôt... "re"-découvrir ? Toujours impossible de se rappeler... de savoir ce qu'il y avait eu "avant". Des brides indescriptibles, guère plus. Elle n'était pas dupe, elle savait bien que Viconia lui avait fait des choses... et en avait défait d'autres... l'elfe prenait conscience de plus en plus de choses sur son passé trouble. Pire encore, celui-ci semblait vouloir resurgir par moment. Tout cela pour en revenir à la question initiale : qui était la personne que l'elfe fixait dans le miroir ? La seule réponse qu'elle pouvait bien se trouver était "celle que tu as envie qu'elle soit"

N'était-ce point ça, être libre ?

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Capuche sur la tête, c'est une grande silhouette obscure parmi tant d'autres qui quitte l'auberge en cette fin d'après-midi. Vivre sur ses réserves serait un très mauvaise idée, si l'elfe voulait rester un certain temps à Thaar, ça ne ferait qu'attirer les curiosités et les convoitises, en plus de ne pas être une stratégie viable sur le long terme. Elle allait devoir trouver de quoi se faire une rentrer d'argent, vivre comme une personne "normale" au moins pour un moment. Plus facile à dire qu'à faire. Dans le hall de l'auberge où elle crèche, elle parcours en long un tableau garni de primes et d'annonces en tout genre. A vrai dire, elle s'attardait surtout sur les annonces qui ne concernait pas la chasse à l'homme.

Quelques coups d’œils aux alentours, de temps en temps. D'habitude elle se contente d'une observation rapide et sommaire, une analyse de la carrure, des armes portées, et le regard qui trahis bien souvent les intentions. Mais cette fois-ci elle s'attarde un peu... Un humain, plutôt grand et bien bâti, les cheveux grisonnant et des yeux gris clairs qui contrastent fortement avec une peu légèrement tannée. Il y avait quelque chose de particulier chez lui, mais il fallut un moment à l'elfe pour comprendre quoi. C'est vrai qu'elle le trouvait plutôt séduisant, mais ça n'était pas la raison en l'occurrence...

... Son visage, elle resta un petit moment sur son visage, elle l'avait déjà vu quelque part, les doutes se dissipèrent progressivement, jusqu'à ce qu'une image lui revienne clairement en tête... une arène, ici même à Thaar... du sable... cet homme devant lui et ... une faux.

Un esclave, ou plutôt un ancien esclave ? Pour quelle raison un esclave se retrouvait-il dans une taverne, seul, et avec des vêtements qui n'avaient clairement pas l'allure d'être une façon d'habiller un esclave. Affranchi ou échappé ? Peu importait au fond. Le cocasse de la situation lui arracha un de ses rare sourires. Lorsque c'est yeux revinrent sur les annonces, elle vit un appel pour la récupération d'esclaves enfuit.

L'elfe arrache la feuille du tableau et l'écrase dans sa main, jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'une boule de papier, la plus compacte possible.

La grande elfe se mis à marche en direction de la tablé. Une démarche naturelle et élégante contrastait sa silhouette sombre et menaçante. Elle se déplaçait sans montrer aucun signe de stress ou d'incertitude. Si elle venait de se faire reconnaître, il valait mieux mille fois que ce soit par ce jeune homme que par n'importe qui d'autre.

Retirant sa capuche, exposant ses longs cheveux noirs davantage, l'elfe se tenait debout, juste à côté de la table.

- Grayle... dit-elle d'une voix claire.

Après une très courte réflexion, elle pencha légèrement la tête sur le côté et repris, avec un volume de voix beaucoup plus ténu cette fois, aisément couvert par le bruit ambiant de la taverne qui empêcherait ses prochains mots de porter plus loin que l'oreille de l'homme assis devant elle.

-... Esclave Grayle...

Sa main vient se poser sur le dossier en osier de la chaise situé sur sa droite, et tire celle-ce sur une trentaine de centimètre en arrière afin de s'y asseoir. Poussant les fourreaux de ses lames afin de prendre ses aises, elle pris soin de les garder couvertes le plus possible. Puis balaya rapidement du regard la salle avant de continuer.

- Ex-esclave Grayle...

Ses yeux revinrent dans le gris nuage des siens, une esquisse de sourire se dessinait sur son visage. Un rictus sincère derrière lequel ne semblait pas se cacher quelconque mauvaise intention. Elle s'affale un peu, appuyant son dos sur sa chaise, étendant ses jambes devant, croisées au niveau des chevilles.

- On profite de s'accorder quelques libertés à ce que je vois...

Il y avait un sensible fond de moquerie dans son intonation.

-...Hmph... ce n'est pas comme si j'allait t'en blâmer, on y prend goût assez vite, il faut bien le reconnaître.

Il était tendu, malgré son attitude des plus décomplexée, l'elfe pouvait le sentir.

Une tension qui toutefois n'était pas synonyme de peur. Non. C'était une tension plus matérielle, physique, il s'apprêtait. L'homme à la faux peu assuré qu'elle avait affronté jadis semblait avoir beaucoup mûri. S'imaginait-il que l'elfe avait pour ambition de le ramener ? Une pensée qui lui paru forte amusante compte tenu de sa situation.

À l'aise sur sa position, elle écoutait avec une curiosité non dissimulée les morceaux de vie que l'homme révélait l'un après l'autre, avant de voir une choppe glisser sur la table et s'arrêter devant elle. Celle-ci prise en main et levée brièvement pour marquer le coup, elle s'essaya au liquide si populaire auprès des humains. Un goût amère lui empli la bouche, une sensation âpre immédiate qui laisse rapidement place à une saveur plus fruitée... cette boisson paraissait étrange aux papilles de l'elfe. Elle en pris une gorgé modeste avant de reposer doucement la choppe.

-...est-ce que tu comptes y retourner ?... chez toi je veux dire.

L'elfe semblait avoir éluder la demande de Grayle dans un premier temps. Elle semblait bien pensive tout à coup, elle avait besoin d'exprimer certaines choses, de se libérer la conscience.

-...je ne suis que de passage... elle regarde Grayle d'un air faussement amusé, la voix partant sensiblement dans l'aiguë. ...Enfin, je crois.... à vrai dire je n'ai pas la moindre idée d'où je vais. Il n'y a plus personne pour me dire ni où aller, ni quoi faire... Je ne vais pas m'en plaindre, c'est certain, mais j'ai bien peur d'en avoir oublié de vivre normalement.

Regardant tour à tour les clients de la taverne, par un balayage simple et rapide des yeux, l'elfe s'interrogea. Était-il prudent de s'ouvrir si vite à quelqu'un qu'elle connaissait que peu. C'est vrai qu'il avait plus ou moins traversé un destin similaire après tout, et elle, elle s'était rendue compte en ces quelques jours qu'elle n'était qu'un bébé dans cette nouvelle vie, pleine d'opportunités, mais aussi de dangers qu'elle ne connaissait pas encore.

L'humain semblait s'être bâti un petit quelque chose de solide, l'expression de l'envie se dessinait sur la rouquine aux cheveux de jais. Une envie, pas une jalousie. En réalité l'elfe avait l'air plutôt heureuse d'apprendre que la vie pouvait malgré tout sourire aux anciens esclaves qu'ils étaient.

De sa main, elle souleva quelques mèches de ses cheveux qu'elle laissa retomber sur son épaule, la mine grave et mélancolique.

"Libre... l'étais-je vraiment...? Alors que l'idée de montrer mon vrai visage me fasse peur aujourd'hui encore... Un masque, une fois de plus... je n'étais que la prisonnière d'un nouveau rôle, un personnage sans nom qui n'était plus l'esclave de quiconque...

...si ce n'était de lui-même."

Plusieurs fois, l'elfe soufflait de l'air par le nez tout en esquissant des sourires amusés alors que les phrases de Grayle se succédaient. A peine était-elle en train de réfléchir sur les derniers mots de ce dernier qu'une nouvelle phrase venait supplanter ou étayer la précédente.

Rester ici, ne rien faire... Thaar était bien trop cosmopolite et dangereuse pour une elfe marquée au fer rouge. Rester trop longtemps se révélerait bien vite comme étant bien imprudent, pas en restant seule du moins... mais à qui pouvait-elle avoir confiance dans un pays où l'argent et le profit achètent même la loyauté ? Elle savait qu'elle ne pourrait jamais profiter totalement de sa liberté tant qu'elle serait ici, entourée. Le tissu fin et large qui était enroulé sur son avant-bras était là pour le lui rappeler. Drapant de noir son membre du coude jusqu'au poignet, l'elfe le gardait en permanence, et prenait bien garde à ce qu'il tienne.

- Pour être franche... je m'étais résignée à vivre mon entière et longue vie en Elda... ce n'est pas comme si j'avais beaucoup d'espérance pour les lendemains... juste... faire en sorte qu'il y ait un lendemains, et que celui-ci ne soit pas trop pourri.

Jouer le jeu, jouer leur jeu, faire en sorte d'être suffisamment appréciée et serrer très fort les fesses pour que ça se passe bien. L'esclave qui jadis répondait au nom de Cirincë y avait plutôt bien réussi, perdue pour perdue, il valait mieux se faire détester des autres esclaves, impuissants, que des maîtres qui faisaient le jour et la nuit.

Continuant son écoute du discours de Grayle, l'elfe dû néanmoins contenir de rire. Six ans, elle avait bien entendu, six ans de captivité. Cela lui paraissait d'une telle trivialité. En empêcha sa bouche de s'ouvrir afin d'étouffer son rire nerveux, par respect de son interlocuteur.

Mais son expression joviale redevint sérieuse d'un coup. Le oreilles redressées et les sourcils froncés. Visiblement, elle venait d'entendre quelque chose qui la dérangeait fortement.

- Ne prononce. Plus. Jamais. Ce nom.

Personne ne semblait les écouter, ou en tout cas son regard chercheur ne vit aucune tête se tourner vers eux à ce moment là, donc la situation n'était pas si grave que ça.

- En plus tu le prononces atrocement mal. reprit-elle en gloussant, détendant l'atmosphère.

- Je me sentirais bien nue sans mes lames... et puis, j'ai encore quelques têtes à décoller de leurs épaules. Elle se saisie de sa choppe et termine d'un coup sec le fond de bière qu'il y reste. Il serait dommage de gâcher le seul talent que j'ai...

... je ne me rappelle pas de ma vie avant... Je sais juste que... je ne suis pas née au Puy, mais le plus vieux souvenir qu'il me reste c'est... enfin j'y étais déjà...

Ce jour... Il ne se passe pas une seule ennéade sans qu'il ne revienne hanter mes nuits.

Ce jour... la première fois que l'elfe pris une vie... un elfe dont elle ne se souvient ni du nom ni du visage, seulement de son cri alors qu'un bout de métal acéré plongeait dans son buste sur toute sa longueur, non sans couvrir de sang ses mains tremblantes aux doigts rachitiques de l'époque. Après s'être infligé une fois de plus cette vision, elle repris.

- Je ne tiens pas à ce que ce cauchemar reste beaucoup plus longtemps mon point de départ. Je veux pouvoir mettre un nom à celle que je vois dans un miroir... connaître son véritable nom, même s'il ne définie pas qui je suis maintenant... Je voudrais... que tout ceci ait un sens...

Elle se plongea un moment dans le silence à nouveau, puis repris bien vite avec une mine navrée, mais en même temps souriante.

- Tu dois vraiment te dire que je suis stupide.

Elle rit brièvement.

- Voilà qu'enfin je retrouve la liberté après un siècle de tortures, de viols et de combats, et au lieu de me tourner vers l'avenir, je pars à la recherche du passée. Elle hausse les épaules et soupire.

Définitivement, le garçon avait mûrit.

Les humains grandissent si vite, ils semblaient pouvoir s'adapter à tout en si peu de temps. L'inconnu d'hier deviendrait un acquis de demain. Aussi surprenant cela puisse-t-il paraître, l'elfe les enviait parfois. Cette faculté de se relever à peine eut-ils trébuché, était-ce l'éphémérité de leur vie qui leur donnait cette force, ce dynamisme si surprenant ? À quoi bon traverser les siècles si c'était pour restée prisonnière du passé ?

L'Anaëh.

En écoutant avec intérêt les paroles de Grayle, quelque chose s'était éclaircit dans son esprit. Les ombres du Puy étaient derrières elle, et elle ferait mieux de les y laisser. Ce que l'elfe devait faire lui paru évident tout à coup. Une destination, un objectif, l'Anaëh. Un lieu où elle obtiendrait les réponses qu'elle cherche sur son passé, mais pas seulement. C'est aussi pour son futur qu'elle se rendrait dans sa forêt natale.

Acceptant l'invitation à sortir d'un aimable signe de tête, l'elfe se remis sur pieds et accompagna le jeune homme dehors, sans trop prêter attention à ses camarades de boisson qui lui adressait quelques mots dans une langue qu'elle ne maîtrisait que trop peu.

Le ciel nocturne était magnifique.

- La dernière fois que j'ai regardé les étoiles, j'étais aux côtés de Viconia... Je n'aurais jamais imaginé pouvoir observer le ciel nocturne de si tôt.

Le vent lui soufflait les cheveux sur le côté, rabattant parfois quelques mèche sur son visage qu'elle déplaçait ensuite derrière son oreille dans un soupir.

Découvrir le monde, pouvoir plonger son regard dans les étoiles quand elle le souhaite, l'elfe ne demandait que ça, seulement, il n'était plus vraiment question de partager quoi que ce soit avec qui que ce soit. Ils ont voulu faire d'elle une machine à tuer... qu'il en soit ainsi, elle ne laisserai plus rien ni personne l'entraver désormais.

Il y avait de la place pour tout le monde... et la place de ceux qui se dresseront encore sur son chemin sera au cimetière. Un afflux d'émotion négatives lui enserra la poitrine, comme un serpent enroulé sur son corps, le comprimant un peu plus à chaque expiration, sifflant d'horribles choses de sa langue fourchue. Elle n'a jamais choisit d'être comme ça, mais c'était à elle de choisir maintenant ce qu'elle en ferait. Lassée de se battre pour une vaine gloire ou pour le plaisir d'un maître, l'argent non plus ne ferait pas son bonheur. Lassée et pourtant, un grondement en elle n'en appelait qu'à ça, le combat, la fureur, le sang, comme s'il étaient une partie intégrante d'elle et que sans eux, elle se sentait effacée.

Ses yeux avaient quittées les hauteurs célestes pour s'abaisser au niveau de la mer. Le conflit dans ses pensées. Le temps semblait suspendu...

Grayle s'approchait, et les iris de celui-ci se rivaient dans les siennes, qui le lui rendait. Et soudain... une étreinte. L'elfe ouvrit grand les yeux de surprise.

Dans l'immédiat, elle s'en voulait terriblement quand elle constata qu'une de ses mains s'étaient par réflexe saisit d'une de ses lames noires. Les doigts crispés sur le pommeau, elle dû réunir ses efforts pour enfin les faire lâcher prise. Puis elle s'essayait à reproduire l'enlacement de ses propres bras, avec une hésitation manifeste. Qu'avait-elle fait pour mériter un tel geste d'affection ? Elle se le demandait bien mais là, maintenant, elle se sentait apaisée. C'était comme une façon de lui dire que son cauchemar avait pris fin.

Un souffle court par le nez, deux yeux qui se ferment quelques secondes, et une étrange sensation sur le visage. Une petite perle d'eau, juste une, venait de quitter le bord de sa paupière pour dévaler toute la longueur de sa joue droite pour se stopper à la commissure de ses lèvres. Un mot, à peine audible.

- Merci...

Impossible de dire combien de temps sont-ils resté comme ça... Puis au bout d'un moment, ils se séparent. Confuse, mais pas la même confusion que tout à l'heure. Confuse car l'elfe ne savait plus où se mettre ni quoi faire, mais une expression heureuse s'était invitée sans qu'elle y prenne garde.

Elle resta un moment silencieuse à regarder Grayle avant de chercher à brutalement changer de sujet. Avec toute la maladresse du monde.

- Hem... Bon... heum... t'aurais pas de la place chez toi ? Un tapis de sol, un truc, peu importe... ?

Il avait accepter avec enthousiasme... mais semblait beaucoup réfléchir ensuite.

- Tu... Je voudrais pas te mettre dans l'embarras, tu sais, je peux bien passer une nuit de plus dans une auberge s'il faut.

Miriel... Non, ce nom ne lui disait rien. Ainsi Grayle s'essayait à reconvertir les mercenaires, les détourner de leurs belliqueuses missions. Malheureusement, il était difficile de convaincre quelqu'un qui devait sa survie à des armes de les déposer aussi simplement et de s'en séparer.

Il était inquiète pour elle, ça crevait les yeux. Aussi l'elfe s'essaya un quelques mots pour le rassurer.

- Se battre, c'est avant tout éviter de se faire blesser. Il n'y a pas d'intérêt à se lancer dans des batailles romancées où on essaie de tuer tout le monde et tant pis si on y reste. Si, comme tu dis, Miriel a un parcours similaire au mien, elle le sait aussi. D'autant qu'elle a beaucoup à perdre.

L'elfe jette un regard semi-souriant vers Grayle.

- Seul les fous se battent pour la mort, les braves se battent pour la vie.

Sur ces paroles, le duo termine son cheminement à travers les rues de Thaar. Une bâtisse quelque peu excentrée s'érigeait non loin de la mer. Une fois la porte ouverte, ils pénètrent dans la maisonnette. Le palais était des plus modeste mais possédait toutefois un charme qui lui était propre. Pas si différent des chambres d'auberges bon marché, et toujours beaucoup mieux que n'importe quelle couche du Puy qu'elle ait pu connaître...mais de là à lui dérober le lit...

-...Non Grayle je peux pa-...

Toute forme de protestation fut immédiatement interrompu. Grayle semblait décider à lui céder le lit de bon cœur malgré tout.

-..Tu es sûr de toi ? J'espère que tu as au moins une paillasse ou quelque chose.

Elle soupirait, visiblement gênée. Puis elle se perdit dans quelques pensées. Être chez soit, avoir son foyer, allait-elle pouvoir connaître ce sentiment une fois arrivée au bout de son voyage ?

- Eh bien... Je vais prendre le risque de me répéter mais... Merci.

En toute sincérité, elle avait pris goût à dire merci. Un mot qui se fait rare au Puy, surtout quand on y est esclave. Excepté quelques pervers qui exigent un merci alors qu'ils punissent, l'elfe n'avait pas eu l'occasion d'en faire usage très souvent, encore moins avec sincérité... alors que pourtant, ça ne coûtait pas cher et ça faisait du bien, à tout le monde.

Peut-être baisserait-elle un peu sa garde pour une fois. L'endroit était relativement éloigné des grands lieux de passage. Puis, Grayle n'avait à ses yeux vraiment pas le profile à lui faire des coups bas. Cependant, les habitudes sont tenaces et en ce qui concerne la cohabitation avec des voisins de cellules potentiellement hostiles, elle n'en était pas à son coup d'essai... Au pire, une revanche ne l'effrayait pas.

Commençant à prendre quelques aises, l'elfe retirait la couche supérieure et ample de ses vêtements qui la drapaient de noir, révélant ainsi une nouvelle silhouette plus fine cette fois-ci. Porté sur des cuirs fins et serré, tous ne répondaient qu'aux couleurs de la nuit. Ses lames étaient elles aussi des plus visibles maintenant, les gardes cruelles et acérées dépassant de ses hanches plongeaient dans des fourreaux d'ébène légèrement ornés. Les ceintures croisées qui les tenaient se desserraient et bien assez vite, les deux épées se retrouvaient sur le lit, côte à côte. Son avant-bras droit portait une chaînette discrète, strictement attachée.

- Tu croix qu'on pourra se baigner dans la mer demain ?

Les derniers jours avaient été difficiles, mais fort payants. Un autre marchand qui avait eu besoin de service pour un transport de marchandises. C’était rarement les tâches les plus palpitantes, mais au moins cela laissait l’opportunité à la demie-elfe de prendre l’air loin de Thaar. La route avait été longue, et le soleil commençait doucement sa levée dans le ciel. Enrobant ainsi Thaar d’une légère lueur orangée. C’était une vision idyllique, presque parfaite.


« Oh Miriel »


La mercenaire se retourna doucement, observant son voisin alors que la douce lueur matinale éclairait le ciel de Thaar. Son visage était inquiet, ses yeux tirés, Miriel s’approcha d’un pas inquiet vers son voisin, elle avait toujours apprécié ce vieillard et sa femme. Cela lui avait toujours semblé un couple idéal. Deux êtres qui s’aimaient d’un amour sincère et qui tentaient de finir tranquillement leurs vies ensemble. Peut-être était-ce son rêve de finir comme cela avec Grayle? Qui sait? «Que se passe-t-il », murmura-t-elle alors qu’elle fut tout près de lui au cas où un danger était dans les environs.


«Bah, c’est-à-dire… Grayle. eum »


La mercenaire eut un regard inquiet avant de plisser un œil, légèrement interrogatif.  «Disons qu’il a de la compagnie. Moi et ma femme on l’a vu entrer hier soir avec une rouquine… Je crois que vous devriez être au courant… Un brin de jeune fille comme vous ne devrait pas vous faire avoir comme ça… » Le visage de l’hybride se referma tandis que ses yeux se plissèrent. Que venait-il de dire? Le vieil homme hocha rapidement la tête «Surtout quand on sait que vous vous tuez au travail… » Le vieillard mit doucement sa main sur son épaule en la serrant doucement, tentant de se faire rassurant, mais devant l’air de la demie-drow il se doutait bien qu’il ne pouvait rien dire pour la rassurer. Il tourna rapidement les talons, retournant  dans sa maison en fermant derrière lui, sans jeter un quelconque regard à l’hybride derrière lui. Inconscient de la flamme qu’il venait d’allumer chez la demie-sombreelfe.  Miriel sentit sa respiration s’accélérer, pendant que ses poings se resserraient rapidement.  Son cœur s’était soudainement arrêté de battre, et elle avait un goût de cendres dans la bouche, comme si tout son bonheur venait soudainement de s’envoler.


Et cette colère sourde…


Le visage impassible la mercenaire tourna rapidement les talons, faisant face à la maison. À leur maison.  Elle resta là, impassible devant la maison. Se demandant si cela était vrai, si son avenir venait soudainement de se détruire… On lui avait souvent dit qu’être mercenaire était une mauvaise idée. Les voyages, les longues absentes n’aidaient en rien un couple. Surtout un couple aussi jeune qui apprenait encore à se connaître l’un et l’autre. Qui plus est, est-ce que la


La porte d’ouvrit avec un grand fracas, se retrouvant contre le mur en faisant trembler les assiettes sur une des étagères. L’hybride n’était pas stupide, elle s’était volontairement enlevée du cadre, si la femme à l’intérieur était le moindrement habile, elle aurait pu aisément lui lancer une dague à la gorge. Après une minuscule seconde – et aucune lame fichée contre le mur – la mercenaire prit son courage à deux mains et entra rapidement dans la maison. Le spectacle qui se déploya devant elle fut des plus décourageants. Grayle, dans un coin, les vêtements froissés et une rouquine avec peu de vêtements… un peu trop déshabiller dans son lit. Les prunelles grisâtres se portèrent sur les vêtements qui jonchaient le sol. Oh elle allait la tuer. Comment osait-elle? Ses prunelles cendrées se retournèrent sur la rouquine, ses poings bien serrés. Elle était mieux d’avoir une foutue bonne explication avant que sa gueule ne soit détruite par l’hybride. Sans jeter un regard à Grayle, ses mots résonnèrent dans la pièce; «C’est quoi ce bordel?  C’est qui elle? » Sa main se déplia soudainement, prête à réagir au besoin. Elle n’avait jamais juré devant l’humain, jamais exprimé une once de colère devant lui. Mais cette fois il avait été beaucoup trop loin…

Le calme, le silence, l'obscurité, après avoir défait le noir artificiel qui couvrait ses cheveux, l'elfe resta un moment allongée sans dormir. Était-elle méfiante ou juste pensive ? LE temps s'écoulait doucement jusqu'à ce que le sommeil ne vienne la chercher à son tour, après celui de Grayle qui semblait avoir déjà partit depuis un moment. Il venait de l'appeler "Ciri" ? Elle lui avait pourtant dit de ne plus l'appeler comme ... ça ressemblait à un nom de personnage de roman fantaisiste mais ... vrai que ça ne sonnait pas si mal.

Sans même y prêter attention, l'elfe se retrouva à arpenter ses rêves devenus inhabituels. Tandis qu'elle se voyait marcher dans la brume, elle semblait se trouver au beau milieu d'une immense forêt. Des arbres sombres pendaient des chaînes, enroulées autours des branches et des troncs. Des murmures venaient de toutes les directions les uns après les autres. Un sol jonché d'ossements que la terre engloutissait peu à peu, puis l'elfe vit des brins d'herbe et quelques fleurs pousser, passant entre les côtes d'une cage thoracique qui traînait là. Enfin, le soleil, chassant la brume, et pas seulement. Ses rayons agréables libérait les arbres de leurs fer, qui tombaient avec fracas.

Un fracas qui la fit se réveiller en sursaut. La porte venait de subitement s'ouvrir dans un secousse. Se pouvait-il qu'ils aient été suivit par des chasseurs de prime ? Personne n'entra dans l'immédiat, ce qui permis à l'elfe de se lever en toute hâte et d'empoigner l'une des deux armes qui dormait à ses côtés. Une seule épée, plus pratique et plus rapide pour les endroit clos. Un léger frisson lui parcouru le bras et le dos alors qu'elle tirait la lame noire de son fourreau. Pour être franc, elle espérait vraiment de pas avoir à se battre de si bon matin, et encore moins ici. Une épéiste peu vêtue et décoiffée, mais loin d'être toute nue. Une gladiatrice avec une épée l'est d'autant plus.

Puis, rapidement, "l'intruse" pénétra dans la demeure, une jeune femme très pale de peau, aux cheveux blancs, un peu plus petite que l'elfe. Elle avait presque un air fantomatique. Un genre de fantôme très énervé qui plus est. La rouquine évalua pendant un moment la situation, ainsi que la nouvelle venue. De toute évidence, à en croire ses mots et ses gestes, elle était passablement énervée, et sur ses gardes. Pour une fois, et parce qu'elle le doit bien à Grayle, l'elfe allait tenter de résoudre l'affaire avec diplomatie... mais sans y faire attention, c'est en drow qu'elle se mit à parler.

- Tu dois être... Miriel ?

La sombre lame rentra dans son fourreau de nouveau, un acte qui se voulait assez flagrant comme pour signaler qu'elle n'avait pas l'intention d'attaquer. Sa main en revanche restait sur la poignée du sabre, comme pour signaler qu'elle se défendrait si le besoin venait à arriver.

- Grayle m'a hébergé pour une nuit... Et. C'est. Tout.

Elle se montrait peut-être un peu sèche dans ses mots, mais elle accordait l'importance de ceux-ci dans leur sens et dans leur clarté. Sans avoir répondu aux deux questions de la dame blanche, l'elfe estimait avoir fournit l'essentiel. Elle aurait souhaiter jeter un regard à Grayle mais pour le moment, quitter des yeux un assaillant potentiel était hors de question.

«Grayle m'a hébergé pour une nuit... Et. C'est. Tout.»


L’hybride ne lâcha pas son regard cendré de l’elfe qui était devant elle. Son ton sec, cassant… Vraiment? Elle voulait jouer à ça? Elle ne savait pas à qui elle avait affaire! Elle lui casserait le moindre de ses os à cette rouquine! Dans son lit en plus! À croire que personne n’avait du respect pour qui que ce soit! Ex-esclave ou pas… quelle importance? C’était probablement le genre qui ne respectait personne d’autre que sa pathétique petite personne.  


«Telanth ulu uns'aa sohna pholor nindol i'dol lueth usstan shlu'ta dos  tlu ulu telanth natha xan'ss sohna.»
« Parle-moi encore sur ce ton et je peux t’assurer que t’auras plus de dents pour articuler.»


Son regard avait beau être fixé dans celui de l’intruse, mais la mercenaire ne manqua pas la main sur son sabre. Pour qui la prenait-elle? Elle aurait pu la tuer dans son sommeil! Qu’elle l’attaque juste pour voir!


«Exactement !»


Grayle se mit alors devant elle avant de lui embrasser la joue.  Essayant de la calmer, ou de s’interposer entre elle et l’elfe, il connaissait assez bien ces capacités pour savoir que cela n’empêcherait pas réellement l’hybride si elle voulait attaquer l’elfe. Mais soyons honnête, ce n’était pas seulement elle le problème… Miriel resta droite comme une barre de fer, refusant de se laisser attendrir par celui qu’elle aimait. Elle sentit ses grandes mains sur ses épaules menues avant que cette dernière ne se place devant elle  pour la faire pivoter. Il n’y avait maintenant plus rien entre les deux femmes.


«Miriel ma douce, je te présence Ciri ! C'était une esclave du Puy que j'ai rencontré il y a quelques années. Elle s'est échappée, comme nous, et cherchait un refuge pour la nuit !»


Ses poings se crispèrent un peu plus sur la manche de son poignard, prête à l’envoyer en pleine gueule de la rouquine, mais elle se retint… Son regard glacial ne bougea pas de l’intruse, elle pencha légèrement la tête, défiant toujours celle qui était dans son propre lit. Miriel pouvait sentir l’envahir, telle une passion incontrôlable, elle sentait sa colère s'embraser, comme un torrent qui grandissait toujours un peu plus en elle... Puis Grayle vint planter le dernier coup…


«Vous avez un peu en commun... mais je pense que faire connaissance autour d'un lait chaud serait plus approprié qu'à couteaux tirés... vous ne pensez pas, mesdames ?»


Miriel se dégagea doucement de l’étreinte de Grayle avant de faire quelques pas de reculons, comme pour s’en vers la porte. Vraiment? C’était tout ce qu’il avait à dire?  Non, elle n’avait pas envie de faire connaissance avec la rouquine qui dormait avec Grayle.  Elle ne s’était jamais sentie aussi trahie par quelqu’un qu’elle aimait autant. Son regard furieux se retourna vers l’homme qu’elle aimait, «Vraiment? Je ne crois pas que l’on est une seule chose en commun moi et elle. » Elle rengaina soudainement sa dague avant de secouer la tête. «Moi je ne détruis pas les couples. » Elle avait été idiote de croire qu’il l’attendait ainsi. Idiote de pensée que cela pouvait marcher. Combien de fois avait-il invité des femmes ainsi alors qu’elle luttait pour sa vie, pour revenir à ses côtés?  Son regard se retourna rapidement vers la dénommée Ciri. Elle plissa des yeux un moment, avant de retourner son regard glacial sur Grayle.  « Partage-le avec elle ton lait chaud. Je n’ai plus rien à faire ici.  » Sans attendre, l’hybride tourna les talons, faisant virevolter ses longs cheveux blancs en sortant de sa maison. Elle attrapa d’une main rapide le sac qu’elle avait laissé à la porte avant de s’engager dans la rue, elle n’avait plus rien à faire ici.

- Ton homme, je n'y ai pas touché.

De nouvelles paroles sincères qui essayaient de rattraper le coup. Une manœuvre complexe que l'elfe n'était pas forcément habituée à gérer. L’honnêteté ne semblait guère atteindre la nouvelle arrivante, il allait falloir la mettre face à ses contradictions.

- C'est toi qui décide ce que tu fais de ton couple, ne viens pas me mettre là dedans.

Elle répondait avec un détachement complet. Ni colère ni moquerie, un air légèrement désolé dans ses mots mais aucune autre émotion réellement perceptible. La situation paraissait mal engagée, la dame blanche semblait déjà résolue à partir sans autre forme de procès.

- Il t'aime... sans aucun doute, mais pour partir ainsi, ce n'était peut-être pas réciproque après tout.

La piquer au vif était la seule solution qui paraissait encore possible pour la faire revenir, et qu'importe si elle allait lui sauter à la gorge pour cette phrase, l'elfe était prête à se défendre... et n'appréciait guère d'être méprise. Comme si elle n'avait que ça à faire de briser des couples... Sa destination était déjà décidée, et rester à Thaar pour s'établir avec quelqu'un n'était pas son projet.

La mine attristée, elle se tourne brièvement vers Grayle.

- Désolée pour ça... ce n'était pas une bonne idée que je vienne... je ferais mieux de partir, tu mérites mieux.

Etait-il donc impossible d'avoir quelque chose d'agréable dans cette vie sans que le monde ne s'effondre autour d'elle ? Un puissant sentiment de lassitude l'envahissant. Être jugée ainsi, sans pour autant être coupable de quoi que ce soit, l'injustice omniprésente de son existence ne lui avait jamais pesé aussi lourd sur les épaules.

Eh bien qu'elle se casse ! Ceux qui ne cherchent même pas à savoir ne méritent rien ! Un élan de rage lui passa dans l'esprit et finalement, consuma le peu de culpabilité qu'elle commençait à avoir, retournant même l'accusation sur Miriel. Elle voulait partir, eh bien soit. La rouquine était navrée pour Grayle qui n'avait commis nulle autre faute que de se montrer généreux. A croire que c'était devenu un crime dans ce monde devenu fou.

Elle n’entendit pas les commentaires de la rouquine, et à vrai dire si elle les aurait écoutés, la rouquine n’aurait probablement plus de dents à ce moment-là. C’est dans cet esprit que l’hybride sortit rapidement de sa maison, agrippant son sac de voyage en passant. D’un pas assuré, elle s’éloigna de son chez-soi, tentant tant bien que mal de retenir les larmes qui embuaient ses prunelles cendrées.


«Miriel !»


Il fallait partir, le plus loin possible… Comment avait-elle pu être aussi aveugle… Non il fallait qu’elle s’éloigne, elle ferait le point plus tard…


«MIRIEL !»


Elle s’arrêta net,  l’hybride ravala rapidement ses larmes. Avant de retourner, interdite, vers son amoureux.


«Écoute-moi s'il te plaît. Il y a eu méprise. Toi et moi avec le monde entier, Miriel, tu te souviens ?»


Elle ne bougea pas d’un centimètre. Un exploit en soit alors qu’elle aurait voulu lui hurler dessus. Comment aurait-elle pu oublier cette promesse? Il avait été son monde pendant toutes ses années, elle l’avait cherché sans arrêt, rêvant de ce jour. Interdite, elle le regarda s’approcher.


«Tu m'as pris sous ton aile alors que rien ne t'y obligeait. Tu aurais pu me laisser crever au Puy. Mais tu as été bonne, et nous nous sommes retrouvés ensemble. Libres. Avec notre chez nous. Cette femme, Ciri... elle était comme toi et moi. Une esclave des drows, pendant des décennies. Elle est libre désormais. Elle a besoin d'aide. Elle est poursuivie. Elle a soif de vengeance et de justice.  Je me suis souvenu de toi et de nos valeurs. Et je l'ai aidée comme toi tu m'as aidé. Je lui ai laissé le lit, et j'ai dormi par terre. Elle est de notre monde. Mais si tu ne veux pas d'elle, je la ferais partir. Mais... pourquoi rejeter une amie potentielle ? »


Et puis? Elle n’en avait rien à faire de l’histoire de cette femme. Une femme qui avait eu l’audace de coucher avec SON Grayle. Elles n’étaient définitivement pas du même monde…


«Je ne regarde que toi, Miriel. Reviens s'il te plaît. Je t'ai tant attendue.»


Difficile à croire alors que tu dormais avec elle…


«Si tu veux être seule... je ne retiens pas. Mais je t'attendrais. Tous les jours.»


Est-ce que cela valait réellement la peine? De partir encore une fois alors qu’elle l’avait cherché si longtemps? Avait-elle mis toutes ses années à la poubelle pour ça? Elle sentit son cœur s’accélérer alors que son regard se durcit; « Tu invites une autre femme chez nous alors que je suis partie. Alors que je risque ma vie pour rapporter de l’argent pour notre futur. Et c’est comme cela que tu me remercies? » Miriel secoua la tête en regardant le sol. « Dès que je reviens, je me fais dire par un voisin que tu es avec une autre femme et quand j’ouvre la porte, tout est confirmé... »  Son regard se retourna vers Grayle avant de continuer; « Alors, pourquoi me dire que le monde est à nous alors que tu souhaites quelqu’un d’autre. »  Les larmes lui montèrent aux yeux, elle se sentait trahie encore une fois. Avait l’impression que son monde s’écoulait à nouveau. Peut-être aurait-elle dû mourir au Puy… cela lui aurait épargné bien des supplices…« Quand tout le monde te torturait j’ai été là pour toi. À te supporter, à te guider… Est-ce que c’est comme cela que tu repaies tout mon amour? »  Miriel soupira, baissant son regard; « Je me sens trahie. J’ai besoin de temps. » Pour le moment il ne lui avait rien dit pour la réconforter, rien dit pour la rassurer. Elle avait toujours ce sentiment, cette colère dans son cœur. Elle regrettait de ne pas être restée à ces côtés. Regrettait d’être partie de leur maison. Peut-être que cette situation ne serait jamais arrivée si c’était le cas… Elle reviendrait, au fond d'elle même elle le savait... mais pour le moment elle devait réfléchir...

L'elfe avait fini de s'habiller, ayant revêtu à nouveau son assemblage de cuir et de tissu qui la drapait des sombres couleurs de la nuit. Seule sa longue chevelure rousse et son visage blanchâtre offrait un contraste à sa silhouette sinistre. Ses deux lames s'accrochaient bien évidement à ses hanches, fidèles au poste. Un fin sac de voyage sur le dos, ça y était, elle était prête à partir.

Elle lança un regard vers le couple en train de s'engueuler, à la fois désolée et exaspérée. Une frustration manifeste vis-à-vis de la dame blanche qui faisait la sourde oreille depuis tout à l'heure. Qu'est-ce que Grayle pouvait bien lui trouver, à cette Blanche Neige pourtant si bouillante. Elle ne lui faisait visiblement pas confiance, ne voulait rien entendre, et ne s'était pas gênée de proférer de vaines menaces à son égard. L'elfe n'avait que faire de ces basses provocations, elle n'était guère venue d'aussi loin pour se battre contre une mégère en pleine crise de jalousie.

Pauvre Grayle, l'elfe navrée lui souhaitait bien du courage d'apprivoiser cette furie de marbre. Celle-ci avait raison sur un point néanmoins, elles n'appartenaient pas au même monde. L'oiseau rouge était un être sanguinaire qui a traversé les pires horreurs que les drows avaient à offrir, mais il a su mettre sa rage de côté et a ainsi pu grandir. Cette Blanche Neige quant à elle était aveuglée par sa colère, au point d'haïr son conjoint. Il n'y avait rien à en tirer, la rouquine se doutait qu'une nouvelle tentative de lui parler ne pouvait que dégénérer dans la violence, ce qu'elle ne souhaitait pas.

Il était temps de partir, simplement, c'était mieux ainsi, pour tout le monde.

De la peine au cœur, elle en avait, bien plus qu'elle ne pouvait le montrer. Une tristesse qui ne se muait pas en colère, pas même contre la maudite blanche. Elle ne le méritait pas, Grayle non plus ne le méritait pas.

Tant de candeur en un seul homme, c’était à se demander comment avait-il pu survivre aussi longtemps. L’observant pendant un moment, les sourcils levés, elle admirait sa bienveillance bien plus qu’elle haïssait son insouciance.

Dans une situation comme celle-ci, le commun des hommes se serait laissé emporter par une colère sourde et aveugle, envoyant valdinguer tout ce qu’il trouve sous la main, mais Grayle, lui, semblait… bien le prendre ? Cet individu était manifestement une énigme pour l’elfe.

- Tu es certain que ça va, Grayle ? ’’Je rêve… il est en train de me rendre compatissante…’’

Peut-être était-il bon de rester, accepter son invitation, certes un peu insistante, à manger un petit quelque chose. Il est possible, au contraire, qu’il ne souhaitait précisément pas être seul suite à ce coup dur. Elle ne poursuivit pas sur ce sujet.

Il sortit ensuite des dattes, pas ce qu’il y a de plus nourrissant mais toujours agréable à manger.

- Oh je ne suis pas difficile tu sais… Même un rat pioché dans les caniveaux de cette ville aura meilleurs goût que ce qu’on avait là bas. Elle se saisit d’un trio de dattes du bout de ses doigts fins, et l’une d’elles fut élue pour se retrouver dans sa mâchoire la première. Hmm.. elles sont très bonnes. ’’ J’imagine… ’’ Elle n’en avait jamais mangé auparavant et elle aimait bien. Après un moment de silence et de dégustation, le sujet changea subitement.

La mer… L’elfe avait songé à s’y aventurer, les récits de la vie de pirate de son ami Hjaldr l’ayant inspiré quelque peu. Il faut dire que ce vieux loup de mer, d’origine wandraise de surcroît, avait le don de broder de long récits saisissants, avec son lot de bravoure et d’actes épiques. Au moins on ne s’ennuyait pas à l’écouter parler, et puis démêler le vrai du faux était une activité à temps plein avec ce vantard qui avait la fâcheuse tendance à embellir ses histoires. C’était sa manière à lui de faire rêver ses camarades. Parler de la mer, au Puy, c’était comme créer une rivière dans le désert.
- Grayle… marcher nous deux le long de la mer… ce serait vraiment de la provocation. Dit-elle, amusée, le charriant. Tu ne souhaites pas me tenir la main aussi ?... Mais si tu y tiens… on peut… pour la mer je veux dire… pas pour les mains.

Un sourire navré trahissait quelques inquiétudes, ce n’est plus vraiment pour elle-même qu’elle voulait y aller, mais plus parce qu’elle se sentait mal d’abandonner ainsi son ami… Un ami, oui, elle ressentait comme un écho en elle, le même écho qu’avec Hjaldr ou les autres Phénix. Mais cela ne semblait pas pour autant être un vestige de la magie de Viconia. Plus personne ne contrôlait ses émotions, pas même elle. Libres, elles aussi.

Difficile de ne pas se sentir petit face à l'immensité bleue. Peu importe qu'on soit un enfant de la terre ou de la forêt. L'océan qui s'étendait à perte de vue avait quelque chose de majestueux, d'indomptable. Un royaume inaccessible, duquel on ne pouvait qu'en explorer la juste surface. Pour les marins, un synonyme de liberté.

Oui... si l'appelle de ses origines n'était pas parvenu à ses oreilles pointues, l'elfe aurait certainement souhaité embrasser cette voie-ci. Voguer sur les flots et vivre au rythme des marées, cette projection lui était plaisante.

Qu'est-ce qu'il lui prenait à vouloir lui tenir la main tout à coup. Il ne l'avait tout de même pas pris au mot, si ? L'elfe roula des yeux lors de ce petit jeu. Pas moyen de prendre le dessus, mais elle n'allait quand même pas s'ouvrir les veines une énième fois pour inverser la balance.

- Cesse dont de jouer avec mes mains... répondit-elle avec un calme surprenant, un amusement pouvant être deviné, mêlé d'une pointe d'agacement.

- Une soeur... de la famille... est-ce que tu crois que c'est ce qui m'attend là bas ?... je l'espère... j'aimerais y croire. Elle soupire profondément. Je ne cesse de me demander comment cela va-t-il se passer. La question semblait stupide aux premiers abords, mais elle-même savait en son fort intérieur qu'elle n'avait plus grand chose d'elfique au fond... et pourtant... pourtant, elle devait rallier l'Anaëh à tout prix, c'était sa conviction.

- J'ai peur.

Un bref sourire s'installe sur son visage tandis qu'elle souffle par le nez.

- Oui, tu as bien entendu, l'Hirondelle Pourpre en personne ! elle mime parodiquement une gracieuse révérence. Tant de fois ventées pour ses innombrables exploits, que dis-je, admirée pour ses talents de mises à mort spectaculaires ! Championne de plusieurs arènes du Puy que personne ne semble pouvoir détrôner... et qui maintenant à peur d'aller faire une promenade en forêt... La vie est parfois bien ironique...

... Je sais ce que je vaut, et où je dois aller, car c'est ce que je veux. Je sais ce que je suis, à défaut de savoir qui, et ce n'est pas un cailloux en proie aux vagues qui m'apportera ce que je souhaite.

Elle observa brièvement ce pot vide d'un regard tout aussi vide, ne représentant visiblement aucun intérêt pour elle. Si la jeunesse de Thaar s'amusait dans des jeux suicidaires, c'était leur problème, pas le sien. Si le but était de récolter un peu d'eau de mer, il y avait une méthode bien plus simple et moins risquée d'y parvenir.