Au milieu du rêve... | Viliam & Alicia

-Oui. Admit-il. Je les connais...Il hésita avant d'ajouter: Ces gens comptent... beaucoup pour moi.

Il n’en ajouta pas beaucoup plus. Ce n’était pas qu’il n’avait pas confiance en la jeune femme, mais visiblement, son amant avait une mission à remplir à ses cotés et il ne pouvait pas la compromettre sur un simple coup de tête.

Et puis…elle n’avait pas vraiment besoin de le savoir de toute façon. Autant qu’elle ne modifie pas la vision, même partielle, de son chevalier servant tant que ce dernier ne l'avait pas lui même décidé ainsi.

-Venez. Fit-il en lui reprenant doucement la main.

Ils ne pouvaient rester discuter ainsi, au beau milieu de la nuit. Même dans un environnement voulu sécuritaire, Viliam ne voulait pas prendre le risque. Il la mena simplement à l’intérieur du plus grand bâtiment, dont l’intérieur semblait avoir été aménagé depuis bien peu de temps. Il y avait une large table dans la salle principale et quelques vieilles chaises qui ne semblaient pas toutes en état de porter un adulte moyen. Répétant son manège précédent, le bandit s’assura en premier lieu de la présence de lumière suffisante avant d’approcher deux assises parmi celles qui tenaient encore, à côté d’une large cheminée d’où un feu s’était mis à crépiter.

Entre temps, Alicia avait pu voir une petite silhouette blanche lentement se glisser dans la salle en activité. Le canidé était même venu la renifler un peu, avait jeté un placide coup d’œil au vaani, puis voyant qu’il n’y avait ni danger, ni grand-chose à manger, avait requis une brève caresse avant de se coucher dans un coin, dormant d’une oreille.

-Je suis navré de vous demander ça Alicia, mais j'ai besoin de comprendre. Ajouta-t-il alors, fixant la jeune femme qu’il avait incité à s’asseoir en face de lui. Doucement il vint prendre sa main, minuscule dans la sienne. Est-ce que vous avez déjà...vécus ce genre de chose ? Il demanda avec douceur. Ici, ou dans votre pays. Pensez-vous qu’il soit possible que quelqu’un vous en veuille pour une raison ou une autre ? Vous a-t-on déjà fait du mal, Alicia ?

Etait-ce pour cela qu’elle était accompagnée de tant d’hommes ? Il détestait lui poser des questions aussi personnelles, surtout sachant qu’à sa place il aurait, il avait, plongé dans un mutisme total. Mais il devait bien exister un début d’explication quand à ces évènements dont elle n’avait visiblement pas été qu’un dégât collatéral.

Mon regard sur l'estrevin change un peu alors qu'il me confie tenir à ces mercenaires. Je me demande quel hasard a bien pu le mettre sur la route qui leur a permis de se croiser en un tel endroit, et dans une telle situation. Je suis désolée pour lui... Et, même si cela me confirme qu'il ne veut que me protéger, j'ai du mal à comprendre pourquoi il les a laissé dans ce chaos pour me conduire ici. Je n'ai cependant pas le temps de lui poser la question qu'il m'invite à le suivre.
Sans vraiment y réfléchir et sans m'y opposer, je prends appui d'une main sur mon assise afin de me relever. D'un pas mal assuré, je parviens néanmoins à atteindre la porte de la bâtisse principale. Là, je prends appui sur un mur pour pénétrer à l'intérieur. Depuis que j'essaie de me débrouiller seule, je parviens à me déplacer de plus en plus longtemps sans assistance. Cependant, mon allure sans orthèse est bien pire qu'avec... C'est pourquoi je ne le fais que lorsque cela est nécessaire ou bien quand je suis seule. Mais il semblerait que j'ai atteint mes limites en termes d'autonomie. Cela fait quelques temps que la douleur de mes jambes finit par me forcer à m'asseoir et à me reposer. Mes muscles se sont renforcés mais il reste toujours mes os et mes articulations endommagés que l'on ne peut guérir...

Tandis que mon hôte s'affaire, je parcours la pièce du regard. Du bout des doigts, je caresse les meubles à ma portée. Cette maison est plus modeste encore que celle des de Terrefière mais cela ne me dérange pas. Je n'ai plus vraiment d'attentes en ce qui concerne mon confort depuis le début de ma retraite. Et, même avant cela, j'avais bien d'autres préoccupations à l'esprit.
Un mouvement qui ne provient pas de l'estrevin attire mon regard et je me fige aussitôt. Je ne suis guère habituée à la compagnie des animaux -autres que mes oiseaux- et je n'ai d'autres visions des chiens que celle de gardiens farouches. Celui-ci, pourtant, s'approche de moi sans gronder ni montrer les crocs. Il se contente de me renifler avant de se détourner de moi. Lorsqu'il s'allonge, mes épaules se détendent et je me sens respirer de nouveau.

Est-ce le seul habitant de la maison ?

A l'invitation plus ou moins contrainte du bandit, je viens prendre place près du feu qu'il a allumé. Je suis un peu surprise de le voir me prendre la main et cela me mettrait presque mal à l'aise. Pourtant, il vient de me porter pendant plusieurs dizaines de minutes pour me conduire jusqu'ici. Ce geste-ci est presque anodin en comparaison. Je l'écoute tandis qu'il me questionne, cherchant manifestement à comprendre ce qu'il s'est passé dans le Temple, sous-entendant que j'y suis pour quelque chose, d'une certaine façon...

-Vous pensez... qu'ils étaient là pour moi ? Je suis partagée entre ce nouveau choc mais aussi l'incompréhension. Pourquoi voudrait-on encore s'en prendre à moi ?! Qu'ai-je fait cette fois ? Je... Je ne vois pas qui... Ceux qui m'ont enlevée ou tenté de me tuer sont morts ou au bagne. Et même si des proches voulaient se venger, je ne vois pas lequel d'entre eux aurait les moyens d'orchestrer une attaque d'une telle ampleur !

Je prends un instant pour y réfléchir encore, visiblement agitée par cette possibilité, mais... Non, je ne trouve pas. L'attaque qui m'a coûtée mes jambes date d'il y a trop longtemps. Si je cherche plus récemment, alors je pense aux Losir, qui ont joué un rôle aussi important que le mien dans la condamnation de Klaus, si ce n'est plus. Et la famille de son complice n'a pas les finances...

-Et puis, je suis arrivée il y a moins d'une quinzaine de jours seulement et si peu de gens savent que je suis ici... Surtout en dehors du culte. Même ma famille n'est pas au courant. Sans compter qu'il y a des façons bien plus simples de m'atteindre ! Des moments où je suis plus exposée que dans le couvert du Temple. Pourquoi organiser l'assaut d'un lieu de culte juste pour une seule personne ? Sans compter qu'aucun pentien n'oserait !

Les questions fusent à présent de mon côté aussi. A aucun moment je n'ai pensé que tout ceci était arrivé par ma faute. S'il se joue encore quelque chose autour de moi, cette fois je n'y suis pour rien et je ne suis pas au courant, contrairement à mon accident dans l'escalier. Je ne vois aucune raison pour que l'on veuille m'enlever encore... A moins que ce soit à cause de mon frère mais, dans ce cas, le contexte reste incohérent. Cela fait beaucoup de moyens déployés quand un enlèvement discret en pleine nuit serait plus approprié. Et s'exposer à la colère divine serait un risque bien trop grand, que ce soit pour un acte politique ou même une vengeance personnelle. Le sang ne peut couler dans la maison de la DameDieu, un commanditaire l'aurait précisé à des infidèles afin de se prémunir d'avoir jouer un rôle quelconque dans un tel acte.

-Non. Non je ne suis pas en train de dire que…tous ces hommes étaient là pour vous. Fit-il en serrant sa main. Ne commencez pas à vous en vouloir pour quelque chose sur lequel vous n’avez aucun pouvoir. Vous n'êtes pas responsables.

Il soupira. Il y avait beaucoup de question, et visiblement son identité n’était pas aussi simple qu’il l’avait cru au départ…

-Écoutez Alicia. J’ignore même s’il y a…une raison à tout cela. L’itrhi vaan est dans une....sorte de crise et peut être ces gens l’a n’auront fait qu’en profiter. Parfois, certains hommes n’ont pas d’autre but que de faire le mal autour d’eux. Vous étiez en retrait et en mauvaise posture. Peut-être cela aurait-il suffit… Peut être y a-t-il plusieurs raison qui se ...hm télescopent. Fit il sans parvenir à trouver le bon mot dans sa langue.

Le bandit n’en savait rien. Le fait qu’elle ait mentionné que l’homme masqué ait été un péninsulaire le gênait mais il ne savait quoi faire de cette information.

-Pourquoi étiez-vous protégées ainsi ?  Demanda-t-il finalement.

Peut être que les Chimères en savaient plus après tout…

Je m'efforce de me calmer tandis que mon interlocuteur tente de me rassurer. J'ai crains, un instant, que tout ce carnage soit ma faute... Même si cela n'avait rien de logique, ces questions m'ont mis le doute. Je suis partagée entre cette culpabilité qui se dissipe vaguement, cette peur mais aussi ce soulagement. Quoi que ce dernier ne soit que temporaire...

-Oh... Vous... pensiez à cet homme...

Mon regard s'égare un instant tandis que je revois la scène se dérouler. Cette haute silhouette sombre qui se penche sur moi... Ce visage que je distingue à peine dans l'ombre... Les mots qu'il prononce et le ton qu'il emploie... C'est étrange... Il ne m'effraie pas. Je ressens plutôt de l'incompréhension tandis que j'entends ses paroles revenir à mon oreille.

-Il m'a parlé comme si... Comme s'il me donnait un conseil.

Une question pour toute suggestion. Cela se pourrait. C'est une façon de réveiller une part de notre inconscient. Même si j'ignore ce qu'il cherchait à faire. Oui, je suis faible, mais qu'y puis-je ?... S'il n'y avait pas mes jambes, tant de choses seraient différentes... Ma vie aurait été différente.

La voix de l'estrevin me ramène à l'instant présent et mes yeux retrouvent les siens. Son interrogation est légitime et je n'ai pas envie de lui mentir... Mais est-ce opportun ? Il y a pourtant une part de vérité que je peux avouer sans ambages. J'étire un sourire, las et triste. Cette journée m'épuise mais je comprends qu'il veuille en savoir plus. Je ne le lui reproche pas. Et je lui dois bien quelques informations après ce qu'il a fait pour moi.

-Disons que... Le Culte redoute la colère de mon frère aîné s'il apprenait qu'il m'est arrivé malheur au cours de ce voyage. Et cela m'arrive un peu trop aisément... A croire que je les attire...

La panique a laissé place à une grande lassitude. J'observe les flammes près de nous qui lèchent le bois pour le transformer en braise. A peine deux mois après le dernier drame, me voilà de nouveau frappée par le destin qui met un autre drame sur mon chemin. Cela cessera-t-il un jour ?... Tout ce que je demande, c'est de pouvoir vivre ma vie en paix... Quand cela me sera-t-il enfin permis ?...
Mais l'estrevin n'est pas le seul à avoir des questions... Et celle que je n'ai pas eu l'occasion de poser tout à l'heure me revient finalement.

-Pourquoi avoir laissé vos amis pour me conduire ici ?

Je pense aux deux mercenaires mais aussi au blessé de ce matin. Je ne comprends pas ses raisons... Les sacrifier pour sauver une inconnue...

-Je ne suis pas sûr d’imaginer ce que j’aurais pu faire d’autre…

Viliam répondit non sans démontrer sa surprise face à cette interrogation. Cela lui semblait plutôt évident. Évidement cela ne lui faisait pas plaisir et au fond il était inquiet. Mais la vie qu’il menait l’avait ainsi fait : on ne tirait rien de bon à se morfondre lorsque l’ont pouvait agir à un autre niveau. En agissant il avait sauvé une vie. Resté là bas qui sait ce qu'il serait advenu d'elle. Et puis…

-Je fait confiance à vos protecteurs pour s’en sortir sans que je sois là.

Il eut un petit rictus, ne verbalisant pas la promesse muette qu’il avait cherché à obtenir de son amant. Fantôme avait intérêt à revenir où il se chargerait de le faire revenir lui même, pensa-t-il avec une légère pointe d’humour derrière l’angoisse. 

-Eux peuvent s’en sortir et vous aviez besoin d’aide. Il haussa les épaules. Et ce lieu est pour l’instant plus sûr que n’importe quel endroit dans la ville. Personne d’autre que mes amis ne le connais et ne saura l’atteindre.

Fantôme non plus ne le connaissait pas…Cela lui vint soudain à l’esprit. Il ne lui en avait encore jamais parlé. L’espace d’un instant il finit par se demander si les rôles n’allaient pas s’inverser et le mercenaire s’inquiéter de ne pas le trouver à l’endroit habituel de leurs rencontres…

-D'ailleurs, mon but n'est pas de vous retenir contre votre grès. ajouta-t-il gentiment en éludant cette triste perspective, Je vous montrerais comment repartir demain si vous le souhaitez, mais en attendant il y a des chambres en haut...Il grimaça en avisant ses vêtement souillés. En revanche je ne suis pas sûr qu'il y ait des habits de femme de rechange dans les coffres.

Il y en avait surement pour de jeunes garçon qui lui iraient, mais la jeune religieuse devraient s'en contenter...

J'étire un sourire plus sincèrement amusé à la remarque de l'estrevin sur les deux mercenaires.

-Ils ont des capacités, cela est certain.

Je les savais doués pour se cacher mais je ne les avais encore jamais vu se battre. Pas une fois, ils n'ont été touchés par une attaque. Et leur coordination interpersonnelle est sans commune mesure. Ils n'ont pas échangé un seul mot... Bien sûr, je n'ai pas assisté à la suite de l'affrontement avec les assaillants mais comment ne pas imaginer qu'ils s'en soient sortis ?
J'ignore tout de la véritablement relation qui unit les deux hommes qui m'ont protégée. Aurais-je compris en les voyant s'échanger ce regard ? Cette requête silencieuse ? Requête à laquelle le mercenaire a répondu de manière à rassurer son amant... Mais il n'est pas homme à faire des promesses en l'air pour autant. Et la situation était critique malgré tout. Le bandit doit l'avoir compris depuis le temps : dans son travail, sa mission lui importe pour beaucoup. Et ils partagent cette volonté de protéger ceux qui en sont incapables.

De protéger les personnes comme moi...

Mais je n'imagine guère tout cela. Je le devine tout au plus dans la réponse de mon interlocuteur. Je hoche la tête dans un signe de compréhension. Si ses amis connaissent cet endroit... Alors ils viendront me chercher le moment venu. Je suppose qu'il faut du temps pour obtenir le calme et s'assurer de la sécurité des lieux. En espérant... Non, je ne dois pas penser au pire. Je n'aurais de toute façon pas de réponse aujourd'hui. Et lorsqu'il m'est proposé de monter me changer et me reposer, j'acquiesce d'un hochement de tête.

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Le chaos des armes a laissé place au silence. Tout du moins dans une partie du Temple car la salle des soins est de nouveau bondée comme aux pires heures de la journée, et avec un effectif de soignants plus réduit... Mais tous font de leur mieux pour cela fonctionne.
Les blessés sont regroupés par gravité de blessures. Les cas les plus graves sont immédiatement pris en charge par des prêtres. Les autres sont bandés rapidement en attendant que quelqu'un puisse les ausculter. Ceux qui ont un minimum de compétences en termes de soins, même s'ils ne font pas partie du Temple, sont aussitôt enrôlés pour prêter mains fortes. C'est le cas du jeune Esio et de son prédécesseur dans l'escouade des Chimères : Fantôme. Catégorisé parmi les blessés légers, il a lui-même soigné ce qui devait l'être avant de se mettre à l'ouvrage, essayant d'oublier les cris de douleurs et les pertes... Il sera bien temps de déplorer tout cela... Plus tard.

Mais alors qu'il est penché sur une blessure, à tenter de la recoudre à la lumière des maigres bougies dont il dispose, une voix le hèle. Il se tourne alors pour découvrir la silhouette de son Lieutenant qui l'attend à quelques pas de là. Le mercenaire interpelle alors le protégé de son Capitaine et lui adresse quelques signes afin qu'il reprenne son travail. Armé d'un chiffon, il s'essuie les mains en vitesse tout en suivant la demi-elfe à l'écart. Dès qu'elle estime qu'ils se sont suffisamment éloignés, elle fait volte-face.

-Elle est où ?! Fait-elle à mi-voix pour qu'on le les surprenne pas.

Fantôme se pince les lèvres. Il espérait qu'on le laisserait gérer la situation ce soir avant de lui prendre la tête avec ça.

-En lieux sûrs.
-Vraiment ? Où ça ? Fait Céleste, sceptique et énervée à la fois.
-J'en sais rien. Et il continue avant qu'elle ne l'incendie sur place. Un de mes amis était là, à essayer de nous aider à l'évacuer. A un moment, on s'est fait déborder. Ils ont commencé à embarquer la fille. A la première ouverture, j'ai demandé à mon ami d'aller la retrouver pendant que Djen et moi on les retenait. Lorsqu'on a enfin pu leur emboîter le pas, les deux qui l'avaient emmenée étaient morts au milieu d'un couloir et une fenêtre était brisée pas loin. Il a dû l'évacuer par là. Et j'ai pas vraiment eu le temps de partir à leur recherche depuis.

Le visage de la demi-elfe change soudainement d'expression et Fantôme sent qu'il ne va pas y couper... lorsqu'une voix masculine coupe court à sa réaction.

-Est-ce que tu es sûr de ton ami ?

Le mercenaire se retourne alors et voit la large silhouette d'un zurthan aux cheveux poivre et sel s'approcher d'eux. Le pas lent et lourd, il les rejoint sans plus ajouter un mot. L'éclaireur semble embarrassé de le trouver là puis finit par se concentrer sur sa question.

-Je lui confierai ma vie, Capitaine.

Le basané pèse rapidement la chose puis hoche la tête dans une moue satisfaite.

-Retourne à tes patients. Tu partiras à sa recherche demain.

Fantôme lui adresse une sorte de salut en signe d'obéissance puis commence à s'éloigner avant de finalement s'arrêter.

-Capitaine... Je suis désolé... Dit-il sans plus d'explication.

L'officier semble pourtant comprendre de quoi il parle. Il s'avance alors vers lui et pose sur son épaule une main paternelle.

-Ce sont les risques du métier, tu en as tout aussi conscience que Djen. Tu as fait de ton mieux. Et elle s'en remettra. Dis-toi qu'elle ne serait plus là sans toi.

Le mercenaire serre les dents. Ce n'est pas faux mais... ce n'est pas cela qui lui fera passer se goût amer, cette impression d'avoir encore merdé en faisant les mauvais choix. Ousmane le connaît assez pour savoir comment il fonctionne et même lui aura du mal à lui faire voir les choses différemment. Sa fille, en revanche, y parviendra peut-être. Mais, chaque chose en son temps...

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Je me redresse soudainement, le souffle court, une fine pellicule de sueur sur mon front. C'était à prévoir... Chaque fois que le malheur me frappe, mes nuits s'agitent. J'ai peiné à m'endormir avant de finalement sombrer brusquement lorsque l'épuisement m'a emportée. Pourtant, mes songes sont tous habités par le bruit des carreaux d'arbalète qui frappe la pierre, les cris, la peur et même ma propre respiration désordonnée... Jusqu'à la voix de cet homme qui résonne sans cesse dans mon crâne.
Combien de temps ai-je réussi à dormir ? Une heure ? Deux ?

Un grincement attire mon attention. Dans le couloir, on dirait que quelqu'un s'éloigne. J'ai dû parler dans mon sommeil... Enfin, je suppose. Je constate en tout cas qu'il ne dort pas. Et il me semble qu'il descend : il n'a donc pas l'intention de retourner se coucher.

D'un geste, j'écarte le drap et la couverture. Je découvre alors mes jambes couvertes d'un vêtement que jamais je n'aurais osé porter si je n'en avais pas été contrainte aujourd'hui : un pantalon. Malheureusement, il n'avait que cela à me donner. La taille convient mais je suis mal à l'aise... En haut, je porte une simple chemise de coton si fine que je la sens à peine. Sur une chaise m'attend un étrange habit en laine sans bouton et un peu court. Je me lève pour aller le chercher et je l'enfile afin de masquer un peu ma silhouette, grimaçant au moment d'étirer le bras bleuit par l'étreinte de cette main qui me tenait si fermement pour m'emmener de force... Puis j'ouvre la porte et je commence une lente progression qui me conduira jusque dans la pièce principale. Celle-là même où nous nous trouvions tout à l'heure.
Entre l'âge du bois, la qualité de la construction et ma démarche mal assurée, il est certain que mon arrivée n'est pas une surprise pour mon sauveur. M'arrêtant sur le pas de la porte, je me détache enfin du mur qui m'a guidée et soutenue jusqu'ici pour croiser les bras sur mon buste en veillant à éviter mon bleu, comme si cela pouvait changer quoi que ce soit à mon malaise...

-Vous ne dormez pas... Je constate. Vous pensez qu'ils viendront vous retrouver cette nuit ?

-Je l’ignore. Dût-il admettre en relevant le regard vers elle.

Il l’avait entendu arriver, mais n’avait pas plus réagit que cela. En effet il ne dormait pas, et n’avait pas vraiment eut l’intention de le faire pour l’instant. Il y avait trop de questions, trop d’inquiétude pour fermer l’œil. A la place, une fois qu’elle s’était installée et avait fait mine de vouloir être seule, le bandit s’était contenté  de son coté d’une longue prière qui l’avait un peu aidé à recentrer ses pensées.

Il avait entendu la jeune fille sangloter à un moment, et avait hésité à aller la voir, mais remarquant qu’elle dormait malgré tout, il n’avait osé la déranger plus et était redescendu en bas. Ce n’était que quelques minutes plus tard qu’elle était apparue, probablement réveillée par un manque de discrétion de sa part.

Machinalement il laissait sa main tracer au fusain les lignes d’un portrait sur un parchemin vieilli. Dans son autre main il tenait un peu d’herbes séchées et roulée qu’il fumait de temps à autre. D’un geste amical il proposa à la péninsulaire de s’asseoir si elle le voulait.

-Je suis au même stade que vous. Il soupira. Tout ce que je peux faire, c’est d’essayer de me raccrocher à la confiance que j’ai en eux pour espérer les voir revenir en un seul morceau dès qu'ils le pourrons.

Ce n’était pas spécialement rassurant, mais il ne se voyait pas lui mentir…

A l'invitation de mon sauveur, je m'avance vers la table afin d'y prendre place. Cela me demande un peu de technique mais je ne réclame aucune aide. Je ne veux plus être assistée comme je l'étais autrefois. Quelque part, c'est ma façon de me montrer un peu plus forte qu'avant. Et cela me fait nécessairement penser aux paroles de l'inconnu... Il n'a peut-être pas tort : j'en ai peut-être assez de me sentir faible et inutile. Peut-être est-ce en partie pour cela que j'ai rejoint cette expédition et que je m'y suis sentie si bien jusque là ?
Ces pensées m'effleurent juste avant que la voix de l'estrevin n'attire à nouveau mon attention.

-Je pourrais vous dire que je comprends... Mais je suis plus habituée à être celle pour qui l'on s'inquiète. Et non l'inverse.

Je lui parle avec douceur alors que je me montre parfaitement honnête avec lui. J'en aurais presque honte... D'être celle que l'on doit sans cesse veiller et secourir. Celle qui cause tant de tracas et qui ne peut se débrouiller par elle-même pour se défendre. De quelle manière pourrais-je changer cela ? Cette idée germe dans mon esprit et je ne me doute pas un seul instant que c'est la stratégie de cet homme qui est à l'oeuvre...
Tandis que le silence s'installe de nouveau, seulement rythmé par le crépitement du feu et interrompu par un soupir du chien, je porte mon regard sur l'ouvrage de mon compagnon d'infortune. J'y reconnais assez vite mes traits et la coiffure que j'avais pour travailler aujourd'hui. A présent, mes cheveux sont détachés et touchent à peine mes épaules.

-Vous dessinez très bien. Moi, c'est plutôt la musique qui me détend. Même si cela fait deux mois que je n'ai pas été capable de toucher un instrument...

J'examine mes mains et caresse l'extrémité de mes propres doigts à l'aide de mon pouce. J'ai perdu la légère corne qui s'était formée là où je manipulais les cordes de ma harpe et de mon luth. Elles sont lisses, à peine abîmée par les travaux de ces deux dernières ennéades. Quelques tâches d'encre ornent la droite, là où j'ai tenu la plume pour mettre à jour l'inventaire à la va-vite. Je n'ai même pas pu écrire la moindre lettre depuis mon départ... Le couronnement et le mariage sont passés à présent. Pourvu que Magnus ne se rende pas à Odélian en mon absence... Si Clothaire doit lui apprendre la nouvelle, je redoute sa réaction. Et j'aimerais autant que le bibliothécaire ne se retrouve pas à nouveau face à lui.

-Je ne connais même pas votre nom... Je lui fais enfin la remarque sans même me rendre compte que c'est peut-être volontaire de sa part. Comment pourrais-je imaginer qu'un homme aussi bienveillant que lui pourrait être recherché ?

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Quittant un patient qu'il vient de finir de bander, Fantôme retrouve le recoin installé pour permettre aux soigneurs de sa laver les mains entre chaque blessé. Tandis qu'il s'affaire à retirer les traces de sang sur ses doigts, un mouvement attire son regard et il lève les yeux. Il voit alors une silhouette se faufiler en catimini pour quitter les lieux. Il fronce les sourcils, se sèche très sommairement les mains et prend la direction empruntée par l'ombre qu'il a vu passer. Au passage, il attrape son armure de cuir et ses lames posées dans un coin puis force l'allure pour rattraper le fuyard, le pas silencieux.
Au détour d'un embranchement, il l'aperçoit enfin et reconnaît alors l'ami de Viliam qu'il a croisé plus tôt dans la soirée. Il jure alors intérieurement... Il espérait pouvoir continuer à soigner pour le moment et lui demander de l'aider à trouver son compagnon lorsqu'il en aurait terminé mais il va visiblement devoir changer ses plans. Il peut au moins se consoler en se disant que les blessés les plus graves sont déjà passés...

Alors qu'il est encore à plusieurs mètres du bandit, et profitant d'être seul avec lui, Fantôme le hèle.

-Ezeid, attends. Il faut que tu m'aides. Il grimace un peu en enfilant sa cuirasse souple tout en marchant pour achever de le rejoindre mais il ne s'arrête pas pour autant. Arrivé à proximité de lui, il lui parle à mi-voix. Viliam a emmené la fille que je protégeais avec lui. Il faut que je les retrouve et je sais pas où se trouve le point de rendez-vous qu'il t'a donné. Tu veux bien m'y conduire ?

-Viliam. Il répondit doucement.

Il n’avait pas spécialement l’intention de lui cacher, mais les évènement et l’agitation lui avaient fait oublier ce détail.

Avec gentillesse il tourna le parchemin vers la jeune femme et le poussa vers elle.

-Gardez le. Comme ça vous pourrez peut-être conserver un petit quelque chose de positif de ce pays.

De toute façon il ne savait pas vraiment ce qu’il en ferait autrement que l’entreposer dans un vieux carnet poussiéreux ou l’abandonner à jamais au flammes. Autant que la péninsulaire le garde si cela semblait lui plaire…

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Ezeid, lui , jura à demi lorsqu’une voix le héla. Il aurait voulu partir discrètement mais c’était visiblement raté. Fixant le mercenaire, il n’avait pas l’air très à l’aise à l’idée d’accéder à sa demande. Le jeune homme hésita clairement.

-J’ai promis de ne rien dire mais j’imagine que si tu es moitié aussi têtu que Viliam, tu me suivras quand même, quoi qu’il se passe.

Pourtant, il lui fit un signe du bout des doigts, intimant à la Chimère de le suivre dans la demie ombre du couloir. Il boitait toujours fortement, les combats n'ayant guère aidé à se rétablir. Il parlait à voix basse, évitant que d'autres entendent.

-Même si tu l’aime, il y a des choses que les étrangers ne doivent pas voir et j’ai pas le droit de décider ce que tu es. Fit-il avec une certaine défiance presque dissonante pour le jeune âge qu’il affichait. Je trahirais pas mon chef comme ça.

Le blondinet fourra sa main dans sa manche et en sortit un linge blanc qu’il présenta à Fantôme.

-C’est avec ça ou rien. Il pointa vaguement ses yeux, histoire de lui faire comprendre ce qu’il voulait.

Je souris avec douceur. Je prends délicatement le dessin pour le détailler d'un peu plus près. C'est très ressemblant... Je ne suis pas la meilleure juge mais j'ai l'impression de me voir dans un miroir. L'attitude, le regard, l'expression... Il est très doué.

-Je garde de votre pays plus de choses positives que vous ne le croyez... Même s'il y a en beaucoup que je ne comprends pas, je ne peux nier que l'Estrevent a des qualités dont la Péninsule est dépourvue. Il règne ici une ouverture d'esprit que je n'imaginais guère possible. L'architecture est certes monumentale mais elle est aussi raffinée et très recherchée. Votre langue est complexe et chantante. Vos épices sont aussi nombreuses que différentes les unes des autres. Et il y a... Une certaine forme de liberté qui m'est étrangère. Nous parlions des cultes tout à l'heure... Et puis, une femme en pantalon serait regardée de travers dans mon pays.

Mon expression se fait un peu plus amusée cette fois tandis que je fais clairement référence à ma tenue actuelle. Ce sont les deux exemples qui me viennent à l'esprit mais il y en a certainement d'autres auxquels je ne pense pas pour le moment.

-Je comprends que Père Natael aime tant venir ici.

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Fantôme le suit dans l'ombre sans broncher, manifestement en pleine confiance. Il n'a pas de raisons de penser qu'Ezeid puisse lui faire de moindre mal. Il est loyal envers Viliam et ce dernier n'apprécierait sûrement pas qu'il s'en prenne à son compagnon. L'offre qu'il lui fait, cependant, ne manque pas de l'amuser.

-T'es sérieux ? Tu viens de dire toi-même que si tu refusais, je te suivrais, et t'es pas vraiment en état de me semer. Lui fait-il remarquer.

Même si le mercenaire a manifestement une douleur au niveau du thorax révélée par la gymnastique de devoir se rééquiper, ses mouvements semblent moins impactés par sa blessure que celle qui force le bandit à boiter. Il n'aurait aucun mal à le suivre jusqu'à la planque et y parviendrait sans doute en meilleure forme que lui d'ailleurs. Et ce, même s'il n'a pas pris le temps de se poser une seule minute depuis qu'il a pris son service à l'aube.
Fantôme soupire. Il est fatigué mais il ne veut pas pour autant se prendre la tête avec l'un des hommes de son compagnon. Alors il reprend, un peu plus calmement.

-Ecoute, si ça peut te rassurer, je connais déjà le Grenier, la Tour et le passage des berges, pour ne citer qu'eux. Viliam me les a montrer pour que je sache comment le retrouver s'il avait des ennuis.

Le mercenaire n'a jamais demandé à son amant de lui indiquer tout cela. Il aurait respecté s'il avait voulu séparer sa vie privée de ses activités. Surtout en connaissant le métier de son nouveau compagnon. Néanmoins, il n'a pas hésité à le mener dans les cachettes de l'Aile Blanche, sans craindre un instant qu'il le trahisse. Pourtant, rien ne lui dit que leur relation ne se terminera pas un jour... Mais il ne semble pas redouter de trahison de sa part et, après tout, il a raison. Même si Viliam lui faisait du mal, Fantôme ne se vengerait pas de lui de cette manière. Et encore moins en vendant le collectif tout entier... Il sait faire la part des choses.
Evidemment, il passe sur le fait qu'il aura des ennuis s'il ne retrouve pas Alicia au plus vite... Cela ne serait pas forcément une motivation pour lui. Un mercenaire de moins à ses trousses, la belle affaire...

-Je veux être sûr qu'il va bien et je dois retrouver cette fille. Je trouverai le chemin, avec ou sans ton aide... Lui dit-il sur un ton plutôt posé, bien loin d'être menaçante, comme s'il exposait simplement une évidence. Finalement, lui demander son aide, c'était plutôt de la politesse...

-La liberté… Viliam ne put empêcher un bref rire, presque amère. La naïveté de la jeune fille était touchante. Pensif il fixa le plafond, mains derrière la tête. Mon pays voit chaque jour des dizaines d’homme et de femme êtres…Il soupira cherchant à nouveau les bons mots. Enchainés. Le droit de Nééra leur est interdit. Certains sont battus pour avoir mendié à la mauvaise porte. D'autres violés pour un mot de travers...Je ne suis pas certain de vivre dans un pays fait de liberté… Répondit-il avec tristesse. Quand bien même êtes-vous libre de porter des pantalons.

Il affichait une moue peu convaincue à l’idée que des habitant du royaume de nééra aiment tant cette terre. En plus, les souvenir de l’homme qui l’avait vu grandir ne le dépeignaient pas  non plus tellement comme heureux d’avoir quitté sa terre d’origine... Il l'avait souvent entendu la regretter.

Viliam échangeait volontiers toute les épices et l'architecture du monde contre l'espoir d'un pays qui ne étouffait pas lui même...
 
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Le blondinet  de son côté se renfrogna devant le refus de Fantôme. C’était pourtant pas grand-chose tout de même… Etait-ce si humiliant d'être guidé par un bandit...? Il lui forçait la mains pour trahir un trop lourd secret. Il ne le pouvait pas.

-Bah écoute mon grand. Fit-il en pointant un doigt contre son torse. T’es peut être une Chimère et t’es peut être ô combien important pour un tas de gens aux pompes bien lissés mais tu pige visiblement pas ce que tu me demande. On se planque pas pour notre bon plaisir ou juste pour faire chier deux trois crétins. C’est une question de survie. T'as peut être le guet pour te rattraper le derrière au moindre faux pas. Nous une phrase de trop et c'est la mort. Grogna-t-il. T’as pas l’air de savoir où je vais, donc c’est qu’il t’en a pas parlé et si il t’en a pas parlé  c'est qu'il a certainement une raison. Tu pourras me suivre tant que tu veux je le répète : Je trahirais pas mon chef. Soit tu portes ce truc, soit tu vas me courser toute la nuit dans les rues de cette foutue cité et tu ne trouveras pas ce que tu cherches.

Et sans attendre, il fit demi tour, une seule idée en tête, éviter à tout prix le bon chemin. Sa jambe était douloureuse mais elle valait le prix de son silence.

Je me sens un peu honteuse... Je suis comme ces princesses dans les contes : toujours en danger et si loin du monde qu'elles n'en connaissent rien. Et ce pays a ceci de différent qu'il a une pratique que j'avais oubliée : l'esclavage. Elle n'existe pas en Péninsule, pour la raison qu'il a évoqué.
Je baisse les yeux et fuis son regard.

-Vous devez me trouver bien naïve... Et je ne vous ferais pas l'affront de tenter de justifier mon ignorance.

A quoi bon... Je le lasserai sans doute avec mon histoire d'oiseau dans sa cage dorée, protégée de tout pendant des années afin de lui éviter de souffrir encore. En vain, mais l'intention y était et cela a fonctionné jusqu'à ce que je "change de mains". J'ai obéi, docilement, pendant tout ce temps. Et ce n'est qu'une fois loin de tout cela que je me suis rendue compte de ce que j'étais devenue.

-Moi, en tout cas, je ne me suis jamais sentie aussi libre que depuis mon départ...

Cela explique sans doute la façon dont je vois ce pays. Il est synonyme de choix et d'émancipation aussi... J'ai réalisé que je suis restée sagement à attendre que les journées passent et à faire tout ce que l'on me demandait. Le mariage était mon souhait mais peut-être que , inconsciemment, je souhaitais me libérer de tout cela. Vivre une nouvelle vie, ailleurs. Mais, là encore, Magnus a choisi quelqu'un qui était à sa portée. Quelqu'un qu'il contrôlait. Je restais donc sous sa garde, malgré tout. Mon séjour ici... C'est la première fois que je réalise quelque chose par moi-même. Que cela ait mal tourné, je n'y suis peut-être pour rien... Et d'être sous la protection de mon frère ne me préservait pas davantage en fin de compte puisque l'on s'en est pris à moi à plusieurs reprises.
Alors oui, de me trouver ici, je me sens libre. Et l'Estrevent en devient le symbole à mes yeux. Même si, j'en conviens, mon regard est faussé par tout ce que j'ignore...

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Eh merde... Encore un qui le prend pour ce qu'il n'est pas. Les Chimères ont une si bonne réputation qu'ils donnent l'impression d'être nés avec une cuillère en argent dans la bouche. Si Ezeid savait seulement combien d'entre eux ont vécu dans la rue, combien ont mendié leur pain, combien ont perdu tous ceux qu'ils aimaient, combien ont souffert jusqu'à songer à la mort... Mais il n'a pas le temps pour ça. Il ne cherche pas à le retenir mais il a bien compris qu'il n'obtiendra rien de lui. Alors autant lui éviter de tourner en rond pendant des heures dans son état.

-Rentre chez toi. Je lui dirais que tu vas bien.

Ah oui, il a dit qu'il pourrait se débrouiller sans lui. Il a pas dit que ça serait forcément en le suivant...
Puis Fantôme disparaît. Il n'est pas certain que le bandit l'écoutera mais il ne peut rien faire de mieux. Il se méfie de lui et il ne peut pas vraiment lui en vouloir. Sans s'arrêter, il referme correctement son armure, cachant ainsi sa chemise tachée de sang et il laisse ses manches relevées pour masquer les traces rouges qui en ornent l'extrémité. Même s'il peut aisément éviter le Guet, il ne veut pas prendre le risque d'attirer l'attention à cause de l'incident de la soirée. Et il ne veut pas non plus affoler la personne qui sera son plan B...

Quelques minutes plus tard, quelques coups résonnent sur une porte de bois. Derrière, un dortoir en grande partie vide car l'Aile Blanche compte bien plus d'hommes que de femmes.

-Clarisse. Souffle la voix du mercenaire à travers le pan de bois.

Il aurait pu demander à Ren mais il n'est pas certain d'avoir réussi à s'en faire un ami vu les débuts assez houleux de sa relation avec Viliam... Tandis que la blonde, elle, ne semble pas lui en avoir tenu rigueur.

Naïveté, ou bien…une énième hésitation, plus longue, laissa un vide dans l’atmosphère. L’espace de cette seconde de réflexion, il prit une bouffé des herbes odorantes qu’il fumait. Innocence, je crois que c’est le terme. Finit-il par souffler doucement. Albare'e, répéta-t-il dans sa propre langue chantante. Je ne serais pas celui qui vous rapprochera de l’être. Bien au contraire. A nouveau il lui offrit un sourire un peu triste. C’est une chose précieuse, parfois.

Un mouvement a sa droite attira soudain son regard alors que le canidé, visiblement dérangé par leur discution se leva et s’en alla monter la garde au dehors. Cela coupa légèrement l’élan du bandit qui le regarda faire avant de retrouver le regard de son interlocutrice.

-Quant au sentiment de liberté que vous avez… Cette fois son sourire se fit plus franc. C’est quelque chose qui me tient suffisamment à cœur pour que vous m’en voyiez particulièrement heureux de l’apprendre.

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-Fantôme ?

La petite femme à la moue détachée sembla malgré tout surprise lorsqu’elle ouvrit la porte au mercenaire. Elle était seule dans la pièce, et s’il tendait l’oreille le mercenaire pouvait s’apercevoir qu’il y avait bien peu de bruit au sein du grand bâtiment.
Regardant autour, elle fronça rapidement les sourcils.

-Où est Viliam ? Demanda-t-elle quasiment instantanément.

Je souris à mon interlocuteur. C'est sincère, malgré ma confusion et mes tourments. Je l'observe un petit moment, le détaillant d'une certaine façon. Je ne sais pas grand chose de lui mais il se dégage de lui une forme d'aura qui inspire à la confiance. Il a été plus que correct avec moi. Il a respecté autant mon intimité que mon souhait d'indépendance face à mon infirmité. Il n'essaie pas de se substituer à moi et m'offre le choix avant même que je le lui demande. Il me prête une oreille attentive, corrige ma vision du monde sans pour autant la juger. Parler avec lui est... reposant. Et semble si simple.

-Innocence... Je répète, pesant ce mot avec attention, avant de réfléchir à voix haute. J'étais une enfant, enfermée pour sa propre protection... Une part de moi l'est restée, sans doute.

Coupée du monde, tout ce que je pouvais en voir, c'était depuis les fenêtres de notre maison longue à Terresang ou de la citadelle à Aretria, ou encore à travers les livres dont je n'étais jamais privée. Musicienne, j'ai appris par cœur nombre de chansons évoquant de multiples vertus dont je me suis inspirée pour imaginer ce peuple qui m'entourait. Je n'en vois que la beauté, alors même que je pense avoir été plongée dans certains de ses pires attraits. Il est bien tolérant d'appeler cela de l'innocence quand d'autres me traiteraient d'idiote.

-Je suis loin de savoir ce que peuvent endurer les esclaves... Mais je crois être capable de comprendre ce que c'est que l'envie d'avoir sa propre vie entre ses mains. Ma prison m'était douce si bien, qu'il a fallu que je m'en éloigne pour comprendre que j'étais en détention. Je ne suis pas certaine de vouloir la retrouver...

Parce que je sais que, si je rentre dans mon pays, je retrouverais tout cela. Je serais de nouveau flanquée de plus de gardes que le Roi lui-même. Je ne pourrais aller que là où l'on m'y autorisera et personne n'osera s'opposer à Magnus. On serait capable de m'enfermer à double tour dans ma chambre si je tentais de forcer le passage... Et ils auraient raison. Parce que s'ils m'obéissaient au lieu de respecter ses consignes, ce serait eux qui auraient des ennuis...

Plongée dans mes réflexions, je prends une profonde inspiration avant d'expirer fortement, presque dans un soupir. Je réalise qu'un dilemme se pose à moi. Si mon frère m'autorise à rester à Odélian en tant qu'ambassadrice, alors je pourrais reprendre ma vie en main et commencer à la diriger par moi-même. Dans le cas contraire, que faire ?... Le monde est vaste et aussi attrayant qu'effrayant. Serais-je capable d'y faire face, seule ?
Tout cela m'inspire un chanson. Une de celles qui parlent de voyage et de découverte. Je mets à l'entonner. D'une fois faible au début, comme un murmure. Puis un peu plus forte alors que ses paroles m'inspirent. Ma voix s'élève avec légèreté et douceur dans la pièce bien silencieuse. Une voix claire et juste, fragile mais cachant une certaine force... Une voix qui me ressemble.

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La porte s'ouvre sur un Fantôme qui commence à sentir le poids des dernières heures peser sur lui. Appuyé de ses deux mains contre le chambranle de la porte, l'une d'elles entourée d'une bande de tissu, il ne cherche pas à la cacher. En découvrant Clarisse, il se redresse un peu. Sa pommette gauche arbore une bosse bleutée barrée d'une petite entaille, comme si on l'avait cogné particulièrement fort. Toute son allure a de quoi inquiétée la jeune femme, effectivement. D'autant que c'est elle qu'il est venu trouver et non son compagnon. D'ailleurs, elle le remarque bien vite et il ne tarde pas à lui répondre, un peu empressé.

-Je lui ai demandé de mettre la fille que j'étais chargé de protéger à l'abri. Je pense qu'il a dû l'emmener à la plaine. Seulement je connais pas cette planque-là. Tu peux m'y emmener ? Je t'expliquerai tout en chemin.

Il n'a pas dit les mots magiques car il est préoccupé mais le ton y est...

-Alors. Ne la retrouvez pas ? Suggéra-t-il sans pour autant être certain de comprendre tout ce qui agitait le souffle de la jeune femme.

Quoi qu’il en soit, elle se mit finalement à chantonner et silencieux, il écouta ce chant dans cette langue étrange, à la fois lointaine et si familière pour lui. Son regard se perdit rapidement dans les flammes de la cheminée qui crépitait doucement tandis que ses pensées voguèrent çà et là, rythmées par la mélodie.

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La voleuse eut rapidement l’air inquiète devant l’empressement du mercenaire fatigué et blessé.

-Je devrais pas, tu le sais. Soupira-t-elle.

Pourtant elle s’avança, cherchant à le soutenir de toute sa petite taille toute frêle face à lui. S’il avait parlé de la Plaine, c’était que Viliam l’avait autorisé à entendre le nom de leur refuge d’une manière ou d’une autre...Et puis, elle savait la confiance que le bandit accordait à son amant. Il avait été accepté parmi eux et elle était assez haut placée pour se porter garante de sa décision.

-En revanche il va falloir que tu m’explique en effet…Fit-elle en commençant à le guider. Parce qu’à ma dernière connaissance, Viliam partait simplement prier. C'est pas son genre de chercher les problèmes dans un temple.

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De longues minutes s’écoulèrent dans la bâtisse qui baignait dans un calme étrange et presque inattendu vu le début de la soirée. Le temps passant, Viliam avait fini par replier ses bras contre son torse et, tranquillement installé près du feu, avait fini par piquer du nez et s’endormir au milieu de la grande salle.

Pourtant, un aboiement canin finit par l’éveiller en sursaut au loin et un bond plus tard, inquiet, il sortait au dehors guetter le potentiel étranger qui foulait son havre de paix, paume près du pommeau de sa rapière.

-Oui, je sais. Ce n'est pas à toi d'en décider normalement mais il faut que je puisse garantir rapidement qu'elle est en sécurité ou les Chimères vont se mettre à la chercher...

...et, par conséquent, chercher à identifier celui qui l'a emmenée et l'endroit où il la cache. Ce serait le début de tout en un tas d'ennuis pour Viliam, pour l'Aile Blanche et pour Fantôme. Le mercenaire n'avait pas forcément réfléchit aussi loin lorsqu'il a demandé à son compagnon d'aller secourir Alicia mais, dans l'urgence et le chaos, il n'a pas pu mieux faire...
Il passe sur le fait que le voir rassurerait aussi le bandit après qu'il l'ait laissé à contre cœur dans la mêlé. Même si c'est vrai, il suffirait qu'elle passe le message pour lui, cela serait assez dans un premier temps. C'était la première fois que la Chimère avait à ce point envie de voir Liam mais cela ne devait pas peser dans la balance car il savait ce qu'il demandait à Clarisse... Et la décision ne pouvait pas être influencée par ce qu'il ressentait.

Lorsqu'elle accepta finalement, il la remercia dans un soupir de soulagement. Et ainsi commença leur marche dans la ville partiellement endormie. Lorsqu'ils pouvaient se permettre de parler, il lui raconta tout, comme promis. Ou du moins, ce qui lui était permis pour ne pas trahir les secrets des Chimères ou la confidentialité de certaines paroles. Ainsi, il évoque sa protégée en discussion avec Viliam lorsque des bruits de combats ont éclaté, sans préciser l'objet de leur conversation. L'escorte qu'ils ont assuré à Alicia pour la guider vers la sortie. La rencontre avec Ezeid pour lequel il l'a aussitôt rassuré sur l'état de santé. Les deux embuscades qui ont divisé le groupe à chaque fois. L'intervention qu'il a demandé à son compagnon lorsqu'ils ont eu une ouverture et la découverte du lieu de sauvetage qui leur assurait plus ou moins qu'il avait réussi. Puis la suite des combats, les dégâts causés, les pertes et les premières conclusions de l'enquête que les Chimères ont eux-mêmes commencé à mener. Un véritable merdier dont ils avaient pu se tirer tous les deux, mais avec quelques séquelles tout de même. Parfois physiques, parfois morales, parfois les deux.

Fantôme ne s'attendait pas forcément à sortir de la ville mais il faut reconnaître qu'elle est tellement vaste que c'est là qu'on chercherait en premier un fugitif. Il y a des cachettes partout là-bas en y regardant bien. Se mettre à l'extérieur et de manière aussi isolée était une bonne protection et c'était assez bien vu de la part de l'Aile Blanche, si ce n'était de leur chef lui-même.
A l'approche de la maisonnette et du peu de lumière qui émanait de la pièce principale, le mercenaire s'arrêta.

-Alicia ne doit pas rester seule. Et j'aurais besoin d'une minute avec Viliam...

Pour quoi faire ? Clarisse peut facilement l'imaginer. Elle a probablement remarqué que, même s'il est sincère dans ses sentiments, il est aussi très pudique pour le moment. Ses marques d'affection sont aussi rares que discrètes. Une caresse fugace dans le dos, des doigts entremêlés sous le table, un genou qui vient au contact d'un autre... En définitive, ce sont ses yeux qui s'expriment le plus alors qu'ils brillent d'un éclat particulier chaque fois qu'ils se posent sur son compagnon.

A peine a-t-il parlé qu'un aboiement leur parvient de la maisonnette. Fantôme hausse un sourcil et incline brièvement la tête sur le côté.

-Excellent système d'alarme... Remarque-t-il.

Quant à moi, à l'instar de mon protecteur, je m'éveille en sursaut. Le silence s'est fait après ma chanson et, observant les flammes, j'ai fini par m'assoupir, recroquevillée sur ma chaise, les bras serrés contre moi pour me tenir chaud. Alors que j'ouvre les yeux, Viliam est déjà debout, prêt à défourailler son arme étrange. Le temps est suspendu tandis que nous attendons qu'il se passe enfin quelque chose. Et je dois admettre que, si le bandit semble tendu, mon ventre à moi est serré d'angoisse à l'idée de revivre le cauchemar du début de soirée.

-Vous n’allez pas rester ici dans le noir et dans le froid de toute façon.

Clarisse haussa les épaules. Ils n’auraient qu’a s’isoler dans l’un ou l’autre des bâtiments s’ils voulaient vraiment éloigner les oreilles indiscrètes. Ils n’étaient que quatre souffles ici. Personne ne chercherait à les déranger s'ils exprimaient le souhait de se retrouver en tête à tête.

Alors qu’un chien s’était mis à aboyer au loin, la voleuse sortit un petit appeau de sa poche, duquel elle tira un jacassement de pie caractéristique.

-Clarisse ! Avait alors soufflé le bandit avec net soulagement encore à l'intérieur.

S’élançant vers le pas de la porte, il vit la silhouette de son amie être joyeusement accueillie par le chien blanc qui avait fini par la reconnaitre en tant que membre de son groupe. A ses cotés, il y avait la chimère, vivant et sur ses deux pieds, bien qu’il ne puisse apercevoir d’éventuelle blessures de là où il se tenait. En revanche Viliam ne voyait pas son dernier camarade et cela l’inquiéta. Machinalement, il leur fit signe de venir s’abriter à l’intérieur. Ils avaient tous les quatre beaucoup à se dire…

La lumière qui s'échappe de la porte s'étire presque jusqu'aux pieds des deux nouveaux venus qui se tournent vers celui dont ils ne peuvent que distinguer la silhouette. Fantôme hésite un bref instant puis emboîte le pas à Clarisse pour entrer à l'intérieur. Il n'a pas froid, c'est un peu comme s'il ne le sentait pas. Tout ce qu'il voulait, c'était juste serrer son compagnon dans ses bras une seconde avant de se lancer dans les explications et de donner les nouvelles, bonnes et mauvaises. Entrer et demander à s'éclipser avec Viliam... Ce n'était pas vraiment discret et ça amènerait plus de questions qu'autre chose. Alors il n'en fera rien...

Mon angoisse ne s'est pas totalement dissipée en comprenant que mon protecteur connaît ceux qui approchent. Je reste assise sur ma chaise, un peu redressée, attentive, curieuse et impatiente à la fois. Qui est cette Clarisse qu'il a nommé ? Qu'est-elle venue faire ici ? Je sens l'air frais de la nuit venir jusqu'à moi. Le temps est suspendu jusqu'à ce que deux silhouettes pénètrent dans la pièce et je reconnais sans mal le mercenaire qui me protège depuis mon arrivée. Je remarque le bleu entaillé sur sa pommette et le bandage à sa main. Je trouve curieux que ses manches soient relevées alors qu'il était dehors mais peut-être n'est-il pas très sensible au froid... Lui aussi me détaille en silence. Les cheveux détachés et vêtue de la sorte, j'ai davantage l'air d'une autochtone je suppose.
Le bandit referme derrière eux. Il n'y a qu'eux ? Et pourquoi cette jeune femme est-elle là ?

-Vous allez bien ?

La question de Fantôme me tire de mes réflexions. J'hoche rapidement la tête. Je vais bien, physiquement. Et c'est sans doute son souci premier. Si je suis dans la pièce de vie à cette heure de la nuit, ce n'est pas par plaisir... Il est aisé d'imaginer que quelqu'un comme moi soit perturbée par une soirée comme celle-ci. Toujours est-il qu'il se contente de ma réponse pour se tourner vers Viliam. Lui non plus n'a pas l'air d'aller très bien. Il est sérieux, mais pas seulement... Il me semble... éprouvé. La journée a été longue mais j'ai le sentiment qu'il n'y a pas que cela. Et mon angoisse revient de plus belle.

-Et toi ? Demande-t-il d'une voix plus basse alors qu'il est resté tout près de son compagnon, presque épaule contre épaule.

Je laisse les deux amis à leur discussion semi-privée pour me tourner vers la femme, prénommée Clarisse je suppose. J'ignore qui elle mais j'imagine que c'est aussi une amie de Viliam et Fantôme étant donné qu'elle les connaît tous les deux. Nombre de questions emplissent mon regard tandis que je la découvre pour la première fois. Un doux regard un peu étonné, curieux mais aussi fatigué et inquiet.

-C’est moi qui devrait te demander ça.

Viliam avait remarqué le malaise que semblait retenir son compagnon. Tout comme il avait remarqué sa pommette qui bleuissait et sa main bandée à la va vite. Sans trop y réfléchir car il se considérait dans un cadre suffisamment intime, il posa le bout de ses doigts juste à côté de sa blessure, comme cherchant à en déterminer la gravité.

-Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Lui demanda-t-il a mis voix.

Clarisse, elle fixait l’inconnue avec la même éternelle petite moue détachée bien qu’un éclat rieur illuminait ses prunelles.

-Mes vêtements te vont mieux qu’à moi, on dirait. Commenta-elle sans faire attention au choix de sa langue.

Espiègle, elle retourna une chaise pour s’y asseoir et s’accouder à son dossier tout en fixant la nouvelle protégée du moment. Sans s’en rendre compte, elle détournait un peu l’attention de la jeune fille de ses deux amis en essayant de sympathiser à sa façon.

-Tu pourra les garder si tu veux, c’est pas très grave.

Fantôme penche légèrement la tête tandis que son compagnon l'examine, plus par réflexe que par réelle envie de le laisser l'ausculter. Il serre les dents en sentant ses doigts sur sa peau, mais pas par douleur. Il ne résiste pas très longtemps avant de prendre la main de Viliam pour la retirer de son visage tant ce contact lui est peu supportable. Il profite du fait que je ne les regarde pas pour la conserver discrètement dans la sienne. Ce n'est pas qu'il ne veut pas qu'il le touche ou qu'il a peur de se faire surprendre... Non, c'est juste qu'il aurait besoin de davantage d'intimité, là, tout de suite. Il pourrait d'ailleurs l'attirer discrètement vers une pièce voisine mais il ne veut pas éveiller mes soupçons ou inquiéter son amant plus que de raison en lui témoignant son besoin de soutien.
Le mercenaire se concentre alors sur quelque chose de plus factuel et qu'il est habitué à faire chez les Chimères : une sorte de rapport concernant les faits et la situation.

-Il nous a fallu un moment avec Djen pour nous défaire du groupe qu'on affrontait quand tu es parti. Lorsqu'on est arrivé sur place, qu'on a vu la fenêtre brisée et personne au-dehors, on en a déduit que tu avais pu t'enfuir avec Alicia. On a considéré qu'elle était en sécurité et on est allé aider les autres. Ces salauds étaient pas coordonnés mais y'en avait des coriaces et d'autres plus costauds... Dit-il en pensant à cette douleur qui le lançait parfois au niveau des côtes, chose que Clarisse avait peut-être pu remarquer sur le trajet mais qu'il n'affichait pas particulièrement. J'aurais pu arriver plus tôt mais ils avaient besoin de renfort pour les soins...

De mon côté, je n'écoute pas ce qu'il se dit près de la porte. Ils parlent bas et dans leur langue que j'ai tant de mal à comprendre. Je ne me rends même pas compte de leurs messes basses car toute mon attention est tournée vers cette femme qui s'adresse à moi. Il me faut quelques instants pour comprendre le sens de ses mots. Je rougis alors, baissant la tête. Ces vêtements sont à elle et elle me complimente... Moi qui me sens si honteuse dans cette tenue. J'ai l'impression de ne rien porter en haut et d'être empaquetée en bas...
Cependant, son offre de me donner cette tenue me tire un peu de mon trouble et je relève rapidement les yeux vers elle. J'allais lui répondre dans ma langue avant de réaliser qu'elle ne la parle peut-être pas. Il me faut donc trouver un peu de concentration pour parvenir à formuler un semblant de phrase.

-Merci... Mais... Je pas le droit... porter cela... dans mon pays. Seulement robe.

Viliam sembla un peu déçu lorsque son compagnon le repoussa, mais il n’insista pas et se contenta de l’écouter avec inquiétude en reculant un peu. La situation le tendait car il percevait une certaine souffrance chez la chimère, sans qu’il ne puisse l’aider… Pourtant,malgré ce que ça lui coutait, il respectait religieusement ce qu'il semblait lui demander.

-Tu as fait ce qu’il fallait et tu es là maintenant. Peu importe. Un triste sourire. D’autres avaient plus besoin de toi que nous.

Égoïstement, Viliam aurait eu envie de dire l’inverse, qu’au fond, il avait besoin de sa présence lui aussi, mais il savait que ce n’était qu’un caprice. L'avoir ici et maintenant, en vie, ça devait le contenter pour l'instant.

-Est-ce que…Est-ce qu’Ezeid…

S’il ne souffla pas ses derniers mots, ‘Tom pouvait certainement saisir l’inquiétude qui animait le chef de l’Aile Blanche. Ce n’était qu’un jeune garçon et l’idée même qu’il l’ait envoyé à sa perte lui nouait la gorge. De ne pas le voir ici malgré son ordre, il n'y avait que peux de raisons qui puisse l'y pousser.

-Seulement robe ? Visiblement cela perturbait la voleuse qui ne s'imaginait vraiment pas à sa place. Drôle de loi…

Contrairement à Viliam, Clarisse ne connaissait absolument rien de la péninsule. Pour elle, ce n’était qu’une terre lointaine sans forme ni identité. Ce qui n’était pas les lois de l’irthri vaan n’existait purement et simplement pas pour elle.

Fantôme rend son sourire à Viliam. Il ne croit pas vraiment à ses paroles... Ils sont d'accord pour dire qu'il a fait son devoir et c'est ainsi que les Chimères sont formés. Mais quelque chose le perturbe visiblement assez pour qu'il ne semble plus si sûr de lui pour le moment.
Le mercenaire retrouve cependant un peu de son sourire lorsque son compagnon prononce le prénom du bandit.

-Hm... S'il est aussi têtu qu'il en a l'air, il est probablement encore en train de tourner en ville -en pensant que je le suis- pour me mener partout, sauf ici. C'est pour ça que je suis venu avec Clarisse. J'ai pas été méchant mais je me suis pas fait un ami sur ce coup-là... Déplore-t-il avec sarcasme.

De manière générale, il essaie de faire en sorte que tout se passe bien avec les hommes de son amant mais la vision qu'ils ont de lui fausse un peu la donne. Si pour eux il est un gosse de riche qui n'a jamais souffert, beaucoup doivent avoir du mal à comprendre ce qu'il fait avec quelqu'un comme leur chef ou penser qu'il cherche juste à s'encanailler. Seulement ils se gourent du tout au tout...

-C'est plutôt Djen qui m'inquiète... Son état est pas critique, elle s'en remettra, mais ils l'ont pas ratée... On s'est fait déborder... J'ai du prendre une décision... Un peu plus et j'arrivais pas à trouver le temps de faire en sorte d'arrêter l'hémorragie.

Voilà ce qui le perturbe tant depuis tout à l'heure. La métisse est comme une sœur pour lui, ils ont grandi ensemble et se connaissent si bien qu'ils forment un binôme difficile à défaire. Leur relation est complexe mais également indispensable aux yeux du mercenaire. Sa vie s'est retrouvée entre ses mains et il a bien cru échouer... Lui qui se voit comme un éternel raté, c'était le pire moment pour que cela se vérifie...

-Loi ? Je répète comme si je cherchais à comprendre le sens de ce mot avant qu'il ne me vienne finalement. Non... Habitude... Coutume ?

Je cherche Viliam du regard pour lui demander de m'aider à traduire "convention sociale" mais je m'abstiens de lui poser toute question en le voyant en grande conversation avec mon protecteur. Ce dernier semble troublé... presque bouleversé. Il s'est passé quelque chose de grave et j'aimerais en savoir plus... Mais cela ne me regarde peut-être pas. Après tout, ils étaient plusieurs de son groupe à protéger le Temple et j'ignore ce qu'il a pu se passer pendant l'attaque... Alors je reporte mon attention sur ma nouvelle interlocutrice afin de ne pas m'immiscer dans leurs affaires.

-Vous... combattre aussi ? Je demande en faisant le parallèle entre leurs deux hommes à l'entrée et elle.

Après tout, je me vois mal me promener en pantalon par plaisir... Je ne trouve pas cela si confortable.

Les début d’explication du mercenaire firent poindre un sourire mi-amusé mi-contrit sur les lèvre du bandit. Cet endroit était leur havre de paix et le plus important de leur secret. Pas étonnant que le jeune vaurien se soit entêté ainsi. Son excès de zèle était louable et Viliam ne pouvait lui en vouloir. Après tout, il en aurait fait de même si l'un de ses compagnon s'entichait soudain d'un inconnu et que ce dernier demandait à accéder à leur refuge...

En revanche le reste des explications lui ôtèrent toute joie.

-Je suis désolé…

Le bandit prit la main de son compagnon, la serrant contre lui. La tristesse du mercenaire sembla être contagieuse et soudain réveiller les propres troubles du bandit. Cette soirée était un véritable cauchemar pour chacun d’entre eux.

-Je suis tellement désolé ‘Tom. Répétât-il, serrant ses doigts sous les siens.

Il aurait voulu le prendre dans ses bras, lui signifier qu’il était là au besoin, mais au vu de ses tentatives repoussées, Viliam ne voulait pas à nouveau le brusquer. Il se contentait alors de ce geste, trop infime. Bien trop infime.

Il comprenait parfaitement, trop, ce qu'il devait ressentir. A sa place, Viliam était incapable d'imaginer sa vie sans Ren. C'était juste...impossible. Malgré leur vie, imaginer qu'il puisse arriver quelque chose à son plus fidèle ami lui glaçait le sang. dieux merci cela ne s'était jamais produit...Dans ce sens là tout du moins.

-Pas vraiment… Clarisse remarqua les gestes avortés et presque frustrés des deux hommes, les observant du coin de l’œil. Elle ne savait pas trop quoi faire pour les aider et sa moue se fit un peu moins enjouée tandis qu’elle faisait de son mieux pour contenter son interlocutrice. Elle leva ses bras avec humour malgré tout. Je ne suis pas assez forte. Fit-elle. Mais je suis agile.

Le cœur du mercenaire se met à battre à tout rompre. Il serre les doigts de Viliam parce que c'est tout ce à quoi il a accès mais il a besoin de plus... Il veut plus. Et il lit dans les yeux de son amant qu'il en est de même pour lui. Il a alors un rapide regard dans ma direction mais je semble en grande conversation avec Clarisse, essayant de comprendre et de se faire comprendre de mon interlocutrice. Il se retourne aussitôt vers son compagnon et lui indique une ouverture vers une pièce adjacente d'un signe du menton. Discrètement, ils s'y dirigent, Fantôme en tête. Dès qu'ils sont hors de vue, ce dernier se retourne et prend aussitôt le bandit dans ses bras. La chose est sans doute plus aisée pour lui que pour Liam étant donné qu'il n'a pas retiré ses armes de son dos. Il l'étreint avec force et tendresse, une de ses mains venant trouver l'arrière de son crâne. Il soupire de soulagement après quelques instants, sentant le vide en lui se combler lentement.

-Désolé de t'avoir repoussé mais j'avais tellement besoin de ça... De te sentir contre moi, bien vivant... Que je pouvais pas supporter que tu me touches comme ça.

Un entre-deux était trop difficile à tenir car une simple caresse, une main, ne lui suffisait pas. Il lui fallait tout ou rien... N'y tenant plus, il s'était résigné à leur proposer de s'isoler un instant malgré les questions que je pourrais me poser du fait de leur absence. Mais ce n'était plus tenable pour lui...
Presque soudainement, il se redresse pour retrouver les yeux de Viliam.

-Je t'aime. Lance-t-il, du plus profond de son cœur. Je suis désolé, j'avais espéré que le jour où je te dirai ça, ça serait aussi romantique notre premier rendez-vous et j'aurai volontiers passé cette soirée avec la même appréhension que celle qui m'a tenaillé ce jour-là jusqu'à ce que tu m'embrasses mais je... Depuis le début des combats, il y a cette voix qui me le hurle et j'ai fini par être terrifié par l'idée que j'aurai pu ne jamais avoir l'occasion de te le dire un jour... Je t'aime, Liam. Comme je n'avais encore jamais aimé jusque là...

Dans la pièce voisine, j'essaie de comprendre ce que la jeune femme essaie de dire par "agile". Je lui demande de me définir le mot et ce que cela signifie plus concrètement. Mais l'écart de langue m'empêche de mettre un nom sur la place qu'elle occupe dans ce petit groupe encore indéfini auquel elle appartient, elle et mon sauveur.
Si les deux hommes ont disparus sans que je ne m'en aperçoive, le silence assourdissant qui règne dans la pièce tandis que je prends le temps de chercher mes mots a fini par attirer mon attention. Il n'y a plus personne près de la porte... Clarisse a dû les voir partir mais je n'ai pas remarqué une quelconque réaction de sa part. Je reviens alors sur la petite blonde et je suis soudaine effrayée... Ce n'est pas d'elle que j'ai peur mais de la raison du trouble du mercenaire. Qu'a-t-il pu se passer pour qu'ils soient allé continuer de parler ailleurs ?

-Vous... savoir pour le Temple ? Les prêtres... Les Chimères... Pourquoi attaquer ?

-‘Tom.

Le bandit le repoussa doucement pour simplement prendre le visage de son compagnon entre ses mains et lui faire face. Il semblait définitivement bouleversé par ces aveux aussi simples que douloureux.

-Moi aussi. Souffla-t-il. Moi aussi, je t’aime.

Pourtant, c’était une expression bien triste qu’il affichait pour un aveu de la sorte. Leurs sentiments étaient sincères à tous les deux, mais pour Viliam ils lui semblaient être synonyme de bien des souffrances à venir. Quelle vie, quel avenir offrirait-il à son amant ? Peut-être cela cesserait-il au fil du temps, lorsque leur cœur se seraient lassés. Mais durant ce qui leur seraient alloué de temps comment le supporterait-il ?

Aujourd’hui c’était ces sectaires, mais demain ça serait quoi ? Et si un jour, ils se faisaient face ?

Il aurait voulu lui promettre que ce ne serait pas la dernière fois qu’ils se le disaient, qu’il y aurait même de plus tendres occasions.Promettre qu'il serait toujours là, vivant, à le rassurer. Mais Viliam n’en savait rien. Viliam ne pouvait le promettre. Parce que même à lui-même, il se sentait incapable de promettre que son lendemain ne serait pas le dernier.

Viliam se fichait de mourir, au fond. Certains, pris de pitié ou de dédain, pourraient même voir en ses actes insensés une complexe forme de tentative d’auto destruction, inconsciente mais toujours là, grignotant son esprit, petit à petit. Il ne cessait d’affirmer qu’il était passé au-dessus de ces idées noires. Que les cicatrices sur son avant-bras n’étaient qu’histoire ancienne. Mais au fond, tout au fond, il le savait. Il suffisait de peu, si peu.

Alors comment accepter d’être aimé ?

Comment ne pas faire du mal, lorsqu’à soit même on s’en faisait déjà bien trop ?

-Je suis désolé.Fit-il sans expliquer réellement de quoi il s’excusait vraiment.

Il étira un bref sourire teinté de la même tristesse et vint retrouver les lèvres de son amant alors que ses mains n'avaient pas bougées.

-Tu m’a manqué, tu sais.