Les deux gardes de l’entrée principale avaient tous les deux suivi la progression des deux cavaliers qui se dirigeaient vers le bourg. Un échange de regard et un silence ont suffi, un air de connivence. Il est de plus en plus fréquent de recevoir de telles visites d’émissaires étrangers, ici, à Fernel. Par contre, c’est la première fois que l’un d’entre eux se présente au château alors que la châtelaine est absente. Un vague air de réflexion s’affiche sur le visage du plus âgé des deux qui lève le regard vers le dessus de la herse. Il a entendu des bruits de pas sur la pierre, une petite agitation, et un soulagement s’affiche alors sur son facies tandis que son comparse, lui, ne quitte pas des yeux les arrivants. Là aussi, sur les remparts de l’enceinte extérieure, on a perçu l’arrivée de deux étrangers.
Un homme vêtu d’habits riches à première vue, accompagné d’un autre qui ne l’est pas tellement. Les deux gardes tiennent leur position, en simple armure de cuir ornées de feuilles de chêne sur le plastron, le vouge à la main. Tous les deux sont grands, probablement aussi grands que le cavalier qui s’arrête à leur hauteur.
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Le bonjour, gardes ! Nous sommes des émissaires, envoyés par Oësgard. Nous avons un message à transmettre à Dame Louise de Fernel. Pourriez-vous transmettre à icelle l'information de notre présence, je vous prie ?Le plus âgé des deux gardes pose son poing droit sur son cœur avant de répondre :
- Dame Louise n’est pas présente au château…
Il a un regard pour les armoiries présentes sur l’écusson puis fait un pas de côté.
- …mais nous avons reçu des ordres. Vous pouvez entrer.
Même s’il apparaît que les Drows ont quitté le territoire de Péninsule, la surveillance et les mesures de prudence sont toujours présentes à Fernel. Il y a moins de gardes affectés sur les remparts ou sur les hourds de l’enceinte intérieure, mais les précautions, elles, sont toujours d’actualité. Personne n’entre sans montrer un sceau, une armoirie, quoique ce soit d’officiel qui provient d’un autre fief de Péninsule. Aussi le garde, après d’être assuré d’avoir bien observé les armoiries d’Oesgard, laisse-t-il passer le cavalier et son comparse tout en indiquant, d’un geste de la main, la rue principale qui traverse le bourg, le grand corral et qui mène au château. Le second garde a déjà fait quelques pas pour les précéder.
- Le garde va vous mener au château.
Il n’est pas très loquace. Ce n’est de toute façon pas son rôle. Il a déjà repris son poste, tandis que l’autre garde avance d’un pas rapide au milieu de la rue pavée. Dans les petites maisons plantées ici et là le long du chemin, il règne une petite agitation causée par l’arrivée des deux cavaliers. Il y a une odeur de nourriture qui s’élève un peu partout, c’est l’heure du repas pour ceux qui ont la chance de travailler au sein du bourg et un parfum propre à tordre de faim l’estomac le plus résistant parvient aux nez des trois hommes qui avancent tranquillement. Il y a des petits enfants sur les pas de portes, des petits enfants convenablement vêtus, accrochés aux jupes de leurs mères qui les regardent avec un sourire. C’est qu’un tel spectacle, un beau cavalier, fier et majestueux sur un cheval qui n’est pas de Fernel, ça fait toujours sa petite impression sur les enfants. Il y en a même qui saluent le nouveau venu d’un geste timide de la main. Il y en a d’autres qui rient, en cachant leur sourire derrière leur petite main, avant de chuchoter des secrets à l’oreille de leurs frères ou sœurs. Il règne ici une atmosphère absolument paisible et tranquille.
Ils passent devant l’unique auberge de Fernel, dont le tenancier se tient lui aussi sur le pas de sa porte, en essuyant ses mains à l’aide d’un torchon. De potentiels clients ? Ha non. A leur allure, il n’y a aucune chance qu’ils viennent se poser chez lui, ils seront plus que probablement logés au château. Un peu déçu, il hausse les épaules puis rentre chez lui, sans plus un regard pour les nouveaux venus.
Après avoir traversé la rue principale, ils débouchent sur le grand corral intérieur, là où paissent tranquillement certaines juments et leurs petits. Il y a deux petits palefreniers présents, de onze, ou peut-être douze ans, tant occupés à leurs tâches qu’ils ne voient guère le cavalier et son compagnon. Ils sont tous deux occupés d’une jument à la robe crème, un élégant animal auquel ils parlent à voix basse tout en caressant son encolure. L’animal ne bouge pas, jusqu’à ce que l’un d’entre eux s’approche de son ami qui l’aide d’un grand geste de soutien à grimper sur le dos de la jument. Point de selle. Rien, si ce n’est des caresses, des paroles prononcées à voix basses, incompréhensibles pour qui n’est pas de Fernel. La jument renâcle doucement avant d’avancer, d’un pas très lent, sous les applaudissements du petit garçon resté au sol. Le petit cavalier est fier, sur le dos de cheval. Fier et tout content. Cela ne durera pas, il regagne le sol d’un saut, avant de caresser encore l’animal qui vient de tendrement le bousculer d’un petit coup de chanfrein.
- Ouiiiiiiii !
Un troisième palefrenier arrive, plus âgé celui-là, blond comme un soleil, le regard azur, élancé, le sourire éclatant. Les deux enfants accourent dans sa direction avant de trépigner à ses côtés tandis que le jeune homme avance toujours, amusés, ébouriffant les cheveux des gamins d’un geste assuré de la main.
- Nicholas !, dit l’un des petits garçons,
t’as vu ça ?? T’as vu ? T’as vu ?
- Oui, j’ai vu, Alaric, mais je te l’ai déjà dit, il faut que tu…
- Par ici, je vous prie.
Le garde empêche de suivre la conversation car les trois hommes viennent de rejoindre l’enceinte intérieure. Ils passent ensemble l’épais mur agrémenté de hourds et parviennent enfin dans la cour intérieure du château. Il règne ici un calme qui invite à la détente, un calme troublé par le pas d’un homme d’armes, différent des autres. Grand, le regard doux et fier à la fois, il a cette prestance que confère une place de choix dans la hiérarchie de la seigneurie.
La chevelure aussi brune que celle de Nicholas est blonde, le regard d’un bleu de glace, la joue gauche tranchée d’une longue cicatrice joignant son œil et la mâchoire, il avance, en armure de cuir lui aussi, une épée magnifique reforgée suspendue à son côté. Il s’incline tout en posant son poing droit sur son cœur, avant de se redresser et de saluer, d’une douce et profonde voix :
- Soyez les bienvenus à Fernel ! Je suis Aymeric Atréis, le capitaine de la garde de Fernel. Dame Louise n’étant pas présente, je m’occuperai personnellement de vous.
Il a un regard appréciateur vers le noble cavalier, un regard sympathique pour le second avant de reprendre, à l’adresse du premier :
- Puis-je connaître le but de votre visite ?