Comment ça fonctionne en péninsule? [Zofia, Clémence & Andran]

7e ennéade, Bàrkios
second mois de printemps
An 18 du XIe Cycle

Le voyage jusqu’à Sainte-Berthilde s’est déroulé sans réel problème; les routes n’étant pas en si mauvais état, le petit contingent de soignants aux couleurs de Néera n’a pas eu de mauvaises rencontres. Certes, ils ont croisé quelques individus à l’allure peu amène, mais l’insigne de la Bienveillante sur leur armure ainsi que leur épée en a dissuadé plusieurs. Sire Louis est aussi un homme à l’allure bel et bien militaire, qui connaît l’art de la lame plus que certains. Son statut de chevalier transparaît dans son port altier et cette façon de se tenir droit sur son destrier. Si elle avait été seule avec les quelques autres soignants, la prêtresse ne doute point que certains bandits l’aurait sous-estimé, même si elle sait se défendre. La présence du chevalier est donc plus que bienvenue.
Le contingent en avait aussi profité pour s’arrêter à quelques endroits sur la route et après l’approbation des petits seigneurs, ont pu prodiguer quelques soins aux paysans du coin. En effet, si le printemps est signe de réjouissance, il n’y a pas que les bourgeons qui éclos...Certaines maladies peuvent faire des ravages chez les paysans et ainsi nuire aux précieuses récoltes d’un comté. Concentrée sur sa tâche, la prêtresse avait fait de son mieux pour ne pas se languir déjà de sa ville natale ni des caresses de son bien-aimé et avait fait de son mieux pour s’acquitter à sa tâche de soignante et de prêtresse. De voir les sourires, les regards briller et les Souffles enfin apaisés lui avait tout de même insufflé une montagne de courage pour la suite. Et c’est pourquoi, le cœur plus léger, la prêtresse avaient franchi les portes de Sainte-Berthilde avec assurance, revigorée par ce début de voyage sans heurts.

Arrivé la veille durant l’après-midi, le petit cortège avait donc décidé de se reposer au temple de Néera. Accueillis par l’hospitalité propre aux Néerites, ils n’ont pas eu à supplier leurs cousins du Nord pour qu’ils leur offre gîte et couvert, le temps qu’ils puissent se reposer de ce long voyage. La prêtresse avait d’ailleurs sauté sur l’occasion pour glaner des nouvelles sur ce qui se trame dans le Nord, désireuse de s’informer au mieux de ses capacités sur l’environnement politique dans lequel leurs cousins baignent et ainsi, mieux se préparer pour le pèlerinage qu’elle dirige. Informée, sustentée et lavée de la saleté des routes, la prêtresse avait ensuite décidé de rejoindre le lit qu’on lui avait désigné pour bénéficier d’un repos bien mérité.

Aujourd’hui, si certains des autres soignants ont décidé de profiter de la ville, Zofia a plutôt opté pour rester au temple, animée par la simple envie de lire et prier en solitaire. Et puis, la prêtresse ne peut cacher qu’elle a besoin d’un peu de silence et d’un moment seule avec la DameDieu. La jeune femme a donc enfilé ses robes de Néera et saluant les autres prêtres et prêtresses au passage, est allé se réfugier dans la chapelle. Si l’architecture diffère quelque peu du monastère de Sainte Aliéanor, la même ambiance paisible et silencieuse règne en ces murs, apaisant la prêtresse. Postée devant la statue de la Bienveillante, elle murmure une prière, recherchant de son réconfort. En tant normal, la jeune femme n’aurait pas hésité à arpenter les rues de Sainte-Berthilde avec ses compagnons de voyage, mais étrangement, pas aujourd’hui. Elle s’assoit sur un banc et tripotant son amulette de Sainte Aliénor, elle ferme un instant les yeux, jusqu’à ce qu’elle entende la porte s’ouvrir.

Cela ferait bientôt un mois... Un mois qu'Andran la présentait non plus comme sa compagne mais comme... sa fiancée. La nouvelle avait été bien accueillie dans l'entourage proche du chevalier, certains s'étaient même réjoui pour eux, à commencer par ses amis. Elise n'avait pas manqué de manifester sa joie, non sans avoir gronder l'Inquisiteur pour avoir mis autant de temps à officialiser leur relation. Mais elle n'avait pas insister davantage. D'ailleurs, elle -qui n'avait pourtant pas sa langue dans sa poche- n'en avait pas pipé mot avant. Elle ne tenait pas à ce que leur mariage soit impulsé par quelqu'un d'autre qu'eux, même si elle commençait à trouver le temps long.
Depuis, les préparatifs n'avaient pas tellement avancés. Il fallait dire que Clémence n'en avait pas encore parlé à sa propre famille. La raison en était toute simple : elle voulait leur annoncer la nouvelle en personne. Son frère Sauveur devant se marier prochainement, ce serait l'occasion pour eux. Alors, en attendant, elle avait interroger Andran sur les coutumes liées au mariage. Il avait su lui expliquer le mariage noble mais il y avait certaines questions auxquelles il ne savait répondre. Alors, ce jour-là, elle avait décidé d'aller au Temple afin de rendre visite au prêtre qui avait procédé à sa conversion.

Comme d'habitude, la demeure de Néera était paisible et silencieuse, seulement troublée par quelques chuchotements par-ci par-là. Dans la grande nef, Clémence s'arrêta et observa autour d'elle. Quelques regards se posèrent sur elle et elle ne put que remarquer que, plus le temps passait, moins on la dévisageait. Il était aisé de savoir qui elle était désormais car, une femme métisse, il n'y en avait qu'une seule à Sainte-Berthilde. Qui plus est, une métisse qui s'habillait comme une noble. Car, même si elle n'avait pas de titre, elle se devait de faire honneur à l'homme qu'elle s'apprêtait à épouser.
Ce jour-là, elle était vêtue d'une robe grise surmontée d'un voile aux tons bleus foncés et argents qui venaient se fixer dans son chignon de cheveux noirs et ondulés pour venir entourer ses épaules afin de la protéger de la fraîcheur du lieu.

Ne voyant pas l'homme qu'elle cherchait, la belle et exotique estrevine partit alors à sa recherche, ne souhaitant pas s'adresser à quelqu'un d'autre pour ses questions. Il était un peu gênant pour elle d'avouer que, malgré sa conversion, elle était encore loin de tout savoir concernant les coutumes du pays dans lequel elle vivait. Alors, elle se rendit dans les endroits dans lesquels il avait l'habitude d'aller et finit par entrer dans cette petite chapelle annexe au Temple. Elle se figea en réalisant qu'elle venait de déranger une prêtresse dans sa prière et s'empressa de s'excuser.

-Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous interrompre dans vos prières. Fit-elle avec son accent qui lui faisait légèrement rouler les r et prononcer certaines voyelles un peu différemment. Elle balaya rapidement la petite pièce des yeux et constata que la dame était seule ici. Elle revint alors sur la jeune rousse. Je ne vous dérange pas plus longtemps, pardon. Dit-elle en commençant à reculer, ramenant la porte avec elle pour la refermer.

Zofia ne peut s’empêcher de détailler la jeune femme qui entre, les sourcils haussés de surprise bien malgré elle lorsqu’elle remarque sa peau beaucoup plus foncée que les Nordiens...en fait, que la plupart des péninsulaires. Il n’est pas rare de voir certains étrangers qui accostent au port de Chiard, une scène que la prêtresse à souvent vu dans sa ville natale, mais aussi loin? La richesse de ses habits témoigne aussi d’un haut rang qui n’échappe pas non plus à Zofia et qui pique sa curiosité. Elle semble d’ailleurs balayer la salle des yeux, comme si elle cherche quelqu’un ou quelque chose en particulier. Se rendant compte de son impolitesse, elle retrouve un air normal, lui souriant affablement alors qu’elle s’excuse avec son accent chantant et fort différent. Zofia secoue la tête et s’empresse de lui signifier que cet endroit est pour tout le monde :

-Ne vous en faite pas. Vous ne me dérangez pas du tout. Cette chapelle ouvre ses portes à quiconque le désirent, lance-t-elle en se levant de son banc.
 
La prêtresse l’observe un instant et joignant ses doigts ensembles, elle décide d’offrir son aide :

-Puis-je vous aider pour quelque chose?

Seul un œil avertit pourrait remarquer que ses habits de Néera diffèrent un peu de ceux de ses cousins du Nord. Tout est en fait dans les détails qui ont été poinçonnés sur sa ceinture de cuire. Pour le reste, elle arbore les mêmes couleurs que tous les servants de la DameDieu et le même type de vêtements simples et pratiques. Elle ne connaît certes pas tout à fait ce temple, mais elle reste une prêtresse de la Bienveillante peu importe où elle se trouve. Elle croit d’ailleurs bon de lui souligner :

-Je ne suis pas d’ici et je ne suis pas assigné à ce temple, mais je peux peut-être vous tendre la main d’une quelconque façon? 

La prêtresse était avenante et chaleureuse si bien que Clémence s'arrêta dans son élan, presque surprise. Même si aucun membre du culte n'avait été désobligeant avec elle depuis son arrivée, ils n'étaient pas forcément aussi naturels qu'elle à son égard. Et à la regarder plus attentivement, l'estrevine ne se souvenait pas l'avoir déjà vue auparavant. D'ailleurs, la jeune femme lui avoua rapidement qu'elle n'était pas affectée à Sainte Berthilde. Qu'elle soit d'un autre Temple proche ou plus lointain, la question ne lui vint même pas à l'esprit et n'était pas nécessaire pour la situation présente.
La main toujours sur la porte, elle hésitait à vraiment la solliciter ou non. Elle commençait à avoir épuisé toutes ses options pour trouver son interlocuteur habituel mais, en même temps, ses questions pourraient attendre.

-Je cherchais le Père Otheron mais j'ai l'impression qu'il n'est pas là. J'avais... des questions à lui poser à propos de...

Clémence soupira doucement. Elle était encore en train de déranger la prêtresse, encore. Il n'était pas nécessaire pour elle d'obtenir les réponses à ses interrogations tout de suite. Elle en avait simplement besoin pour mettre de l'eau au moulin de ses réflexions pour l'organisation de son mariage avec Andran. Rien ne l'obligeait à prendre du temps à cette prêtresse dont elle ignorait même le nom.

-Non vraiment ce n'est rien. Nous n'avons même pas encore fixé de date, il n'y a pas d'urgence.

Elle lui adressa un sourire poli et emprunt d'une certaine gêne.

-Merci.

Elle penche légèrement la tête sur le côté dès qu’elle sent la gêne de la jeune femme. A-t-elle dit quelque chose qu’elle ne devrait pas? Elle comprend alors qu’en fait, l’inconnue cherche un prêtre en particulier. Ici depuis à peine une journée, la prêtresse fouille sa mémoire, tentant de mettre un visage sur ce nom qu’elle a déjà entendu. L’autre jeune femme soupire, arrachant un léger haussement de sourcils d’étonnement à Zofia. Une date? Elle a du mal à comprendre où elle veut en venir, mais se rappelle du moins que si ce Père Otheron est celui qu’elle pense, elle l’a vu sortir du temple, sans doute pour remplir quelques-un de ses devoirs en ville. Toujours aussi affable, elle lui en fait part :

-Je crois que Père Otheron s’est absenté. Malheureusement, j’ignore quand exactement il reviendra.
 
Peut-être a-t-elle besoin de se confesser? Dans ce cas, elle comprendrait pourquoi elle cherche ce prêtre en particulier. La prêtresse ne pousserait jamais quelqu’un à lui révéler quoique ce soit si cette personne ne le désir point, d’autant plus qu’elles ne se connaissent pas toutes les deux. Elle décide de lui proposer quelque chose, voulant se rendre tout de même utile. Après tout, elle n’a rien sur son emploi du temps si ce n’est d’écrire une lettre à Natael pour lui signifier que le voyage s’est bien déroulé. La dernière chose qu’elle souhaite, c’est d’inquiéter son amant. Fiancé en fait...Elle a encore du mal à s’habituer à l’idée qu’un homme désirant autant la marier l’attende à Chiard, même si cette idée d’un futur à deux lui a insufflé le réconfort nécessaire pour retourner sur les routes et ainsi se concentrer pleinement sur son pèlerinage. Le retour n’en sera que plus merveilleux.
 
Elle revient rapidement à elle, consciente qu’elle n’est pas seule et que pour l’instant, elle doit aider cette jeune femme.
 
-Je suis Mère Zofia. Si ce n’est pas trop indiscret, puis-je avoir votre nom et la raison de votre visite? Je pourrai ainsi lui mentionner que vous êtes passé et que vous le cherchiez. 

Peut-être pourra-t-elle aussi répondre à ses questions si jamais elle le peut. 

La prêtresse confirma ce que Clémence avait fini par penser : Otheron s'était absenté. La belle métisse allait la remercier avant de prendre définitivement congé mais la jeune femme, Mère Zofia, lui offrit de transmettre un message au prêtre pour elle. L'estrevine s'arrêta alors et lui adressa un sourire amical et reconnaissant. Oui, cela ne mangeait pas de pain et, même si le sujet n'était pas urgent, au moins aurait-il l'information et il pourrait peut-être prendre le temps de se renseigner s'il n'avait pas les réponses à ses questions.

-Oui, bien sûr. Elle lâcha enfin la porte et s'approcha de la prêtresse de quelques pas afin de se présenter. Je suis Clémence Acciari. Le père Otheron s'est occupé de moi pour ma conversion au pentianisme. J'avais des questions à lui poser sur le mariage. Mon... Elle eut une brève hésitation, peinant encore à utiliser ce mot, même après presque un mois. Mais elle avait peu souvent l'occasion de l'utiliser et le faire aujourd'hui ornait son visage d'un discret sourire de bonheur. ... fiancé m'a expliqué le déroulement de la cérémonie pour les nobles mais je... ne suis pas de sa condition. Avoua-t-elle avec un peu plus de sérieux, presque peinée d'avoir à le souligner.

Elle savait que l'union entre deux personnes de classes différentes étaient mal vu en Péninsule, surtout lorsque l'un des deux étaient de la noblesse. Le chevalier l'assumait pleinement mais sa jeune fiancée avait déjà d'autres considérations à endurer chaque jour avec sa couleur de peau. Elle ne serait jamais totalement acceptée dans ce pays et encore moins parmi les nobles, elle le savait. Les gens du peuple étaient habités par les superstitions tandis que la haute société ne la verrait toujours que comme une étrangère à leur monde si fermé. Mais, par amour, elle avait décidé d'endurer tout cela. Même si elle ne pourrait jamais se passer de la protection de son compagnon -et de l'Ordre des Marcheurs Austères, en son absence-.

-Je voulais lui demander comment se déroule un mariage entre personnes du peuple et donc quels aménagements seraient à prévoir dans notre cas. Par exemple, je n'ai pas d'emblème à apposer sur une cape puisque cela n'existe pas dans mon pays. Et ma famille n'a pas de symbole à elle.

En Ithri'Vaan, certains noms étaient associés à une image, un animal, un sigle... Ces familles étaient puissantes, influentes ou très anciennes. Les Hadjaoui étaient des gens simples qui ne recherchaient rien de tout cela. Leur bonheur était la seule chose pour laquelle ils œuvraient chaque jour.

-Enfin, vous comprenez l'idée... Vous pourrez lui transmettre ma requête ? Je viens régulièrement et, au besoin, il sait où nous vivons.

Zofia lui renvoie son sourire pendant qu’elle se présente et qu’elle explique sa présence ici. Cela ne fait donc que quelque temps que la jeune femme a été initié à leur religion et veut donc s’informer sur le mariage et leurs coutumes. Le sourire de la prêtresse s’agrandit à cette annonce et elle ne peut s’empêcher de la félicité avec chaleur. Un mariage est toujours un évènement important dans la vie d’un couple et comprend qu’elle veuille se préparer avant le grand jour. La prêtresse ne peut toutefois s’empêcher de penser aux difficultés que Clémence a pu faire face depuis son arrivée ici. Si elle-même a déjà rencontré quelques Nordiens méfiants à son égard à cause de son accent, elle n’ose pas imaginer ce que la jeune femme a pu entendre vu sa peau plus foncée. Et pourtant, elle semble avoir choisi Sainte-Berthilde comme lieu d’établissement. Elle s’est même converti au pentianisme, signe qu’elle désire s’intégrer à la culture péninsulaire. Peut-être que plusieurs ne seraient pas du même avis que la prêtresse, mais cela lui fait chaud au cœur de savoir que des étrangers choisissent de faire leur vie ici.

Toutefois, Zofia sent l’hésitation poindre chez la jeune femme et comprend dès qu’elle mentionne ne pas appartenir au même rang que son futur mari. Le sourire de la prêtresse s’estompe un tantinet ; elle comprend que trop bien l’inquiétude de Clémence, qui affiche maintenant un air beaucoup moins jovial. Seulement, Zofia se sent mal de la laisser partir ainsi, sans risquer de tenter d’apaiser ses craintes au mieux de ses capacités. Serait-ce pour se rassurer elle-même? Car la prêtresse ne peut nier que leur situation se ressemble et qu’elle ignore encore comment Natael et elle pourront se lier pour la vie, une inquiétude qui la tenaille depuis un bon moment. Ce n’est pas de son fiancé dont elle doute, mais de leur entourage…C’est une bonne chose que Natael a trouvée une solution, mais cela ne peut durer.
Elle étudie sans froideur la jeune femme, jaugeant si elle doit s’ouvrir à elle ou non. C’est une étrange rencontre à laquelle elle ne s’était pas attendue aujourd’hui...La prêtresse doit aussi avouer qu’elle se sent de plus en plus attristée de ne pas pouvoir partager le bonheur dans lequel elle nage et maintenant que cette inconnue pleine de questions l’a trouvé, le besoin criant de ne pas la laisser filer se fait de plus en plus fort. Et pourtant, elle ne veut pas pousser...Elle joint ses mains ensembles et malgré sa propre gêne, elle plante un regard plein de douceur et de compréhension dans celui de la métisse :

-Je comprends tout à fait ce que vous voulez dire, en plus de vivre moi-même une situation similaire.

Même à des kilomètres de chez elle, elle ne peut s’empêcher d’être vague, trop habituée à garder sa relation secrète. Si elle avait été seule, sa main se serait portée au présent de son fiancé accroché à son cou. Au lieu de cela, elle se contente de baisser un instant le regard au sol et se raclant la gorge, elle finit par hocher la tête et retrouver un air plus détendu :

-Je ferai volontiers le message à Père Otheron dès qu’il rentrera. Je peux vous laisser prier en solitaire si vous le désirez.

Clémence prit soudain un air surpris et interdit. Les situations proches de la sienne étaient si rares qu'elle ne pensait pas croiser quelqu'un vivant la même chose qu'elle. En réalité, c'était déjà fait mais Louise ne s'étant pas ouverte à elle, elle l'ignorait totalement. A ses yeux, Zofia était la première à connaître la difficulté que représentait le fait de vivre une histoire d'amour avec un homme d'un autre rang que le sien. L'estrevine ne pouvait présager de la situation de la prêtresse : était-ce elle qui était noble ou son compagnon ? Cela ne changerait pas grand chose à la situation, sans doute...

-Vous... vivez la même chose ? Répéta-t-elle comme pour intégrer l'information.

Prononçant ces mots, elle entendit des pas dans l'allée. Ils ne firent pas passer devant la chapelle mais la belle métisse s'avança pour fermer la porte qu'elle avait laissé ouverte. Elle n'avait jamais pu se confier avec quelqu'un qui pourrait vraiment la comprendre et elle ressentait soudain le besoin d'en parler. Elle revint vers la péninsulaire et s'assit sur un banc, la conviant du regard à faire de même. Elle lui avait offert de l'aider et, si elle le voulait toujours, elle acceptait désormais sa proposition.
Le silence se maintint quelques secondes tandis que Clémence cherchait ses mots.

-Mon fiancé est chevalier et noble de naissance. Avant notre rencontre, il ne pensait pas prendre femme un jour. Il a la chance de ne pas être le premier né... Il voulait se marier par amour mais ne trouvait pas son bonheur parmi la noblesse et ne le cherchait pas vraiment non plus... Entre nous c'est arrivé... Un peu par accident. Il était seulement mon protecteur à l'époque. Et, pendant longtemps, j'ai refusé de croire que ses attentions à mon égard cachaient davantage que de la bienveillance. Nous ne sommes pas du même monde après tout...

Clémence baissa les yeux. Elle ne voulait pas évoquer le monde d'où elle venait. Il était source de méfiance voire de haine pour les péninsulaires, et de honte pour elle. Son interlocutrice pouvait manifestement tolérer de discuter avec une étrangère sans lignage mais elle conserva des doutes quant au fait qu'elle l'accepterait tout à fait si elle savait tout... Et puis, surtout, ce n'était pas l'objet de leur discussion.

-Il a choisi de ne pas prêter attention à mon statut et il m'a offert de m'aimer, de vivre avec lui dans une maison qu'il a acheté pour nous... et maintenant de l'épouser. Le fait qu'il ne soit pas l'héritier a facilité sa décision sans doute, même si nous ne serons jamais totalement approuvés par la noblesse. Mais son amour pour moi est manifestement plus fort que cela... Et le mien aussi... Parce que j'ai renoncé à beaucoup de choses pour mener cette vie à ses côtés.

La vie d'une étrangère dans un pays résolument raciste. La vie d'une femme sans titre dans un univers où c'était la seule chose qui comptait. Elle était totalement dépendante de l'homme qu'elle aimait et, si sa vie de chevalier venait à l'emporter, elle devrait trouver le moyen de se mettre à l'abri puis de rentrer chez elle. C'était un risque avec lequel elle devait vivre et auquel elle évitait de penser lorsqu'il partait remplir une mission pour son Ordre.
Clémence ayant exposé sa situation, elle porta un regard nouveau vers la prêtresse pour l'interroger timidement. Elle était libre de ne pas lui répondre et comprendrait qu'elle ne le veuille pas. Si elle refusait, elle n'en prendrait pas ombrage.

-Et vous ? Est-ce vous qui êtes noble, ou lui ? S'enquit-elle, plus pour savoir à quel point leur situation était similaire que par curiosité pure et simple.

La prêtresse rougit dès que la métisse la fixe avec surprise et ne peut s’empêcher de porter sa main à son amulette. Elle ne devrait pas avoir honte puisqu’elle n’a rien à craindre ici concernant son secret et pourtant, elle sent son cœur battre très fort. En même temps, c’est la première fois qu’elle s’ouvrira de la sorte à quelqu’un concernant cette liaison secrète. Taisant son agitation et surtout désireuse de faire son travail aussi, elle s’assoit près d’elle, tout de même soulagée de voir que s’ouvrir un peu à Clémence semble l’avoir détendue. Voyant que la jeune femme pense, elle la couve d’un regard invitant, mais surtout patient.
Elle se lance finalement et Zofia écoute, de plus en plus étonnée par les ressemblances qu’elle peut trouver avec sa propre situation. Elle ne l’interrompant pas, se remémorant elle-même comment Natael et elle se sont rencontré. La jeune femme a l’impression que c’était il y a de cela une ennéade seulement et pourtant, les voilà fiancé. Elle la voit baisser les yeux, mais ne relève pas, désireuse de lui laisser tout l’espace qu’il lui faut. La suite lui arrache un sourire : cet homme doit donc l’aimer beaucoup et elle aussi pour avoir sacrifié beaucoup pour cet amour qu’elle lui porte. Elle hésite et avec sa douceur bien à elle, la prêtresse pose sa main sur son avant-bras un bref instant, en la regardant avec compassion. Elle doute que cela a été facile pour elle, si loin maintenant de chez elle et dans un coin de pays plutôt difficile.

Et puis, Clémence lui pose une question qui lui fait baisser les yeux à son tour. Cependant, elle ne peut s’empêcher de sourire, car même si elle sait que les obstacles ne sont pas encore tous tombés et qu’ils ont encore quelques tempêtes peut-être à braver, elle sait que Natael l’aime et c’est tout ce qui compte pour l’instant. Elle retrouve le regard vert de la métisse :

-Depuis que j’ai enfilé les robes de Néera, mon appartenance à la bourgeoise n’a plus raison d’être. Ce n’est pas le cas pour celui que j’aime dont son titre de noble lui confère des devoirs qu’il doit encore respecter.

Elle ne peut s’empêcher de rire doucement, sentant le collier, bien lové entre ses seins, que son fiancé lui a donné, alors qu’ils n’étaient encore qu'amants.

-Nos chemins n’auraient jamais dû se croiser, mais il est difficile de le regretter lorsque cette rencontre est sans aucun doute une des meilleures choses qui vous soit arrivé depuis très longtemps et ce, même si vous devez vivre tout les deux dans le plus grand des secrets et que vous ne pouvez pas partager votre bonheur. 

Clémence souriait avec douceur à l'attention de Zofia. Elle avait un regard digne d'une prêtresse et était d'une capacité d'écoute au moins égalée. Elle était touchée par la situation de la rousse qui se trouvait si proche de la sienne. A ceci près que la métisse et son amant ne s'étaient jamais cachés. Leur relation n'aurait pas pu fonctionner dans le secret car elle n'aurait pas pu croire aux sentiments du chevalier de cette façon. Il aurait eu toutes les peines du monde à la convaincre et la obtenir sa confiance.

-Je ne peux imaginer ce que ce doit être... Avoua-t-elle, ne souhaitant pas jouer les hypocrites en disant qu'elle comprenait ce qu'elle ressentait... Car elle en était loin. J'espère que votre situation trouvera une issue favorable.

L'estrevine était parfaitement sincère en prononçant ses mots. Même s'il y avait des divergences entre leurs histoires respectives, elle savait ce que c'était que de ne pas appartenir à la même classe sociale que son compagnon. Cette situation n'était guère confortable et, s'ils décidaient de vivre leur amour au grand jour, alors ils devraient supporter les regards posés sur eux. Sans doute moins qu'elle avec Andran, la particularité de ce couple résidant dans le fait qu'elle soit étrangère. En d'autres lieux, les choses seraient peut-être plus simples. Plus au Sud par exemple... Mais jamais elle ne demanderait à son compagnon de partir vivre ailleurs. Elle avait choisi de le suivre, quoi qu'il arrive, et leur mariage en serait le serment.
Finalement, Clémence réfléchit un court instant puis prit une décision. Otheron ou un autre, peu importe qui lui répondrait finalement. Et puis, même si elle connaissait très peu cette femme, elle se sentait proche d'elle comme pratiquement personne. Même Elise ne pouvait comprendre aussi bien celle qu'elle vivait. Et puis, elle devait bien l'avouer, elle n'avait pas envie de s'en aller tout de suite. Alors...

-Est-ce que... je devrais ne pas porter de cape ? Ou en prendre une toute simple, juste joliment décorée avec des motifs de mon pays ? Lui demanda-t-elle pour revenir à l'objet de sa visite, lui offrant d'en discuter avec elle plutôt que d'attendre de voir son confident habituel.

Zofia lui souffle un merci sincère, touchée par la réaction de cette étrangère à laquelle elle ne regrette pas du tout de s’être confié. Même si cela l’attriste, la prêtresse est patiente et sait qu’ils trouveront une solution qui leur permettront de vivre pleinement leur amour et ne plus jamais avoir peur des répercussions que ce lourd secret peut avoir sur eux. Jamais elle n’a demandé à Natael de sacrifier quoique ce soit pour elle et pourtant, maintenant qu’ils s’aiment d’un amour fort, elle a l’impression qu’un des deux devra faire un choix qui chamboulera sa vie à un moment ou un autre. Zofia est toutefois prête à tout pour ce bonheur qu’elle a tant attendu depuis qu’on lui a déjà brisé le cœur. Et puis, la Bienveillante leur sourira, elle en est certaine et c’est pourquoi la prêtresse ne s’en inquiète pas.

La jeune femme lui pose ensuite une question qui lui arrache un sourire. Aura-t-elle toujours besoin du prêtre après leur entretient ? Elle ne le sait point, mais compte quand même faire tout son possible pour aider l’étrangère. Il y a très longtemps qu’elle a dû assister un mariage, mais la prêtresse se rappelle ce que cela implique.

-Les coutumes pré et post mariage péninsulaire diffèrent selon les classes. Selon la baronnie, le comté ou le duché aussi. Cependant, que vous soyez noble ou non, la cérémonie suit toujours les rites pentiens.

La prêtresse prend un air désolé, mais se lance quand même.

-Les mariages ne sont pas ma spécialité puisqu’on m’appelle davantage lorsqu’il y a des soins à procurer, mais je peux vous éclairer sur les bases.

Elle fouille donc dans sa mémoire, désireuse de ne pas omettre de détails.

-Ce sont habituellement les nobles qui portent une cape arborant les armoiries de leur famille respective, mais dans votre cas, rien ne vous empêcherais d’y mettre de votre touche personnelle. Après tout, ce sera votre grand jour, dit-elle avec un grand sourire d’encouragement. Tant que votre habit respecte les couleurs de la DameDieu et que votre robe est blanche, vous avez libre arbitre sur votre tenue. 

Clémence semblait finalement bien moins timide. Elle écoutait la prêtresse avec intérêt, réfléchissant en même temps à ce qu'Andran lui avait expliqué sur le mariage. Ainsi, elle pourrait apporter peut-être sa propre touche vestimentaire, comme elle le faisait déjà. Si en soirée mondaine, elle s'habillait de manière très conventionnelle, c'était un peu moins vrai au quotidien et surtout lorsqu'elle était seule chez elle. Là, elle pouvait revêtir des tenues de son pays que la populace ne supporterait pas à l'extérieur. Cependant, dans tout ce que dit Zofia, certaines choses lui posent davantage de questions encore.

-Pré et post mariage ? Mon compagnon ne m'a parlé que de la cérémonie elle-même... Et, je sais pour la... première nuit en tant que couple mais... Que peut-il y avoir d'autre ?

Elle n'était pas très au fait de ce qui se pratiquait dans son propre pays pour l'avoir quitté trop tôt, alors en Péninsule où elle avait vécu en marge de la société durant presque deux décennies... Autant dire qu'elle ne savait absolument rien de ce qu'il se faisait, hormis la noce et la nuit qui la suivait et qui devait unir le couple à tout jamais. Le belle estrevine n'était pas encore à l'aise avec cette ultime étape mais elle avait encore un peu de temps pour s'y préparer.
Un autre point chiffonnait Clémence... Un point qui abordait un sujet beaucoup plus personnel... Intime... Et même particulièrement sensible. Elle baissa les yeux et se mit à parler plus bas, sans pour autant chuchoter.

-Le blanc c'est pour... Néera et... le... la... v-virginité... N'est-ce pas ?

La tension de la métisse était palpable. Elle ne voulait pas que la prêtresse s'en inquiète mais elle ne pouvait pas non plus faire comme si tout allait bien. Elle ne répondait pas aux deux critères. Pire encore, son hymen n'avait pas été rompu par choix, bien loin de là. Est-ce que cela constituait un obstacle à leur mariage ? Le fait qu'elle n'ait pas été déflorée dans le cadre d'une précédente union mais en dehors de toute relation légale ou même consentie ? Cela lui faisait mal de devoir en parler, malgré les grandes avancées qu'elle avait fait avec Andran. En réalité, c'était peut-être de l'évoquer avec quelqu'un d'autre qu'une personne déjà au courant qui la mettait si mal à l'aise et réveillait ses anciennes peurs. Mais elle avait besoin de réponse avant qu'ils ne s'avancent trop loin dans leurs projets.

Pour ces coutumes propres à Sainte-Berthilde, Zofia est consciente qu’elle n’est pas du tout la meilleure placée pour le savoir. Elle n’est ici que depuis deux jours et elle peut tout de suite affirmer que c’est bien différent de la baronnie d’où elle vient. Toutefois, la cérémonie ne devrait pas différer. Après tout, toute la péninsule prie les mêmes dieux. Toutefois, Clémence sait déjà pour la première nuit en tant que couple. Comme elle ne peut pas l’aider davantage, elle pose un regard désoler sur elle :

-Je ne peux malheureusement pas vous aider quant aux spécificités de ce qui se passera avant le mariage et après. Chaque famille célèbre l’union différemment d’une baronnie à l’autre. Mais cela, je crois que vous pouvez en discuter avec votre fiancé et Père Otheron lorsqu’il le pourra.

La suite, toutefois, la surprend et si Clémence semble terriblement gênée, Zofia rougit avec une telle violence, qu’on aurait dit qu’elle arbore maintenant un coup de soleil. C’est à son tour de baisser les yeux sur le plancher, se rappelant que la sienne avait été perdue il y a de cela des années. Une erreur de jeunesse qu’elle regrette toujours un peu aujourd’hui, car malheureusement, on éduque très peu les jeunes filles en péninsule sur cela. Du moins, on les éduque sur cela en leur faisant peur et en leur disant seulement que leur honneur doit être préservé à tout prix pour leur futur mari. Seulement, lorsque l’on est jeune et naïve comme elle l’a été, il est facile pour un homme plus vieux de faire miroiter des faussetés.
Elle ravale sa salive et se dit qu’elle devrait dire quelque chose. C’est elle la prêtresse de la Vie. C’est elle qui devrait savoir quoi dire sur ces questions et pourtant, elle est bel et bien la dernière qui peut juger les décisions d’une femme sur ce sujet. Elle hésite à la rassurer en lui avouant qu’elle-même ne l’est plus. C’est très intime comme sujet et doute que Clémence veuille aussi s’ouvrir à elle sur ce sujet. Zofia décide de faire autrement pour la rassurer :

-’’Par les choix et non la condition tu jugeras, et tes bienfaits à tous tu prodigueras’’. C’est un dogme de notre DameDieu qu’il nous faut respecter. Et si vous avez décidé de lui ouvrir votre cœur, elle vous accueillera dans ses bras comme son enfant, sans jugement et peu importe votre situation.

Elle aussi a parlé d’une voix plus basse, consciente que ce sujet peut être délicat. Pour la rassurer davantage, Zofia ajoute une dernière chose :

-Et peu importe ce que vous me confiez ici, mon devoir en tant que prêtresse est de le taire à quiconque tentera de me soutirer des informations. Vos secrets seront donc les miens aussi.

Les mains de Clémence se refermèrent sur ses genoux alors que Zofia citait le dogme. Elle connaissait les préceptes de Néera pour les avoir appris aussi bien -sinon mieux- que les péninsulaires eux-mêmes. Elle était même capable de préciser qu'il s'agissait de la troisième loi de la DameDieu. Cependant, la prêtresse ne répondait pas à sa question. Mais cela, elle ne pouvait pas le deviner. Et elle n'osait plus la regarder tandis qu'elle s'apprêtait à dévoiler ce qu'elle aurait préféré taire... Mais il n'y avait pas d'autres façon d'obtenir une réponse correspondant à sa situation.

-Je le sais... Dit-elle à mi-voix alors que Zofia lui rappelait qu'elle avait le devoir de silence.

Elle se ne doutait pas de tout ce que Père Otheron conservait pour lui, rien qu'à son sujet. Des choses plus ou moins avouables dans un monde régit par le pentianisme.

-Et si... le "choix" n'a pas été possible... Que pense la DameDieu... de ceux à qui on a forcé la main ?

Elle fixait ses poings sur ses genoux. Son dos et ses épaules étaient tendus, les rendant aussi durs que la pierre. Elle ne pouvait pas utiliser ce mot, c'était au-dessus de ses forces. Malgré tout le bien que lui faisait Andran, dans son Souffle, dans son cœur et dans son ventre, faire un tel aveu restait pénible. Elle se sentait en confiance avec Zofia, sans parvenir à se l'expliquer. Elle n'était pas venu en pensant évoquer ce sujet mais il paraissait nécessaire d'en arriver là pour que la conversation se poursuive et qu'ils puissent préparer leur mariage. Si... cela leur était permis...

-Pouvons-nous malgré tout nous tenir devant Elle et demander sa bénédiction ?

La prêtresse comprend finalement ce qu’il en est réellement et son cœur se sert pour Clémence. Aucune femme ne mérite que l’on prenne de force son corps. Elle ne peut savoir ce que c’est puisqu’elle n’a eu qu’à subir des remarques et des menaces verbales, mais pour avoir traité certaines blessures causé par une agression et en tant que femme, elle peut compatir. Elle a d’ailleurs remarqué que son interlocutrice s’est crispé sous le poids de cette confession et doucement, la prêtresse pose sa main sur la sienne, comme pour lui insuffler à travers ce geste tout le courage et le réconfort dont elle a besoin. La pauvre s’inquiète donc de ne pas mériter l’amour de la Bienveillante pour quelque chose dont elle n’est point fautive ? Certains prêtres et prêtresses pourraient penser de bien cruelles choses sur Clémence, mais pas Zofia. Peut-être parce que de ne pas être cloîtré comme la plupart de ses confrères et consœurs et d’être constamment sur les routes à soigner et aider lui permettent de voir les zones grises que certains ne pourraient envisager. Parfois, les épreuves que subissent certains Souffles sont injustes et certains pourraient croire que la DameDieu peut être bien cruelle de tourmenter ainsi ses enfants. Elle-même ne peut avoir toutes les réponses malgré les robes de Néera qu’elle a accepté d’enfiler, il y a cela des années.

Pourtant, il y a bien une chose dont elle est certaine et c’est pourquoi elle ne peut laisser cette jeune femme baigner dans cette crainte qui l’habite. Pas quand elle a sacrifié sa propre culture pour embrasser la religion pentienne. Elle regarde un instant la statue de Néera et reporte son attention sur la jeune femme, cherchant son regard :

-Chaque Souffle a droit à son propre libre-arbitre et jamais notre Bienveillante refusera d’ouvrir les bras à un de ses enfants dont cette liberté a été bafouée malgré lui.

Cette fois-ci, Zofia décide d’abandonner un peu les dogmes pour la réconforter d’une autre façon :

-Ce qui s’est passé n’est point de votre faute et je crois fermement que la DameDieu est compatissante plutôt que cruelle. Vous l’avez choisi malgré vos épreuves et cela lui importe beaucoup. Elle vous accompagnera et vous soutiendra dans cette union d’amour.

La prêtresse espère avoir posé un petit baume sur le cœur agité de Clémence, mais comprend qu’on ne peut effacer ce genre de douleur aussi facilement. Tout ce qu’elle souhaite, c’est de l’avoir rassuré pour ce jour qui devra être un des plus beaux de sa vie. 

Clémence se détendit un peu et un sourire un peu timide se dessina sur son visage. Elle ne remettrait pas la parole d'une prêtresse en doute, ignorant que d'autres de ses confrères n'auraient pas eu le même avis sur la chose. Ainsi, Néera ne condamnait pas ceux qui n'avaient pas eu le choix. C'était assez logique en vérité. Les choix pouvaient se voir refuser par la décision de quelqu'un d'autre mais, pour autant, cela signifiait-il que sa parole ne pouvait pas être entendue et s'opposé aux choix des autres ?
La belle estrevine s'efforça de sourire. Les paroles de Zofia la réconfortaient un peu malgré tout. Elle aurait été bien ingrate de ne pas le lui montrer du tout. C'était sa façon à elle de la remercier.

-C'est ce que nous espérons de toute notre cœur...

Elle ne disait pas cela sans arrière pensée. Jusqu'à présent, si jamais Néera l'avait protégée, les mesures qu'elle a prise -qui avaient été une bénédiction jusque là- étaient assez inquiétantes pour l'avenir. Par le passé, cela lui avait parfaitement convenu mais à présent... Cela n'était source que d'inquiétudes pour le jeune couple. Mais peut-être la prêtresse pouvait-elle répondre à cette question aussi ?

-Si elle nous accorde sa bénédiction pour cette union alors... peut-être... acceptera-t-elle de conjurer le sort dont je suis frappée. Et qu'elle nous offrira-t-elle le bonheur d'être parents.

En proie au doute et à la peur, Clémence releva enfin les yeux vers Zofia et guetta sa réaction. Si la DameDieu se penchait sur eux pendant leur mariage, cela pourrait-elle la libérer de son affliction ? Parviendrait-elle enfin à conserver un enfant dans son ventre assez longtemps pour qu'il voit le jour ? Sa déclaration prenait plutôt l'air d'une question que d'une information. Elle ne pensait même pas à des soins mais simplement à un espoir... Les deux amants ne travaillaient pas à la question depuis très longtemps, il était trop tôt pour dire si elle pourrait porter les enfants d'Andran ou non, mais cette épée suspendue au-dessus de sa tête pesait malgré tout son poids...

Son message semble avoir passé puisque Clémence lui sourit, visiblement soulagée. Cela rassure la prêtresse puisqu’elle espère de tout cœur pouvoir lui enlever un quelconque poids sur le Souffle concernant son mariage futur et sa vie conjugale. Néera aime ses enfants, peu importe leur condition. Tant que leur Souffle n’est que bonté, jamais elle ne les abandonnera et Zofia a l’impression que cette jeune femme est tout le contraire d’une mauvaise personne et qu’elle ne mérite que du bonheur dans sa vie à deux. Ce n’est de toute façon pas du tout dans la nature de la prêtresse de souhaiter le malheur à quiconque, quand bien même la personne serait la plus vile de tous. C’est donc avec affection qu’elle lui sert doucement l’avant-bras.

Et puis, la jeune femme s’ouvre à nouveau, lui partageant quelque chose qui fait disparaître légèrement le sourire de la prêtresse. Cette fois-ci, ses traits se ternissent d’inquiétude, comprenant ce qu’elle sous-entend. Elle n’a donc jamais demandé l’aide d’un soignant concernant cela ? D’où elle vient, beaucoup de Néerites vitalistes ont déjà assisté des femmes pour ce genre de chose. Surtout les femmes nobles. Seulement, elle ignore si ces techniques de soins sont aussi fréquentes dans le Nord. En fait, de ce que la prêtresse sait de ce coin de la péninsule, elle doute que beaucoup de mages, même sous la protection du culte de la Bienveillente, ne puissent pratiquer ce genre de médecine sans se heurter à cette méfiance que beaucoup de Nordiens ont à l’égard de toutes formes d’arcane. Voire même, des représailles de la part des plus frileux. Et pourtant, la prêtresse ne se le pardonnera jamais si elle ne tente pas d’aider cette jeune femme. Après tout, elle est vitaliste avant tout pour soigner. La DameDieu ne lui a donc pas fait ce don pour qu’elle ne l’utilise pas pour apaiser les blessures. Protégé par ses robes et son Ordre, elle doute avoir des problèmes si elle use de sa magie pour trouver ce qui empêcherait cette jeune femme d’avoir des enfants. Elle accroche donc le regard de Clémence, comprenant aussi qu’elle en a déjà perdu pour être aussi certaine qu’elle ne puisse porter d’enfants.

-Si vous le désirez et que j’ai votre consentement, je peux vous aider à comprendre ce qui vous empêche d’en porter. D’où je viens, il n’est pas rare pour certaines femmes de demander l’aide de soignantes ou soignants qui sont aussi mages de la vie et qui portent les robes de la DameDieu. Comme moi.

Un sourire rassurant se peint sur ses lèvres ; elle ne tentera rien sans avoir la certitude que Clémence accepte son aide. Elle se demande même si son futur mari le sait, mais cela, elle est aussi prête à garder le secret. Ce n’est pas non plus important pour qu’elle puisse aider cette jeune femme et peut-être future patiente. Pour la rassurer, elle retire son focalisateur de son cou et lui tend, décidé à lui expliquer comment elle procéderait :

-Grâce à ce focalisateur, je peux ausculter votre corps de façon non-invasive et sans douleur pour vous. Il suffit que je le pose sur votre ventre et que je me concentre. 

Anne-Lise lui avait parlé de cette possibilité, de consulter un prêtre de Néera pour tenter de résoudre le problème. Andran et elle avaient fait le choix de tenter d'abord naturellement. Et, pour l'instant, ils avaient échoué... Douloureusement. Rien ne leur prouvait que la DameDieu était de leur côté. Et, puisqu'on le lui proposait... Elle hésitait à prendre ou non la main qui lui était tendue.
Tandis qu'elle réfléchissait, des pas résonnèrent une nouvelle fois dans le couloir qui longeait la petite chapelle et elle tourna son regard vers la porte comme si elle craignait que quelqu'un ne rentre. Même si elles allaient dans une salle de soins, elle ne se sentait pas à son aise ici. Et puis, elle aimerait autant qu'Andran soit avec elle...

-Est-ce que... Est-ce qu'il serait possible d'aller ailleurs ? Mon fiancé doit être rentré à cette heure-ci et ce sujet nous concerne tous les deux...

La prêtresse accepta et la belle métisse lui adressa un sourire reconnaissant. Elles se levèrent et quittèrent la chapelle puis le Temple. Clémence guida Zofia à travers la ville jusqu'à la demeure achetée par le chevalier quelques mois plus tôt. Un peu de verdure sur la façade avant la rendait un peu plus vivante qu'au court de l'hiver dernier. La belle métisse poussa le portail qui limitait l'accès à leur propriété et les gonds grincèrent. Un cheval hennit dans l'écurie et elle étira un discret sourire alors qu'elle savait qu'il s'agissait du sien. Cependant, il n'irait pas le voir aujourd'hui, elle avait quelque chose de bien plus important à faire.
La belle estrevine monta les quelques marches qui permettaient d'accéder à la porte d'entrée et poussa le lourd pan de bois. A l'intérieur, on sentait que les fenêtres étaient souvent ouvertes car l'air y était aussi agréable qu'à l'extérieur. Une jeune femme aux cheveux roux sortit d'une pièce, s'essuyant les mains dans son tablier. Elle approcha de sa maîtresse, remarquant bien évidemment la prêtresse qui se trouvait derrière elle. Clémence eut une hésitation avant de lui demander ce dont elle a besoin. Elle n'était pas encore habituée à commander pour obtenir. Jusque là, ce qu'elle voulait, elle allait le chercher elle-même.

-Marjolaine, peux-tu nous préparer du thé, s'il te plaît ? Et préviens Monsieur que nous avons de la visite. Je voudrais qu'il se joigne à nous.
-Bien Madame.

La servante s'inclina et s'exécuta. Un peu gênée par cette situation, l'estrevine se tourna de nouveau vers Zofia et lui adressa un sourit forcé et contrit.

-Je ne sais pas... Comment vous souhaitez procéder. Ni... de quoi vous avez besoin.

Elle était terriblement gênée. Tout ceci n'était pas du tout dans ses habitudes. Elle avait demandé du thé parce que c'était ce que la politesse exigeait d'elle mais voulait-elle la soigner au préalable ? Si oui, est-ce que les canapés sur l'on apercevait à travers la porte ouverte du salon suffisaient ou est-ce qu'elle préférait sa chambre ? Tant de questions qui la détournait de l'objet même de la présence de la prêtresse...

La journée passée dans ses quartiers au sein de son Ordre, Andran n'était pas malheureux de pouvoir rentrer après cette journée éreintante. Non pas que son entraînement journalier commençait à tirailler ses épaules, la paperasse était bien trop fastidieuse pour ne pas l'épuiser mentalement, et encore plus lorsqu'il fallait y passer des heures. D'un pas lent, le chevalier retrouva le chemin de sa demeure, pressé de pouvoir se reposer sur un canapé ou sur un banc, dans le jardin. Il délesta son cheval du poids de sa selle, constatant que Clémence avait laissé le sien ici… ou alors elle était déjà rentrée. Bien que son Ordre siégeait à Cantharel également, Andran préférait prendre sa monture avec lui si jamais il en avait besoin rapidement. Encombré de sa selle et son équipement, le chevalier entra dans sa demeure, trouvant leur servante, Marjolaine, dans le vestibule à dépoussiérer un meuble.

« Monseigneur. Vous avez besoin d'aide ? »
« Non, non, ça ira, merci. Clémence est là ? »
« Non, Monseigneur. Elle n'est pas encore rentrée du temple. »

Par Néera, Andran avait oublié cette capacité du Père Otheron à tenir la conversation pendant des heures. Ou alors était-ce Clémence qui avait bien plus de questions à poser qu'il ne l'aurait pensé, sinon les deux. C'est pour cela que le chevalier aimait bien ce prêtre. Il ne pouvait pas se plaindre que Clémence en profite. La question du mariage commençait à préoccuper le couple, notamment parce qu'ils n'avançaient pas beaucoup dans son organisation. Les réponses qu'elle pourrait obtenir d'Otheron seront plus que bienvenue pour se mettre au travail.

Pour l'heure, Andran attendait le retour de sa fiancée. Après avoir rangé son équipement, le chevalier trouva la paix dans son jardin, là où il profita des derniers rayons du soleil avec une boisson chaude stimulante préparée Marjolaine. Elle ne revint le voir que peu de temps plus tard pour lui indiquer le retour de Clémence… avec de la visite ? Avait-elle amené Otheron avec elle ? Peut-être était-ce une manière de le prévenir qu'elle était venue avec un ou une ami ? Andran remercia sa servante et la convia à retourner à ses occupations, et rejoignit Clémence qui l'attendait à l'intérieur. Là, le chevalier se figea, les yeux plissés sur la visiteuse. Il trouvait curieux, et même amusant, qu'elle soit venue jusqu'à Cantharel alors que, quelques mois plus tôt, c'est lui qui se retrouvait à Missède, dans son monastère.

« Zofia… Mère Zofia, excusez-moi. » se rappela Andran, dont la surprise se lisait aussi bien sur son visage que dans le timbre de sa voix. Clémence était partie interroger Otheron sur le mariage pentien et elle revenait avec une ancienne compagne d'aventure de son fiancé. Par Néera, quelles étaient les chances pour que cela se produise ? Combien d'actes avait-il manqué ? Le chevalier regarda les deux femmes, tour à tour, d'un air ahuri. « Vous êtes la bienvenue ici, loin s'en faut mais… je ne suis pas sûr de comprendre ce qu'il se passe, actuellement. »

Zofia suit la jeune femme jusqu’à sa demeure et un sourire éclaire son visage lorsqu’elle remarque la verdure sur la façade de son mur. Elle ne peut non plus s’empêcher de complimenter la jolie décoration de la demeure. Son esprit s’évade alors sans qu’elle ne le veuille, pensant à quoi ressemblera sa future maison avec Natael. Sans doute y aura-t-il quelques pots gorgés de fleurs colorées, un peu comme ici. D’ailleurs, en regardant par la fenêtre ouverte, elle remarque aussi un jardin à l’arrière et se doutant que ce ne soit son futur mari qui le tienne, elle promet de lui demander ce qu’elle a planté, curieuse de connaître ses talents d’herboriste. Elle est toutefois rappelée à l’ordre par Clémence, qui lui demande doucement ce dont elle a besoin pour procéder. Elle lui sourit et secoue la tête :

-Ce qui m’importe surtout, c’est que vous soyez confortable. Trouvez un endroit dans lequel vous vous sentirez bien et calme et je pourrai procéder. Et s’il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour que vous vous sentez plus détendu, il ne faut pas hésiter.

Cependant, elle ignore combien de temps elle parviendra à l’ausculter sans trop se fatiguer. Le thé n’est donc pas une mauvaise idée et c’est pourquoi elle croit bon de l’informer de sa condition après examen pour ainsi éviter qu’elle ne s’inquiète. C’est la dernière chose que la prêtresse souhaite pour la jeune femme, qui semble déjà plutôt nerveuse et mal à l’aise. Elle n’a peut-être jamais eu affaire à une vitaliste et Zofia veut tout faire pour qu’elle ait une bonne expérience.

-Cependant, il se pourrait que je me sente plutôt faible après l’intervention, alors n’ayez crainte si je dois m’asseoir un peu. C’est tout à fait normal. Le thé sera donc plus que bienvenu.

La prêtresse lui sourit et tourne la tête dès qu’elle entend la porte arrière s’ouvrir. Ses yeux s’écarquillent d’étonnement lorsqu’elle remarque que l’individu est en fait ancien compagnon d’aventure, Sire Straggen. La surprise se lit aussi sur le visage du chevalier. Alors, c’est lui le fameux fiancé? Zofia ne peut s’empêcher de rire un peu et de sourire quand il les fixe tour à tour, soulagée de savoir que Clémence sera entre de bonnes mains. Enfin, durant leur enquête, Sire Straggen lui a donné l’impression d’être un homme très juste et calme. Elle le salue en inclinant la tête poliment, heureuse de ce hasard. Elle prend ensuite un air un peu plus sérieux, mais toujours aussi doux, consciente que sa présence ici découle d’un problème plutôt délicat. Clémence lui a bien dit qu’elle aimerait que son fiancé soit là, ce qui veut dire qu’elle lui fait confiance et qu’il sait. Toutefois, elle préfère tout de même laisser la jeune femme expliquer plus en détail le pourquoi de sa présence ici.

-Je suis en pèlerinage jusqu’en Arétria avec d’autres soignants et un chevalier. Le Comte de là-bas a demandé de l’aide il y a de cela quelque temps et nous venons prêter mains fortes à nos compagnons qui sont déjà là. Je priais au temple lorsque j’ai croisé votre fiancée. J’ignorais que c’était de vous dont elle parlait.

Alors qu'elle adressait un sourire reconnaissant à la prêtresse, Andran apparut dans le hall. Elle se retourna et ne cacha pas surprise alors qu'il employait le nom de la prêtresse. Il n'avait pas pu le deviner, cela voulait donc dire qu'ils... se connaissaient ?! Elle les laissa échanger quelques mots sans intervenir. Elle ne saurait dire si leur rencontre était récente ou non, ni s'ils entretenaient de bonnes relations. Leur étonnement était grand. Se croiser dans la rue était aisé. Se retrouver sous le même toit n'était pas aussi évident. Clémence laissa Mère Zofia donner quelques éléments d'explication quant à sa présence à Sainte-Berthilde puis l'estrevine décida d'entrer en scène. Quittant la proximité de la vitaliste, elle rejoignit son compagnon, posant une main sur son bras afin d'attirer son attention. Elle était douce et cherchait à apaiser le chevalier visiblement perturbé par cette visite impromptue.

-Elle nous offre son aide, Andran.

A son regard, il pouvait aisément comprendre de quoi elle parlait. A savoir : du malheur qui les frappait. Ou plutôt : qui la frappait. Car il était clair que le problème ne venait pas de lui. Elle était déjà tombée enceinte lui. Très rapidement même. Mais le bébé s'était décroché de son ventre, comme tous les autres. Et s'il lui pardonnait, s'il ne montrait aucune animosité envers elle, s'il la soutenait dans l'épreuve, elle s'en voulait... Elle s'en voulait de se savoir incapable de le gratifier de ce bonheur. Ils avaient évoqué le fait de se faire assister par un prêtre s'ils éprouvaient trop de difficultés. Ils n'y songeaient peut-être pas si vite, après tout il n'y avait eu qu'un seul échec et Clémence avait un peu forcé ce jour-là. C'était un peu tôt pour qu'ils en viennent à solliciter les serviteurs de la DameDieu mais... C'était elle qui s'était proposée.
Une fois qu'Andran eut compris et accepté, la belle métisse se retourna vers la prêtresse tout en venant discrètement prendre la main du chevalier dans la sienne.

-Je préfèrerais un cadre plus intime. Notre chambre, si cela ne vous semble pas trop étrange...

Le sujet était très personnel et touchait les amants de très près. Si logiquement les invités étaient reçus au salon, elle ne s'y sentait pas à son aise pour un examen ou un soin pendant lequel un médaillon allait être posé sur son ventre. Même si elle avait déjà été soignée là à peine une ennéade plus tôt, elle ne tenait pas particulièrement à ce que cela se reproduise. C'était pourquoi elle souhaitait monter dans le cocon que représentait cette chambre, où elle se sentait bien et où Andran pourrait rester à ses côtés sans encombrer l'espace de la prêtresse.

Zofia aussi allait en Arétria ? Décidément, leurs destins se croisaient bien plus qu'ils ne le pensaient. Depuis bientôt deux ans, c'était l'Ordre des Marcheurs Austères qui avait été appelé par Magnus pour lui porter assistance dans son Comté. Andran avait vu ses plus proches amis quitter Cantharel pour rejoindre Lün. D'abord Korm et Terrance au début de l'année dernière, qui étaient revenus quelques fois entre temps, suivis par Kolgrim et Spahi plus récemment pour pacifier une région entière. Nul doute que Zofia les rencontrerait tôt ou tard car la situation n'était malheureusement pas très bonne, loin s'en faut. Il était certain que les deux ordres ont été engagés pour les mêmes raisons, même si leurs domaines de compétences étaient aux antipodes l'un de l'autre.

« Et donc… Clémence vous a tout raconté sur… ? » questionna Andran, qui trouvait pourtant étrange qu'une ancienne camarade d'aventure se consacre au bien-être de leur couple. Il plissa les yeux vers ceux de Clémence, qui ne comprenait pas comment ils pouvaient se connaître. « Quand je suis parti dans le Sud, j'ai rencontré Zofia à son Monastère de Sainte-Aliénor, à Missède. Nous avons été partenaires tout le temps de cette aventure. »

Andran n'évoquait que rarement les détails de ses aventures à Clémence, et ses partenaires de l'occasion , telle que Zofia, n'échappaient pas à la règle. Une fois réuni, le couple préférait se délecter de leurs retrouvailles plutôt que laisser le chevalier raconter une histoire qui, la plupart du temps, est sordide… telle que celle qui avait uni Andran et Zofia le temps d'un mois. Pour l'heure, les raisons de sa présence dans sa demeure furent toute autre, et plus d'explications n'étaient pas nécessaires. La stupeur du chevalier avait vite cédé le pied au doute, et à la peur. Rien ne gageait que l'intervention de Zofia, ou de n'importe quel autre prêtre, puisse régler le problème des grossesses de Clémence. Andran était terrifié à l'idée que rien ne soit possible pour qu'elle puisse donner la vie, et l'était encore plus à l'idée de la revoir perdre un bébé dans la douleur. Jusqu'à maintenant, le couple s'était appuyé sur les avis d'une autre femme qui, bien qu'elle avait subi plusieurs fausses couches, réussissait toujours à mener ses grossesses à terme et avait actuellement deux enfants. Les jugements d'un guérisseur, d'une guérisseuse en l'occurrence, seront certainement plus utiles et plus précis pour savoir de quels maux souffrait Clémence. La lueur d'espoir était faible, mais encore visible. Elle l'était suffisamment pour qu'Andran prenne la main de Clémence pour la serrer, comme si elle souhaitait qu'elle y croit autant que lui.

« Notre chambre est à l'étage. Nous y serons également plus à l'aise pour… » commença le chevalier, ne pouvant terminer sa phrase parce qu'il ne savait pas ce que la prêtresse avait prévu de faire, très exactement. Dans tous les cas, il valait mieux que Clémence se sente à l'aise pour que les choses se déroulent correctement, et les détails l'importaient moins que le résultat. « Si vous avez besoin de temps, personne ne vous dérangera. »

Une visite impromptue pouvait toujours survenir, sans parler de la servante qui pouvait aller et venir d'un instant à l'autre. Andran gravit alors les escaliers de sa demeure aux côtés de sa fiancée dont il tenait la main, talonné par Zofia. Une fois arrivée dans la chambre, il ferma la porte derrière eux s'appuya contre elle, préférant laisser la prêtresse faire son office sans la gêner. Si jamais elle avait besoin d'un coup de pouce, il pourrait l'aider autant que faire se peut. Nul doute que Clémence préférerait également que son amour soit présent, bien qu'il était probable qu'elle souhaite qu'il soit près d'elle, ce pourquoi il s'approcha légèrement des deux femmes.

« Je ne sais pas comment vous comptez procéder, mais faites comme bon vous semble. Je resterai là pour prévoir un pépin et intervenir si besoin est. » dit Andran en écartant les bras d'une manière conciliante. Il posa le bras sur Clémence comme pour l'apaiser, bien qu'il ne savait pas si elle était aussi anxieuse que lui. « Vous en aurez pour longtemps ? »

Elle hoche la tête pour affirmer qu’elle sait bel et bien la raison qui a poussé sa fiancée à lui demander de l’aide. Celui-ci lui explique ensuite d’où ils se connaissent. Tant de choses ont changé dans la vie de Zofia depuis ce temps. C’est comme si cette mission a fait débouler de nombreux événements impactant ; après tout, c’est lors de leur retour que Natael et elle se sont jeté dans les bras l’un de l’autre pour la première fois et c’est aussi grâce à cette expédition qu’elle a su gagner la confiance de son supérieur pour une autre mission de grande envergure. Cela lui fait d’ailleurs beaucoup de bien de revoir un visage qu’elle connaît et lorsque le chevalier use de douceur à l’égard de sa belle, elle ne peut s’empêcher de sourire. La peur et le souci qu’elle semble lire sur les traits du chevalier ne lui échappent pas non plus et la prêtresse ne peut s’empêcher d’espérer plus que tout de pouvoir les aider. Les vitalistes comme elle font parfois des miracles, même si la situation peut sembler accablante et sans issue pour des yeux non entraînés, mais souhaite être à la hauteur.

Elle acquiesce à la proposition du chevalier et de Clémence ; tant que le couple se sent à leur aise, c’est tout ce qui compte pour la prêtresse. Elle les suit donc jusque dans l’escalier et monte jusqu’à l’étage avec eux. Ils amènent la prêtresse dans une jolie pièce avec un grand lit. Elle se sent d’ailleurs quelque peu gênée d’entrer ainsi dans l’intimité de ce couple. Si ce n’est pas la première fois qu’elle doit le faire pour soutenir un accouchement, c’est toutefois la première fois qu’elle se présente dans ce genre d’endroit, dans ce contexte. Le chevalier s’accote sur la porte, lui annonçant qu’il lui laisse tout le temps qu’il faut. Elle se permet toutefois de lui expliquer la procédure, pour le rassurer lui aussi, car Clémence sait déjà ce qu’il en sera.

-N’ayez crainte, ce ne sera pas une procédure trop invasive. Je pose seulement mon amulette sur son ventre ainsi que mes mains. Il est possible qu’elle sente une certaine chaleur s’en dégagé pendant que je l'examine. J’ignore le temps que cela prendra puisque je ne sais pas ce qu’il en est, mais comme je l’ai mentionné à votre fiancé, il se peut que cela me fatigue. Cependant, c’est tout à fait normal chez moi. Elle sourit pour appuyer le tout. Un thé sera quand même le bienvenu après la séance.

Elle se permet ensuite de s’asseoir sur le lit et après avoir regardé les couvertures un instant, elles les soulèvent, avec une idée derrière la tête ; elle veut que Clémence soit le plus confortable possible et c’est pourquoi elle se tourne vers elle, la couvant d’un regard rassurant :

-Lorsque vous êtes prêtes, vous pouvez vous glisser sous les couvertures. Vous allez devoir soulever vos jupes pour que je puisse avoir accès à votre ventre et ce sera sans doute plus confortable pour vous d’être recouverte par vos draps, dit-elle avec douceur.

Elle attend avec patience qu’elle s’exécute, consciente de son passé et que la brusquer ne servirait à rien et rendrait la procédure encore plus complexe. Lorsque l’Estrevine rejoint le confort de ses draps à moitié levé et qu’elle a soulevé ses jupes, la prêtresse couvre donc ses jambes et son bas-ventre, ne dévoilant ainsi que l’endroit où se trouve sa matrice. Elle retire son amulette et lance un dernier avertissement à sa patiente :

-Ce ne sera pas douloureux, mais il se peut que vous ressentiez une petite chaleur ou un léger picotement. 

Clémence écouta attentivement toutes les prérogatives de la prêtresse. Elle s'allongea, remonta ses jupons, se laissa recouvrir par la couverture et attendit. Dès que Zofia fut en position, l'estrevine tendit la main vers son compagnon pour prendre la sienne. Elle n'osait plus rien dire de peur de la déranger mais son regard en disait long. Elle espérait sincèrement qu'elle pourrait faire quelque chose pour les aider et elle redoutait en même temps qu'elle lui annonce qu'elle ne pourrait jamais être mère.
Les minutes s'écoulèrent tandis que le regard de la jeune femme fixait la soignante, se tournant de temps à autre vers Andran pour rechercher un peu de réconfort dans ses yeux. Il était sans doute aussi anxieux qu'elle et, chaque fois, elle serrait un peu plus ses doigts sur sa main. Dans son ventre, elle ressentait effectivement une chaleur assez étrange, qui n'avait rien à voir avec tout ce qu'elle connaissait. Cela ne venait pas de la main de Zofia mais... de quelque part entre son ventre et elle, s'insinuant dans sa chair. C'était apaisant d'une certaine manière. Parfois, elle sentit effectivement quelque chose la picoter à l'intérieur. Loin de lui arracher une grimace, elle étirait plutôt un sourire en direction de son compagnon. La prêtresse faisait quelque chose. C'était bon signe, non ?

Les minutes s'écoulèrent dans l'attente, l'inquiétude et l'espoir pour les deux amants. Mais, au milieu de ce mélange d'émotions chargées, Clémence guettait également la soignante. Elle avait dit qu'elle serait fatiguée et elle s'intéressait aussi de savoir comment elle allait. Le thé ne devrait plus tarder à être prêt et Marjolaine mettait toujours quelques biscuits sur le plateau lorsqu'elle en servait... Elle aurait probablement tout ce dont elle aurait besoin, en plus d'un peu de temps pour se reposer avant de retourner au Temple. Tout ce qu'elle demanderait, elle l'aurait.

Zofia retire son amulette et maintenant que Clémence est placée et prête, la prêtresse lui lance un dernier sourire et pose son focalisateur sur le ventre de l’Estrevine. Elle ferme les yeux et après une inspiration subtile, elle se coupe de toutes distractions, se concentrant seulement sur la sensation dans ses mains et ce qu’elle visualise dans sa tête. Elle fronce légèrement les sourcils, sentant qu’on a déjà réparé les dommages que cette fausse couche a pu causer. Comme une loupe, Zofia continue l’examen, déplaçant parfois légèrement ses mains et réparant davantage ce qu’elle peut. De très vieilles cicatrices à l’entrée de son appareil féminin témoignent d’ailleurs de son passé plutôt douloureux. Elle pourrait les laisser ainsi, mais la prêtresse refuse de ne pas faire de son mieux pour effacer tout cela, du moins physiquement. Elle s’efforce donc de préparer le nid pour le futur bébé, même si quelqu’un avant elle lui a déjà procuré les soins qu’il fallait. Et puis, tout en examinant, elle tente de comprendre ce qui provoque ces fausses couches. Toutefois, sans avoir été vraiment là au moment où les saignements se sont produits, elle ne peut vraiment leur dire ce qu’il en est, car à première vue, rien ne lui semble anormal.

Elle rouvre les yeux après de nombreuses minutes et se rend compte que, animé par le désir de trouver un véritable diagnostique, elle s’est peut-être un peu trop acharné. Elle bascule un peu vers l’arrière, mais se rattrape en posant une main derrière elle. La prêtresse se ressaisit et prend un moment avant de se lancer, se massant une tempe et parce qu’elle ne veut pas briser leur espoir ; si elle n’a rien pu faire maintenant, cela ne veut pas dire que quelqu’un d’autre ne pourra pas. Elle les regarde tout les deux et se lance :

-J’ai fait un examen complet et la bonne nouvelle, c’est que je n’ai rien vu d’anormal. Tout me semble prêt pour qu’un bébé puisse être accueilli. Seulement...je n’arrive malheureusement pas à déterminer ce qu’est le problème. Comme ce n’est pas une question de fertilité, je crois que pour pouvoir vous aider, vous aller devoir demander les services d’un autre vitaliste comme moi, et ce, dès que vous savez que vous attendez un autre bébé. Ainsi, le prochain soignant pourra sans aucun doute vous être d’une plus grande aide et mettre le doigt sur ce qui provoque réellement ces fausses couches.

Elle pose brièvement sa main sur celle de Clémence et regarde tour à tour le couple, d’un air rassurant :

-Ne perdez pas espoir. Je suis certaine que la Bienveillante vous sourira et vous fera cadeau d’un bel enfant en santé.