Serrer le vent [Caleb & Entité]

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Tariho, Deuxième ennéade de Barkios

Le soleil était levé depuis quelques heures à peine lorsque la baronne arriva finalement sur le Wagyl noir. Les dernières heures avaient été particulièrement occupées. Adélina s’étaient organisés le plus rapidement possible pour leur prochain voyage avec l’aide de Morveux et de Rocaille. Une fois sur le pont, Adélina balaya le navire de son regard azuré pour repérer le capitaine. Cela ne prit que quelques secondes avant qu’elle ne le repère à la roue du boutre. Pendant ce temps, la femme d’un certain âge qui l’accompgnait, eut l’air quelques peu nerveuse alors qu’elle détaillait les innombrables pirates qui vaquait à leur occupation. Si certains ne lui portaient guère d’attention, d’autres lui jetèrent un regard curieux avant de continuer leur route.  Le simple fait qu’elle accompagne la baronne semblait assez pour eux. Il fallait dire que plus personne n’osait toucher Adélina, non pas qu’elle avait prouvé sa voracité, mais plutôt au prédateur qui n’était jamais trop loin derrière elle. « Attends ici. Je reviens dans un instant. » Elle échangea un regard avec Rocaille qui lui fit un rapide signe de tête. Ce dernier lui avait rapidement fait comprendre que le capitaine ne serait guère content de son coup. Mais Adélina n’en n’avait que faire. Il lui avait promis de trouver une gouvernante pour Gabriel, et n’avait rien fait. C’était pour cela qu’elle avait pris elle-même le taureau par les cornes et avait trouvé la bonne personne pour prendre soin de son fils.


Sans attendre plus longtemps, la nordienne monta rapidement les quelques marches pour rejoindre le capitaine du Wagyl noir en plein discussion avec le pilote. Adélina attendit que le Rokvenha termine sa discussion avec ce dernier, lui laissant assez d’espace pour que ce dernier puisse étaler ses plans sans qu’elle ne l’entende. Oh, elle se doutait bien qu’elle ne comprendrait absolument rien de la route à prendre, ou du jargon qu’utiliserait les deux hommes. Mais avec ce qu’elle se préparait à lui annoncer, mieux valait ne pas énerver le Rokvenha avant qu’elle n’ait réussi à prendre la parole. Cela prit bien quelques minutes avant que le capitaine ne lui fasse finalement un signe de s’approcher. Sans attendre, Adélina s’approcha de ce dernier, un léger sourire aux lèvres. « Je vois que tu es en meilleur état qu’hier matin. » Elle ne l’avait pas revu depuis leur discussion matinale, alors que le mecan était entré dans sa chambre couvert de sang.  « Je te remercie pour les quelques souverains. J’en ai fait bon usage. » Les mains de la nordienne se rejoignirent devant elle, alors que son regard se posait dans celui du capitaine. Étonnamment, elle ne le fuya pas aujourd’hui, comme prise d’une confiance nouvelle, et ce, même si elle avait la certitude que son nouvel accoutrement plairait au capitaine. « D’ailleurs. J’ai quelqu’un à te présenter. »


Le Rokvenha, d’abord occupé, le visage baissé sur des cartes, redressa la tête quand il entendit la voix d’Adélina. Ses sourcils froncés montraient un agacement certain, qui était du fait de l’organisation de ce trajet. Il remarqua cependant la nouvelle tenue de la baronne et ne pu s’empêcher de laisser ses iris glisser le long de son corps, puis, une fois fait, il porta son attention sur la gouvernante qui subit le même traitement. Le mécan laissa planer un bref silence devant les deux femmes et se tourna alors vers deux hommes qui l’accompagnaient. Adélina reconnut le pilote, mais le second était un visage nouveau, marqué par la crainte quand le capitaine lui demanda de partir. “J’vois qu’t’as bien dépensé mon a’gent ? mmh…” Il expira du nez avant de revenir à la nourrice. “Tu t’ccupes d’elle, j’ai aut’ chose à fout’ que de me taper les d’rectives d’une nourrice…”


Adélina n’avait pas demandé quoi que ce soit, mais Caleb prenait les devants quant à toute demande qui pouvait concerner la gouvernante. Puis il s’approcha de la baronne et lui montra du doigt l’homme qui venait de s’éloigner. “Croqueuse a trouvé un guide. Il va nous m’ner à la m’dée. Finit d’te préparer, ramène ta nourrice auprès d’ton chiard on va prend’ l’mer donc si t’as d’aut’ chose à faire… bouge toi l’cul Ma Rose.” Il renifla et s’apprêta à retourner à ses cartes. Adélina ne lâcha pas le capitaine des yeux une seule fois, et ce, même s’il la détailla avec attention. Son léger sourire ne quitta pas ses lèvres une seule fois alors qu’il s’approcha de cette dernière pour lui parler. Elle fit un discret signe de tête à la nourrice, avant que cette dernière ne tourne les talons pour rejoindre Gabriel et Morveux un peu plus loin sur le pont. Cette dernière semblait quelques peu terrifié par la rencontre avec le fameux capitaine, ce qui était en soi, un avantage pour la jeune femme. Une fois que cette dernière se fut éloignée, Adélina retourna son regard vers le Rohvenka avant de reprendre la parole; « Des plaintes quant à mes achats? » Adélina eut un léger sourire taquin, avant de reprendre; «  Ne t’inquiète pas. Tout a déjà été arrangé. Tu ne te rendras pas compte qu’elle est là. » Elle eut soudain un air renfermé alors qu’une pensée traversa son esprit. « Enfin… Peut-être un peu, mais dis toi que cela te permettra de dormir un peu plus en paix la nuit… » Puis, elle passa sa main sur son épaule, comme pour le débarrasser d’une quelconque poussière avant de planter de nouveau son regard dans le sien. « Je suis déjà prête. Je me doutais que l’on partait bientôt. » La baronne fit un signe de menton vers le pilote, avant de reprendre; «Je vais te laisser à tes préparations. Je ne crois pas que je peux t’aider… »


Durant ce temps, le mécan ne quittait pas des yeux les cartes, écoutant la baronne d’une oreille. Sans relever la tête il fit signe au pilote et au guide de revenir et pointa du doigt un endroit de la carte “On va ‘ccoster ici, la Malvoie… Ca s’tente l’Gouverne ?” Le pilote se pencha davantage sur la carte et songeur haussa les épaules. “Aye, ça doit s’faire”. Le Capitaine satisfait regarda ensuite le guide et planta ses yeux dans les siens, ce dernier se crispa légèrement. “Et toi, vu c’que tu me coutes à partir d’maint’nant… T’as interêt à nous trouver l’meilleure d’routes ent’ l’Malvoie et l’M’dée, bien clair ?” L’homme hocha la tête.


Enfin, le Rokvenha se retourna vers la baronne et reprit. “Naye, pas d’soucis, bien au cont’aire héhé…” Il lui tourna autour pour la détailler comme le ferait un prédateur autour de sa proie et renifla. “Si ta nourrice s’occupe d’ton chiard, tu pourras aider les aut’ sur l’pont, la route prendra pas bien long… Ca s’ra une fois l’pieds aux secs qu’on va d’voir quitter un c’tain temps.” Adélina ne bougea pas d’un centimètre alors que le pirate se mettait à tourner autour d’elle. Elle regarda droit devant elle, tentant de retenir un sourire à ses lèvres. Ce n’était pas la première fois que le Rokvenha agissait ainsi, et cela ne serait probablement pas la dernière. Elle attendit que ce dernier revienne finalement devant elle avant de reprendre la parole; « Des souverains bien dépensé alors…Lorsque j’aurais terminé avec elle, et que je me sentirai assez en confiance; oui. Cela me fera sortir de la cabine. » Sans rajouter quoi que se soit d’autres, la jeune femme tourna les talons, allant rejoindre la nourrice qui attendait nerveusement sur le pont, laissant le pirate à ses occupations.

***

Kÿrianos, VI ennéades de Bàrkios

Le trajet en navire avait relativement été rapide pour atteindre la malvoie. Adélina n’avait guère porté attention au Rokvenha, passant la majorité de son temps avec son fils et la nourrice qu’elle avait recruté. Il se trouvait que cette dernière était une bonne personne, malchanceuse certes, mais elle semblait avoir un bon cœur, qui plus est, la promesse de richesse que la baronne lui avait promis, ainsi qu’une nouvelle vie dans un château semblait avoir fait son effet sur cette dernière. Tout cela avait rapidement mis la jeune mère en confiance, sachant pertinemment que Morveux et d’autres membres de l’équipage seraient aussi sur place pour protéger le nouveau-né si quoi que ce soit arrivait. Ne prenant guère de chance, elle laissa néanmoins l’un de ses biens les plus précieux, le collier de sa mère avec Gabriel, se disant que s'il lui arrivait un malheur, au moins il pourrait se faire reconnaître ainsi.



Une fois à la Malvoie, quelques pirates, ainsi que la baronne, se mirent en route à travers les marais nauséabonds. Leur guide en valut la peine, car ce dernier n’eut guère de mal à trouver son chemin, suivant d’innombrables colifichets à travers le paysage quelque peu lugubre. Au bout d’une ennéade de trajet sans réel problème, le groupe arriva finalement à un ponton moisi. Là, où une barque dans le même état se trouvait. Le guide leur mentionna qu’il était tout près de la fameuse médée, qu’il n’avait qu’à rejoindre sa cabane. Adélina se faufila devant les pirates, pour se mettre aux côtés du capitaine à l’avant de la barque. Quelques membres de l’équipage les suivirent, embarquant à leur tour dans la barque avant de se mettre à ramer. Cela prit bien quelques minutes avant que le groupe n’atteigne finalement leur destination. Une cabane décrépie au milieu de l’eau. Adélina put sentir son coeur rebondir dans sa poitrine. Enfin! Enfin, elle aurait l’opportunité de poser la question qui la travaillait et peut-être avoir une réponse…

Les effluves du marais s’immiscent dans les narines et collent à la peau. Le calme angoissant de ces lieux inhospitaliers enserre les cœurs des hommes de la mer habitués aux horizons sans fin. Ici, ils sont enfermés, prisonniers d’entre les terres, à la merci des eaux croupies ne souffrant que les remous de leur barque moisie. Et ceux causés par les créatures du bayou… Silencieuses, invisibles, elles observent les intrus glisser sur leur royaume de vase.

Ceux-là qui se rendent en la demeure la Médée, bientôt l’aperçoivent. Une coque de bois sombre bouloté par l’humidité, montée sur pilotis et de laquelle s’échappait un mince filet de fumée. Sur le ponton, un homme à la peau noire les attendait déjà, presque immobile, la respiration du colosse est imperceptible. Le bout de ses pieds trempe à peine dans l’eau, juste assez pour que les poissons des marécages grignotent frénétiquement ses peaux mortes. Son œil unique en proie à la cataracte fixe la barque sans véritablement en donner l’impression.

- Qui s’avance en son domaine sans y être invité ? Sa voix est lente et rauque, intimidante et impérieuse. Qu’ils s’annoncent sans tarder.

L’homme se redresse dans un effort qui n'en paraît pas un, c’est un géant corpulent vêtu d’un simple tissu lui servant de pagne, il ne souffre manifestement pas de la morsure du froid. Sa peau noire est parsemée de tatouages instillant la frayeur dans l'œil observateur, et de cicatrices à faire pâlir les combattants les plus aguerris. Ses doigts se referment sur le manche d’un casse-crâne fait d’os humains. Et si sa posture n’a rien d’agressif de prime à bord, il dégage pourtant une aura malsaine, féroce et imprévisible. Sa demande ne saurait attendre.

Les marécages du bayou étaient comme les marins les avaient imaginé au travers des racontars de taverne. Inhospitaliers, angoissants et dangereux. Les marins qui s’aventuraient sur leur barque n’avaient cessé de scruter les alentours à la recherche du moindre danger, du simple mouvement dans la vase, aux branches qui craquaient à leur passage. La lourde atmosphère de ces lieux rendaient les marins anxieux, eux qui avaient pour habitude de l’air frais du grand large se sentaient ici prit au piège, à la merci de ce qui les observait sans être vu.

Le Rokvenha avait décidé de prendre quelques hommes avec lui, afin d’assurer sa sécurité ainsi que celle d’Adélina. La petite barque comptait en son sein cinq individus, dont Rocaille, Noirâtre, le guide, Adélina et le capitaine. Chacun avait pour tâche de scruter les environs tandis que le guide naviguait dans ces eaux troubles.

Enfin, ils approchèrent de la coque où devait se trouver la Médée. Installée en plein cœur de ce lieu, la vision de cette petite maison remplit le cœur du Rokvenha d’un mélange de sentiment. Satisfait d’être enfin arrivé, mais aussi angoissé à l’idée de rencontrer celle qui se disait proche des Wagyl. Il ordonna d’approcher et avant même d’accoster, vit ce géant qui pouvait rivaliser avec Rocaille les interpeller.

Quand le colosse se redressa, Rocaille et Noirâtre firent de même, leurs mains se posèrent sur les pommeau de leurs lames et le Rokvenha leur fit signe de patienter. A son tour, le capitaine se redressa et voyant le gardien des lieux répondit à la demande.

« J’suis l’Rokvenha, Cap’taine d’Wagyl Noir, j’viens voir l’Médée… » Il leva ses mains en signe d’apaisement essayant de ne pas contrarier le guerrier à la peau sombre. « On r’conte tout un tas d’chose en ville sur elle… Et l’v’nue d’Wagyl en pleine mer. J’la crois c’pour ça qu’j’suis là. »

Il resta ainsi, les mains toujours levées essayant de paraître le moins hostile possible au regard du guerrier. Les deux marins restèrent immobiles et bien que leur capitaine leur ait demandé de ne rien faire, eux, restaient aux aguets, parés à défendre l’embarcation.

Le Capitaine reprit alors en détournant brièvement le regard sur ceux qui étaient présents dans la barque, les désignant. « Ils sont ‘vec moi, et n’f’ront rien d’mal, ‘sont là pour m’s’curité et celle d’ma Rose… Quant à lui. » Il désigne le guide. « T’dois l’connait’ ou l’Médée l’connait, c’un d’gars qui fait l’guide pour des g’llards comme moi. »

Nul n’aurait pu affirmer ce que l’œil blanc du colosse prit le temps d’observer durant les quelques secondes suivant la réponse du Capitaine. Et finalement, après que la tension et le malaise se soient installés, il laisse échapper un rire dérangeant, brisant le calme et le silence des marais.

- Et qui va les protéger eux ? Il secoue la tête dans un nouveau rire, puis fait un signe à l’embarcation d’approcher du ponton. Seuls ceux en quête du savoir de la Médée sont invités à débarquer. Les autres restent dans la barque. Et les armes aussi.

Son visage se tourne lentement vers le Capitaine, lui qui cherche à comprendre des mystères qui le dépassent.

- Toutes les armes.

Il tend sa main, celle qui ne tient pas son casse-crâne par le manche, à l’intention de quiconque chercherait à grimper sur le ponton. Et son unique œil continue de balayer les environs à la recherche des signes.

- Vous ne toucherez à rien sans y avoir été invités. Certaines choses ne peuvent pas être défaites et vous ne voulez pas en être victimes, croyez-moi. Il s’approche de la porte de la cabane et la pousse, invitant ceux qui cherchent conseil à pénétrer en la demeure de la Médée.

Et l’intérieur a de quoi être plus chaleureux que l’extérieur. Un feu crépite au centre de la pièce, sous une marmite d’acier suspendue à une poutre parsemée de sacs d’herbes et de diverses gousses séchées. Il y règne des parfums agréables mêlées à des odeurs plus agressives et moins appréciables. Les étagères sont remplies de babioles en tout genre, précieuses ou non, de livres écornés, de bocaux contenant autant d’étrangetés que de choses plus reconnaissables. Des crânes d’oiseaux sont cloués sur le mur du fond, chacun d’entre eux est gravé de symboles. Et la Médée est là, penchée sur une table poisseuse de sang, elle déplume frénétiquement un malheureux volatile. Coiffée de plumes et de perles, ses tresses noires cascadent sur ses épaules, sa peau cuite par le soleil, abîmée par les vents et le sel, luit légèrement à la lueur des flammes, révélant les tatouages et peintures courant le long de ses bras.

- Qu’est-ce qui mène l’homme de la mer aussi loin dans les terres ? Demande-t-elle en venant jeter une poignée de plumes dans sa marmite sans accorder à un regard à quiconque.

La jeune femme resta silencieuse alors que le pirate discutait avec la répugnante créature. Son regard azuré balayait du mieux qu’elle pouvait les alentours, jetant quelques regards curieux vers celui qui les avait arrêtés dans leur quête. La nordienne frissonna alors qu’elle aperçut le gourdin fait de crâne. Tout ça lui semblait incroyablement surréaliste, on aurait presque pu croire à une histoire que racontent les bardes dans les tavernes en péninsule. Une vision d’horreur, peu crédible, mais qui pourtant se dessinait devant elle. Sa respiration devint de plus en plus profonde alors qu’elle tentait de se calmer, ses doigts, qui auparavant chiffonnaient les pans de son manteau, se déplacèrent doucement sur le siège de la barque, prête à détaler et à laisser la place aux deux guerriers derrière elle alors qu’un frisson sembla caresser sa colonne.


Mais les paroles du Rokhenva semblèrent calmer l’énergumène, qui éclata de rire avant de les inviter à venir sur le ponton. Adélina avala difficilement sa salive, avant de détacher sa ceinture a laquelle se trouvait le poignard que lui avait donner le capitaine. Non pas qu’elle savait réellement s’en servir, mais valait ne pas choquer ou provoquer le guerrier à la massue. Une fois fait, la jeune femme se leva doucement, gardant son équilibre avant de relever le regard vers l’immense homme. Ce dernier lui tendit la main, le regard sembla perdu ailleurs, comme si de rien n’était. La nordienne lui attrapa la main, mais avant même que ce dernier ne puisse la hisser, elle sentit quelqu’un la prendre pour la taille pour la soulever sur le ponton. Cette dernière se crispa, clairement surprise par le Rokvenha. Une fois sur la plateforme la jeune femme replaça rapidement son manteau avant de faire un signe de tête à l’encontre des deux hommes, bien qu’elle ne fût pas certaine que le géant ne remarque quoi que ce soit. Se doutant que son ravisseur la suivait, la jeune femme entra rapidement dans la cabane, poussant la porte sans gêne avant de s’y engouffrer. Curieusement, cette dernière n’avait pas peur, c’était plutôt une excitation qui la dirigeait, la faisait regardait en avant. Adélina savait que tout cela était une opportunité qu’aucun autre noble péninsulaire aurait et lorsque la voix de la femme résonna dans la pièce. La baronne s’arrêta, avant de se décaler sur le côté, laissant le Rokvenha prendre les devants. Après tout, c’était lui qui avait été interpellé en premier, elle aurait bien l’opportunité de parler à la médée par après. Du moins, c’est ce qu’elle espérait.

Le Rokvenha s’était quelque peu détendu quand le colosse d’ébène s’était mit à rire, même si ce dernier se moquait de lui. Le capitaine se retourna vers les siens et répondit au garde. « Aye, ‘vont rester là, bien sag’ment… Mmh ? » Il haussa les sourcils vers les marins s’assurant que la dernière partie de sa phrase était bien comprise de tous. Rocaille et Noirâtre hochèrent alors la tête et le capitaine fit donc signe d’approcher l’embarcation.

Une fois à portée, il aida Adélina à monter sur le ponton, glissant ses mains sur les fines hanches de la baronne. Il ne se soucia pas de la potentielle occasionnée ou tout autre, car après tout, il n’avait rien de plus en tête que de simplement l’aider et lui éviter de chuter dans ces marécages malodorants. Par la suite, il prit le temps de retirer ses armes à son tour, décrochant ses épées jumelles et courbées de sa ceinture pour les déposer sur les bancs de l’embarcation. Ne voulant pas jouer au plus idiot, le Rokvenha retira toutes les armes comme l’avait intimé le géant. Ainsi, il enleva les quelques poignards dissimulés ci et là sur son corps et les laissa retomber sur le bois. « ‘V’là, c’fini… » Il s’aida alors de la main tendue pour monter à son tour sur le ponton.

A mesure qu’il approchait de la porte, il sentit son cœur battre dans sa poitrine. Une certaine excitation s’empara de lui, un empressant même. Lui qui avait tant attendu pour obtenir les réponses qu’il désirait le plus était enfin arrivé à celle qui les lui donnerait. Adélina s’avança la première et le regard du Capitaine s’obscurcit alors en la guettant faire. La baronne pu entendre un léger grognement en provenance du mécan qui n’apprécia pas qu’elle lui passe alors devant de la sorte. Quand il entra à son tour, il baissa légèrement la tête vers elle et dans un souffle chaud lui murmura. « J’te r’pelle qu’on est pas là p’toi, ma Rose… Bien claire ? » L’intonation ne laissa aucun doute quand aux intentions de l’homme qui visiblement semblait prêt à obtenir ce qu’il désirait, qu’importe les moyens à employer.

Soudain, une voix le ramena à la situation et il se crispa quand il entendit la vieille femme l’appeler. Il observa l’intérieur de la cabane faite de bois et se rappela le conseil de l’homme à l’entrée. Il glissa alors les mains dans ses poches, s’évitant ainsi toute curiosité malsaine qui pourrait lui être fatale ou pire encore. Enfin, le Rokvenha approcha alors, dépassant Adélina pour s’adresser à la Médée.

« Ahoy M’dée, j’suis l’Rokvenha, Cap’taine d’Wagyl Noir et j’viens v’voir pour obtenir d’réponses. On r’conte qu’le Wagyl a ‘té vu en pleine mer » Il renifla lourdement, s’essuyant de sa manche, après avoir sorti la main de sa poche. « Et j’compte bien voir ça d’mes prop’ yeux. » Son visage se referma légèrement comme si une idée lui avait traversé l’esprit. « On r’conte qu’vous êtes proche d’Wagyl, l’Prince d’mers et l’fils d’la Mère d’mers et j’veux pouvoir l’pprocher et faire un marché ‘vec lui. »

Sa demande serait surement mal vue ou, dans le pire des cas, arracherait une moquerie à la vieille femme, mais le Rokvenha était bien décidé à approcher le Wagyl pour obtenir son aide. Le mécan était persuadé que la créature était en mesure de l’aider à prendre ce qu’il désirait le plus au monde « dominer les mers de Miradelphia ».

La Médée passe devant ses bocaux à la recherche de l’un d’entre eux tandis qu’il explique les raisons de sa présence. Et avant que ses doigts n’atteignent le bocal dans lequel flottent ce qui, vraisemblablement, semble être des yeux humains, elle s’arrête dans son geste, tourne lentement la tête et adresse un regard plein de mépris au pirate.

- Un marché ? Demande-t-elle en délaissant ses bocaux pour s’avancer vers lui. Un marché… Elle dévoile ses dents noircies dans un sourire moqueur. Vous voguez toutes voiles dehors dès qu’un métal brille au soleil et, lorsque vous n’êtes pas en quête de richesses, c’est le pouvoir qui vous intéresse. Tous. Elle se détourne en chassant l’idée de la main comme on chasserait une mouche. Et tu as l'audace d'imaginer pouvoir marchander avec des forces primordiales qui te dépassent. Et que pourrais-tu lui offrir ? Toi, aussi insignifiant puisses-tu être. Elle secoue doucement la tête, laçant un regard désapprobateur au forban. Comme ceux avant toi qui sont venus chercher mes conseils.

Ses pas la mènent vers ses bocaux, elle s’empare d’un pot en terre cuite et revient vers ses invités. La Médée en retire le couvercle et laisse l’odeur se répandre dans sa cabane. Une odeur désagréable qui efface toutes les autres, un effluve de souffre et d’iode, de mort et de sel.

- Cependant, reprend-elle en dressant un index, comme les autres, tu auras ta chance… Caleb. Elle laisse échapper un léger un ricanement. Le « Rokvenha ». Va. Débarque sur l’île aux pins, retrouve cette odeur, suit là et ramène-moi sa source. Elle referme son pot et se détourne du pirate. Et tu apprendras peut-être quelque chose en chemin.

Le regard de la baronne se releva pour croiser celui du Rokvenha alors que ce dernier lui rappelait la raison de leur visite. Son souffle chaud contre son cou la fit frissonner. Non pas de désir, mais de peur. Elle savait que trop bien qu’il valût mieux éviter sa colère surtout a un moment qui avait autant d’importance pour lui. Après tout, elle avait assisté en premier plan ce qui se passait lorsque ce dernier explosait…  Mais la jeune femme se ressaissit finalement, et ses doigts caressèrent doucement le poignet de l’homme alors que l’azur rejoignait l’azur. « Oui je sais… C’est pour cela que je te laissais passer. » Murmura-t-elle pour que ce dernier soit seul à entendre. Adélina se déplaca rapidement, le laissant prendre les devants alors que la femme l’interpella. Dire, qu’il avait été fin dans son approche, aurait été un odieux mensonge. Au moins, il n’avait pas passé par quatre détours, ce qui pouvait être un avantage en soi. Adélina s’approcha doucement de la femme qui venait de jeter quelques plumes dans une marmite, restant volontairement quelques pas derrière le Rokvenha, se voulant définitivement discrète. Droite, le visage imperturbable alors que le regard bleuté restait fixé sur le moindre mouvement de celle qui ressemblait à une sorcière. La nordienne ne put s'empêcher de penser que cette dernière avait particulièrement de la chance de se trouver si loin de la péninsule. Bien qu’elle devait avoir certaines capacités hors du commun, faire face a une armée de péninsulaire fanatique ne devait pas être de tout repos. La baronne pencha la tête sur le côté alors qu’elle continuait son observation de la médée. Disons qu’elle ne l’avait guère imaginé ainsi, peut-être était-ce la naïveté de la jeune femme, mais elle aurait pensé faire face à une prêtresse de Tyra, ou du moins a ce qui ressemblait a un serviteur d’Eris comme Cul-béni. Mais non, la femme était complètement différente…  Les poings de la jeune femme se resserrent pendant un moment, se demandant si elle avait fait le bon choix. Certes avoir une relation aussi spéciale avec la voilée voulait certainement dire que l’on s’adaptait à cette dernière. C’était une pensée quelque peu confortable mais cela n’empêchait guère que les croyances et les valeurs de la nordienne en prenait un solide coup…


Puis, la femme reprit rapidement la parole, répondant de façon particulièrement virulente au pirate qui paraissait si confiant il y a quelques instants. Adélina ne put cacher sa surprise. Cette dernière ne cacha guère son sentiment sur l’idée du Rokvenha, osant même lui rappeler son “insignifiance”. Adélina se crispa légèrement, avant de poser sa main sur le dos du pirate, se voulant quelque peu rassurante devant cette critique. Mais elle s’arrêta net alors que la médée ouvrit l’un des nombreux bocaux qui ornait ses étagères. Sans attendre Adélina posa ses doigts sur son nez, retenant une grimace. Cette odeur! Une horreur bien difficile à décrire. Mais la femme reprit rapidement la parole, lui disant qu’elle aurait sa chance. L’idée aurait fait sourire la baronne, si ce n’était pas du nom qu’elle avait prononcé après sa phrase.


Caleb…


Et elle comprit, les yeux de la nordienne se posèrent sur le Rokvenha, comprenant qu’elle avait finalement su son nom. Ce qu’il considérait comme sa plus grande faiblesse. La jeune femme resta muette, se contentant d’observer la réaction du pirate. Puis, lorsque la médée leur dit de partir, la jeune femme prit soudainement la parole; « Il y a des questions qui n’ont pas été encore posés. » Sans attendre, la jeune femme fit quelques pas vers l’avant s’avançant à son tour vers la médée, s’arrêtant aux côtés du Rokvenha. La jeune femme reprit la parole, levant légèrement le menton alors qu’elle fixait son interlocutrice. Curieusement aucune nervosité ne semblait se faufiler par sa voix, par sa posture, que sa respiration rapide la trahissait, alors qu’elle semblait à son tour si près de son but. Elle se doutait bien que le capitaine ne serait pas heureux qu’elle ait prit les devants devant la médée, mais cela serait un risque qu’elle serait prête à payer. « Mon nom est Adélina Emmeline de Lourbier. Baronne d’Alonna. » Commença-t-elle. Elle avait volontairement écourté ses titres, se disant que cette dernière n’avait probablement rien à carrer du reste de ses fiefs. « Si vous êtes si près de la voilée, peut-être pourrez-vous répondre à cette question…» Elle avança d’un nouveau pas avant de reprendre la parole; « Il y a quelques ennéades le baron d’Alonna, Théodoric de Langehack est mort. Es-ce que Tyra a pris volontairement son souffle ou le lui a-t-on envoyé? » Les paroles de sa vil belle-soeur semblait lui revenir encore et encore en tête. “ La déesse surveille Théo sans pour autant vouloir s’emparer de son Souffle, préférant ceux des personnes à qui il s’attache… “ Toute cette histoire lui semblait surréaliste, cela ne pouvait pas être Prudence qui était responsable de la mort de son frère. Elle était une horrible personne, mais elle n’était pas sotte… Le regard de la jeune femme sembla devenir un peu plus acérée alors qu’elle murmura; « Qui à oser s’en prendre à notre famille? »

Son regard était vissé sur la vieille et bien qu’elle semblait inoffensive à première vue, le capitaine se sentait forcé de rester aux aguets. Son corps tout entier était tendu dans une crispation d’anticipation, comme si n’importe quoi pouvait lui arriver à tout instant.

Quand elle s’approcha de lui, le Rokvenha baissa les yeux pour ne pas quitter ceux de la médée et il l’écouta attentivement. Il s’en doutait, ses demandes ne trouveraient au mieux que des moqueries et ce fut le cas. Cependant, quand elle insinua qu’il était insignifiant, une bouffée de chaleur s’empara de lui. Son corps déjà tendu se raidit davantage encore et un tic nerveux le fit cligner des yeux à quelques reprises. Sa main droite se serra et se desserra machinalement comme si le Rokvenha luttait de l’intérieur pour retenir une de ses innombrables pulsions.

Rares étaient ceux qui lui parlaient ainsi ouvertement sans qu’ils ne repartent avec un souvenir du capitaine, si tant est qu’ils pouvaient repartir. Cette fois-ci, la médée serait bien la seule à pouvoir s’en vanter. Caleb le savait, jamais il n’oserait toucher à cette personne qu’il estimait sacrée de manière personnelle. Et ces mots, bien que difficile à entendre avaient un fond de vérité. Qui était-il, lui, pauvre mécan, pour le puissant prince des mers ?

La main de la baronne se fit sentir dans son dos et le geste eu l’effet inverse de ce qu’elle avait désiré. Le Rokvenha pivota la tête vers elle et la fusilla d’un regard noir avant de se dégager en faisant un pas vers l’avant. Il continua d’observer les faits et gestes de la sorcière quand cette dernière ouvrit le pot.

L’odeur s’empara des narines du mécan et ce dernier grimaça en fronçant les sourcils. Même si certaines choses lui étaient familières, le mélange de toutes ces odeurs lui étaient désagréable et il laissa échapper un soupire à l’idée de devoir se souvenir de ça afin de retrouver la source.

Il eut à peine le temps de se remettre de ses émotions précédentes que la Médée envoya le coup de grâce. Si pour d’autres cela ne paraissait rien en apparence, quand la femme prononça son prénom, le Rokvenha sentit son cœur s’arrêter de battre. Comment le savait-elle ? Le mécan, habituellement bronzé par le soleil devint pâle. Il resta là, stoïque plusieurs secondes sans réellement comprendre ce qu’il venait de se passer. Lui qui avait fait tant d’effort pour cacher cette information, pour l’oublier même, voilà que son prénom venait d’être balançait comme ça, à la volée et devant Adélina.

Après plusieurs secondes, toujours livide, le Rokvenha pivota le regard vers Adélina et la fixa sans qu’elle ne le remarque, étant donné qu’elle venait de s’approcher pour prendre la parole. Il la fixa sans détourner le regard comme un ahuri qui aurait de sombres intentions. Puis finalement, il sorti de la cabane sans demander son reste, le pas lent et désabusé. Ne se souciant pas des demandes de la baronne.

Le pirate est déboussolé. Hébété. La Médée ignore sa détresse et retourne à ses occupations, elle surveille sa concoction. Du moins elle essaie, car la jeune femme accompagnant le forban s’empresse de s’imposer. Des questions, toujours des questions. La sorcière roule des yeux, esquissant un sourire hésitant entre l’agacement et l’incrédulité.

- Crois-tu que la Mort me rende des comptes ? Demande-t-elle en laissant un échapper un bre et léger rire moqueur. Qu’elle me prévient lorsqu’elle fauche l’un ou l’autre ? Elle hausse les épaules et secoue la tête en versant saupoudrant sa mixture d’une poudre verdâtre. Je vais te dire la même chose qu’à lui. Nous ne sommes rien. Roi ou gueux, amiral ou forban, nos vies ne nous appartiennent qu’un temps.

La Médée fait le tour de son chaudron et s’approche de la baronne. Elle plante ses yeux dans les siens et appuie son pouce contre front.

- Mais si tu te poses la question… C’est que là-dedans, au fond de cette caboche, tu connais déjà la réponse. Trouve le courage d’y faire face, plutôt que d’attendre que le monde te mette face à une réalité que tu ne te contenteras que de constater comme une fatalité.

La vieille dame s’écarte, d’un geste de la main, elle fait signe à Adélina de la laisser seule, mais avant qu’elle ne franchisse la porte et rejoigne les pirates… Sa voix tranchante résonne depuis le fond de sa cabane.

- Rappelle-lui qu’il est mortel. Et quoi qu’il en pense, c’est là qu’est sa force.

Adélina ne bougea pas d’un centimètre alors que la médée reprenait la parole. La nordienne ne put s’empêcher de penser que cette dernière avait définitivement l’une des plus rustres personnalités qu’elle ait rencontrées. Elle fut tout de même déçue de la première réplique de cette dernière. Apparemment, elle avait mal évalué le lien qu’elle avait avec la voilée. A moins que la première discussion qu’elle ait eue avec le pirate avait eu l’effet de la mettre particulièrement de mauvaise humeur. Néanmoins, cette dernière sembla devenir de plus en plus bavarde, contournant son chaudron nauséabond pour venir lui faire face. Adélina eut un mouvement de recul alors qu’elle posait son souffle sur son front, mais s’arrêta bien assez vite alors qu’elle entendit les paroles de la vieille sorcière.



Avalant difficilement sa salive, le regard de la jeune femme supporta celui de la médée, un regard triste, laissant volontairement un silence s’installer dans la pièce, alors que ses pensées semblaient bouillonés dans son esprit, semblant analyser chaque mot que la sorcière venait de lui dire. La vieille femme s’écarta finalement, retournant à ses occupations. Ce n’est qu’à ce moment-là que la jeune femme put finalement prendre la parole ; « Il me manque… » Murmura-t-elle plus pour elle que pour cette dernière. Elle avait raison. Trop longtemps qu’elle avait tenté de ne pas y penser. D’oublier ce qui s’était passé. C’était plus facile ainsi. Plus facile de tenter d’avancer, de passer au lendemain. Mais la réalité était qu’elle n’avait pas envie de découvrir comment elle se sentirait demain. Incapable de supporter qu’il soit parti, qu’elle n’ait jamais réellement plus lui dire au revoir. Sans le vouloir ses poings se serrèrent alors qu’elle pivota pour se mettre à marcher vers la porte.



La baronne s’arrêta net alors qu’elle entendit la voix de la médée qui lui donnait un dernier conseil pour le Rokvenha. Puis, elle ferma les yeux avant d’expirer doucement. Son souffle sembla trembler pendant une seconde, démontrant sans le vouloir le surplus d’émotion qui bouillonnait à l'intérieur de la baronne. Tristesse. Colère. Elle l’avait toujours su. Et ce, depuis la mort de son aimé. Tout cela avait été trop surréaliste, et elle n’avait pu l’accepter. Déniant qu’un événement aussi terrible aurait pu lui arriver. Sa respiration sembla finalement se calmer, sa mâchoire se détendit à son tour alors que sa main libre se desserra soudainement. Adélina ouvrit finalement les yeux avant d’ouvrir la porte de la cabane et tomba rapidement face à face avec le Rokvenha. C’est un regard dur, rempli de colère, de haine, qui se porta sur le capitaine. La baronne releva le menton avant d’avancer de quelques pas. Elle s’arrêta au côté de ce dernier, fixant droit devant elle avant de reprendre finalement la parole, chuchotant de façon à ce que ce dernier soit le seul à entendre ; « Elle veut que je te rappelle que tu es mortel et que peu importe ce que tu en penses, c’est là ta force. » Le regard azuré de la nordienne se porta finalement sur le forban, croisant le sien. Il pourrait définitivement voir que quelque chose n’allait pas. Mais la jeune femme n’en avait que cure. Sans rajouter quoi que ce soit d’autres, Adélina se remit à marcher, passant le pirate sans rajouter un mot pour s’avancer près de la barque. Rocaille et le géant lui tendirent tous les deux une main pour l’aider à remonter sur la chaloupe, et la nordienne les attrapa, embarquant dans la barque qui les avait conduit à la sorcière avant de s’y asseoir sans dire un mot. Le regard semblant fixer un point devant elle, clairement perdue dans ses pensées.

A peine sorti de la cabane, le mécan s’était efforcé de cacher toute traces d’hésitation. Les paroles de la médée l’avaient chamboulé, certes, mais il ne voulait pas montrer aux autres qu’il avait pu être déstabilisé de la sorte. Ainsi, il afficha une expression de façade sérieuse et concentré, donnant l’impression d’être déjà tourné vers son prochain objectif.

Le marin se tenait droit, dehors, observant les environs peu accueillants des marécages en attendant Adélina. Quand cette dernière sortie de la cabane il porta son attention sur elle et plissa les sourcils. Quelque chose n’allait pas, il ne savait pas quoi, mais elle semblait avoir été secouée, elle aussi, par les propos de la Médée. Le Rokvenha la regarda en silence, ne cherchant pas à percer un quelconque mystère qui ne l’intéressait pas vraiment et écouta les dernières paroles de la vieille, énoncées par la baronne. Qu’avait-elle voulu dire par là ? Il le savait bien qu’il était mortel, c’était justement une de ses motivations à vouloir s’enrichir le plus rapidement possible. Il balaya ce conseil en brisant son silence, une fois qu’il rejoignit les autres dans l’embarcation.

« On va d’voir s’rend’ sur l’ile aux pins… Pas loin d’la Malvoie. » Il renifla en faisant signe au guide de prendre la direction pour reprendre la route. « On s’tire d’là, on fait c’qu’on à faire et on r’vient voir la M’dée par l’suite. » Les deux pirates le regardèrent, semblant vouloir en apprendre davantage, mais le Rokvenha coupa court à tout questionnement. « Une fois sur l’navire j’vous dirait c’qu’on doit faire vous en faites pas… Pour l’moment gardez bien vos sens sur c’foutu coin perdu qu’on sorte d’là en un seul morceau. »

Il se tourna vers Adélina, pour s’assurer que tout allait bien et renifla en se mouchant d’un revers de la main. Il chercha à capter le regard de la baronne et quand ce fut le cas, il planta ses yeux dans les siens. Le regard que le mécan envoyait à la baronne était peu ambigüe. Ses sourcils légèrement froncés ainsi que la lueur qui y résidait, laissaient sous-entendre une certaine force de menace voilée.

Enfin, le capitaine se retourna en silence et laissa son attention se porter sur les marécages désireux de les quitter le plus rapidement possible.

Le trajet du retour lui avait semblé particulièrement rapide. En réalité, la jeune femme n’était même pas certaine du temps que cela avait prit pour rejoindre la Malvoie. La rencontre qu’elle avait eu avec la médée l’avait particulièrement bouleversé, assez pour qu’elle se remette complètement en question. La vieille avait raison, si elle se posait la question, c’est qu’elle savait probablement ce qu’il était arrivé. La mort de Théodoric lui avait paru invraisemblable, et ce, malgré la soi-disant enquête de la justice royale. Tout avait été trop vite, trop soudain. Cela ne pouvait pas être un accident. Pas si près des appartements de Prudence… D’ailleurs cette dernière était définitivement suspecte dans cette affaire, mais la nordienne connaissait assez sa belle-sœur pour savoir que cela n’était pas son genre. Elle n’aurait pas tué son frère… Du moins, pas aussi stupidement. Mais qui? Qui les avait prit autant en grippe pour commettre de tels actes? Elle déposa doucement le bambin dans son lit, l’enveloppant doucement dans ses couvertures, avant de caresser doucement la joue du garçon. Il lui semblait si paisible, inconscient de tous les horribles événements qui se déroulaient autour de lui. Adélina eut un léger sourire triste, avant que le bruit de la porte que l’on ouvre ne la sorte rapidement de ses pensées. Les mires azurés se levèrent rapidement vers l’entrée de la cabine pour croiser ceux du capitaine. Un contact qui ne durait pas bien longtemps, alors qu’elle reposa son regard vers son enfant. Elle était involontairement distante, non pas qu’elle l’ignorait mais des choses beaucoup plus importantes lui occupait l’esprit que ce que le pirate pouvait bien faire ou vouloir. Cela faisait bien des jours qu’elle tournait et retournait la moindre bribe d’information qu’elle avait, se disant qu’elle avait probablement oublié un détail, qu’il y avait quelque chose auquel elle n’avait pas pensé ou qu’elle n’aurait pu imaginer. Adélina le laissa vaquer à ses occupations pendant quelques minutes, puis la voix de la baronne rompit finalement le silence. « Dis-moi. » Commença-t-elle, toujours sans jeter un regard au pirate. « Pour quelle raison tuerais- tu quelqu’un ? » Adélina remonta le regard vers ce dernier, observant sa réaction. Si elle s’était voilé la face, peut-être que le pirate pourrait au moins l’éclairer. Après tout, lui-même l’avait dit… Le monde n’était pas tous noble comme elle.


Le Rokvenha eut d’abord un moment d’hésitation, tournant la tête vers la baronne. Son visage sembla exprimer l’incompréhension, celle de ne pas être sûr d’avoir bien entendu. Il grimaça et pencha la tête sur le côté, arrêtant tout ce qu’il était en train de faire. “Pour quelle r’son j’tuerai ?” Dit-il, semblant se répéter la question à lui-même pour être sûr d’avoir bien entendu. Après un bref silence, il haussa les épaules sur un air nonchalant. “‘cune r’son.” Coupa t-il simplement en reniflant. “J’tue pour d’souv’rains l’premier v’nu ‘lors j’ai pas vraiment b’soin d’une toute aut’ r’son, ma Rose.” Le mécan sourit d’un air presque carnassier comme pour venir ponctuer ses propos.


Il est vrai que le Rokvenha ne s’était jamais réellement soucié des conséquences d’ôter la vie, vivant de la sorte depuis sa plus jeune enfance. Pour lui, le monde était tel qu’un règne animal, tuer ou être tuer. Du moins, survivre en surpassant les autres. “P’quoi tu t’d’mandes ça ? Mmh… T’compter faire clamser quelqu’un ? Si c’est l’cas, r’fléchis pas, car tu l’fera sur’ment plus par l’suite et ça peut s’compliquer.” Il retourna à son occupation, reportant ses mires sur une carte sur laquelle il semblait détailler l’île aux pins. Adélina ne broncha pas en entendant le discours du Rokvenha, disons que son air carnassier ne l’impressionnait pas à ce moment précis. « Je ne cherche pas à tuer quelqu’un ou du moins pas maintenant. » La jeune femme s’accota contre le mur, remontant ses jambes contre elle. Son regard semblait perdue devant elle, « Tuer pour des souverains… Ou par jalousie…» dit-elle plus pour elle que pour le Rokvenha. « Car c’est ce que tu as fait au marin qui m’avait touché… » Relevant finalement le regard vers le Rokvenha, elle reprit rapidement la parole; « Qu'est-ce qu’il est arrivé le soir que tu es revenu dans ta chambre couvert de sang? » La jeune femme pencha légèrement la tête sur le côté, observant avec attention le visage du pirate.


Le Capitaine lâcha un rire quant aux propos de la jeune baronne et sans relever la tête répondit. “Naye y’a pas d’jalousie. C’fond pas tout” Il pivota ensuite en la regardant. “J’avais prév’nu, pas vrai ? Qu’qu’conque t’toucherait aurait ‘faire à moi… C’est d’la discipline qu’j’ai fait rien d’aut”. Pour l’reste…” Il balaya de sa main devant lui avant de reporter son attention sur son bureau. “Disons qu’c’était des ‘ffaires à r’gler à Méca, rien d’plus. Pourquoi tu m’d’mandes ça ?” La baronne se retourna doucement vers le pirate en haussant un sourcil. Puis, elle expira bruyamment alors qu’un sourire orna ses lèvres. « Si c’est ce que tu dis pour te convaincre…» La jeune femme observa le marin pendant quelques secondes, silencieuse avant de reprendre; « Parce que j’essaie de comprendre tout simplement. » Inutile d’aller plus loin, il avait toujours été clair que le Capitaine ne se souciait guère de ses sentiments ou de ce à quoi elle pouvait penser en général.


Sans attendre, la jeune femme se releva, contournant le forban avant d’aller vers la petite fenêtre de sa cabine, elle s’accota contre le mûr, laissant tomber sa tête contre le bois alors que son regard balayait la mer. « Dans combien de temps arriverons-nous à l’île aux pins? »


“Dans pas long, p’fite pou’ t’r’poser.” Il désigna la couchette derrière lui avant de pivoter sur son fauteuil et de poser son regard sur elle. Il le sentait, la rencontre avec la médée avait bouleversée la jeune femme, il fallait être aveugle pour ne pas le voir, mais au fond de lui, ce n’était pas ses affaires. Le mécan resta ainsi silencieux quelques instants et après une longue expiration d’agacement se retourna en entier vers elle. “Bon, t’veux qu’on parle ?” Ces quelques mots semblaient être arrachés car en réalité il aurait préféré se tenir à l’écart des soucis des autres. “J’t’écoute s’tu veux.” Pour montrer sa bonne foi, il déposa ses affaires sur le bureau et fit pivoter son fauteuil, se retrouvant face à elle. Il s’affaissa légèrement pour y trouver une position plus confortable et fixa la baronne. “Tu m’parles d’tuer du monde ou j’sais pas trop quoi. C’est c’que t’as r’vélée l’Médée ? Mmh” Il pencha légèrement la tête en l’observant, clignant peu des yeux, dans une certaine moue essayant de se montrer concerné malgré ses réticences.


Adélina tourna son regard vers le capitaine en haussant un sourcil, ne cachant guère sa surprise devant le semi-intérêt de ce dernier. C’était évident qu’il ne voulait pas réellement l’entendre, après tout, elle n’était qu’une marchandise. La jeune femme resta silencieuse un moment, observant le capitaine, ayant l’air de perser le pour et le contre avant de prendre la parole; « Non. Pas du tout. En réalité, elle n’a pas réellement répondu. Tout ce qu’elle a dit c’est que si je me posais la question, c’est que je connaissais déjà la réponse. » La nordienne retourna son regard vers le forban avant d'ajouter; « Je me doute que tu en a rien a faire. Mais cela veut dire que mon mari a été assassiné. » Elle haussa les épaules avant de regarder de nouveau la mer.  « Si c’est le cas. Cela veut dire que si nous retournons en péninsule, moi et Gabriel pourraient être les prochains sur la liste. J’essaie de voir qui aurait pu faire cela et pourquoi. » Avoir une longueur d’avance était nécessaire dans ce cas la. Elle savait qu’elle pouvait faire confiance à sa famille directe, mais pour les autres, c’était une autre paire de manches.


Le Rokvenha écoutait la jeune baronne imaginer son possible sort et souffla du nez. “L’vieille à pas tout faux.” La réplique attira définitivement l’attention de la nordienne qui se retourna vers le mecan, l’interrogeant silencieusement du regard. Il se gratta la joue en ajustant son assise sur le fauteuil pour faire davantage face à la nordienne. “Si t’mari à ‘té cané c’est qu’y’a une r’son… J’doute qu’on tue un nobliaud juste par p’sir mmh…” feintant la réflexion un bref instant, il reprit. “J’sais pas c’mment ça marche chez vous aut’, mais… Doit bien y ‘voir des gens qu’veulent t’voir disparaître… Toi et ton chiard.” Il pointa alors Gabriel de son doigt orné d’une bague d’or et de pierres précieuses. “Fais l’liste d’ceux qui voudraient t’voir canée… Et cane les ‘vant, dans l’doute, naye ?” Il haussa les épaules, pour lui cette résolution lui paraissait simple, car c’était ainsi qu’il fonctionnait depuis toujours. “On a plus d’soucis, quand l’soucis ‘xistent plus.” Il poussa un bref rire amusé.  La jeune femme eut un léger sourire avant de jeter un bref regard au pirate. Puis, son regard azurée se porta une nouvelle fois vers la mer. Elle pouvait sentir les mouvements que les vagues imposait au boutre. La vie du pirate semblait beaucoup plus facile que la sienne. Pas de jeu, pas de faux-semblants. Tout était brutal et direct. Néanmoins son conseil ne tomba guère dans l’oreille d’une sourde. Qui aurait voulu la voir disparaître? Prudence de Langehack;  définitivement, elle avait déjà essayé, le faire une deuxième fois ne serait pas surprenant. Mais qui d’autres? Le Duc de Serramire… Le Marquis de Sainte-Berthilde. Qui sait? Peut-être même cette Princesse Thaari qui avait marié feu son beau-père. Des personnes toutes plus puissantes qu’elle, ce qui n’était guère rassurant. Au moins, lorsqu’elle serait mariée elle pourrait compter sur la protection d’Adriano. Mais pour l’instant elle était bien seule. Enfin… La nordienne retourna son visage vers le pirate, l’observant pendant quelques secondes. Puis, elle reprit la parole: « Tu n’as pas tort. » Peut-être qu’elle devrait définitivement frapper en premier. « Dommage que ta protection n'inclut que Meca…» Après tout, avoir un homme tel que le Rokvenha qui assurait ses arrières aurait pu aider.


Caleb renifla fortement en l’entendant parler de sa protection et laissa échapper un bref rire. Il se redressa sur son assise et en l’observant d’un air plus que sérieux répondit. “J’peux t’assurer m’protection qu’sur Méca, aye. J’n’ai ‘cune raison d’mett’ m’pieds dans l’merde en Péninsule pour des ‘stoires d’nobliauds.” Il pencha légèrement la tête tout en laissant un certain blanc peser sur l’ambiance. “Mais… Si d’ventures t’as b’soin d’moi tu sauras où m’trouver. Si m’plans s’passent bien, j’serai en m’sure d’pouvoir jouer d’coudes sur l’mers héhé !” Il moulina devant lui et ponctua. “Tes ‘stoires d’cul-serrés… J’m’y mêle pas, juste un p’tit conseil… Si tu l’sens d’la sorte, méfie d’toi d’tout et tout l’monde, l’seule à surveiller t’dos, c’est toi et personne d’aut’... Bien clair ?” Il la fixa l’air entendu, comme si son conseil était vérité. Après tout, le mécan avait toujours agi de la sorte, là encore, ne faisant confiance qu'à peu de personne, voire aucune. Même Croqueuse, qui en apparence aurait sa confiance, se savait sur la sellette à chaque instant.


Le Rokvenha se retourna sur son bureau en rangeant ses papiers. “On va b’tôt ‘rriver sur l'île aux pins… Si t’veux t’reposer, fais donc, j’ai ‘core à faire.” Adélina resta interdite un moment semblant assimiler ce que le pirate venait de lui dire. Il n’avait pas tort, trop souvent elle s’était fier sur d’autres gens pour assurer sa sécurité, par sa famille, par Aubry, par Théodoric, et maintenant Adriano… Cela ne l’avait jamais mené loin, il y avait toujours eu des dangers, et trop souvent elle avait passé à un cheveux de mourir. Si elle voulait que les choses changent, et surtout si elle voulait protéger son fils, elle devait se prendre en main. La baronne resta pensive quelques instants, alors que son regard azuré se porta sur son fils paisiblement endormi. Il était la seule chose qui comptait maintenant et son devoir était de le protéger à tout prix… Le Rokvenha avait raison, si elle voulait survivre, elle était la seule personne sur qui compter. La baronne se redressa avant de reprendre finalement la parole; « Un peu difficile d’envoyer des messages sur la mer, mais j’en prendrai bien note. » Puis, une idée traversa son esprit, son visage s’éclaira et la jeune femme enleva rapidement sa ceinture. Adélina combla rapidement l’espace qui avait entre elle et le pirate, puis, s’assit sur le coin du bureau ou le Rokvenha se trouvait avant de lui tendre le poignard. La jeune femme tenait cette dernière par la lame, ne se voulant en aucun cas menacante. La nordienne avait un regard espiègle, presque joueur alors qu’elle reprit la parole; « Puisque je suis la seule sur qui compter, peut-être que tu pourrais m’aider. » Adélina lui fit un léger sourire avant de continuer;  « Il y a quelques ennéades tu m’as donné une arme, mais tu ne m’as jamais appris à m’en servir. »


Caleb suivit le mouvement sans tourner la tête, seul son œil se plaça vers le coin. Quand il vit Adélina s’asseoir sur son bureau, il la regarda faire et haussa un sourcil, chassant d’une tape cette dernière pour la faire se décaler d’une carte importante à ses yeux. “Mmh… J’pense qu’t’as eu d’m’lleure formation qu’moi au maniement d’lames pour sûr.” Il renifla et étira un fin sourire en la fixant. “Manier l’poignard c’est d’l’instinct bien s’vent… Juste l’envie d’pas s’faire caner avant celui d’en face.” Il haussa les épaules comme si pareil art était d’une si logique simplicité. “Puis t’façon, ma Rose… Y’a rien d’plus c’cret qu’la pratique car j’aurai beau te d’mander d’faire c’mouv’ment ou un aut’... J’pourrai jamais s’voir comme t’vas réagir l’m’ment v’nu face à un gaillard prêt à t’tuer et ça… j’peux pas t’y préparer.” Il repoussa gentiment l’arme vers la baronne et poursuivit. “Puis l’fois ou t’as ‘ssayé d’me la fout’ dans l’nuque t’as bien su t’en servir héhé !”. Ses paroles n’étaient pas fausses, la lame qu’il avait offerte à Adélina était la même avec laquelle cette dernière avait cherché de le tuer lors de leurs premiers jours ensemble. Un trait d’humour à sa manière. Adélina ne put s’empêcher de sourire alors qu’elle entendit les répliques du pirates. C’était un humour plutôt cru certes, mais c’était le même homme qu’elle avait rencontré à Bransat. Elle déposa doucement le poignard sur le bureau, camouflant volontairement les cartes du pirate avant de planter son regard dans le sien. « Je crois que tu ne m’as pas compris, Capitaine. » Elle lui lança un sourire avant de répliquer: « Ce n’était pas une demande mais un ordre. » Haussant les épaules cette dernière conclua; « Tu ne voudrais pas que ton porte-bonheur ne s’abîme… N’est-ce pas? » La baronne n’avait été aucunement sérieuse, son ton était joueur, aucunement imposant. Elle croisa les chevilles avant d’appuyer ses mains sur le bureau, se penchant légèrement vers ce dernier. « Pour être honnête je n’ai eu aucune formation sur comment me défendre… Je sais tirer à l’arc, mais cela est la seule chose que l’on m'ait réellement appris. Donc je prendrais une quelconque pratique…»


Le Rokvenha soutenait le regard de la jeune baronne, lui-même souriant aux propos de cette dernière. “Un ord’ ?” Il pencha légèrement la tête à cette idée, feintant la réflexion et reprit sur un ton plus que sérieux, comme s’il n’avait pas saisi le trait d’humour. “T’sais bien qu’ci, les ord’ c’est moi qui l’donne et personne d’aut’ ? Pas vrai ?” Il vint saisir le poignard par le manche à son tour et posa son regard dessus. Adélina haussa un sourcil, son regard fixé sur le pirate, alors qu’elle venait de remarquer son changement d’attitude. Il n’était pas surprenant que ce dernier change en un instant, il l’avait fait à de nombreuses reprises, que ce soit lors de leur arrivée à Meca, ou sur le pont lors de la soirée surprise. La baronne planta son regard dans celui du pirate alors qu’un léger sourire vint orner ses lèvres. Il pourrait aisément voir une lueur d’amusement qui brillait alors que cette dernière reprit la parole, d’un air confiant; « Je crois que cela est très variable. » Commença-t-elle. « Tu n’avais pas l’air de détester mes ordres lors de la soirée sur le pont. » Il ne répondit rien d’autre qu’un simple sourire accompagné d’un regard tout aussi malicieux. Il brisa alors ce moment en se redressant vers l’arrière en désignant de nouveau la lame de la jeune femme. “J’pas grand chose à t’pprend’ sur l’maniement d’lames, Rocaille saura mieux qu’moi, c’t’ait un ‘cien soldat et mait’ d’armes.” Il haussa alors les épaules l’air songeur. “J’me bat à l’instinct ‘dire vrai… C’est plus r’doutable qu’la théorie à mon sens… J’peux juste t’conseiller une chose c’est d’imaginer qu’le gaillard ou toute aut’ chose d’vant toi, voudrait caner ton chiard… J’crois qu’les mères ont c’te instinct là qui l’rend dang’reuses héhé.” Il fit un moulinet assez court au vue de la dague et pointa la lame vers elle. “D’jà tu la tiens par l’bon bout, c’est une bonne chose… Après c’vrai qu’le poignard c’est pas l’meilleure des armes pour l’combat directe… Mais si t’sais tirer à l’arc, j’t’en donn’rai un, tu rest’ras l’plus souvent à distance si b’soin et si d’aventures faudra qu’t’ailles dans la mêlée… Mmh…” Il réfléchit et se pencha vers l’arrière, posant les pieds sur son bureau. “J’doute pas qu’tu sauras quoi faire.” Il resta dans cette position, continuant de jouer avec la dague en posant la pointe de la lame dans la paume de sa main.


Adélina savoura un moment sa victoire, ne lâchant pas le capitaine du regard alors que ce dernier jouait avec la lame qui lui avait donné. Si au départ elle avait eu bien du mal à cerner le capitaine, tester les limites lui permettait de se protéger un peu plus. Oh certes, il était toujours un être au comportement extrêmement volatile, mais leur relation avait évolué depuis leurs rencontres à Bransat. D’une certaine façon, Adélina avait l’impression que ce dernier avait deux personnalités: le Rokvenha, l’homme horrible, au tempérament d’une extrême violence, et Caleb, l’homme un peu rustre, mais qui la rendait extrêmement confortable. Sortant de ses pensées, la jeune femme se redressa avant de reprendre la parole; « Tu as l’air d’avoir beaucoup plus confiance en mes capacités que moi. » La baronne baissa les yeux un moment, posant son regard sur le poignard que tenait le capitaine, avant d’hausser les épaules; « J’aurais peut-être dû insister pour étudier le combat au lieu de l’histoire et les langues… Cela m’aurait sauvé bien des tracas et des blessures… » Sans s’en rendre compte, elle passa doucement sa main sur son bras écorché par la maîtresse du capitaine. La plaie guérissait très bien, étonnamment le charcu n’était pas si mauvais pour faire des points de suture, mais cela laissera inévitablement une cicatrice sur le bras de la baronne. Son cadeau de bienvenue de Meca… Puis semblant sortir de ses pensées, la jeune femme retourna son regard vers le pirate et repris;  «  Quant à l'arc, s‘ il y en a un de disponible, je le prendrai sans hésitation. Surtout sur l’île au pins. » Car soyons honnête, la mission donnée par la médée ne serait définitivement pas une partie de plaisir.


Dans ce temps, Caleb l’écoutait d’une oreille, le regard rivé sur la lame qui semblait l’avoir plongé dans quelques songes personnels. “Aye, aye… J’c’fiance, comme j’l’ai pour ch’cun d’ceux qui s’trouvent sur c’bout’.” Il reprit alors ses esprits et se redressa, plantant la lame dans son bureau dans un geste sec, mais non agressif envers la baronne. Curieusement la jeune femme ne bougea pas. Ne semblant aucunement impressionnée par le geste plutôt brutal du capitaine. Puis, ce dernier reprit son assise en redescendant ses jambes du meuble. “J’pense qu’pour l’tiens, ‘pprend’ ces choses-là sont plus … utiles qu’le reste. Chacun son monde, j’te l’ai déjà dit.” Il sourit quelque peu et reprit. “Chez nous aut’, lire ou ‘crire c’est d’luxe, on ‘pprend d’abord à surviv’ puis ‘près on s’permet d’élargir l’reste.” Il renifla sans gêne et un bref instant sembla chercher quelque chose du regard avant de se pencher et de cracher dans un seau. “Pour sûr qu’on a des arcs et d’flèches… T’iras voir l’Croqueuse pour ça.” Puis soudain, il fronça les sourcils à l’idée de l’île aux pins. “J’sais pas c’qu’on va y trouver, mais si l’médée m’dit qu’on en a b’soin pour ‘pprocher l’Wagyl ‘lors, j’lui trouverai c’qu’elle demande la vieille. D’ailleurs….” Il s’arrêta et la fixa, les sourcils toujours froncés et leva son index vers elle, comme pour la mettre en garde, bien que son ton de voix n’était pas plus menaçant qu’avant. “C’que t’as ‘tendu, tu l’porteras dans ta tombe, bien claire ?” Il n’expliqua pas davantage de quoi il parlait, car pour lui tout était clair. Il s’agissait de son nom qui avait été évoqué par la médée et que Caleb souhaitait garder secret le plus longtemps possible.


Adélina eut un léger sourire en attendant le capitaine, puis son regard se posa sur le sol alors qu’elle semblait chercher les bon mots. Cela lui prit bien quelques secondes avant qu’elle ne remonte finalement son regard vers le forban, plantant son regard dans le sien, elle mit sa main sur son coeur. « Pas un mot. Sur mon honneur. » Elle fronça les sourcil une seconde, alors qu’une pensée plutôt sombre venait traverser son esprit, puis elle sembla se ravissé. « Du moins ce qui en reste… » C’était clair que si les péninsulaires apprenaient ce qui s’était passer, ils ne la trouvaient guère honorable. Que penserait Adriano s' il apprenait qu’elle avait dû partager une chambre avec le capitaine… Que ce dernier l’avait vu dans un apparat totalement scandaleux…  La jeune femme secoua la tête, semblant chasser ces pensées avant de regarder le pirate, qui la menaçait toujours, le doigt lever. Elle se releva finalement du bureau, faisant maintenant face au pirate. Elle était très près de ce dernier, beaucoup trop près en réalité, mais cela ne l’empêcha guère de poser délicatement sa main sur la sienne, camouflant la menace. « Tu n’as pas à t’inquiéter. » Alors que sa deuxième main venait rejoindre la première pour enlacer celle du pirate. Elle resta ainsi un moment, interdite, son regard plongé dans celui du capitaine avant de conclure; « Je crois que tu devrais te concentrer sur l’île au pin. Au lieu de t'inquiéter de ce que je sais. » La baronne lâcha finalement sa prise, mais ne bougea pas.


Le forban renifla, se laissant mener par la délicatesse de la baronne. Il n’était pourtant pas amateur de pareil démonstration en temps normal, mais cette fois-ci, il s’était laissé faire et croyait sur parole la jeune femme. Le Rokvenha hocha alors la tête en signe d’approbation et reprit la parole. “T’as ‘core tout ton ‘nneur et si t’penses l’avoir perdu chez l’tiens… T’as gagné l’tiens ici avec les aut’.” Il lui sourit brièvement et libéra sa main de la sienne. “Aye, on va ‘voir fort à faire sur cette île, on va s’reposer.” Sur ces mots, il se leva, désigna son lit pour y inviter Adélina et lui, prit la direction de la porte de la cabine. Une fois la main sur la poignée il se retourna. “J’dois ‘core faire d’choses, m’ttend pas.” Il sortit sans un mot de plus, prenant soin de refermer doucement la porte pour ne pas réveiller Gabriel endormi.