[La Plaine] - Se relever

Il y a une bougie qui brule doucement en face de lui. Sa flamme oscille avec une douceur rassurante.

Il ferma les yeux et l’espace d’un souffle un infime souvenir vint danser dans son esprit. 

Une femme se tient de dos, face à un alignement de bougies, au-devant d’une grande statue ailée. Grande et fine, la femme porte un chignon serré duquel s’échappe quelque mèches grises. Ses mains sont sèches. Elle allume patiemment les bougies une à une à l’aide d’une grande tige avec une petite flamme, sans prêter la moindre attention à l’adolescent qui l’observe.

Il y a une odeur d’encens qui le rassure, il inspire profondément, se plongeant dans cette sensation un peu oubliée.

Mais lorsque Viliam ouvrit les yeux en prolongeant ce souffle, la femme devant la statue avait laissé place à un homme face à une table effectuant un geste similaire. Il était de dos, mais le clair-obscur de la pièce ne lui laissait pourtant pas de doute quant à l’identité de l’homme avec lequel il partageait sa vie depuis un temps…Son nom en revanche…

-Fantôme. Finit par souffler, presque pour lui-même, comme pour s’en remémorer.

Il tendit son bras qu’il constata recouverts d’un épais bandage, de même que son torse, alors que non loin du lit où il se trouvait était déposé du matériel de médecin. Son crâne résonnant douloureusement, il peinait à se remémorer avec exactitude les raisons qui l'avaient amené à se retrouver convalescent dans cette chambre familière. Il y avait eut...l'explosion. Puis la prison. Il y avait eut ce guetteur.
Il releva soudain les yeux vers celui qui se trouvait devant lui, pris d'un doute. Etait-ce à nouveau le fruit d'une illusion sordide ?

Comme la nuit s'installe mais qu'il ne trouve pas le sommeil, Tom allume un peu plus de bougie. Il est fatigué... Mais comment pourrait-il dormir ? Tellement de pensées tournent dans sa tête. Son avenir, il n'y songe pas pour le moment. Il y a plus urgent... A savoir : l'homme allongé derrière lui.
Depuis l'évasion, il s'occupe de lui, tous les jours. Il le lave, le soigne, le change, le nourrit... puis veille sur lui durant des heures. D'autres prennent le relais parfois pour qu'il demeure toujours quelqu'un à ses côtés. Alors il sort s'aérer... mais n'arrive pas à rester sans rien faire. Alors, il aide les soigneurs. Il donne un coup de main. Et remonte dans la chambre. Il ne dort que lorsqu'il est plus épuisé que terrorisé à l'idée que Viliam ne se réveille jamais.

-Fantôme.

La main du mercenaire se fige à quelques millimètres de la chandelle qu'il s'apprêtait à allumer. Après une seconde, il se retourne, pas encore tout à fait sûr d'avoir bien entendu. Là, il voit les doigts de son compagnon levés vers lui. Aussitôt, il souffle son allumette, la repose et se précipite vers le bandit.

-Hey... Dit-il doucement. Tout en s'asseyant à ses côtés, il lui prend la main avec délicatesse pour la tenir sur sa poitrine et pose la seconde sur sa joue. Salut. Tout va bien, tu es rentré. Vous êtes tous rentré.

Les yeux de Tom se mettent à briller sous le coup de l'émotion. Ce n'est pas la grande forme pour Viliam mais le simple fait qu'il ait ouvert les yeux et l'ait appelé par son nom est déjà plus qu'encourageant.

-Comment tu te sens ?

-Tom…souffle-t-il à nouveau. Cela semble lui faire réaliser qu’il est bel et bien là. C’est sa voix, ses réactions. C’est lui.

Sa main cherche à atteindre la joue du mercenaire mais il est un peu trop loin alors il la laisse retomber. Il est encore faible, et se sent partir à chaque fois qu’il ferme les yeux, mais au fond de son cœur, il est soulagé. Ils ont réussi.

Comprenant ce qu'il a voulu faire, la Chimère relève la main qu'il maintient posé près de son cœur pour la porter à sa joue et la soutenir lui-même.

-La pire gueule de bois de l’histoire. Sa voix n’est qu’un murmure, mais il sourit doucement malgré tout tandis que son compagnon laisse échapper un petit rire amusé et, surtout, soulagé. Mais c’est fini…Il ferme les yeux, se ferme comme s’il se concentrait, ou attendait quelque chose. Il n’est plus là. Il recommencera plus jamais.

-C'était qui ce type ? Qu'est-ce qu'il t'a fait ?

-Je sais pas. Son regard retrouve la Chimère avant de le fuir. J’ai fait tout ce que j’ai pu. Pour l’empêcher. Mais il rentrait dans ma tête chaque fois qu’il était là, et il s’en prenait à mes souvenirs. Je crois que j’ai réussi à faire qu’il ne te voie pas. Mais à la franche culpabilité que son visage affichait…Mais j’ai trahi tous les autres. Confirma-t-il en parole. A nouveau il ferma les yeux. Et puis quand ça à plus suffit, il allait me forcer à revivre…des moments douloureux. Sa main se serre et il soupire, épuisé. Tu veux bien rester avec moi ? Demande-t-il doucement. Je ne veux pas rester seul avec…tout ça.

Il ne veut pas se retrouver seul avec ces souvenirs. Il ne veut pas risquer d’y retourner, même en rêve.

Tom fronce les sourcils. Viliam est vague mais ça lui suffit pour comprendre... Un guetteur capable de faire ça, il n'y en a pas des centaines. Il se retient de prononcer son nom, des fois que son compagnon l'ait entendu mais le refoule pour le moment. Il est suffisamment sous le choc. Et sa demande le lui prouve. Il a un instant d'hésitation, jetant un œil rapide à la porte. Les autres seraient sans doute soulagés de savoir qu'il s'est réveillé. Mais il y a plus urgent...

-Oui, je reste avec toi. Lui promet-il. Juste une dernière chose... Est-ce qu'ils peuvent nous trouver ? Est-ce qu'ils savent pour la Plaine ?

Ils n'ont vu aucune menace se profiler pour le moment mais battre la campagne à leur recherche prend du temps. Et, avant de laisser son amant en paix, il doit être certain qu'ils ne sont pas en danger...

Viliam secoue la tête.

-Il ne l’a pas trouvé. Il ne cherchait pas nos caches. Ils cherchaient mes amis. Il t’a épargné, parce qu'il te savait ... hors de ce monde. Mais il a trouvé Ren. A nouveau, le visage du semi elfe se fend d’une culpabilité profonde. Je suis désolé. Je ne pouvais pas lutter. Il m’a forcé à tous vous trahir.
-Non, tu n'y es pour rien... Il faut y avoir été préparé pour savoir comment y résister. Tu as lutté autant que tu as pu et tu as réussi : nous sommes en sécurité.

A ces mots, Fantôme s'allonge aux côtés de son compagnon, gardant une de ses mains dans la sienne et posant l'autre de manière à ne pas lui faire mal.

-Repose-toi. Je suis là, il ne t'arrivera rien. Tu es en sécurité.

-Ne me laisse pas…Souffla-t-il une dernière fois alors qu’il vint resserrer leur étreinte. Puis l’épuisement repris le dessus et à nouveau il sombra.

C’était un sommeil sans rêves, pour la plupart du temps. Parfois pourtant, il rêva de la bibliothèque. Aslan n’y était pas toujours, il était juste là, seul face à sa mémoire. Jamais il n’approchait de l’allée sombre.
Parfois aussi, il rêvait de souvenirs plus ou moins troubles et se réveillait brièvement à cause de la douleur perçante à ses tempes. D'autre fois, c'était simplement le noir complet. Finalement, ce fut une ennéade après sa libération qu’il ouvrit les yeux en ayant enfin la sensation de se sentir fatigué, certes, mais capable de tenir conscient plus que quelques minutes à peine.

Il tenait un homme dans ses bras à ce moment-là, et il lui semblait dormir encore. Les rayons de soleil ne pointaient qu’à peine à travers la fenêtre et Viliam se doutait que le mercenaire devait lui aussi pas mal accuser le coup, quel que fut la durée de ses phases de sommeils.

L’espace d’un instant, ne voulant pas le réveiller, il se contenta de l’observer à son propre sommeil. A ses sentiments amoureux, le bandit sentait aussi s'ajouter et battre dans son cœur une profonde reconnaissance vis-à-vis de son amant. Il était resté, alors que tout justifiait de lui qu’il doive repartir. Il était resté, pour lui. Tous ne l'aurait pas fait vu ce qu'il avait en jeu.

Finalement, se tournant sur le côté, il observa cette fenêtre qui donnait sur l’extérieur et hésita un moment. Serait-il capable de se lever sans l'importuner ?

Les jours sont passés et Fantôme a continué à s'occuper de Viliam, comme il l'a fait depuis l'évasion. A une différence près : il a profité des épisodes d'éveil de son compagnon pour le faire manger. Cela restait de la soupe parce que des aliments plus solides lui auraient demandé de l'énergie qu'il n'a pas mais c'était toujours mieux ainsi que pendant son sommeil. Depuis ce premier jour, le mercenaire s'est décidé à ne plus rester posé sur une chaise mais à dormir avec le bandit, le rassurant par sa proximité. Lorsqu'il le voyait en pleine tourmente, il pouvait même se rallonger à ses côtés pour le prendre dans ses bras et lui murmurer quelques mots pour tenter de le rassurer dans ses rêves. Ce quotidien n'est pas confortable mais il s'en contente, hanté autant par la crainte que le bandit peine à se remettre totalement et ce qui l'attend lorsqu'il rentrera enfin...

Dans une profonde inspiration, Tom lève la tête. Le regard embrumé, il croise pourtant celui de Liam.

-Bonjour. Dit-il, presque surpris. Il se force à se redresser pour se poser sur son coude et mieux voir son amant. Comment ça va ? Demande-t-il d'un ton fatigué mais néanmoins soucieux de connaître l'évolution de son état.

-Bien…Je crois. Il tente un vague sourire. Mieux. Il semble effectivement avoir repris quelques couleurs, tandis que son regard semble plus lucide que les autres réveils. Et toi ? Ajoute-t-il doucement.

Le mercenaire souffle brièvement du nez dans ce qui ressemble à un petit rire amusé. Même dans son état, il arrive encore à s'inquiéter pour lui. C'est vrai qu'il a l'air fatigué et anxieux mais ça pourrait être pire...

-Mieux. Lui répond-il en miroir, comme si son état dépendait du sien. Tu as besoin de quelque chose ?

-Tu veux bien m’aider à me lever ? Demanda-t-il. J’ai…besoin de marcher.

Il était certainement encore convalescent mais cela faisait plus d’une ennéade qu’il n’avait pas pu tenir sur ses propres jambes. Même s’il n’avait aucune notion du temps passé, il en sentait le besoin alors qu’il avait enfin un peu d’énergie.

-Oui, bien sûr.

Fantôme se redressa encore jusqu'à s'installer sur les genoux. Comme à son habitude, il avait seulement revêtu un bas pour la nuit. Avec délicatesse, il passa une main dans le haut du dos de son compagnon et saisit l'une des siennes. Ainsi, il le tira d'un côté et le poussa de l'autre jusqu'à ce qu'il se retrouve assis. Puis il dégagea le drap qui recouvrait encore ses jambes afin de dégager le passage jusqu'au bord de la couche. Il le laissa faire, restant à sa disposition s'il le voyait en difficulté... et se tenant prêt à l'aider à se mettre debout et le soutenir.
Doucement, Viliam posa  alors ses pieds sur le sol, prenant un temps, comme s’habituant à cette sensation un peu trop oubliée. Puis, Tom le soutenant, il poussa sur ses jambes. Il vacilla un peu, mais le mercenaire le retint, le temps que sa vision ne cesse d’être floue.

En revanche il grimaça un peu en posant une main sur la blessure à son ventre. Ça tirait désagréablement.
-Aïe…

Pourtant, il ignora rapidement cette douleur, se contentant de sa main sur sa blessure et demanda en silence à son compagnon de l’aider à continuer jusqu’à faire quelque pas maladroits jusqu’à la fenêtre.

De là, il contempla le contrebas de la plaine qui s’éveillait doucement. Çà et là quelques matinaux erraient déjà. Suif, le chien blanc effectuait son petit trot quotidien comme si rien n’avait jamais dérangé les lieux. Et malgré la douleur et la fatigue, un sourire joyeux éclaira le visage du bandit à ce paysage devenu familier. Cet endroit, ils l’avaient construit de leur propres mains. C’était chez eux, le seul chez eux que le guet ne trouverait jamais.

-On est à la maison. Fit-il alors que ses yeux se mirent à briller.

-Vas-y doucement.

La douleur est normale... mais pas si alarmante que cela. Et la Chimère comprend qu'il ait besoin de bouger un peu. Il s'habituera, son corps aussi, et cela finira par passer. En attendant, Tom ne le quitte pas et reste près de lui pour l'aider à aller dans la direction voulue tout en prenant garde à ne pas toucher à ses blessures. Au début, le mercenaire regarde par la fenêtre, tout comme son amant. Mais, en entendant les mots de Viliam, ce dernier devient l'objet de son attention. Il observe ses traits heureux et ses yeux brillants. Il ne contrôle pas le sourire qui étire ses lèvres devant cette vision.

Mais pourquoi laisser les choses là ?

Dans geste, Fantôme repousse les pans de la fenêtre qui vont cogner légèrement le mur. L'air frais et revigorant de ce matin d'été s'infiltre alors la pièce alors que le bruit à attirer l'attention de ceux qui sont déjà à l'ouvrage. Et, ce qu'ils peuvent voir, c'est leur chef, mal en point mais debout. Un nouvel espoir depuis que le mercenaire leur a annoncé son premier réveil. Un nouveau pas vers sa rémission tant espérée alors que tous les croyants ont prié pour que ce jour vienne.

-Tu nous as manqué.

C'est d'autant plus vrai pour la Chimère... Alors que certains ont failli perdre leur guide, leur chef ou leur ami, lui a failli perdre le seul homme qu'il ait jamais aimé. Celui pour qui il n'a pas hésité à tout sacrifier afin de le sauver. Alors que, quelques ennéades plus tôt, il se demandait jusqu'où pourrait aller leur relation et jusqu'à quel point il l'aimait, il ne se pose plus la moindre questions désormais.
Alors qu'il sait parfaitement qu'on les regarde, Tom se laisse pourtant aller à un geste tendre. Une main dans le bas du dos de Liam, il vient poser son front contre sa joue dans un soupir de soulagement et de bonheur. Une semi étreinte qui le rassure bien plus que celles qu'il a offertes au bandit pendant ses cauchemars. Parce que, cette fois, Viliam est conscient et debout. Il a fait son premier pas vers la guérison.

Deux journées entières avaient passées depuis que Viliam avait enfin réussit à se remettre debout. Durant quelques heures supplémentaire l’effort lui avait paru si considérable qu’il n’avait plus été capable de le réitérer ensuite et il était resté encore un peu dans sa chambre. Mais après deux jours de semi-convalescence, il en avait eu assez, en plus de se sentir mieux et il avait prestement demandé l’aide de son compagnon pour se déplacer un peu au sein de la Plaine.

Il était allé parler avec ceux qui, comme lui, avaient été capturés quand ceux-ci n'étaient pas directement venus le voir. Il n’avait pas été le seul à souffrir et le bandit tenait à ce que ce ne soit pas oublié, malgré son statut de chef qui le mettait inévitablement en avant. Ensuite, il avait simplement aidé à son tour là où il y avait besoin et où il se sentait capable de le faire. Il poussa surement plus que de raison sur son corps encore faible et dû quelque fois s’arrêter mais les protestations d'Aubin ne suffirent pas à lui faire changer d'avis : c'était la juste rétribution de l'effort que le groupe avait fait pour lui.

Finalement, lorsque la nuit vint, Viliam était épuisé, mais refusa à nouveau qu'on l'aide à retrouver l'isolement de sa chambre. Il voulait se mêler aux siens après si longtemps.
Comme une célébration de la fin de leur tourmente, le groupe de bandit avait décidé de se réunir sous la lumière des lunes et de tous boire et manger à la belle étoile. Leur chef ne voulait manquer cela pour rien au monde, malgré la fatigue.

Mais alors que les préparatifs avançaient, Viliam dû bien se rendre à l'évidence qu'il y en avait un qui ne semblait pas encore avoir l'esprit à la fête. Alors, il fit signe à ceux qu'il aidait dans leur tâche et s'éloigna à son tour, sachant très bien où il allait. Il grimaçait avec force, sa main contre sa blessure, alors qu'il s'entêta à grimper la petite falaise qui bordait le repaire.

-Tu finira par devoir repartir n'est-ce pas...? S'adressa-t-il d'une voix légèrement sifflante à l'homme qui fixait pensivement l'horizon en contrebas.

Il s'en doutait bien. Tom ne pourrait se cacher indéfiniment parmi eux. Bien qu'il n'en connaisse pas l'étendue exacte, Viliam savait aussi que la Chimère s'était trop impliqué dans leur libération pour ne pas devoir bientôt affronter de bien lourdes conséquences. Dans un dernier effort, il vint s'asseoir aux cotés de son amant, sur une pierre un peu plus haute...histoire d'avoir une chance de se relever ensuite...

Sans se retourner, Fantôme ferme les yeux. Ces mots, il ne voulait ni les prononcer, ni les entendre... Depuis quelques jours, il observe les progrès de Viliam. Tantôt de près. Tantôt de loin, le laissant retrouver les siens, arborant un sourire heureux et teinté de tristesse. Il s'est suffisamment rétabli maintenant pour que le mercenaire soit rassuré. Il n'y a donc plus qu'une seule chose qui le préoccupe vraiment à présent et cela prend de plus en plus de place dans son esprit. Une pensée qui tempère largement sa joie de voir son compagnon libre et en rémission.

-Tu n'aurais pas dû grimper jusqu'ici... Dit-il d'un ton qui n'avait rien de moralisateur mais qui traduisait plutôt son état d'esprit du moment en plus d'une sincère inquiétude. J'aurais bien fini par descendre.

Assise sur le bord de la falaise à observer le paysage semi-désertique qui se pare des couleurs du soir, il n'a pas répondu à sa question et il le sait très bien. Il essaie juste de gagner quelques secondes encore... Quelques secondes durant lesquelles il rassemble son courage pour enfin évoquer ce sujet avec Liam. C'était d'ailleurs ce qu'il était venu faire ici : réfléchir à la façon dont il allait aborder le sujet, sans plomber l'ambiance sereine qui règne dans la Plaine depuis quelques jours. Mais y a-t-il vraiment une bonne façon de commencer ?

-Personne n'a vu mon visage pendant l'attaque donc il est impossible qu'on sache que j'y ai participé... Mais il suffit de s'y connaître un peu pour comprendre que l'Aile blanche n'a pas pu faire ça sans une aide extérieure. Et j'ai disparu juste le temps qu'il faut... Mon Commandant n'en saura pas la raison mais il en a forcément tiré des conclusions...

Que ce soit parce qu'il veut pouvoir attraper Viliam lui-même ou parce qu'il a un lien profond avec lui, l'officier n'aura aucun mal à savoir que Fantôme l'a aidé à s'enfuir. Se faisant, il a trahi les Chimères en divulguant des informations censées demeurer secrètes car c'est la condition pour que la compagnie puisse travailler étroitement avec le Guet. Et puis, même si les informations auraient pu venir d'un autre, le plan suivi était trop bien calculé par rapport à ce que l'Aile Blanche a l'habitude de faire. Et il a dû montrer ses prouesses martiales pour les tirer d'un mauvais pas... Avec tous ces éléments mis bout à bout, comment le Commandant pourrait-il ne pas savoir ?

-Ça devrait être rapide. Virer quelqu'un, c'est assez expéditif en général... Au moins, personne à part lui ne saura qu'une Chimère était impliquée.

Une Chimère... Il ne le sera bientôt plus. Comment se définira-t-il alors ? Les Chimères, c'était toute sa vie...

A cette pensée, il baisse la tête et serre les dents.

Viliam se mis à soupirer. Rien de ce que ne lui disait le mercenaire ne le surprenait. Quelque part il aurait préféré...

-Je le sentait venir. Marmonna-t-il. Il avait l’air agacé, non pas contre Tom, mais contre lui même. Depuis qu’on sort ensemble, je savais que ça finirait par arriver. Mais comme un con j’ai enterré ça. Je voulais pas m’inquiéter, parce que… Eh ben parce qu’égoïstement je suis heureux avec toi et j’avais envie que ça dure. Je me disais que ça irait, que tu t’en sortirais. Une pirouette, un mensonge…Il frappa le plat de sa main contre sa cuisse. Mais non, il a fallu que je foute ta vie en l’air !

S’il en avait eu la force, il se serait relevé, et aurait probablement fait les cent pas. A la place il se contenta de poser ses coudes contre ses genoux, se penchant un peu en avant, l’air de ruminer sa frustration.

-Je voudrais t’aider, Finit-il par ajouter quelques dizaines de secondes plus tard. Trouver une solution pour que ça n’arrive pas. Mais je crois que j’en ai assez fait comme ça. Il baissa les yeux vers le sol. Tout ce que je peux te dire, tu le sais et ça te consolera pas mais...ici tu es chez toi, Tom.

D'un bond, Tom se lève et rejoint la position de Viliam. Là, sans crier gare, il glisse une main dans sa nuque et se penche aussitôt pour l'embrasser. Un baiser plein d'amour, comme ils en ont rarement partagé. C'est maladroit et sans doute un peu brusque sur le moment mais il n'a pas trouvé de meilleure réponse dans un premier temps... Son compagnon s'en veut comme si c'était lui qui avait pris toutes les décisions, comme si c'était lui qui l'avait poussé à aller aussi loin. Mais ce n'est pas ce qu'il pense, ni ce qu'il ressent.
Il laisse ce baiser se prolonger quelques instants avant de finalement rompre le contact de leurs lèvres. Il reste néanmoins tout près de lui alors que des mots lui viennent enfin de manière ordonnée.

-Moi aussi je le sentais venir... Et j'ai rien arrêté. Même quand mon Commandant m'a fait convoquer. C'était pourtant le signal d'alarme... Mais j'ai continué à venir te voir. Je pouvais pas...

Finalement, le mercenaire lâche Liam et recule d'un pas dans un soupir. Il a autre chose à lui dire. Une chose qui lui semble difficile à avouer, malgré la conclusion heureuse pour lui... pour eux.

-Je vais pas te mentir. Entre mon travail qui nous amènerait peut-être à nous retrouver face à face un jour et les risques que tu prenais sans même penser à moi... J'en étais venu à me demander où ça nous menait tout ça... Vers où on allait. Si on avait vraiment un avenir tous les deux. Jusqu'où je serais près à aller pour toi. Et, y'a trois ennéades, j'avais pas la réponse. J'en savais rien. Mais quand tu as été capturé, y'avait plus aucune question dans ma tête, seulement le fait que je t'aime et que je peux pas vivre sans toi. J'aurais pu me contenter d'aider à élaborer la stratégie d'attaque sans m'impliquer ou même juste donner le plan de la caserne et puis repartir... Mais je pouvais pas... C'était au-dessus de mes forces... Alors... j'ai enlevé ma spalière.

D'ailleurs, il ne l'a toujours pas remise. Elle est rangée dans un coin de la chambre et il n'y a plus touché depuis qu'il l'a posée là, comme si cela lui faisait peur... Parce qu'il sait que, la prochainement fois qu'il la mettra, ce sera pour qu'on la lui prenne... Définitivement...

-Cette décision, c'est moi qui l'ai prise, Liam. Pas toi. Et même si le prix à payer est douloureux, je regrette pas. Parce que c'est moins douloureux que ce que j'aurais enduré si on n'avait pas pu te sortir de là. Je sais même pas ce qu'il en est de ton côté parce que, quand je vois les décision que tu prends, j'ai pas l'impression que tu penses à tout ça, que je suis un élément de l'équation... Mais je... J'ai jamais aimé quelqu'un comme je t'aime, Viliam. Et je veux pas que ça s'arrête... Quelque soit ce qu'il m'en coûte.

-Bien sûr que je pense à toi Tom.

Dans un effort il se leva, et vint prendre le visage de son amant entre ses mains. Son pouce caressa sa joue.

-Ne crois pas que parce que je fais ce que je fais, tu n’es pas dans un coin de mon esprit. J’ai peur moi aussi, à chaque fois que je prends le risque de confronter les Chimères.  Je ne l’ai jamais dit aux autres, mais…Il soupira. J’ai aucune idée de ce que j’aurais fait si t’avais fini par être devant moi et ça me foutait la trouille… J’aurais juste…pas pu.  Et au-delà de ça, je sais que les risques que je prends te paraissent… disproportionnés. Mais, pour tout ce sur quoi nous nous opposerons toujours, Tom. Je t’en prie, ne pense pas une seule seconde que tu n’est pas important à mes yeux. Tu n’imagine pas ce que t’as présence à bouleversé dans ma vie. Il secoua la tête. J’ai…pas connu beaucoup d’amour dans ma vie. Et je suis pas le genre de type qui s’imagine que l’amour c’est comme dans les légendes. Mais avec toi, je suis heureux. Et...Il eut un bref rire nerveux. T'imagine probablement pas a quel point parfois ça me semble fou, rien que ça. Il se reprit ensuite, alors qu'il sentait ses jambes faiblir mais se refusait à s'éloigner. Je t’aime, Fantôme. Mais je suis effrayé de ce que ça à put te coûter. Parce que je t'aime, je ne peux pas me résoudre à te voir malheureux parce qu'il m'est arrivé quelque chose qui n'aurait jamais dû te concerner. Et c'est pour ça que j'ai toujours tenté de te laisser à l'écart de mes plans. Je peux pas abandonner l'Aile Blanche. C'est tout le sens de ma vie et j'arriverais pas à  en changer ma vision sans m'y perdre. J'ai accepté de pouvoir la perdre pour ce sens là. Mais j'ai cru aussi pouvoir au moins te protéger un peu de tout ça. Comme j'ai cru qu'on se fera jamais avoir de cette façon, sans même une chance de pouvoir se battre... Si c'est pas possible de revenir en arrière pour toi, d'adoucir la sanction...Je veux t'aider à pourvoir te retourner et à mener une vie qui te convienne, je te le doit. 

Une main posée sur l'une de celles de Viliam, Tom l'écoute sans l'interrompre. Cette discussion, il y pense depuis qu'ils se sont pris la tête sur ce toit. Il la redoutait... parce qu'il avait peur de connaître le point de vue de son compagnon, d'en être déçu... et de devoir mettre fin à la seule relation qui ait jamais comptée pour lui. La seule qui soit parvenue à le faire arrêter de jouer et de boire au point d'en perdre sa solde et sa conscience. Et la voilà enfin... Il se bouscule tellement d'émotions en lui qu'il n'en affiche presque aucune, si ce n'est ses yeux qui se ferment momentanément pour serrer un peu plus les doigts du bandit sur sa peau avant de les rouvrir pour retrouver ceux de son amant.

-Je te demande pas d'abandonner... Soupire-t-il. Sentant sa faiblesse, il enroule finalement sa taille de ses bras et le maintien contre lui avec une fermeté mesurée. Je comprends pas pourquoi mais je sais c'est à quel point c'est important pour toi. Plus encore que les Chimères pour moi. Nos vies étaient pas compatibles, à être dans des camps opposés, risquer de se retrouver face à face... ça pouvait pas continuer comme ça... Il fallait que quelque chose se termine.

L'Aile blanche est si importante de Viliam qu'elle en est presque vitale pour lui, alors l'issue de pouvait pas être celle-ci. Et, visiblement, leur amour leur est trop précieux pour réussir à faire une croix dessus. Il n'y avait donc qu'une seule échappatoire. Tom le savait mais il avait besoin de connaître le point de vue de son compagnon pour pouvoir s'y faire vraiment. Finalement, il n'aura pas pu prendre cette décision elle s'est imposée à lui à cause des circonstances qui ont précipité les choses.

-Ça aurait fini par arriver. Conclut-il. Je vais l'encaisser... J'aurai juste... besoin d'un peu de temps. Et je te remercie pour la proposition. Tu me l'aurais faite quelques ennéades plus tôt, je l'aurais probablement refusée. Mais... avec ce qu'il s'est passé, j'ai moins l'impression de m'imposer quand je suis ici. Je ne suis plus seulement l'amant du Chef.

Il étire un sourire amusé. La pensée est un peu comique, même si son cœur n'est pas vraiment à la fête... Mais c'était le sentiment qu'il avait : qu'il était toléré parce qu'il couchait avec Viliam mais que ses passes-droits n'étaient pas forcément appréciés par toute le monde. Après tout, il n'avait pas sa place parmi eux. Il n'était pas membre de leur groupe et il n'avait pas mérité toutes ces faveurs. Aujourd'hui, plus personne ne se pose de questions car ils lui doivent la vie de plusieurs d'entre eux... et de leur chef.

-Au moins, j'aurais quelqu'un pour me réconforter...

Là encore, il sourit, même si son humour est forcé cette fois. Ce n'est pas tellement une consolation... Plutôt une requête. Un besoin qui se fera ressentir à son retour. D'ailleurs, il le ressent, maintenant. Il approche alors ses lèvres de celles de son amant pour l'embrasser avec tendresse, longuement, continuant à le soutenir afin de soulager ses jambes.

Doucement il se laissa faire, s’abandonnant dans les bras de l’homme qui le soutenait littéralement. Son baiser il le lui rendit avec la même tendresse, venant poser sa main sur la joue de son amant. Mais au fur et à mesure que leur baiser se prolongeait, le corps de bandit se crispa contre celui du mercenaire. Sa main vint se poser contre son torse et d’une pression il le repoussa un peu. Lorsque leurs regards se croisèrent à nouveau, celui du bandit était troublé.

-Pardonne moi. Finit-il par lâcher. Il fronça les sourcil en posant sa main sur sa tempe devenue douloureuse. Je crois que j’ai forcé un peu trop ce soir.

Secouant brièvement la tête, il s’efforça de se lancer une petite claque mentale pour oublier la drôle d’image d’une femme dans ses bras qui venait soudain de lui apparaître. Ça ne lui était jamais arrivé ni même venu à l’esprit avant…
Tom secoua légèrement sa tête de droite à gauche, comme pour dire que ce n'était pas grave.

-Il faut que tu te reposes. Je vais t'aider à redescendre.

La douleur s’effaça puis revint un peu plus forte, à tel point qu’il ferma les yeux et grogna un peu.

-Attend. Attend. Fit-il. Ça va passer ,souffla-t-il alors qu’il était pris d’un vertige.

De nouveau il voyait cette femme devant ses yeux. Elle tenait sa main et l’entrainait dans un quartier qu’il ne connaissait pas. Il n’entendait pas son nom, mais il était persuadé de l’avoir aimé.

-Non. Marmonna-t-il alors que la vision s’effaçait à nouveau. Ses yeux papillonnaient un peu, cherchant à s'ancrer dans le réel. Ça m’est jamais arrivé. J’ai jamais fait ça…

Et pourtant, aussi intimement persuadé était-il de ne jamais avoir connue cette femme, ni aucune autre femmes d’ailleurs, le doute affreux persistait et avait quelque chose de profondément dérangeant. Ce n’était pas lui.

Alors que Viliam proteste, Tom, qui avait commencé à vouloir passer son bras autour de ses épaules, s'arrête. Il ne comprend pas pourquoi il l'a arrêté alors qu'il doit forcément être fatigué après les journées qu'il se force à passer. Et ces dernières minutes ont été éprouvantes autant physiquement que mentalement. Même si sa déclaration l'a profondément touchée.
Mais alors que le bandit semble se remettre, les choses changent subitement. Le mercenaire prononce son surnom, espérant une réponse. Et elle ne tarde pas alors que son compagnon lui assure que cela va passer. En attendant, la Chimère le fait se rasseoir sur le rocher, ou au moins s'y reposer un peu, le tenant toujours par les bras. Il attend un peu, histoire de voir si la douleur n'est vraiment que passagère... Mais les paroles suivantes de son amant le perturbent.

-De quoi tu parles ?... Liam, qu'est-ce qu'y se passe ?

Le bandit met quelque seconde avant de relever son regard perplexe vers lui. Il semble hésiter.

-Je crois que… J’en sais rien. Marmonna-t-il, un peu perdu. D’un coup j’ai vu une femme. J’étais…Avec elle. Ajoute-t-il visiblement mal à l’aise. J’ai l’impression d’avoir vécu cette scène mais je sais que c’est faux. Je n’ai jamais fréquenté que des hommes et je ne la connais pas. Un silence. Je…Je suis probablement fatigué. Mes rêves sont étranges ces derniers temps ça ne doit pas aider. Rentrons. Sembla-t-il vouloir soudain passer à autre chose, cherchant même à se relever.

Tom écoute son compagnon, d'abord surpris... puis perplexe. Non, il n'a effectivement pas pu sortir avec une femme puisqu'il lui a dit lui-même qu'il a toujours su qu'il préférait les hommes. Alors il n'a jamais essayé d'aller contre ce qui lui semble parfaitement naturel. Le mercenaire ne doute pas un instant de la véracité de ses paroles. Mais quelque chose le chiffonne quand même...

-Attends... Lui demande-t-il en l'invitant à rester assis par la même occasion. Tu ne me pas te souvenir d'une scène que tu n'as jamais vécue... Et tu ne peux pas réveiller éveillé non plus. Il prend quelques secondes de plus pour réfléchir. Le guetteur qui menait l'interrogatoire... Il a dit qu'il n'avait pas idée de ce qu'on avait provoqué. Je croyais qu'il parlait de l'attaque... Dit-il alors qu'il semble réaliser quelque chose. Tes rêves, qu'est-ce qu'ils ont de si étranges ?

Viliam soupira.

-Quand il venait, expliqua-t-il, ses mains se joignant nerveusement devant lui et son regard se perdant dans le vide. C’était le même rituel à chaque fois. Il semblait presque revoir le tout devant ses yeux et ce n'était pas un exercice qu'il appréciait. Il… entrait et on était dans une bibliothèque. Ma bibliothèque. Mes souvenirs, c’était des livres qu’il prenait et qu’il regardait. Il ferma les yeux une seconde, c’est douloureux pour lui. Parfois je rêve encore de cet endroit. Des fois il est là. Parfois je suis seul. Mais…quelque chose ne va pas. Je ne saurais pas te l’expliquer mais je sens que ce n’est pas naturel. Comme si… Il réfléchissait. Imagine que quelqu’un rentre chez toi, déplace les objets qui s’y trouvent, de quelques millimètres à peine, pas assez pour que ça te saute aux yeux, mais assez pour te dire que quelque chose a changé. Il posa sa main sur sa tempe. Quand je rêve de ça, c’est comme ça. Familier mais étrange. Et quand je me réveille, j’ai aussi mal que quand vous êtes arrivés. J’imaginai simplement que le temps ferait son œuvre.

Le mercenaire écoutait, attentif et en même temps en pleine réflexion. Que le bandit rêvait de ce qu'y lui était arrivé était normal. Après tout, cela avait été une expérience traumatisante pour lui, surtout au moment où le guetteur allait toucher à ses souvenirs les plus enfouis. Cela avait de quoi en perturber plus d'un... Tom, lui-même ne savait pas comment il réagirait s'il devait revivre ce qu'il n'a jamais dit à qui que ce soit. Sans doute pleurerait-il comme le gamin qu'il était à l'époque...
Cependant, cette douleur et ce souvenir étaient étranges. Quant au fait qu'il ne se sente plus tellement chez lui dans sa tête, était-ce normal après des intrusions répétés ? Le fait d'avoir l'impression que tout a été déplacé, est-ce que cela ne venait pas du fait que le spiritualiste ait touché à ses "livres" ?

En clair, Fantôme était persuadé qu'il s'était passé quelque chose lorsqu'ils avaient pénétré la cellule mais il n’était sûr de rien en ce qui concerne la teneur de cet évènement.

-Est-ce que... tu as ressenti autre chose ? Par rapport à ta mémoire ?

Le bandit sembla un peu mal à l’aise. Il réfléchit avant d’hausser les épaules.

-C’est flou, Fantôme. Finit-il par répondre en grattant une de ses joues, pensif. J’étais mort de peur et j’avais beau faire tout ce que je pouvais pour l’empêcher d'agir, il en avait rien à foutre. Puis quelque chose a changé et il a eu l’air d’avoir…peur à son tour. Il fronça les sourcils. Je le sentais, comme il sentait mes émotions. Et après...quelque chose a retentit et tout a commencé à s’effondrer…Il secoua la tête. J’avais l’impression qu’on plongeait mon crâne dans la lave alors que je voyais ma vie défiler dans un bordel sans nom. Après ça je crois que j’ai perdu connaissance. De douleur. A nouveau il se tortilla sur son rocher, n’ayant visiblement pas envie de ressasser tout ça. S’il te plait Tom, rentrons…Soupira-t-il. Je t'assure que ça va aller...

Le mercenaire conserva le silence quelques instants. Quelque chose le chiffonnait dans tout cela et il voudrait creuser encore la question mais il voyait bien que Viliam essayait de couper court depuis tout à l'heure et il craint de trop forcer... Alors...

-D'accord... Cèda-t-il.

Puis il offrit d'aider son compagnon à se relever. Il n'en demanderait pas plus pour aujourd'hui mais cela ne risque pas de le faire cogiter pendant un moment, le rendant plus attentif encore envers le bandit et les autres potentiels "symptômes" qui lui permettront de comprendre ce qu'il s'est ce jour-là, dans cette cellule...

Viliam accueillit l’aide de son compagnon avec un net soulagement qu'il ne dissimula nullement. L’incident était clos et bientôt oublié il en était certain et il n'avaient pas besoin de ressasser les derniers évènements bien assez douloureux et trop frais dans sa mémoire…

D’ailleurs le reste de la soirée une fois de retour dans la Plaine se passa comme il l’avait espéré. Tom resta à ses côtés –comme si le bandit en avait voulu autrement- et il se laissa aller à la douce ambiance de ce camp retrouvant petit à petit sa quiétude. Sa main ne quitta que rarement celle de la Chimère dont il remarqua parfois l’attention attentive, sans jamais s’en offusquer ni même véritablement le relever. Auprès de ses compagnons et de son amant il rit, joua et se sentit parfaitement bien comme il n’avait eu l’occasion de le faire depuis l’attaque.

Sans doute se laissa-t-il légèrement trop aller, l’alcool coulant inévitablement à flot, car il se retrouva à deux reprises à oublier quelques noms ou des anecdotes qu’il avait pourtant entendus un millier de fois. Personne ne sembla cependant y prêter attention alors il n’en fit pas plus et poussa ses limites jusqu’au point où il fut tellement épuisé qu’il manqua de s’endormir contre l’épaule de Fantôme. La nuit était alors déjà avancée lorsqu’il qu’il décida enfin de se reposer correctement.

Il savait que le lendemain serait bien plus doux-amer, sentiment qui ne sembla effectivement pas l’avoir quitté à son réveil. Alors qu'il ouvrait les yeux, Tom semblait lui déjà debout, habillé, comme déjà prêt à s’éclipser. Profitant d'un sursaut d'énergie et, par chance, aucune douleur ne lui vrillant pour l'instant le crâne, Viliam ne put alors s’empêcher de le rejoindre dans son dos, glissant avec une certaine tendresse ses mains contre sa taille et un baiser sur sa joue.

-J’aimerais que tu puisses rester encore un peu. Souffla-t-il. Je n’ai pas envie de te laisser endurer tout ça seul… Faisant référence à ce qu’ils savaient tout deux attendre le mercenaire dans les heures qui suivraient

Tom est déjà équipé comme il l'était à son arrivée quelques ennéades plus tôt. Il achève simplement de remettre ses dagues en place en silence. La veille, il n'a participé à la fête que pour veiller sur Viliam car son esprit n'y était pas vraiment... Son esprit est partagé entre l'inquiétude qu'il éprouve pour l'état de son compagnon après l'avertissement que le Guetteur leur a fait et l'angoisse de la décision de son Commandant qui va tomber tout à l'heure...
Alors qu'il range sa dernière lame, il entend du mouvement dans son dos mais ne bouge pas, comme s'il en était incapable... Il sait que son compagnon approche mais c'est comme si... Comme si ce n'était pas réel tant qu'il n'a rien dit ni rien fait. Il s'est levé en silence parce qu'il n'a envie de croiser personne... Il a l'habitude d'affronter seul ses ennuis et les émotions qui vont avec. Il ne sait pas les partager.

Une main se pose dans son dos et le mercenaire serre les dents pour réprimer un frisson. Ça y est... Il est vraiment là, à ses côtés. Et il ne le repousse pas. Il a fait tout cela pour lui et il n'aura bientôt plus que lui... Alors il n'éprouve pas l'envie de le rejeter, même s'il ne sait pas non plus comment l'accueillir.

Tom ne se tourne pas tout de suite vers lui. Il ne lui répond pas non plus. Ils savent tous les deux que personne ne peut l'accompagner. Liam ne peut même pas l'attendre à l'extérieur. Entre sa santé et les récents événements, c'est trop dangereux pour lui.

-Je ferai peut-être quelques détours... Mais je reviendrai quand ça sera fait. Finit-il par dire.

Cela ne lui ressemble pas... Il va être tellement ébranler qu'en temps normal, il s'isolerait, boirait tout son sou et jouerait jusqu'à se faire jeter dehors par le patron... Mais il ne fera rien de tout ça. Il va se retenir parce qu'autre chose le préoccupe. Il risque de ne pas pouvoir faire son deuil de sa vie chez les Chimères, il le sait... Mais il va devoir repousser cela à plus tard. Viliam est plus important pour l'instant.

Doucement le bandit le pousse à se tourner vers lui, pour qu’il puisse poser son front contre le siens et fermer les yeux quelques secondes de plus dans une étreinte qui ne durera jamais assez longtemps à son goût. Autant que Tom aura besoin de force de son épreuve personnelle, Viliam a besoin de son compagnon une dernière fois à ses côtés. Il s’en veut et s’en voudra longtemps pour ce qui lui arrive et il s’inquiète franchement pour lui. Il semble soudain terriblement froid et ça ne fait que l'inquiéter d'avantage.

-Prend le temps qu’il te faut, mais prend soin de toi Tom.

La Chimère hoche simplement la tête en guise de réponse, lui donnant plus ou moins sa promesse. Il n'a de toute façon pas l'intention de traîner plus que nécessaire. Levant enfin les yeux vers son amant, il lit l'inquiétude dans ses yeux... Et cela ne lui plaît pas. Le bandit a trop souffert dernièrement pour se faire du mauvais sang pour ce qu'il va se passer et que plus personne ne peut changer. Alors, il se force à relever la tête, se redressant de toute sa hauteur, bien que moindre que celle de Viliam. Il le toise silencieusement puis pose une main sur sa joue et l'embrasse. Il reste encore un instant, laissant son pouce caresser sa peau, avant de finalement se détacher de lui.

-Je vais y aller... Je préfère ne croiser personne.

A contrecœur, Viliam hoche la tête et fait un pas en arrière. Il ne dit rien, et se contente de le laisser partir.

Ce départ est pesant, à plus d'un titre. Il n'aime pas la façon dont ils se séparent mais il est incapable de faire mieux dans l'instant présent. Alors qu'il quitte la pièce et longe le couloir, il a l'impression de s'avancer vers l'échafaud. Il ne le veut pas mais quelque chose l'y oblige malgré tout. C'est presque irréel, même s'il sait que c'est bien vrai... Sa condamnation tombera d'ici quelques heures... Et il ne pourra plus que faire face à la réalité, ignorant encore comment il va réagir le moment venu.

*********

La salle commune des Chimères est encore bien silencieuse à cette heure. Ceux qui ont travaillé cette nuit dorment encore et les lèves tôt sont à l'entraînement. Il n'y a donc pas grand monde pour remarquer l'arrivée de l'éclaireur qui s'est absenté deux ennéades sans permission. Tandis qu'il s'avance pour traverser la pièce, il n'a pas le temps d'en. Arriver à la moitié qu'une voix tonne et résonne dans toute la salle.

-FANTÔME !!

Le mercenaire se fige puis se tourne vers le Commandant qui le regarde d'un air à faire frémir le plus aguerri des soldats. Sans un mot, l'officier se retourne et grimpe les escaliers au milieu desquels il se tenait. Tom n'a pas besoin de plus pour comprendre qu'il doit le suivre. Il est déjà à la première marche lorsque Djena entre au pas de course dans la pièce après avoir entendu le nom de son ami, juste à temps pour voir ce dernier obéir à la convocation de leur chef. Mais elle ne fait rien pour l'arrêter. Il ne doit pas le faire attendre...

A l'étage, Fantôme entre dans le bureau, ferme la porte et vient se poster devant le bureau du Commandant, comme à chaque fois qu'il a dû le faire lorsque l'officier l'a réprimandé. Celui-ci est assis dans son fauteuil et le fixe en silence.

-Je t'avais donné un avertissement. C'est à se demander pourquoi j'ai pris la peine de le faire !!

Regardant droit devant lui, le mercenaire ne dit rien et se contente de serrer les dents. Son supérieur est presque surpris de le voir prendre la chose avec autant de sérieux et, surtout, de ne pas chercher à lui répondre. Il fait pourtant mine de rien et continue.

-Est-ce que tu te rendez seulement compte de la gravité de ce que tu as fait ?! Tu as trahi la confiance que la Compagnie a placé en toi. Trahi tes propres frères ! Tout ça pour libérer un criminel ?!! Qu'est-ce qui t'a pris ?!

Toujours aucune réaction de la part de Fantôme qui continue à fixer le mur derrière le Commandant, ses muscles si tendus qu'il en tremble presque. Mais il ne dit rien.
Cette fois, l'officier en est vraiment troublé. Il s'adosse à son siège, les mains à plat sur le bureau. Il observe l'éclaireur en silence. Visiblement, la Chimère a agi en pleine conscience et a l'intention d'assumer les conséquences de ses actes, quel qu'en soit le prix. Il ne s'attendait pas à voir cela un jour. L'insouciant de l'escadron d'Ousman a bien changé... Et il ne l'a pas fait sans raison.

-Tu n'as pas l'intention de te défendre ? Reprend le Commandant, plus calme mais toujours sévère. Toujours aucune réaction... Tu connaissais pourtant la sanction qui t'attend ?

Cette fois, les paupières de Tom battent légèrement et sa silhouette figée vacille sensiblement.

-Tu sais aussi à quel danger tu t'exploses ?
-Je le sais.
-Et la personne pour qui tu as fait ça ?

Le silence répond à la question de l'officier. Il ne lui en a pas parlé... Il était pleinement conscient de tout ce qu'il encourait mais il assume seul ce qu'il va se passer maintenant et dans les mois à venir.
Quelques secondes s'écoulent avant qu'il ne porte lui-même la main à l'une des sangles qui se trouvent sur son buste. Il l'a défait et recueille sa spalière dans ses mains avant de la déposer sur le bureau. Un instant lui est nécessaire avant de la lâcher, sachant pertinemment qu'il ne l'a tiendra plus jamais. Le commandant le regarde faire sans rien dire mais de plus en plus surpris par le comportement de l'éclaireur. Quittant la protection de cuir des yeux pour les relever vers l'homme qui se tient devant lui, il se montre soudain plus calme. Presque compatissant.

-Je ne sais pas quel lien il y a entre vous mais il doit être fort pour que tu prennes autant de risques... Et je réalise à quel point ma première analyse était erronée. Il marque une pause avant de reprendre. Même si ça te a conduit à faire la plus grosse erreur ta vie -et dans ton cas, ce n'est pas peu dire..-, je suis heureux que tu aies trouvé une personne à laquelle tu tiens à ce point. Je sais qu'il ne te reste plus qu'elle désormais, ou tout du moins c'est ainsi que tu perçois les choses. Alors surtout, ne la lâche pas...

Le discours du Commandant surprend Fantôme à plus d'un titre. Finalement, il le laisse juste partir sans chercher à l'incendier davantage ? Il l'encourage même ? Il ne comprend pas...

-Même si le Guet se doute qu'il y a eu une aide extérieure, il lui ai impossible de faire le rapprochement avec nous car tu as pris soins de ne pas impliquer les Chimères. La fuite pourrait tout aussi bien venir de chez eux ou de n'importe qui étant déjà entré dans la prison. Ils ne découvriront jamais ce qu'il s'est réellement passé. Nous trouverons une raison à ton départ qui, finalement, relève de ta décision. Et je sais que, même hors de nos rangs, tu continueras à rester loyal aux Chimères.

Il n'avait pas complètement tort... S'il est aussi lié à l'Aile Blanche, il n'a divulgué aucune information avant cet incident, sans quoi l'officier aurait compris bien plus tôt ce qu'il se passait. Et il ne l'a fait que parce que des vies étaient en jeu. Alors il ne s'inquiète pas de l'usage que Fantôme fera de toutes les informations qu'il a en tête. Il a confiance en lui et en son jugement. Ce qui n'est pas sans désappointer le mercenaire...
Finalement, il s'incline brièvement pour prendre congé et commence à se diriger vers la porte. Il l'ouvre et découvre sur le pallier l'un de ses frères d'armes. Un mage avec qui il a travaillé étroitement. D'abord surpris, Tom fronce ensuite les sourcils sans comprendre.

-En fait, j'ai une dernière chose à vous demander.

Le mercenaire se retourne vers le Commandant, se demandant ce qu'il se passe.

-Vois ça comme une réparation... Et une façon de vous protéger. Toi et tes camarades.

Alors que Fantôme l'interroge du regard, le mage entre et, reprenant la poignée de la main de son ami, referme la porte. Puis il la pose sur l'épaule de l'éclaireur et l'invite à venir s'asseoir.

Une heure plus tard, Tom redescend enfin l'escalier. Entendant ses pas Djenaba se lève aussitôt de son banc pour le voir arriver. Elle remarque l'absence de sa spalière et, presque affolée, se dirige vers lui.

-Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

La Chimère déchue ne lui répond pas tout de suite. À la place, il l'a prend dans ses bras.

-C'était mon choix.

Il ne peut pas lui en dire plus... Mais ce n'est pas un mensonge. Il savait ce qu'il allait se passer mais il n'a pas agi autrement pour autant. Il reste ainsi quelques secondes avant de se détacher d'elle. Il lui adresse un sourire puis il la lâche et commence à traverser la salle, bien plus remplie que précédemment. Il arbore une mine qui se veut détendue, cachant au plus profond de lui la déchirure que c'est pour lui de quitter cet endroit.

******

Au sommet de la falaise, les pas de Fantôme s'arrêtent enfin. Il s'est efforcé de rester concentré jusqu'à ce qu'il ait quitté la ville et qu'il soit sûr de ne pas avoir été suivi. Puis il a marché sans même réfléchir. Il a passé le poste de la vigie sans s'arrêter et sans que cela ne déclenche une alerte, comme s'il faisait partie des lieux. Il a esquivé le campement pour grimper jusqu'ici...
Face au paysage immuable, il ne peut que s'arrêter. Il sent finalement ses jambes céder sous lui et il tombe à genoux sur le sol. Ses mains se portent ses les sangles sur son buste qu'il défait d'un geste sans chercher à les retenir et ses armes tombent une à une derrière lui. Puis il s'attaque aux attaches de sa cuirasse et la retire et la passant par un bras dans mouvement las. Elle choit à côté de lui et n'y touche plus. Il fixe le paysage devant lui, la tête totalement vide... Sans voir les heures passer.

******

A la Plaine

-Hey ! T'as mis une assiettes de trop. Dit la jeune femme chargée de mettre les couverts sur la table.
-Non, c'est pour Fantôme.
-Il est revenu ?
-Je l'ai vu passer le poste de Guet. Répond le préposé aux assiettes qui était en vigie jusqu'après le déjeuner.
-Je ne l'ai pas vue de la journée...
-A moins qu'il soit reparti... Il hèle alors un autre de leur camarade, faisant finalement de cette conversation privée une discussion générale. T'as vu Fantôme repartir cet après-midi ? Demande-t-il à celui qui a pris sa relève et qui a fini son quart depuis.
-Nan. Il est rentré ? Je savais même pas...

Quelques sifflements résonnèrent un peu dans la Plaine en la fin de l'après-midi. La modulation stridente annonçait le retour d’un petit groupe partit dans la mâtiné, victorieux de leur mission du jour.  Viliam n’y avait pas participé, se contentant d’assister de son coté ses camarades guérisseurs dans leurs tâches quotidiennes dans leur espace alloué au sein des Galeries. N’ayant pas remarqué le temps passant, il fut presque surpris en levant la tête, d’observer le ciel s’assombrir entre quelques crevasses de pierres.

Dans une entente silencieuse avec son camarade, il se releva et remonta rejoindre les quelques nouveaux arrivants déjà salués de part et d’autre, annonçant d’un air fier leur victoire, sacs d’or en mains.

-Tient tu n’es pas avec Fantôme toi ? Finit par lui faire remarquer l’un de ses camarades.

-Il est partit.. Viliam haussa un sourcil surpris par cette remarque.

-Non. Lança un autre un peu plus loin. Tysha m’a dit qu’il était passé devant le poste de garde tout à l’heure.

-Et personne n’a rien dit ? Lance un autre alors que visiblement cette conversation n’avait aucune chance de rester privée.

-Ben non. Un haussement d’épaule.

-Tysha le trouvait préoccupé. renchérit l’un.

Il y eut un regard de concert vers leur chef qui, à son tour haussa les épaules, comprenant les questions silencieuses dans l'air.

-Me regardez pas comme ça je ne l’ai pas vu non plus, j’étais en bas.

-Va le chercher. Celui-ci ce mis à rire en posant une main sur l’épaule de son camarade. On s’occupe du butin.

Et ainsi, après quelques remerciements marmonnés, et s’être tout de même assurés des nouvelles, il se dirigea vers là où il se douter trouver celui dont tout le monde semblait parler cette soirée.

Lorsqu’il le trouva, il ne dit rien, se contentant de s’approcher doucement, mais non sans s’assurer que l’ancien mercenaire l’entendait. Sans mots, il se contenta de venir s’installer à ses côtés, attendant un signe l’autorisant à faire plus.

Tom ne réagit pas à la présence de Viliam. Pas tout de suite. Cela prend un moment avant que son corps ne se remette à bouger. Au début, c'est à peine perceptible... Autant que si c'était la légère brise d'été qui le faisait remuer. Puis, sa tête penche vers l'avant tandis que ses yeux se baissent vers le sol. Elle dévie ensuite de son parcours, dessinant une courbe imaginaire. Peu à peu, le mercenaire lève le regard et trouve celui de son compagnon. Il est perdu... effondré. Il le fixe de ses yeux hagards quelques instants.

-Je me suis rendu compte... Que j'avais nulle part où aller. Dit-il comme si ça pouvait expliquer quelque chose.

En réalité, oui... Cela explique pourquoi il est revenu ici tout de suite après avoir été renvoyé. Pourquoi il n'a pas traîné, comme il l'avait dit. Mais personne ne pouvait l'accueillir. Et il devait éviter ses vieux travers ou il ne reviendrait peut-être pas du tout. Ou pas tout seul... Et il fallait qu'il revienne. Pour Viliam.

-C'est plus facile quand on peut en vouloir à quelqu'un d'autre, je crois. Mais je me suis mis là-dedans tout seul...

Il savait ce qu'il faisait. Cela ne rend pas les choses moins douloureuses mais c'est la première fois qu'il ressent cela. Qu'il commet une erreur qui n'impacte que lui. Et qu'il le fasse en étant parfaitement conscient de ses actes. Il n'a pas peur. Il ne se sent pas coupable. Il est juste... abattu. Et cela ne lui était encore jamais arrivé. A lui, le pro pour mettre les autres dans la mouise et s'en sortir sans bobo. Lui qui n'avait encore jamais eu à payer les pots cassés de ses propres écarts.

-Je sais que ça ne te suffit pas. Qu’ici…ça ne sera jamais chez toi, comme tu l’étais là-bas. Viliam vint doucement prendre sa main. Mais tu n’es quand même pas seul Tom. Je crois qu’ici, on a tous vécu ça un jour où l’autre et t'a plus d'ami que t'as l'air de le penser. Ce moment où t’as plus rien, tu sais plus où aller…T’as l’impression que le monde s’effondre et qu’en face c’est le vide. Mais...Eh bien peut être qu’il faut voir ça comme la fin d’un cycle pour un nouveau. Quelque chose de neuf. Il s’autorisa un bref rire un peu ironique. Au moins maintenant t’aura plus de chaine de commandement pour te forcer à rentrer dans un rang qu’il te convienne ou non… T’as l’avantage de pouvoir prendre le temps de te retourner et de faire ce que tu veux. Et puis...les gens qui ont besoin de bras de mercenaires c’est pas ce qui manque non plus.

Tom écoute attentivement, sans broncher ni montrer le moindre signe de désaccord ou de contestation. Peut-être parce qu'il veut croire à ce qu'il dit ou simplement qu'il n'a pas la force d'exprimer un avis opposé... Quoi qu'il en soit, il demeure silencieux. Finalement, alors que seule la brise les entoure, il finit par offrir enfin une réaction autre que simplement serrer la main de Viliam dans la sienne.

-Ils m'ont demandé de remplir une dernière mission pour eux. Quand je me sentirai prêt... Une façon de me racheter après les avoir trahis. Au moins, je me sentirai un peu moins coupable...

-Mission qui consiste à… ? Le bandit adopte un ton qui témoigne certes de son intérêt, mais aussi de sa volonté de na pas dépasser les limites que Tom veux poser. S’il ne souhaite pas répondre, Viliam n’insistera pas d’avantage.

Le mercenaire tourne son regard vers son compagnon qui pourra y lire qu'il ne peut pas lui en parler. Pas pour l'instant... Mais il n'a jamais pu lui parler de son travail, ou seulement en se montrant particulièrement vague, ne révélant rien sur ses employeurs, les lieux, les dates, les stratégies... Rien qui permette d'identifier qui que ce soit ou quoi que ce soit, dans le présent comme dans le passé ou le futur.

-Tout ce que je peux te dire, c'est que seule une ancienne Chimère peut la remplir. Mais je n'ai pas de délai... Et, pour l'instant, je veux me consacrer à toi.

Malgré son état émotionnel assez lamentable, le bandit peut sentir une certaine détermination dans l'objectif qu'il s'est fixé. Il veut prendre soin de son amant après ce qu'il a traversé. C'est là-dessus qu'il veut se concentrer pour oublier tout le reste, au moins un temps.

-Je suis...touché Tom. Sa main ne peut s’empêcher d’aller chercher le visage de l’ancien mercenaire. Je te promets de faire de même, autant que je le peux, et de prendre soin de toi à mon tour tant que tu décideras de rester. Sourit-t-il doucement. Tu en a déjà tellement fait, laisse moi te rendre la pareille.

La Chimère déchue étire un sourire, malgré la tristesse, touchée lui aussi par l'attention que son compagnon souhaite lui porter. Il vient déposer un baiser sur ses lèvres, lourd de toutes ces émotions qui le traversent mais néanmoins sincère. Puis il l'enlace et reste ainsi un moment, cherchant manifestement à combler quelque chose en lui. Quoi ? Il ne le sait pas vraiment lui-même. Tout ce dont il est sûr, c'est que cela lui fait du bien.