Au milieu du rêve... | Viliam & Alicia

Favriüs 20:XI
Printemps, Premier jour de la 3ème ennéade

-Cette cabine ouverte.

J'indique l'endroit de ma main. Mon accent est à couper au couteau et mes phrases comportent peu de verbes. Je n'ai pour vocabulaire que ce que j'ai brièvement eu l'occasion d'apprendre à la bibliothèque d'Odélian, pendant les cinq jours de bateau et depuis mon arrivée... Autant dire que je ne sais pas grand chose. Mais c'est dépaysant et, si Mère Margot tenait à ce que je me change les idées, c'est plus que réussi.
Je n'ai pas une minute à moi. Le matin, je me lève, me prépare, mange avec le groupe et les religieux du Temple qui nous accueillent puis nous nous rendons à l'hospice. Là, j'occupe des rôles variés. J'ai commencé par assister les soigneurs dans leur tâche. Puis, quand j'ai été capable de distinguer la nature des différentes blessures, j'ai commencé à alterner avec la coordination des soins. En fin de journée, j'aide à tout préparer pour le lendemain et je tiens l'inventaire à jour. Après le dîner, je sombre dans le sommeil alors que ma tête est à peine sur l'oreiller.
J'aimerais trouver le temps d'écrire à Clothaire... mais je n'en ai pas. J'imagine qu'il ne m'en voudra pas, il peut entendre que j'en ai eu l'envie mais pas la possibilité. Mon récit suffira peut-être à me faire pardonner.

J'ai à peine l'occasion d'avoir cette pensée que je dois lever les yeux vers ceux qui s'approchent de moi. Le flot de nouveaux venus est incessant. Là où certains trouveraient simplement le constat attristant, moi je réalise à quel point certains de mes malheurs peuvent être futiles aux yeux de tous ces gens. Avoir le cœur brisé est certes douloureux mais ma vie n'est pas en jeu... Mes jambes sont peut-être meurtries mais je peux encore me tenir debout. On a essayé de me tuer mais je suis toujours en vie.
Je me sens aussi moins seule. Dans cette communauté bienveillante, j'ai réellement l'impression d'appartenir à un groupe. Non pas comme dans ma famille où j'étais le petit agneau chétif et surprotégé. Ici, je suis leur égale... Il n'est plus question rang, de titre, de sang... Je suis Alicia. Juste Alicia. Cela me dépayse presque autant que l'architecture locale, les mets que j'ai découvert ou les odeurs qui embaument parfois l'air. J'ai l'impression que Klaus et les brigands ne sont qu'un mauvais rêve à moitié effacé... Serait-ce parce que je vis, réellement et non plus par procuration ?

Je l'ignore. Mais je me sens tellement mieux... Ce n'est pas encore parfait mais mes traits retrouvent un peu de quiétude et de douceur. Comme je n'ai pas le temps de réfléchir et de ressasser mes tourments, je mange et je dors par automatisme, épuisement et besoin. Mon corps s'est un peu renforcé avec ces journées chargées, si bien qu'il m'a fait souffrir au début. Mais il s'est habitué depuis et je commence à prendre le rythme. C'est déjà la moitié de mon séjour ici mais je ne le réalise pas du tout. Je ne compte pas les jours. Peut-être parce que je n'ai pas envie que cela se termine...

-Par les couilles d’Arcam, ça fait mal !
-ça ferait moins mal si tu arrêtais de gesticuler.
-Mais j’ai mal !

Celui qui gémissait s’appuyait lourdement sur son compagnon plus grand que lui. Les deux grimaçaient pour différentes raisons. Le premier parce qu’il sautillait sur un pied, l’autre baigné de son propre sang, le second probablement parce qu’il venait d’assister à l’accident qu’ils les avaient menés là et devait supporter toutes les plaintes de son compagnon.

Sous les protestations du blessé, Viliam le menait tant bien que mal dans le premier sanctuaire qu’il pouvait bien connaitre : un minuscule temple de Nééra dans lequel le bandit avait l’habitude de venir y prier dans les temps de calme. Plus jeune, il s’y était parfois réfugié pour échapper à la garde, quoi qu’en de rares occasions seulement car il n’aimait pas bafouer le sanctuaire de la Damedieu. C’était un lieu de culte avant toute choses, et d’ailleurs celle qui dirigeait les lieux, mère Magdeleine, le lui avait bien rappelé de nombreuses fois. Malgré tout, cela était devenu un endroit dans lequel il se rendait souvent non pas en tant que bandit, mais juste pour lui-même, Viliam, un homme à la foi sincère. Et cela, malgré ses airs revêches et sa moue sévère, ça plaisait à la vieille religieuse qui l’avait quelque peu pris en pitié, à force, et tenait même souvent tête à la garde lorsque ceux si s’intéressaient un peu de trop près à ses ouailles.

-Laisse-toi faire.Le bandit poussa la porte déjà entrouverte du petit bâtiment, avant de lancer un ultime regard à son compagnon alors que ce dernier ouvrait la bouche. Et pas d’autres blasphèmes je te prie, nous sommes dans un temple.

C’est une jeune adepte que Viliam n’avait pourtant jamais vu qui s’approcha quasi instantanément et ouvrit de grands yeux devant le duo, surtout la jambe ensanglantée du premier. Il faillait dire que malgré eux ils détonnaient. Tous les deux étaient sales, leur visage plein de poussière et leurs vêtements pas bien mieux. Ils avaient du sang sur leurs mains, bien que leurs armes semblaient propres et étaient sagement rangées. On aurait pu dire d’eux qu’ils sortaient tout droit directement d’un tas de poussière…Ce qui n’était pas extrêmement loin de la réalité au final.

Loins de chercher à déranger qui que ce soit malgré tout, ils avaient baissé d’un ton, baissé leurs capuches comme il se devaient, et Viliam avait même murmuré quelques paroles, sa main libre sur son cœur. Les quelques pratiquants du coin les observaient naturellement l’air surpris, réprobateur pour certains mais cela n’alla pas plus loin que quelques regards noirs.

-Est-ce que Mère Magdeleine est ici ?

Mais la jeune fille, intimidée ou apeurée, ne répondit pas, ouvrant la bouche sans émettre le moindre son.

-Mère Magdeleine… ? Une grande femme, cheveux gris, air sévère… ?

De nouveau aucune réponse, alors Viliam grogna, plus de frustration que vraiment contrarié par la pauvre gamine qui ne devait pas avoir pris les ordres depuis bien longtemps. Il y avait une autre jeune fille, quoi que probablement plus âgée un peu plus loin et il s’adressa alors à elle, espérant que celle-ci daigne répondre. Loin de l’agressivité à laquelle leur allure pouvait laisser s’attendre, il y avait une petite forme d’inquiétude dans le regard du bandit.

-Mon ami a besoin d’aide. Fit-il en désignant celui qui s’efforçait de rester silencieux malgré les jurons qui avaient l’air de lui bruler les lèvres.

Je suis trop occupée avec une famille venue demander des soins pour leur petite fille qui tousse à s'en arracher les poumons que je ne me rends pas compte de ce qu'il se passe non loin de moi. Je leur indique où aller de mes mots maladroits, juste avant que d'autres n'attirent mon attention car ils me sont adressés. Je me tourne alors vers un homme plutôt grand et des traits durs qui ne collent pas avec sa voix. Quant à son allure... J'espace d'un bref instant, il me fait penser à moi lorsque j'ai pu m'extirper de la grange en flammes... Mais, en me tournant vers le blessé qu'il me montre, cela me permet seulement de comprendre que le sang qui le macule et celui de son compagnon. Ce drame de ma vie me serait-il enfin utile ?
Je regarde alors autour de moi mais aucune cabine de soins n'est disponible, si ce n'est celle d'un soigneur qui vient de s'absenter pour faire une pause rapide.

-Là. Je dis simplement avant d'appeler la jeune Sœur qui regardent les deux hommes, prostrée. Guylaine ? Prends ma place s'il te plaît.

Elle sera mieux là qu'avec eux. Et en attendant que le prêtre revienne, il faut quelqu'un pour commencer à nettoyer la blessure qui a largement pris la poussière sur le trajet qui l'a conduit ici. Tandis qu'elle me rejoint et que les deux hommes vont s'installer, je prends mes cannes et commencent à me lever.

-Êtes-vous certaine...
-Ce sont des enfants de Néera, ou au moins en partie. Et nous sommes là pour prendre soin d'eux. Peu importe leur apparence ou leur origine. Je réponds avec douceur.

C'est assez étrange... Que ce soit à moi de lui inculquer cette leçon. Moi qui n'avais jamais quitté Arétria jusqu'alors, un pays connu pour son esprit étroit et son manque de sympathie envers les étrangers. Mais je savais que j'allais me confronter à une toute autre culture et à des personnes totalement différentes ici. Et je m'y suis étonnamment bien faite...
De mon pas lent, je me rends au chevet de celui qui est désormais un patient de l'hospice. Je tire le rideau derrière moi et, quand je me retourne, je réalise que c'est la première fois que je me retrouve seule pour soigner quelqu'un. C'est une sensation étrange...
Je pose mes cannes dans un coin car je vais avoir besoin de mes deux mains.

-Montrez. Je demande au jeune homme avec mon accent qui ne peut que trahir l'endroit d'où je viens.

Tandis qu'il dégage la zone blessée, je m'avance d'un pas mal assuré vers la commode qui se trouve non loin. J'en ouvre les portes et me baisse le temps d'y prendre une éponge pour nettoyer la plaie, un flacon d'alcool pour la désinfecter et un linge pour l'appliquer. Je pose le tout sur le dessus du meuble avant d'y prendre appui pour me remettre debout, ce que mes jambes ne parviennent pas à faire toutes seules. Je referme les portes et je retourne auprès des deux hommes afin de voir ce qu'il en est.

-Je suis bien désolé de vous infliger ça… Souffla le blessé en remarquant la peine de sa sauveuse à se déplacer elle-même.

Dans un même temps il avait relevé les restes de son pantalon déchiré, laissant le soin de constater la plaie qui  traversait sa jambe. Quelque chose avait pénétré les chairs de son mollet et l'on avait probablement retiré l'objet sans précautions, aggravant la blessure qui n'était pas mortelle mais largement douloureuse et devait être traitée pour éviter tout risques.

-C’est ce qui arrive quand on ne regarde pas où on marche. Continua-t-il les dents serrées, comme si parler diminuait la douleur. Et quand un bâtiment s’effondre sur votre tête…

Viliam quant à lui s’était installé un peu en retrait dans le recoin et plissa les yeux en fixant la jeune femme. Un détail infime pour beaucoup l'avait soudain saisit. Il hésita une seconde avant de tenter quelque chose qui laissa son compagnon sans voix.

-Vous parlez mieux la langue des hommes que la notre n’est-ce pas ? Fit-il en langue péninsulaire, d’un ton qu’il aurait voulu doux malgré la rudesse de ce patois.

Sans qu’il ne le sache son propre accent d’ithri vaan se mêlait à une tentative d’égaler un dialecte venu du nord de ces contrées qu’il n’avait pourtant jamais vue lui-même. Sa grammaire semblait légèrement hésitante et pas aussi fluide qu’un véritable natif mais il demeurait largement compréhensible. C’était presque une surprise pour lui-même car cela faisait bien des années qu’il n’avait pas tenté l'expérience. Il n’aimait pas tellement le faire, à vrai dire, et ne l’aurait pas fait s’il n’avait pas perçu une légère détresse chez cette jeune fille face à l’élocution rapide et sans efforts du blessé. Il y avait peut de chance qu'elle ait saisit ce qu'il lui avait dit si sa maitrise de l'Olyian était encore hésitante.

L'autre l’observait d’ailleurs avec des yeux ronds comme s’il se trouvait soudain face à un total étranger. Le jeune homme ne comprenait soudain pas un traitre mot de ce que le semi-elfe racontait.

-Je reconnais votre accent. Ajouta-t-il simplement.

L'entaille est vilaine et, si je n'ai pas encore l'expertise pour comprendre ce qu'il s'est passé, je sais au moins que je ne vais pas pouvoir la soigner entièrement toute seule. Je me redresse et me retourne, clopin-clopant, pour attraper un tablier suspendu au mur. Se faisant, l'homme qui accompagne le blessé se met à employer des mots que je comprends parfaitement. Je le cherche des yeux, un peu étonnée mais pas totalement surprise non plus.

-Vous êtes manifestement plus nombreux à parler ma langue ici que ceux de chez nous à parler la vôtre. Je remarque en étirant un sourire doux.

Je passe le tablier autour de la tête et en noue le nœud après avoir fait deux fois le tour de ma taille avec les ficelles tant je suis fine. Tout en me préparant, je continue à lui répondre.

-Et on n'apprend pas l'Oliyan à une jeune fille comme moi. Tout ce que j'en sais, je l'ai appris sur le trajet et depuis mon arrivée.

Je me lave les mains à l'alcool puis j'enfile des manchons de tissu afin de protéger mes vêtements. Je ressemble à une véritable soigneuse mais je n'en ai pas les automatismes et encore moins l'expérience. Je rapproche un premier tabouret près de la table d'oscultation puis je fais signe à celui qui me comprend.

-Est-ce que vous pourriez m'aider ? Lui dis-je en lui montrant le seau d'eau claire près de lui.

J'arrive à porter des objets très légers mais je suis incapable de me déplacer avec des charges plus importantes. J'aurais pu me débrouiller seule, non sans avoir l'air véritablement infirme... Mais pourquoi prendre la peine de montrer l'étendue de mes faiblesses physiques quand quelqu'un est en mesure de s'occuper de cette tâche pour moi. Et, malgré son air peu accommodant, cet homme n'a pas l'air méchant.
Je rapproche un second tabouret et y prends place après m'être saisie de l'éponge. Je plonge cette dernière dans le seau une fois à ma portée puis je m'adresse au blessé, répétant avec difficulté une phrase bêtement apprise par cœur pour cette situation.

-Cela ne va... pas être... agréable.

Je prends alors l'éponge et l'amène au-dessus de la blessure. Là, au lieu de le toucher, je l'essore afin que les saletés les plus légères s'en aillent d'elles-mêmes. Il n'y a que les plus incrustées que je devrais aller frotter... Mais en frottant dès maintenant, je pourrais aggraver les choses et rallonger la durée de cette étape. Sans parler de la douleur pour la patient inutile. C'est ce que l'on m'a appris sur le bateau avant de me montrer la pratique ici. Ce n'est pas un exercice très agréable mais je crois que je commence à m'habituer...

-Envoyée en terre inconnue sans en comprendre la langue… ?

Viliam haussa un sourcil. Ça ne le regardait pas mais il n’avait pas pu s’empêcher de s’interroger sur la démarche. L'itrhi Vaan était déjà suffisamment dangereux en en connaissant les codes sur le bout des doigts, alors une étrangère sans maitrise de la langue...

Quoi qu’il en soit, lorsqu’elle avait demandé, il s’était de suite relevé et l’avait aidé à porter le lourd seau remplit d’eau et se tenait prêt à l'aider encore si elle le lui demandait. Quelque part, il se sentait tout autant coupable que son compagnon de mettre ainsi à l’épreuve une jeune fille infirme. Personne n’avait-dont pu l’aider dans son pays ? Peut être était-elle là pour ça au final....

-Est-ce une question trop indiscrète de savoir ce qui vous mène ici ?Osa-t-il alors demander.

Le blessé qui jusque-là serrait les dents laissa échapper un grognement réprobateur de se retrouver ainsi exclu de la conversation et Viliam posa sa main sur son épaule.

-Excuse-moi Ezeid.Fit-il de nouveau en langue Olyianne. Avant de reposer les yeux sur la jeune fille. Les natifs de son pays sont rares je suis simplement curieux.

-Je ne t’ai jamais entendu parler leur langue. J'ignorais même que...ah !Il s’interrompit avec une légère protestation de douleur qu’il n’avait pas su réprimer.

Viliam haussa simplement les épaules.

-ça n’a jamais eu grand intérêt jusqu’ici c'est tout.

Je ne réponds pas à la première interrogation du vaani et fais mine de me plonger dans la réalisation de ma tâche. Je peux me permettre d'ignorer ses mots sans me montrer impolie, la question n'étant pas clairement formulée à mon encontre. Il n'en est pas de même pour la suivante qui, elle, est bien plus directe. Il a au moins la courtoisie de m'offrir de lui-même la possibilité de me montrer vague dans ma réponse.

-Il est parfois salutaire de changer d'air pour parvenir à prendre du recul. L'Ithri'Vaan peut sembler être une solution radicale mais une... ville péninsulaire reste une ville péninsulaire. Si l'architecture et le climat varie sensiblement, les mœurs et les repaires restent les mêmes...

J'allais dire une "cour" plutôt que "ville" mais je ne suis pas certaine que le mot soit suffisamment explicite et il n'a de toute manière pas besoin de connaître mon rang. Je me suis défait de mes gardes dans ce but, révéler ma situation serait m'exposer au danger alors que je n'ai plus qu'un chevalier pour escorte.
J'adresse au blessé un regard et un sourire compatissants tandis qu'il s'efforce de supporter la douleur sans trop broncher. Mais il y a vraiment beaucoup de poussière et il me faut répéter l'opération à plusieurs reprises, parfois de manière ciblée, en espérant avoir le moins possible besoin de toucher la plaie. Mais vient un moment où il faut s'y mettre... Alors, après avoir essoré l'éponge une dernière fois, je souffle longuement pour prendre mon courage à deux mains et venir nettoyer les dernières saletés incrustées dans les chairs, passant toujours dans le même et essayant de ne pas presser la blessure trop fort afin de ne pas l'aggraver.

Sans savoir pourquoi, je tourne la tête vers le rideau qui nous masque à la vue de ceux qui se trouvent dans la salle. Un homme se tient là, les bras croisés, me regardant faire sans rien dire.

-Mon Père...
-Continuez. Vous vous en sortez très bien. Me dit-il d'un ton neutre. Puis il se tourne vers les deux vaanis et s'adresse à eux dans leur langue et avec bien plus d'aisance que moi. Je suis le Père Natael. Je prendrais le relais une fois que la plaie sera propre.

-Père.

Viliam avait hoché la tête en signe de respect à l’arrivée du religieux, et maladroitement son camarade l’avait imité, probablement pas aussi habitué à fréquenter les lieux de cultes.
Bientôt ce fut au religieux de prendre en charge le blessé, laissant le soin à la jeune fille de reprendre ses habitudes. Le bandit lui avait adressé un remerciement dans sa langue, avant qu’elle ne s’éloigne tout à fait mais n'avait pas insisté sur les questions auxquelles elle n'avait pas envie de répondre.

Le temps passant, il fallut vite se rendre à l’évidence que le jeune homme blessé ne pourrait repartir au vue de sa blessure. Elle n'était pas grave, mais il ne fallait pas risquer de la rouvrir ni de l’infecter et il était plus en sécurité ici qu'ailleurs à crapahuter dans la poussière et le sable.

Alors à contrecœur l’un était resté, l’autre était repartit, avec la promesse de revenir plus tard lui tenir compagnie. Cependant à son retour, lorsque le soleil commençait à se coucher, son ami était déjà endormi et Viliam décida de ne pas chercher à le déranger.

A la place il se laissa tomber sur un banc dans l'espace principal. Il n’y avait quasiment plus personne à cette heure-là et ça lui semblait presque plus agréable que plus tôt dans la journée. Quelque fidèle achevaient de placer quelques bougies. Mère Magdeleine en revanche, restait toujours introuvable...Peut être la vieille prêtresse avait-elle décidé de prendre un jour de repos.

Machinalement, il détacha la petite broche à sa veste et la fit tourner entre ses doigts tandis qu’il fixait la grande statue de la Mère étendant ses mains ouvertes vers les croyants. Quelques minutes s’écoulèrent sans qu'il ne cesse son discret manège avant qu’un éclair de tissus blancs et bleus n’attire à nouveau son attention. Son regard croisa à nouveau celui de la jeune fille qui les avaient aidés plus tôt dans la journée et il lui adressa un bref sourire.

Après avoir fini de nettoyer la plaie, j'ai laissé la place au Père Natael puis je suis sortie, non sans adresser un sourire rassurant et amical aux deux vaanis. A peine dehors, j'ai retiré le tablier et les manchons tachés de sang pour les confier à un Frère qui m'a proposé de me les prendre. Tout le monde est au petit soin avec moi mais je ne me sens pas différente pour autant. C'est assez étrange... Aucun membre de l'expédition ne me propose son aide parce qu'il pense que je ne suis pas capable de faire les choses mais parce que c'est plus pratique, plus aisé ou tout simplement gentil... Mais s'ils voient que j'y parviens sans assistance, ils me laissent agir à ma guise. Et je me découvre en mesure de faire tellement plus que je n'en ai fait de toute ma vie...

Mais ma satisfaction n'est que de courte durée.
Tandis que je regarde le jeune religieux s'éloigner, heureuse de mon constat, une silhouette plus haute et plus large s'avance vers moi.

-Que faisiez-vous ? Étiez-vous vraiment seule là-dedans avec ces deux hommes ?

Je comprends alors qu'il a jeté un œil à l'intérieur de la cabine après que j'en sois sortie. Il a dû voir Natael y entrer et trouver étrange que le rideau soit fermé sans qu'il ne se trouve à l'intérieur...
Sans attendre, je m'éloigne, à un rythme bien trop lent pour espérer le semer. L'homme aux cheveux et à la barbe blanchis par le temps mais à la stature solide et au regard perçant ne me lâche plus et me suit aussi bien que mon ombre.

-Il fallait nettoyer la plaie et j'étais la seule disponible.
-Ce n'est pas à vous de faire cela.
-Vous me l'avez déjà dit mais il n'est pas question de rang ici. Je suis venue pour aider alors je me rends là où l'on a besoin de moi. Et c'était là que ma présence était la plus requise.
-La prochaine fois, ne fermez pas le rideau. Je dois pouvoir vous voir.

Je m'arrête en plein milieu d'une allée vide pour faire face au chevalier.

-Je suis certaine que quelqu'un d'autre me voyait parfaitement.
-Je n'ai pas confiance en eux...
-Leurs manières sont inhabituelles mais leur mission est la même que la vôtre : pallier à l'absence de mes gardes laissés à Odélian afin que personne ne se doute de qui je suis.

Un sifflement semblable à celui d'un oiseau nous interrompt. Il ne peut y avoir une telle créature ici et c'est ce qui nous arrête. Nous tendons l'oreille tout en cherchant autour de nous et nous finissons par percevoir des pas qui approchent. L'un de mes protecteurs invisibles nous a averti que quelqu'un venait avant que notre conversation ne soit surprise. J'échange alors un dernier regard avec le chevalier puis je reprends mon chemin. Il me suit, mais donnant davantage l'impression de m'accompagner que de m'escorter cette fois.

Plus tard, tandis que la journée se termine, je viens d'achever mon inventaire lorsque je passe dans un couloir. Tout en marchant, j'aperçois un visage connu et je réduis mon allure, un peu étonnée de le trouver encore là, des heures après qu'il soit arrivé avec son ami.

-Vous êtes encore ici ? Tout va bien ? Je m'enquis avec sincérité.

-J'ai promis de tenir compagnie à mon ami mais apparemment c'est lui qui m'a oublié. Ses yeux se plissèrent malgré tout d’un certain amusement tandis qu’il répondait avec douceur, dans la langue du royaume de Nééra.

Il se redressa un peu, rattachant la petite boucle à sa place et fit mine d'accorder un peu plus d'attention à la jeune fille. Elle l'intriguait un peu, de part ces origines qui lui semblait à la fois exotique et familières mais aussi par sa manière tout innocente et déterminée à la fois d'agir.

- C'est promis je ne compte pas vous causer plus de trouble. Voulu-t-il la rassurer. Il fit un signe de tête vers la statue immaculée. Simplement profiter de sa présence quelques minutes...

Dans le chaos qu'était l'itrhivaan, elle était un doux phare dont n'importe quel néerite avait besoin un jour ou l'autre. Il n’était pas là pour troubler cette paix qu’il respectait plus que tout.

Je redresse légèrement la tête en comprenant que le Père Natael a décidé de garder son comparse au Temple dans un premier temps. La plaie me semblait effectivement vilaine mais je manque d'expertise pour en juger vraiment. J'ai surpris mes compagnons de voyage d'ailleurs en parvenant à regarder et à toucher des blessures aussi laides dans avoir de haut-le-cœur. Mais j'en ai vu tellement lors de mes deux enlèvements... Je ne dis pas que je ne ressens rien face à tout cela. Je n'ai pas l'insensibilité provoquée par la lassitude ou encore le recul qu'offre l'expérience pour parvenir à ne plus avoir d'émotions sur l'instant. Néanmoins, après avoir été entourée par la mort, après l'avoir vue de si près, comme pourrais-je encore être horrifiée par une blessure bénigne ?

Le fait que l'inconnu parle de "trouble" m'intrigue. Je ne sais pas bien de quoi il parle. Son ami est un patient comme les autres à mes yeux. Les accidents arrivent... Même aux hommes équipés d'armes. Et j'ai toutes les raisons de croire qu'il s'agit bien de cela alors que j'ai moi-même retiré des éclats de bois de la chaire du blessé. J'accueille en revanche sa piété avec sympathie et tourne mon regard vers la DameDieu lorsqu'il la désigne implicitement. J'étire un léger sourire avant de revenir vers lui. Je devrais le laisser se recueillir mais le fait qu'il se soit redressé et ait rangé son bijou me laissent entendre que ce n'est peut-être pas ce qu'il souhaite. Alors je lui demande d'un simple geste si je peux prendre place à ses côtés puis je joins le geste à la parole après avoir obtenu son accord. Je pose mes cannes contre la chaise à ma droite puis je lève à nouveau les yeux vers la déesse.

-J'ai du mal à comprendre la religion dans ce pays. Je pensais que certains étaient pentiens. D'autres ithiliens... Mais j'ai découvert qu'ici les croyances se mélangent aussi bien que les ethnies et les races. Je n'ai pas été éduquée dans une telle ouverture d'esprit. Les enseignements que j'ai reçu m'ont été présentée comme étant la seule et unique vérité... Je ne renie pas ma foi pour autant mais j'en suis... perturbée.

Je viens du Nord... Si mon interlocuteur parle ma langue, je doute qu'il la maîtrise au point de reconnaître mon accent. A moins qu'il n'ait vécu un temps en Péninsule. On m'a appris tant de choses... Cette vérité serait-elle des préjugés ? Je finis par me le demander. Mon séjour en Odélian a été trop court pour que je constate une différence autre qu'architecturale et vestimentaire avec ma contrée natale. Et je n'étais pas en état de me pencher sur de tels détails. Mais je me questionne à présent... Y craint-on les mêmes choses que chez nous ? Il paraît que les mages sont mieux tolérés dans le Sud du pays, est-ce vrai ? Je m'interroge tellement... Je me sens si ignorante et naïve... Ma vie me convenait mais c'était parce que je ne savais pas à côté de quoi je passais. Le monde est si vaste et si complexe... Je n'en connais rien. Et, maintenant que j'ai pu y entrer, j'aimerais apprendre à le connaître.

-Je ne suis pas certain d’être le plus apte à vous apporter les réponses que vous cherchez…Le sourire du bandit s’alourdit d’une discrète amertume. Ma foi est aussi sincère que la vôtre mais tout aussi... Il fronça les sourcils, cherchant le bon mot. Imposée.

Après tout, il venait aussi de ce lointain pays. Là où on n’évoquait pas Arcam. Et où la DameDieu était toute puissante. Là où il n'y avait pas de questionnement sur La Vérité. Il avait abandonnées certaines mœurs dans son exil, mais pas celle là.

-J'ai beau être né ici, je devais avoir un peu moins de votre âge en comprenant que le monde était bien plus...hm…Vaste ? Il hésita avant de reprendre encore. Bien plus vaste, c’est cela, que ce que l’on m’avait enseigné et laissé voir. Pendant longtemps j'étais tout autant persuadé que mon monde était le seul qui existait. Et en sortir à été...Plutôt rude. D’ailleurs, c’est votre supérieure ici, Mère Magdeleine qui quelques temps plus tard, m’a convaincu malgré tout que notre foi et ce monde si vaste n’étaient pas toujours contraires. Que notre foi n'était pas seulement de simples chants à réciter.

Cette fois c’est un sourire plus assuré qu’il offrit à la jeune fille. La veille religieuse avait été la seule, grâce au serment de Silence qui liait les prêtres, à recueillir le poids de toute sa vie, tous ces aveux que pas même son amant de l’époque, meilleur ami d’aujourd’hui ne saurait jamais vraiment. Par une simple écoute, elle avait sauvé son Souffle en perdition. Et il n’avait ne lui avait fallu qu’assurer au jeune homme qu’il n’était ni dans le péché ni même simplement coupable de son vécu pour redonner un semblant de sens à son existence. Ce jour-là, le souvenir de ses larmes de douleurs mêlées de soulagement, il le gardait encore plus précieusement que la petite broche à sa poitrine et s’y accrochait encore lorsque le doute venait glacer son échine.

Jeu machinal, les doigts de sa main gauche étaient discrètement venus longer l’entaille qui traversait encore sa paume. Puis, sa main s’était arrêtée à la naissance de son poignet.

-Nééra a créé les Hommes en leur donnant le Choix. Fit-il en laissant finalement retomber sa main. J’imagine que d’une certaine manière, notre mélange de mœurs et de cultures en sont aussi une conséquence. Malgré tout ce que notre société à de terrible et de destiné à changer ou mourir, je ne peux pas imaginer notre Mère rendue malheureuse par notre existence toute entière. Même ceux qui disent lui tourner le dos sont parfois bien plus proche de ses préceptes qu'ils ne le pensent...Ou l'inverse...

L’espace d’un instant, il se demanda presque avec amusement si au final, à force de quérir autant l’amour de la Mère des Hommes, ce n’était pas pour cela qu'il leur ressemblait tant et que son sang elfe se faisait si rare. Peut-être la créatrice des elfes avait-elle finit par renier le peu de ce qui le reliait à elle…

-Ses préceptes sont plutôt raisonnables et ne sont pas si difficiles à suivre lorsque nos intentions sont pures. J'imagine que d'autres cultures qui cherchent à faire le bien en ont d'autres assez approchants, ce qui explique qu'il est parfois possible de les associer... Mais ce n'est qu'un hypothèse. Je connais bien mal les religions étrangères pour être capable de l'affirmer...

C'est une discussion que je pourrais mener avec Clothaire. Cela pourrait se révéler passionnant. Je ne suis pas certaines que la Péninsule possède des ouvrages sur les autres religions mais peut-être pourrons-nous en trouver des évocations pour nous permettre de confirmer nos théories. Des renseignements sur les drows ont certainement été consignés mais je pense que les croyances des Nains et surtout des Elfes seraient plus appropriées... Si tant est que quelqu'un ait rédigé quoi que ce soit sur le sujet un jour...

Tandis que je réfléchis à tout cela, que mon esprit vagabonde entre ses réflexions et la perspective de retrouver mon seul ami en son monde, mes yeux couvent l'effigie de Néera de tendresse. Et je suis finalement surprise moi-même par la paix et la douceur qui m'habite en cet instant. Mon enlèvement me semble soudain si loin qu'il en paraît presque irréel. Si je n'avais pas la certitude que l'on a bien tenté de me tuer, je pourrais presque croire que tout n'a été qu'un mauvais rêve. Mais je sais que ces évènements ont bien eu lieu et la meilleure preuve est ma présence dans cet endroit, aux côtés de cet étranger avec qui je discute le plus simplement du monde.
Ses paroles me reviennent alors et je vois quelques similitudes dans notre histoire, bien que j'en ignore tout. Nous sommes visiblement sortis bien brutalement de l'enfance par une épreuve qui a marqué nos vies. Pourtant, il ne me semble guère dangereux et m'inspire plutôt la confiance. Alors j'ose évoquer une pensée qui me traverse l'esprit.

-Ce monde peut se montrer très violent. Il peut être difficile de ne pas se laisser emporter dans de tels travers. A moins de ne pas en avoir la capacité...

Je souris tristement en baissant les yeux vers les cannes qui reposent près de moi. Il est vrai que, même si je le voulais, je ne pourrais faire de mal à personne. Je suis incapable de porter le moindre coup sans perdre l'équilibre moi-même... Mais ce n'est évidemment pas ce que je recherche. Je ne ressens nullement le besoin de rendre au monde la douleur qu'il m'a fait endurer. Que ce soit physiquement ou émotionnellement.
L'annulation de mon mariage et la trahison de Marc-Aurèle me blessent encore mais moins qu'avant... J'ignore encore comment je réagirai si ma route recroisait la sienne mais je ne chercherai pas à lui faire du mal. A régler mes comptes, peut-être. A lui dire le fond de ma pensée, sans doute. Mais lui rendre la monnaie de sa pièce : non.

Mais alors que cette réflexions me vient, un cri retentit. Il est assez loin mais il provient clairement de l'intérieur du Temple. De nouvelles voix s'élèvent, ainsi que des bruits de métal. Un combat ? Dans la maison de Néera ?!

Si la jeune fille semblait surprise, le bandit l’était tout autant. Inquiet il s’était relevé aux aguets. Même ici, ce n’était pas ni habituel ni normal. Tirer une arme dans un temple de Nééra était un acte suffisamment grave. Faire violence à qui que ce soit devenait un blasphème terrible. Même les gardes du guet ne s’y risquaient pas au risque de s’attirer la colère divine.

Comment pouvaient-on oser ?

-Restez là. Lança-t-il.Je vais voir.

Il eut un instant d’hésitation, posant la main sur le pommeau de sa rapière, qu’il finit pourtant par ne pas dégainer. Un dernier regard vers la jeune fille et il s’éloigna de quelque pas en direction des pas et des cris.

Là, c’était une scène de cauchemar. Des hommes en armures, certain ne portant que des spallières en repoussaient d’autres vêtus de bures et de masques cachant leurs visages. Un homme, lui vêtu de bleu et de blanc était étendu au sol, certainement mort. D'autres fuyaient comme ils pouvaient la maison de la Déesse devenu champs de bataille.

Viliam n’eut pas le temps de mesurer l’horreur profonde qui secoua son souffle. Faisait rapidement demi-tour, un dernier assaillant apparu de nulle part pour le prendre pour cible à son tour. Alors l’horreur se transforma en rage sourde.

On venait de tuer un néérite et dans le même temps on venait de profaner la maison de la DameDieu.
Pire.
L’homme le forçait maintenant à faire de même pour défendre sa propre vie.

Alors qu’il venait de le forcer à reculer contre un mur et de lui saisir le poignet, Viliam lui envoya un coup de coude dans le menton. Désarçonné il n’eut aucun mal à faire voler le couteau de sa main droite et lui faucher ses jambes. L’homme tomba lourdement au sol, sa tête heurtant les dalles froides. Son crâne était sans doute déjà brisé au vu du mince filer carmin qui souillait déjà le marbre, mais le bandit ne lui laissa pas une chance d’en ressortir. Au sol, il le frappa, frappa et frappa, encore, il y eut plusieurs craquements d'os qui se brisaient sous sa main, mais de rage, le bandit n’écoutait plus que ses nerfs. Tout ce qu’il respectait, tout ce qu’il restait de pur dans son souffle, ces salopards venaient de le forcer à le souiller pour de bon. Alors, il frappa une dernière fois ce qui autrefois avait été le crâne d’un autre être humain et qui n'était plus qu'un mélange d'os et de sang informe.

Finalement après une bonne trentaine de secondes de coup presques inutiles, il fixa sa main poisseuse et rouge, comme reprenant conscience de son geste, presque terrifié de sa brutalité. Un nouveau cri de rage dans son dos le ramena à la réalité. La jeune femme…

Ni une ni deux, ravalant tout, il se releva et se mit à courir dans le couloir d’où il l’avait quittée. Ils auraient peut-être…une minute, ou deux avant que les assaillants n’arrivent, si les autres ne tenaient pas le coup.

Mais lorsqu’il revint vers elle, elle n’était pas seule...

-Il faut partir. Maintenant ! Lança-t-il en évitant le regard de l’un et de l’autre.

Même si l'estrevin me demande de rester là, je ne peux pas pour autant rester immobile. Alors, je prends mes cannes et me remets debout. J'ai tout juste le temps de voir l'homme disparaître qu'un autre mouvement attire mon attention. Deux silhouettes sortent de l'ombre. Des silhouettes qui ne m'effraient pas pour les avoir déjà aperçue à plus d'une reprise depuis le début de mon séjour. Ces mercenaires, un homme et une femme, sont d'une telle discrétion que, lorsqu'il m'arrive de les voir, je sais que c'est parce qu'ils le veulent bien, pour me rappeler qu'ils sont là... et qu'ils veillent sur moi. C'est la raison pour laquelle on les paie. Si je ne peux avouer mon statut, on ne peut pour autant pas me laisser sans protection permanente.

S'ils se montrent tous les deux aujourd'hui, c'est que l'heure est grave... Et j'ai déjà peur.

-Il ne faut pas rester là. Dit la femme. Je crois qu'elle s'appelle Jena... Djena... quelque chose.
-Attends, une minute. Réplique l'homme dont j'ai bien plus de mal à retenir le nom.
-On ne peut pas... Rétorque-t-elle alors qu'ils repassent dans leur langue natale.
-Juste une minute. La coupe-t-il.
-Dans son état, une minute peut nous être précieuse. Il faut qu'on parte, maintenant. Elle jette un œil rapide sur l'ouverture d'où proviennent les bruits de combat, certains plus proches que d'autres... -Il s'en sortira. S'il choisit de mener ce combat, c'est pas à toi de le faire renoncer. Lui dit-elle, provoquant une sorte d'incompréhension chez son compagnon qui peste dans un souffle avant de répondre.
-S'ils ont eu le culot de prendre un Temple d'assaut alors qu'il est bien gardé et avant même que la nuit tombe, c'est qu'ils sont nombreux et organisés. Une troisième lame serait pas de trop. Justement parce qu'elle est dans cet état...

Bon, oui, il se sentirait plus serein si son amant était avec lui plutôt que dans la mêlée mais Viliam passe son temps à chercher les embrouilles. S'il devait se faire un sang d'encre à chaque fois, il n'aurait plus qu'à changer de race... Mais il n'est pas surpris qu'on interprète mal ses intentions. Une fois de plus...
Une voix les interrompt dans leur débat. Fantôme se retourne alors, dévoilant son amie d'enfance que sa silhouette cachait à la vue de Viliam. Le mercenaire remarque assez vite l'état des mains de son amant mais il ne dit rien et relève les yeux vers les siens. Ils n'ont pas le temps pour ça.

-Djen. Dit-il avant de se tourner vers elle. Ouvre la marche. On couvre vos arrières. Puis il se retourne vers le bandit. Il sent que quelque chose ne va pas mais ce n'est pas le moment...

Moi, j'ai assisté à tout cela sans vraiment comprendre. Ils parlent bien trop vite. La situation actuelle les préoccupe, c'est une évidence, mais de quoi pouvaient-ils bien parler ainsi ? Finalement, la belle métisse s'avance vers moi.

-Alicia. Vous allez me suivre. D'accord ?

Je hoche la tête rapidement, un peu étourdie par la surprise et l'incompréhension. Tout était si calme il y a un instant... Les cris me semblent plus forts qu'avant... Ou alors est-ce parce que je me concentre trop sur eux ?... Mais Djena pose sa main sur mon bras et me tire légèrement pour m'encourager à me mettre en marche. Je la suis finalement et je ne vois pas, derrière moi, Fantôme poser la main sur la joue de mon précédent interlocuteur, sans un mot, juste le temps qu'il nous emboîte le pas.

La main de Fantôme lui fit relever le regard et l’espace de quelques secondes, il put y lire une profonde peine. Il y avait ce qu’il venait de se produire qui le bouleversait mais aussi…Autre chose. Un doute. Une crainte. Depuis combien de temps guettaient-ils dans l’ombre, les deux Chimères ? Qu’avait-il dit, dans la confiance du lieu de culte ? Il avait l’impression de ne plus se rappeler avec exactitude à cause de tout ce chaos. Et s’il était allé trop loin… ?

-Je t’en supplie ‘Tom. Oublie ce que t’as pu entendre.

Sa voix n’avait été qu’un souffle et ses prunelles noires brillèrent dans la pénombre de l’infime instant qui flotta entre eux avant qu’ils ne soient forcés d’emboiter le pas à la métisse et leur protégée sans même avoir le temps d'obtenir une réponse. Alors il se força à se reprendre et se détacher du mercenaire. Sur leur passage, il ouvrit les portes qu’ils croisaient. Aux salles vides, parfois déjà renversées par le chaos de la panique, il était facile de comprendre que la plupart des autres pensionnaires avaient déjà fuis comme ils pouvaient.

-Vil’ ! La voix de son ami résonna au bout d’un couloir. C’est quoi ce bordel ?!

Il boitait lourdement, mais pourtant, il avait déjà une arme à la main. Il jeta un coup d’œil en biais aux deux Chimères, reconnaissant l’un d’eux sans le dire à haute voix, plus par respect pour son chef qu’autre chose.

-J’en sais rien. Faut qu’on se tire et vite.

L’autre fixa son pied et grimaça.

-J’veux pas vous ralentir.
-Soit pas con Ezeid.
-Ils ont besoin de renfort là-bas ! J’peux pas laisser ces gens mourir alors qu’ils m’ont aidé le matin même. Et si le guet débarque, moi je suis blanc comme un linge. T’en fait pas je m’en sortirais.

 Le jeune homme insistât, déterminé et à son regard, Viliam comprit qu’il ne pourrait le faire changer d’avis. Alors, il se contenta de lui offrir une dernière accolade.

-On se revoit dans la Plaine alors. Soit pas en retard.

C’était dit sur le ton d’un ordre. Le jeune bandit n’avait pas le droit de mourir ici face à ces sectaires. Et puis il le laissa disparaitre tandis qu’il suivait à nouveau le reste du groupe, la même rage au fond du cœur.

Fantôme suit un instant du regard son compagnon tandis qu'il rattrape les deux jeunes femmes pour le dépasser, sans chercher à le retenir. C'est un sentiment étrange qui l'envahit... Est-ce que Viliam a peur ? Ou honte ? Mais de quoi ? De sa réaction ? Il en est... troublé et contrarié en même temps. Sa réponse ne peut cependant être différente de celle de l'instant d'avant : ce n'est pas le moment. Et il ne lui faut qu'une seconde pour nous emboîter le pas à tous.

Je suis un peu surprise de voir l'homme avec lequel je discutais se mêler à notre groupe mais je n'ai pas vraiment le temps de m'interroger. Je concentre toute mon attention et mon énergie sur ma démarche que j'essaie de rendre aussi assurée que rapide, autant que faire se peut avec des jambes comme les miennes... Avancer vite est difficile mais ne pas tomber dans ces circonstances l'est plus encore... Pourtant, c'est important. Cela nous ferait perdre du temps. Un temps précieux...

Derrière la porte suivante, l'homme de tantôt ralentit et j'en comprends bien vite la raison. S'en suit un nouvel échange, une embrassade... et on me pousse à reprendre notre course. Mais mon regard se porte trop souvent sur le blessé de ce matin qui disparaît par la porte que nous venons d'emprunter. Que fait-il ? Où va-t-il ? Il est fou ? Il ne peut pas... !
Mes pieds s'entravent et la mercenaire me rattrape de justesse pour me remettre sur pieds avec une facilité déconcertante. Elle ne me laisse pas protester concernant celui qui est parti et m'entraîne de force dans le prochain couloir.

C'est une sorte de cloître mais à l'architecture très différente de celle de Péninsule. Les colonnes sont si disproportionnées qu'elles couvrent deux étages. Nous marchons, tantôt dans l'ombre, tantôt sous les rayons rasant du jour. La métisse marche en tête, essayant de rester près de moi tandis que les deux hommes sont à l'arrière.
Il y a un bruit... Une sorte de cliquetis mais si léger et lointain qu'il ne m'alerte pas. A l'opposé des deux mercenaires qui se mettent aussitôt à l'abri derrière une colonne, nous tirant par le bras, l'estrevin et moi, afin de nous adosser à la pierre. Avant même de sentir la surface dure et froide contre moi, j'ai entendu des objets siffler à mon oreille avant de venir percuter le mur d'en face dans un claquement métallique.

Des carreaux d'arbalète...

Choquée, mon souffle s'est coupé l'espace d'une seconde et je peine à reprendre ma respiration tandis que Djena me demande de ne pas bouger. Elle a à peine échangé un regard avec son comparse qu'elle se met à grimper le long de la colonne, à l'aide des maigres gravures qui en font l'ornement. En deux temps trois mouvements, elle a atteint le deuxième niveau depuis lequel on nous a attaqué, de l'autre côté du cloître.

-Je vais détourner leur attention. Souffle Fantôme à son compagnon.

Son amie a pu profiter du temps de leur recharge pour grimper sans être vue. A présent, si elle veut pouvoir les approcher, il doit faire diversion. C'est le plan qu'ils ont établi sans même se parler. Ils se sont tellement entraînés et combattus ensemble qu'ils n'ont plus besoin de mots... ni même de geste.
Aussitôt, il s'élance pour passer du couvert d'une colonne à celle de la suivante où je me trouve. De nouveaux tirs suivent son passage et l'un percute la pierre près de moi, m'arrachant un cri de surprise et de peur, totalement involontaire. J'ai bien cru que le dernier carreau allait me toucher... J'ai senti un éclat de pierre effleurer mon visage.

-Ça va ? S'enquit le mercenaire.

J'aimerais lui répondre que oui mais je suis terrifiée. Il le voit bien et il essaie de m'apaiser avec les quelques mots de vocabulaire qu'il parvient à rassembler dans une telle situation.

-Calme. Respirez. Faites-nous confiance.

Fantôme se tourne vers son compagnon. Il parle bien mieux cette langue que lui qui n'en a appris que quelques rudiments utiles dans son travail. Il devrait venir à sa place et l'interroge du regard pour savoir s'il se le sent. Si oui, alors il se précipitera vers la colonne suivante. Il devrait alors avoir le champ libre pour avancer à son tour.

Lorsqu’il lui demande en silence, Viliam hocha la tête sans réfléchir. Parfois son compagnon semblait oublier qu’il avait autant l’habitude que lui de ce genre de situation à risque…D’autant qu’il n’avait pas la chance d’être du bon côté de la loi.

Alors ni une ni deux quand la Chimère fonça, il se plaça à côté de la jeune fille effrayée. Il grimaça un peu et se recroquevilla autant qu’il pouvait derrière le muret. Alicia était plutôt petite mais lui c’était une autre histoire… Ce genre de bâtiment n'étaient pas spécialement fait pour se cacher à l'intérieur...

-Respirez. Faites le vide. Comme quand vous…heu…occupez de vos patients. Tenta-t-il.

Forcément ce genre de vocabulaire, ça on lui n’avait pas spécialement apprit et il n'avait soudain aucune idée de comment dire ''soigner'' dans sa langue… L’adrénaline ne l’aidait pas spécialement à se remémorer des souvenirs qu’il avait volontairement enfouit. Alors il s’aida de ses mains pour se faire comprendre. Ayant une idée, il lui donna soudain sa broche.

-Concentrez-vous dessus. Fit-il. Machinalement, il voulut avoir un bref visuel sur la situation du côté des Chimère mais le carreau qui siffla au-dessus de sa tête l’en dissuada tout aussi vite. Son attention retourna immédiatement à la jeune fille. Tout ira bien. Elle ne nous laissera pas. Pas dans sa maison.

Le départ du mercenaire a provoqué de nouveaux tirs qui me font tressaillir. Je cherche à me protéger inutilement à l'aide de mes bras alors que la colonne me préserve toujours des jets de carreaux. Je me sens néanmoins acculée. Je ne peux me déplacer. Je suis incapable de courir et, même entre deux salves, je n'aurais pas le temps de me rendre au couvert suivant. Je pourrais ramper, à l'extrême limite...

Tandis que je reste là, sans savoir quoi faire, l'homme avec qui je discutais tantôt me rejoint. Il n'a pas l'air plus perturbé que cela par la situation, comme s'il y était aussi habitué que mes deux gardes. Est-ce que tous les estrevins sont ainsi ? Ce n'est pourtant pas ma première embuscade mais je ne m'y habitue pas... Comment font-ils ? J'écoute ses conseils et je ne sais pas bien comment les mettre en pratique. Lorsque je soigne, je ne sais pas vraiment de quelle manière je parviens à faire fie de ce qu'il se trouve sous mes yeux. Et ma vie n'est pas en danger.
Fébrile, je parviens néanmoins à prendre plus ou moins délicatement le bijou qu'il me tend. Je discerne les contours de Néera, usé par le temps et les nombreuses manipulations de l'objet. Je passe le pouce dessus et je l'observe jusqu'à ce qu'une autre salve attire mon attention. Le mercenaire a bougé encore... Je ne sais pas vraiment ce qu'il fabrique mais j'imagine que tout ceci a un but bien précis. Qui qu'ils soient, ses gens sont particulièrement violents et je ne peux que revoir les pièces mises à sac que nous avons traversé et repenser aux cris de tout à l'heure.

-Mais sa maison a-t-elle protégé les autres ?

Je tourne finalement mon regard vers l'estrevin. Si, du fait de mon statut, je n'avais pas deux gardes personnels, je serais aussi démunie que celles et ceux que j'ai accompagné jusqu'ici. Peut-il être certain que le fait d'être des serviteurs de la DameDieu, dans sa propre demeure, les préserve de la mort ? Je suis peut-être aussi jeune que j'en ai l'air mais je ne suis pas totalement naïve... Les religieux sont des cibles trop faciles. Comment pourrais croire qu'aucun ne sera blessé aujourd'hui ? Ou pire...
Mais alors que je le fixe sans attendre de réelle réponse, détaillant son regard pour y trouver la confirmation de ce que je pense, des bruits de combat et des cris nous parviennent depuis là où se logeait les tireurs. Fantôme se risque à jeter un œil rapide sur ce qu'il se passe mais il est bien trop en contrebas pour y voir suffisamment. Finalement, après quelques dizaines de secondes, un bref chant d'oiseau résonne contre les parois du cloître.

-On y va. Invective le mercenaire, plus en regardant le bandit que moi.

Le bandit dut bien avouer que la réplique de la jeune femme le prit de cours et elle dût bien voir qu’il ne sût quoi répondre. Elle n'avait pas vraiment tort et il était le premier a pouvoir faire remarquer le nombre de fois où la protection de la déesse s'était faite cruellement désirer, mais c’était elle normalement la religieuse à la foi inébranlable… Avant qu’il ne puisse balbutier quoi que ce soit cependant, Fantôme avait repointé le bout de son nez.

-Venez ! Répétât-il alors.

Il tendit sa main vers Alicia, cherchant à l’aider à se relever et à avancer. Il n’était pas très doux, mais il fit de son mieux pour ne pas trop brusquer la pauvre péninsulaire qui devait maudire les vaanis dans toute les langues qu’elle connaissait. Aurait-elle tort de le faire… ?

Pourtant, leur salut n’était visiblement pas encore prêt d’arriver et à peine eurent-ils relancé leurs courses qu’ils arrivaient devant la sortie, évidement bloqué par quelques derniers assaillant. Viliam ne put se retenir de jurer.

-Cachez-vous Alicia. En Arrière.

Il lui lança un regard plein d’empathie, sincèrement navré qu’elle ait à subir tout cela, et lui fit signe de rester se protéger des combats qui adviendrait d’ici quelques secondes à peine. Dans un même temps, un soupir et une prière muette plus tard il tirait sa propre rapière, prêt à tout autant se battre que les deux Chimères.

Que j'en ai la force ou non, je suis contrainte de me relever et de me relancer dans cette course. A peine sommes-nous sortis du cloître qu'une porte se profile devant nous mais, sans que je comprenne pourquoi, le mercenaire dégaine l'une de ses armes des fourreaux qui se trouvent dans son dos et, déjà, le métal tinte fortement alors qu'il pare une attaque juste à temps.

Cela ne cessera donc jamais ? Nous y étions presque...

Selon les recommandations de l'estrevin, je recule lentement, me dirigeant vers un angle. Je lis la tristesse dans ses yeux tandis que qu'il s'apprête lui-même à passer à l'attaque. Sans doute lit-il dans mon regard cette absence d'espoir alors que, à peine en train de me remettre de mes dernières mésaventures, je retombe dans une échauffourée à laquelle je ne vois pas d'issue favorable.

Et où est Djenaba ?...

Le combat -déjà entamé par Fantôme tandis qu'on me demandait de me mettre à l'abri- s'intensifie. L'attention se concentre avant tout sur les deux hommes armés et je jurerai qu'ils veillent l'un sur l'autre d'un œil mais je n'en suis guère certaine... Cependant, toute cette agitation semble attirer d'autres assaillants qui arrivent de partout... Y compris du cloître que nous venions de quitter. Aucun d'eux ne semble me remarquer tandis que je me suis tapie à moitié derrière une statue, recroquevillée par terre. Néanmoins, j'ignore pourquoi, l'un de ceux qui passent devant moi arrête son regard sur ma cachette et me distingue sans mal. Il jette un œil rapide sur le combat mais ils sont bien assez nombreux pour seulement deux adversaires... Alors, il se retourne vers moi, s'approche et m'agrippe par le bras. A son tour, il m'oblige à me relever. Il me serre si fort qu'il me fait mal. Je crie de douleur et de protestation. Mais mes protecteurs ne peuvent me rejoindre car on leur barre la route... Et je suis aussitôt traînée de force dans un couloir, escortée par deux hommes à l'air peu commode. Je ne peux rien faire pour les en empêcher... Je me débats mais je n'ai pas assez de force. C'est à peine si j'arrive à les ralentir alors que le mercenaire et l'estrevin sont aux prises avec plusieurs ennemis.

Quelques instants plus tard, nous ne sommes plus en vue... J'entends encore les combats mais ils ne couvrent pas le chahut qui agite le reste du bâtiment et que je perçois enfin. Combien sont-ils ? Quels dommages ont-ils causés ? Pourquoi ? Que me veulent-ils ? Pourquoi m'emmener au lieu de simplement me tuer ?
Tandis que je me pose toutes ces questions, me croyant à présent perdue, il se produit un nouveau rebondissement... Une silhouette sort de nulle part, un cri retentit, le sang coule sur le sol et un corps s'effondre. Je suis repoussée par celui qui me tenait le bras et je trébuche avant même d'avoir pu voir ce qu'il se passait. J'entends un son étranglé et, lorsque je rouvre les yeux, un second cadavre rejoint le premier. Il ne reste plus que moi et cet homme sombre et mystérieux, le visage dissimulé dans la pénombre de sa capuche. Il s'approche de moi d'un pas lourd, l'air renfrogné, tandis que sa cape frôle ses malencontreuses victimes. Je prends appui sur les mains mais je parviens à peine à me redresser qu'il s'accroupit et se penche vers moi.

-N'en as-tu pas assez d'être si faible ? Gronde-t-il.

Je me fige et je dévisage cet inconnu qui me parle comme s'il me connaissait. Qui est-il ? Pourquoi ai-je l'impression que ses mots sont autant un reproche qu'une leçon qu'il essaie de m'enseigner ?
Mais, déjà, des pas résonnent derrière lui et il se redresse pour finalement s'en aller dans la direction opposée, sans plus rien dire. C'est qu'il a entendu ce qu'il se passait dans le couloir précédent tandis que j'étais trop choquée pour avoir perçu quoi que ce soit...

~~~~~~~~~~~~~~~~~~ Quelques instants plus tôt ~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Alors qu'ils se battent comme un seul homme pour défendre leurs vies contre un ennemi trop nombreux, les deux amants voient une autre silhouette surgir de l'accès du cloître. Une silhouette féminine bien connue, ses armes déjà en mains. Leurs adversaires se retrouvent alors à se battre sur deux fronts mais, le temps qu'ils comprennent et se réorganisent, ils perdent leur avantage ainsi qu'un peu de leur effectif qui tombe à terre dans un cri.

-Vas-y ! Lance Fantôme à Viliam comme s'il pouvait deviner ce qu'il voulait dire par là.

Mais que peut-il y avoir d'autres à faire que de se battre ici alors que la pauvre infirme vient tout juste d'être embarquée sans ménagement ? Elle ne peut pas être bien loin et, avec un peu de chance, il doit pouvoir la tirer de ce mauvais pas...

A l’invective de son compagnon, Viliam n’eut qu’un bref instant d’hésitation. Dans le chaos de la bataille, il n’eut le temps que d’un regard vers le mercenaire. L’espace d’une infime miette de seconde, il ne lui demanda qu’une chose en silence : survivre. Survivre à ce merdier et le retrouver ensuite.

L’ouverture ne dura quelque seconde alors il ne put s’attarder. Ni une ni deux le bandit fonça sur les pas des abrutit qui avaient visiblement décidé de cocher toute les cases des actes barbares qui le mettait hors de lui. Le premier qu’il croiserait allait payer pour tous les autres…

Lorsqu’il parvint finalement à la retrouver, ses ravisseurs étaient…mort ? Il y avait un homme qui faisait tranquillement demi-tour. Viliam hésita, la respiration lourde de l’adrénaline et de la haine qui bouillait sous sa peau. Pourtant, il suffit d’un regard vers la pauvre femme recroquevillée au sol pour faire son choix. Serrant les dents, il prit une dernière inspiration avant de s’agenouiller près d’elle, proche, mais veillant à préserver sa bulle, vu l’état dans laquelle elle était.

-Alicia, appela-t-il. Le peu d’accent nord péninsulaire qu’il avait appris avait disparu et il hachait ses mots. Parler cette langue était un effort de concentration qu’il n’était pas vraiment capable de maintenir dans la situation. Il ne suivait que son instinct profond. Il faut partir tout de suite.

Mais comme elle ne réagissait pas, à nouveau il jura et, il passa un bras sous ses jambes, l’autre dans son dos, et fit mine de la soulever du sol souillé. Malgré tout, il fit preuve d’une infinie délicatesse dans ses gestes, s’en était presque étrange et irréel alors qu’ils étaient tous les deux entourés de cadavres et de sang.

Le bandit n’y prêta bientôt plus attention. Il enjamba les deux corps, s’approcha d’une fenêtre qu’un simple coup de pied brisa purement et simplement. Enfin ils se retrouvèrent à l’extérieur.

Heureusement pour eux, les cris et les éclats du combat avaient attiré l’attention sur l’entrée, tandis qu’il se trouvaient sur une aile secondaire du petit bâtiment, et personne ne fit mine ni de les remarquer, ni de les stopper.  

Silencieux, Viliam se mit alors à osciller dans les basses rues de la ville, parfois pour suivre un chemin qu’il connaissait parfaitement, parfois simplement pour vérifier que cette silhouette ci ou cet étrange ombre-là ne les suivait pas.

-Je suis désolé. Finit-il par lâcher au bout d’un moment. J’ai tout l’air de vous enlever à vos gardes, mais il va falloir que vous me fassiez confiance encore un peu.

Car, montant sur ce muret, sautant sur ce toit, puis sur ce rempart en contrebas…Il devenait évident qu’il cherchait à sortir discrètement de la ville alors que les rayons du soleil mourraient à petit feu.

Alicia ne le percevait probablement pas, mais le rythme hâtif du bandit s’accéléra de plus belle lorsqu’ils furent hors des murs. Là encore, il connaissait le chemin invisible qu'il semblait suivre, mais il craignait la nuit qui tombait bien trop vite. Alors lorsqu’enfin, au détours de sentiers sinueux et de passages presque dérobés qui avaient dû rompre plus d’une cheville, ils aperçurent la silhouette de deux discrets bâtiments, le bandit se permit un bref soupir de soulagement et de refaire toucher terre à sa malheureuse protégée.

-Prenez le temps de vous reposer, nous aviserons plus tard. Personne ne viendra vous chercher ici. J'y veillerais

Car ici, c'était chez lui désormais. Puisque la taverne n'était plus digne d'être un refuge fiable, l'Aile blanche avait désormais cette cachette lorsqu'il était cas d'urgence comme celle là. Il fallait simplement prier pour qu'elle tienne quelques temps...

Les mots de l'inconnu m'ont plongé dans une profonde consternation. En proie à l'incompréhension la plus totale alors que le chaos règne tout autour de moi, je relève des yeux médusés vers celui qui, semble-t-il, a retenu mon prénom après que les deux mercenaires l'aient prononcé à quelques reprises depuis le début de notre fuite éperdue. Moi, je ne connais pas le sien... Mais il m'annonce qu'il faut partir. Je n'en suis guère surprise mais, étourdie par les dernières minutes qui viennent de s'écouler, je n'ai pas le temps de réagir que, déjà, il passe ses bras sous mon corps et me soulève de terre comme si je ne pesais pas plus lourd qu'une plume. Son geste est surprenant et très inconvenant mais je n'en suis pourtant pas choquée. Je ne comprendrais que plus tard que son attitude respectueuse et sa douceur y ont été pour quelque chose...
Je sursaute lorsque la vitre éclate, me recroquevillant contre le creux de l'épaule de mon porteur. Quelques instants plus tard, nous sommes dehors et nous nous éloignons bien vite de ce Temple autrefois lieu de quiétude et désormais théâtre de cauchemars. Je ne proteste pas... car tout ce qui compte pour moi en cet instant, c'est de quitter cet endroit.

Les cris et la peur laissent peu à peu place au calme -seulement occupé par la respiration a demi essoufflée de l'estrevin- et à un mélange de soulagement et d'horreur. Tout ce qu'il vient de se produire est encore si frais dans mon esprit que je n'ai pas vraiment la sensation d'en être sortie. Et, en même temps, cela me semble si irréel...
La voix du bandit finit par rompre le fond sonore qu'est devenu son souffle près de mon oreille. Je lève les yeux vers son visage et l'observe quelques instants avant de finalement lui répondre d'une voix monocorde.

-Même si vous êtes réellement en train de m'enlever, que pourrais-je bien y faire ?...

Crier ? Je doute que quelqu'un vienne m'aider.
Protester ? Qu'est-ce que cela changerait ?
Me débattre ? Cela n'aurait pas le moindre effet.

Je repense alors aux paroles de cet inconnu encapuchonné. Oui, je suis faible... Et il semblerait que j'attire sans cesse les bandits, les assassins et les ravisseurs. Je me retrouve démunie face à eux, mais je suis incapable d'y changer quoi que ce soit. Pourquoi avait-il l'air de penser différemment ? Il ne me connaît pas... Pourtant, sa façon de me parler m'indiquait le contraire.
Je soupire en fermant les yeux. Tout se chahute dans ma tête alors que je dois aussi accuser le coup de cette nouvelle tentative à mon encontre. Que me voulait-on cette fois ? Les deux bandits ont a peine échangé un mot tandis qu'ils m'emmenaient. Ils n'ont pas attaqué un Temple entier à cause de moi, même s'ils savaient qui je suis. Se sont-ils intéressés à moi parce que j'ai l'air d'une religieuse ?

Tant de questions et si peu de réponses...

Finalement, l'homme s'arrête. Un peu étonnée, je relève les yeux vers lui avant de me tourner vers ce qu'il se trouve devant nous. Là, dans la nuit naissante, je distingue les contours de deux petites bâtisses dans l'ombre. Aucune lumière n'émane de l'intérieur. Est-ce sa maison ? Ou une cachette ? J'en viens à me demander -pour la première fois- qui est celui qui, depuis une heure, a tenté de me rassurer et de me protéger...
Mes pieds retrouvent la terre ferme. Dans un équilibre précaire, je reste là quelques instants, à détailler de loin ce qui sera notre refuse, au moins pour cette nuit. Je n'en suis pas encore à penser à demain... Cela me viendra au matin. Et puis, je m'affaisse lentement, me guidant d'un bras tendu vers la destination que je vise. Il y a une large pierre près de moi et je m'y pose tandis que je sens que mes jambes m'abandonneront bientôt. Et puis, quelques mots me viennent et s'échappent de mes lèvres, à mi-voix.

-Qui étaient ces gens ? Qui a pu oser... ?

-Je l’ignore autant que vous. Répondit-il alors que, le dos tourné il allumait une lanterne posée non loin.  

Il avait voulu lui laisser un peu d’espace, et en prendre aussi un peu, mais visiblement, elle avait besoin d’encore un d’aide et de présence. Alors il se rapprocha, posant la lanterne près d’eux. Seulement, si la jeune femme était troublée, lui aussi l’était particulièrement et il avait du mal à garder son sang-froid maintenant qu’ils étaient tous les deux hors de danger.

Lui l’était certes, mais pas Fantôme, ni Djenaba. Ezeid non plus n’était pas sortis d’affaire. En bref trop de ses proches étaient potentiellement toujours à danser avec la mort, alors qu’il était là à tourner en rond et faire les cents pas comme un lion en cage. Une partie de son instinct lui hurlait de faire demi-tour de de courir aider ses amis. De ne pas les laisser mourir ou bien être pris par le guet. Mais l’autre savait qu’il fallait rester ici, s’occuper de cette étrange jeune fille.

Et puis cette violence qu’ils l’avaient forcé à commettre sous le regard même de la Damedieu. Ça lui levait le cœur à y repenser et il lui suffisait pourtant de baisser les yeux sur son poing encore ensanglanté.

La grande prêtresse du temple non plus ne donnait plus signe de vie et quelque part, s’il pouvait faire confiance aux mercenaire pour s’en sortir, elle, ce n’était qu’une vieille religieuse et l’idée de la perdre le terrifiait plus qu’il ne voulait bien l’admettre.

Ni Ren ni clarisse n'étaient présent pour lui permettre de garder un tant soit peu de sérénité.

Est-ce qu’il y avait un seul truc qui allait au fond… ? Il en avait presque envie de hurler de frustration.

-Ce genre de chose n’arrive pas d’habitude. Ajouta-t-il, sans évidement verbaliser ses pensées autrement que par la gravité de son ton. Un instant il cessa son manège et revint poser son regard sur Alicia. Qui était l’homme qui vous a parlé ? Vous as-t-il dit quelque chose ?

Une réponse. Il devait y avoir une réponse quelque part. Un responsable Quelque chose sur lequel passer sa colère et son inquiétude. Une seconde il porta sa main à sa poitrine avant de se rappeler qu’il ne possédait plus sa broche. Elle avait dû tomber des mains de la péninsulaire dans la panique…

Je secoue la tête de gauche à droite à la première question de l'estrevin. Je retiens un sanglot tandis que les yeux clos se empêchent mes larmes de monter. Je reprends une inspiration, un peu saccadée, avant de lui répondre d'une voix un peu enrouée au début.

-Il m'a demandé... si je n'en avais pas assez d'être aussi faible. Je me tourne vers mon interlocuteur. Il l'a dit comme s'il me connaissait... Je le lui confie alors que cette idée est peut-être ce qui me perturbe le plus dans tout cela. Puis je réalise une chose... C'était un péninsulaire.

Il m'a parlé dans ma langue et sans le moindre petit accent. Peut-être est-il issu de la capitale... Mais il m'a fort peu parlé, ce n'est pas suffisant pour en déduire quoi que ce soit de tangible. Toujours est-il qu'il n'est pas aretan, ce qui me surprend d'autant plus. Tous connaissent mon histoire là-bas... Serait-ce un autre homme engagé par mon frère pour me protéger ? Il ne m'aurait pas tutoyé... Tout le monde craint les réactions de Magnus, et plus encore lorsqu'il s'agit de moi. Toujours est-il qu'il n'avait rien à voir avec ceux qui ont attaqué le Temple. Ils avaient tout l'air d'autochtones, de part leur allure, leurs armes et les quelques mots qu'ils ont échangé.

J'observe l'estrevin un petit moment. Il se lit tant de choses sur son visage et dans son attitude. Il a l'air à la fois inquiet, triste et en colère. Ce qu'il vient de se produire lui ait tombé dessus aussi soudainement qu'à moi. Il a l'air vraiment soucieux à mon égard et n'a pas du tout l'attitude d'un ravisseur. S'il m'a conduite ici, c'est peut-être bien pour me protéger... D'autant qu'une autre pensée me traverse l'esprit.

-Les mercenaires qui veillaient sur moi... Vous les connaissez, n'est-ce pas ?

Même s'ils ont entendu tout ou partie de notre conversation, cela n'explique pas qu'ils l'aient aussi aisément associé à notre groupe sans même lui poser la moindre question. Ils avaient l'air de travailler ensemble le plus naturellement du monde... Dans l'affolement, j'ai manqué bon nombre de signes qui auraient pu me mettre sur la piste de la relation qui les unie mais je peux en tout cas déduire qu'ils ne sont pas des étrangers les uns pour les autres.