Sous les scories

Cinquième ennéade de Favriüs
an 21 du XIe Cycle

La montagne de feu. Elle surplombe un vallon brûlant sans cesse, où la terre elle-même semble bouillir par endroit. Le paysage a de quoi surprendre ceux qui, pour la première fois, posent les yeux sur pareille désolation, une tache sombre et gigantesque perdue au beau milieu des neiges éternelles du Septentrion.
La nouvelle expédition est on ne peut plus nombreuse, les curieux, avides de réponses, ont répondu à l’appel, qu’ils fussent vieux ou jeunes. Ils sont établis dans le col, là où s’est installé la précédente expédition. Le camp est sommaire, mais c’est suffisant. Le nombre est à leur avantage, car on ne tarde pas à l’aménager en palissades et en tentes, quand d’autres étudient et se préparent pour descendre vers la terre calcinée.

On se demande jusqu’où s’aventurer sur cette terre de suie ? Si l’on va supporter la chaleur ? On recommande de ne pas approcher des rivières de laves, tant pour la fournaise qu’elles dégagent que ce qui semble être des holwerms s’y baignant allègrement.
À mesure que le grand jour approche, la tension monte. Pourtant, la vaillance des cœurs ne faiblit aucunement. Car ici, on est venu chercher la vérité. On veut savoir si Mogar est derrière ceci, si Ikthor s’en est mêlé ou si aucun des dieux n’est intervenu dans ce chaos.

Sitôt l’Althinkalan terminé, l’ordre avait été donné : préparer une nouvelle expédition jusqu’à la montagne de feu. Avec plus de soldats, et plus d’artisans et d’érudits. Car cette expédition n’allait pas être menée pas un capitaine. Elle allait l’être par Harald lui-même.

Dès lors, l’on vit le cortège s’agrandir. Aux curieux, aux intéressés et aux inquiets désireux d’apprendre enfin la vérité derrière tout cela, s’ajoutèrent les soldats de la garde royale, ceux de Kirgan, de Lante et de Thanor, et ceux encore qui voulurent s’ajouter au cortège, juste pour l’honneur d’une telle aventure qui sera contée par les sagas à venir. L’aventure du retour du Père ? La saga de la défense du Premier Fils ? Ou alors, le témoignage honteux d’un simple évènement tellurique qui aura provoqué son lot de morts et de discorde… Pour rien ? Allez savoir.

Mais la cohorte était nombreuse. Car en plus de tous ces gens, des maîtres mineurs et forgerons s’étaient ralliés aux soldats, avec d’autres experts en joaillerie, dans le but de rechercher les meilleurs filons, de trouver de nouvelles pierres rares et précieuses, de renifler les prochaines mines qui seront creusées dans les temps futurs. Avec eux, se trouvaient les représentants de tous les cultes autorisés en Zagazorn… Prêtres et curetons firent le déplacement, aux côtés des maîtres scriberunes et graverunes, afin d’élucider tous ces mystères bien trop pesants.

Les tentes furent bien rapidement montées, et, avec elles, les palissades de bois et de métal, qui comblaient les trous dans les ceintures rocailleuses qui parsemaient les monts de ce monde. Des tours de gardes, réhaussés par quelques structures fortifiées simplistes mais permettant une vision en hauteur et lointaine, une organisation militaire… Et voilà : les Nains étaient prêts à faire ce qu’ils avaient à faire ici.

« Ararün sera le responsable militaire de la sécurisation du camp et des zones de chantiers. » Dit alors Harald, au milieu de la tente de commandement dans laquelle se trouvait l’officier susnommé, en plus de plusieurs entités importantes parmi l’expédition. « Je veux une analyse du terrain par nos meilleurs mineurs et géologues. Dites-moi ce qu’il s’est passé ici, quelles sont ses roches. Pour tout ce qui est filons et autres aspects commerciaux… Nous verrons cela plus tard. Les Prêtres devront être avisés d’absolument tout ce que vous trouverez, comme nous recherchons l’explications religieuse à tout cela… Ou scientifique. »

L’Althinkalan tout juste achevé, les dawis tournaient déjà leurs trognes en direction de la montagne au nord. Après l'événement, à la conclusion mitigée pour Ararün, les nains avaient rapidement décidé de mener une seconde expédition afin de tirer au clair cette situation. D’une manière ou d’une autre, en agissant de la sorte, ils trouveraient alors les réponses nécessaires aux questions et donneraient alors raison aux uns ou aux autres.

L’Officier n’avait pas manqué de se joindre à la cohorte, se joignant alors au Groman-Rik, mais aussi d’autres barbes importantes du royaume. Grands artisans, marchands et même religieux s’étaient eux aussi joints à cette expédition afin de voir de leurs propres yeux la cause de la discorde et la raison de cet appel à l’Althinkalan passé.

La traversée se passa sans encombre, bien plus aisément que la première. Il faut dire que les grands moyens avaient été mis en place et au vue des retours des premiers voyageurs, les précautions avaient été prises pour ne pas se faire surprendre.
Il était de retour à cette montagne, celle-là même qui avait ébranlé sa foi quelques ennéades auparavant et qui était la raison de biens des maux actuellement dans la société naine. Un pincement au cœur se fit ressentir dans son poitrail quand il revit les saignées dans la terre et que la chaleur intense caressa sa peau glacée.
Ararün arriva en même temps que le reste au petit campement de fortune qui avait été mis en place pour assurer la surveillance des lieux et participa aussi à l’aménagement afin de permettre aux prochaines enquêtes de se faire sans encombre.

Vêtu de son armure habituelle, seule son arme avait été remplacée. Son ancien marteau de guerre alors brisé avait été changé par un bouclier et une hache à une main. N’ayant pas encore eu la possibilité de s’entraîner correctement avec sa main meurtrie, il avait préféré tenir un bouclier plutôt que de manquer de lâcher son arme.
Il écoutait alors les directives d’Harald, présent dans la tente principale et haussa un sourcil lorsque ce dernier lui fit preuve encore de confiance en lui laissant mener la sécurité des lieux. Volontairement, il le remercia d’un hochement de tête et d’un poing porté à son plastron en guise de reconnaissance. Puis, finalement, il resta silencieux, laissant alors les maîtres artisans et prêtres de hauts rangs prendre la parole à leur tour.

Le dawi regarde les nouveaux venus, ainsi que ceux qui reviennent, s’agiter. On s’installe, on plante des tentes, on coupe du bois et monte des palissades… Ce campement prend l’allure d’un avant-poste digne de ce nom. Mais... C’est que parmi la troupaille fraîche, on beugle déjà des ordres ci et là. On fait des plans, on s’imagine déjà au bord du volcan, au beau milieu des plaines brûlantes, à miner, prospecter, explorer…

- Dites donc... Intervient Drimbon en se raclant la gorge, avant d’essuyer son visage noir de suie. J’comprends l’entrain et l’empressement de découvrir ce qu’il y a à découvrir mais… Avant de nous sortir des âneries sur le comment, faudrait peut-être déjà voir à vous rendre compte de ce que c’est là en bas. Parce qu’aller crapahuter sur l'volcan c’est bien gentil, mais personne ici n’est en mesure d’y arriver. Personne. Le nain tire sur la manche de son vêtement et montre l’importante brûlure lui ayant abîmé la peau du bras. Tenez, r’gardez-moi ça. C’t’une bulle d’air qu’est remonté d’sous le sol fumant. Alors si v...

- Drimbon ! Drimbon !

Le nain se tourne vers la jeune barbe qui arrive en haletant. L’éclaireur salue les uns et les autres d’un bref signe de tête tandis qu'il peine à reprendre sa respiration.

- Du mou... Du mouvement !

- Encore ces satanés holwerms ?

- Non... Un dawi !

- Quoi ?!

- Un dawi venu des terres de feu !


Drimbon arque les sourcils, il est plus que surpris. Lui qui est resté là depuis la première expédition n’a jamais eu l’occasion de croiser âme qui vive dans cette désolation infernale. Mis à part les créatures du cru évidemment. Il fait signe aux barbes en présence de le suivre alors qu’il se met en marche. Il mène les nouveaux venus au travers du camp, jusqu’au sentier permettant de descendre le col jusque dans les terres calcinées.
Le pas est pressé, rapide. Les yeux cherchent ce fou. Un intrus qu’ils finissent par repérer, il est là, debout, immobile, sur la terre bouillonnante, aux abords d’une rivière de lave. Comment cela est-il possible ?

Alors que les minutes s’égrènent au rythme des pas des curieux et qu’approchent les barbes et les bavettes, ce nain à la peau sombre et aux reflets flamboyants finit par bouger. Il s’avance sur la terre noire, dans la suie et les scories. Il vient à la rencontre de ces nains qui bravent une chaleur étouffante et qui, sans aucun doute, n’est que plus terrible au cœur du vallon.
Le nain qui se tient là dresse une pogne pour intimer aux étrangers de s’arrêter. Et tous peuvent admirer sa peau noire comme le charbon et ses yeux brulants. Ses veines semblent renfermer de la lave plus que du sang. La main d’arme qui lui fut tranchée est désormais un moignon greffé d'un marteau incandescent.

- Qui sont ces fous ? Qui ose s’aventurer dans son domaine ?

Alors que chacune des Braises-Vies qui s’animaient dans cette tente de commandement allait de leur assomptions et de leurs propositions quant aux manœuvres et aux choses à faire, tant dans l’organisation des recherches que dans celle de la vie de tous les jours – surtout maintenant que des dizaines et des dizaines de Dawis avaient rejoints ceux qui survivaient là-haut en quasi autarcie – Harald écoutait.

S’il s’en sentait capable, il pourrait laisser poindre un frêle mais néanmoins présent sourire au coin de sa barbe, en voyant tous les Dawis ici présents qui œuvraient dans un seul et même but. Mais non, il ne s’en sentait pas capable. Car autour de lui, la montagne brûlait ; autour de lui, les questions s’ajoutaient encore et encore, et l’on cherchait des réponses, encore et encore…

Des réponses. Oui, ils voulaient des réponses. Que se passait-il ici ? Quel fut le commencement ? Qui en fut l’instigateur ? Pourquoi ? Comment ? Braähm était-il un aliéné, comme le fut Dun Eyr et ses fanatiques ? Ou était-il le précurseur de choses qu’aucune autre Braise que lui n’aurait pu ressentir ? Peut-être… Ou peut-être pas… Et d’ailleurs, ce dernier y allait lui aussi de ses pensées et de ses observations, recommandant qu’ils œuvrent ensemble afin que tous soient convaincus…

Il allait lui répondre, lorsque soudainement, un montagnard présent ici depuis bien plus longtemps qu’eux, se présenta. Ses observations furent rudes, mais plus que justes : déambuler là-haut n’était point chose aisée et nombreuses seraient les blessures si l’on sous estimait les températures, la lave et les dangers.

Mais voilà… Un autre Dawis se présenta, et, les yeux exorbités, la peur transpirant de tous ses poils, il manda qu’on le suive. Ni une, ni deux, Harald agrippa son marteau de guerre et, en avant de la cohorte menée au final par ce témoin, avança… Descendit les pentes… Avala les toises de distances et les reliefs ardus, pour se retrouver non loin du fameux Dawis venu des terres de feu.

Il était là, impressionnant, énigmatique et sombre, ses mires flamboyantes dardant un regard de braise sur ceux qui se présentaient à lui. Autour de lui, les fleuves de laves déformées par la chaleur, rendaient à cette image, des instants d’apocalypse. Ses veines circulaient sur des bras forts, semblables à des rocs de suie et de charbon, et, tels des ruisseaux de laves, trahissaient une force physique presque divine. S’avançant un peu plus à mesure qu’arrivent les Dawis derrière lui, Harald finit par être arrêté par une main tendue en sa direction, par celui-là même qui survivait aux températures étouffantes.

Qui sont ces fous ? Qui ose s’aventurer dans son domaine ?

Son autre main ressemblait à un marteau avec d’un côté une tête plate, et de l’autre, la corne d’un bélier en acier. Des runes flamboyaient au centre de cette arme greffée, et Harald ne parvenait point à éloigner son regard de cet être édifiant, terrifiant… Inquiétant. Harald s’avança d’un seul pas, intimant l’ordre aux ordres de ne point le suivre par un simple geste de la main laissée en arrière.

« Je suis Harald à la Barbe-Sanglante, fils de Thormund, thane du clan Brise-Os des plaines du Brissalion et Groman-Rik du Zagazorn. » Dit-il, se présentant alors sans envie belliqueuse ni aucune menace. Son marteau reposait, tête sur le sol, signe qu’il ne voulait aucun combat. « Qui êtes-vous ? A qui appartient ce domaine de laves et de flammes ? »

Sous la tente principale tous allaient de leurs avis et recommandations. Au grand étonnement d’Ararün, même Main-Ferme faisait preuve de volonté pour que tous œuvrent dans le bon sens. Braähm, comme tout le monde présent, voulait des réponses et encore plus démontrer qu’il avait raison. Pour l’officier kirganais c’était aussi une volonté, prouver que tous les deux n’avaient pas rêvé et que les deux dawis d’abord rejeter, pouvaient prouver à tous leurs propos.

Avant même que les expéditions ne soient lancées, un événement vint bousculer l’ordre des priorités.

Devant les dawis se tenait alors un individu étrange, impressionnant et même extraordinaire. Si certains le nommaient aussi “dawi” il n’en avait que les contours, car rien que sa nature faisait de lui un être hors du commun. Sous sa peau charbonneuse luisaient des veines magmatiques, sa barbe paraissait être faite de flammes d’un feu éternel et pire encore, sa main ne faisait plus qu’une avec un marteau de guerre à la manufacture naine et solide.

Ararün planta son regard sur le nouveau venu, s’avançant aux côtés d’Harald, levant quelque peu son bouclier par méfiance. Sa main tenait fermement sa hache, paré à toute éventualité. Puis ce fut Harald lui-même qui s’avança en premier, faisant signe aux autres -à sa garde- de ne pas approcher davantage, tout comme l’avait fait le nain de lave. L’officier fit tout de même signe aux combattants présents de se tenir prêts et de se poster de manière à intervenir rapidement, encerclant à bonne distance, comme le seraient des curieux.

Puis en cet instant étrange, les deux individus entamèrent la discussion. Pour le Fiers-Marteaux, les mots de cet être ne trompaient pas, il avait parlé de “son domaine”; si cela n’était pas une preuve, que fallait-il de plus ? Il garda toute son attention sur cette entité, comme si le feu qui le parcourait l'envoûtait. Méfiant, certes, mais comme le serait tout mortel devant une apparition mystique et inconnue.

Le dawi, véritable braise vivante, lorgne sur ces deux-là. Ceux qui lui ont adressé la parole. Il reconnait bien là l’ignorance ayant enserré son propre cœur alors que la terre changeait. Cette ignorance poussant à l’endoctrinement, une chose révolue pour lui. Un sourire ardent se dessine sur son visage. Il rit à gorge déployée, un rire puissant et fou, sans les quitter des yeux.

- L’Œuvre du Père… Un gloussement s’empare de sa gorge alors qu’il secoue la tête. Je fus comme toi. Il soupèse le marteau qu’il arbore en lieu de place de sa main. Sans doute plus que toi.

Il crache par terre, une bile qui s’évapore presque aussitôt qu’elle touche ce sol brûlant, puis il s’attarde sur le Grand-Roi.

- Je suis Nulrir, je suis... J’étais ! Le Thane de la Main-Brisée. Je suis un serviteur du Zhaaruzbad, le Feu Primordial. Et vous vous trouvez aux abords de l’Orsirzdin, vous êtes sur les terres de ce qui fut bien avant que vos dieux ne viennent sur ce monde, avant qu'on leur attribue la mort de ce qui existait avant que ces dieux n'aient vu le jour.

Il marque un instant de pause et pointe le marteau sur l’assemblée qui l’observe. Sa posture est dénuée de toute peur, il n'est là que pour ordonner.

- Sur sa volonté, je suis venu à votre rencontre, je viens vous commander de quitter ces lieux. Immédiatement. Tournez les talons et il vous épargnera son courroux.

Un tremblement. Une vibration. Le sol est secoué et commence à bouillir. Par endroit, des poches d'air brûlantes s'en échappent. Et le sourire de défi du nain de feu se fait plus grand. Il ne les craint pas. Pas le moins du monde.

Orsirzdin : Les Terres de Feu ;
Zhaaruzbad : Seigneur de la Flamme

Le souffle ardent ; la disparition de la terre ; l’avènement du magma flamboyant ; l’air, impitoyablement déformé par la chaleur suffocante. Au cœur de ce qui ressemblait à un œil sur les entrailles de la terre, s’élevait un Dawis que l’enfer environnant ne semblait point toucher.

Au cœur de tout cela, s’étaient avancés les Dawis du Zagazorn. Si, au départ, les volontés divergeaient sur le pourquoi de cette expédition dans le lointain Nord, Harald en était convaincu maintenant : tous ceux qui se trouvaient derrière avaient compris. Mogar n’était point derrière tout cela. Cette montagne éventrée et suintante de sang bouillonnant, n’était point de son fait. Cette destruction sanctuarisée, n’était point son avertissement. Le Père, qui avait tant fait ébranler la foi de certains – aidé par son porte-parole Main-Ferme – n’avait rien à voir avec tout cela.

Lorsque s’exprime le serviteur du Zhaaruzbad, Harald ne peut toutefois s’en empêcher : il tourne légèrement son visage vers Braähm, offrant alors un regard empli d’une colère si profonde, d’une rancœur si forte, d’une blessure si cinglante… Qu’il n’y avait pas besoin de mots pour faire comprendre l’émotion. Il expira toutefois, grondant doucement, mais expirant très longuement, avant de reporter son attention vers le Dawis de lave et de flammes.

« Partez. Tous. »

Harald commandait, lui aussi. En tant que Groman-Rik, là était son devoir. Lorsque son corps se dérobe à lui, manquant presque de le faire choir alors qu’un tremblement fait se mouvoir le sol sous ses pieds, Harald ne peut s’empêcher d’écarquiller les yeux. Il comprend… Et alors, il se retourne vers ceux qui l’avaient suivi :

« Partez ! »

Puis, faisant presque volte-face, Harald laissa son marteau reposer au sol sur sa tête, loin de sa pogne. Il frappa alors son plastron, et garda son poing sur son poitrail. En son for intérieur, il espérait que le Dawis comprenne encore cette marque de respect qu’il avait manifestement exécuté lui-même, par le passé. Il prit alors la parole.

« Les miens partent. Et, sur ma parole, nous quitterons cette montagne dans les délais les plus brefs ! » Dit-il, montrant alors qu’il avait bien compris que ce qui se jouait ici était bien plus grand que son modeste pouvoir à lui. « Permettez-moi, vous et le Zhaaruzbad, de vous mander une chose. Une seule requête. Nous ne sommes pas en quêtes de combats… Seulement de réponses. Nous n’avons pas soif de sang… Uniquement d’informations. Nous avons besoin de vos lumières, aussi brillantes et brûlantes soient-elles… »

- Il ne sait pas faire la part entre bravoure et folie. Il ignore la sagesse de son Groman-Rik. Il s’égare. Il prête au Père des traits qu’il n’a jamais eu et n'aura jamais. Si tu cherches une divinité pour veiller sur ta carcasse, c'est vers Brisséa qu’il faut te tourner.

Nulrir s’esclaffe et le brasier de ses yeux luit plus fort encore alors que le sol trésaille, comme une échine parcourue d'un frisson.

- J'ai suivi Dun Eyr à travers toutes ses batailles, j'ai tué en son nom. Lui qui maniait la Flamme Sombre du Père. Pour la gloire du Père. Et toi, tu es là à croire qu'il veille sur toi et ses fidèles ? Pathétique. Dun Eyr t'aurait écrasé la trogne lui-même s'il t’avait entendu. Mais plutôt que de palabrer... Mettons cette confiance à l'épreuve...

Le sol bouillonnant se fait traitre. Les plaques de roches se meuvent, Harald, resté devant ce nain de feu, se retrouve à tenter de garder l'équilibre alors que l'éclat de roche sur lequel il se tient glisse dans la terre jusqu'aux abords des soldats nains désormais en retrait. Et puis, elle se soulève, cette gangue. Elle prend forme. Elle prend vie. Se dresse entre les dawis et Main-Ferme une créature terrible. De magma et de roche en fusion, on discerne des appendices laissant deviner bras et tête. Mais que peut donc bien craindre une telle créature ? Ni l'acier ni les flèches ne semble être d'aucun secours.

Nulrir approche d'un Braahm priant ce dieu honni des siens et dont les guibolles s'enfoncent dans une terre brûlante. Le nain à la peau de suie attrape cette main qui cherche désespérément le manche du marteau que ce fou porte dans son dos. Sa poigne est horriblement douloureuse, terriblement ardente. Nulrir pose cette pogne contre une rocaille volcanique et lève ce marteau qui lui sert de main.

- Allez, chiale. Implore celui que tu t'imagines être un protecteur.

La sentence est immédiate. La main du Thane Main-Ferme est broyée sous la masse incandescente. Sa chair s'est noircie, calcinée, ses os sont brisés, morcelés. Certains de ses doigts ne sont déjà qu'un vague souvenir alors que retentit le rire du nain de feu.

Nulrir recule de quelques pas, se rapproche de la rivière de lave, là où la chaleur est trop forte pour qu'aucun ne l'approche, il laisse ces dawis ayant tenu compte de l'avertissement de son maître tranquille. La créature de flamme, impressionnante par sa taille et sa nature, s'en retourne lentement à la terre, comme si jamais elle n'avait été là. Ne reste plus celui ayant osé défier Nulrir, peinant à s'extraire de la gangue brûlante, agitant ce qu'il reste d'une main à jamais détruite.

Harald avait peur, évidemment. Il avait peur, mais point de cette peur qui paralyse, vous fait craindre pour votre vie et vous force à fuir en courant en abandonnant tout espoir et tout courage. Une peur, liée à un risque, bien évidemment… Mais une peur pour les autres. Pour son peuple. Pour les siens. Pour les dieux.

Car, alors que parlait Nulrir, le souverain comprenait. Il comprenait les tenants et aboutissants de cette montagne, de cet afflux, de ces évènements. Il comprenait, aussi, qu’il n’avait pas tout à fait eu raison en pensant à un affrontement entre le Père et le Premier Fils… Il avait compris, également, que Braähm était encore plus dans le faux. Et cela provoqua sa colère… Une colère encore plus grande, encore plus grondante en ses entrailles, son cerveau, son cœur et entre ses pognes. D’un côté, sa foi approchait le fanatisme au point que même un ancien combattant de Dun Eyr en rit, et s’en amuse ; d’un autre, sa propension à ne croire qu’en lui, et en ses pensées, avait permis d’en apprendre définitivement plus sur cette montagne, à cause de cette expédition… Mais voilà.

Voilà, il avait provoqué l’Althinkalan. Il avait provoqué bien des tensions. Il avait provoqué une scission qui, si elle avait eu lieu quelques années auparavant, aurait sans doute été pire que celle de Dun Eyr… Sans l’unité retrouvée du royaume actuel. Aujourd’hui, Braähm, à certains égards… Était tel un nouveau Dun Eyr. Et cela… Cela, ne pourrait jamais être. Point à nouveau. Point aujourd’hui, ni demain. Jamais.

Mais voilà que se dérobe le sol sous ses petons d’acier à nouveau. Son armure de plate, soudainement, semble se réchauffer, conduisant alors la chaleur du magma bouillonnant depuis le sol jusqu’à ses membres, comme le ferait la fonte d’un poêle au-dessus d’un feu crépitant. Cuir les aliments, est ce que l’on cherche… Rôtir vivant dans son armure, n’est point sort envier. Et, si cette mouvance tellurique rapprochant davantage Harald des Nains en retraite que de Nulrir n’était point assez, voilà qu’une créature de terre et de lave naît de ce bouillon magique. Ses mains et ses doigts, tels des crochets, semblaient plus durs encore que le plus dur des aciers. Sa tête, darde deux yeux de flammes vers ces Nains en retraite, et sa bouche semble être une fenêtre vers les enfers eux-mêmes. Braähm est isolé.

Et sa punition ne tarde point. Enfoncé dans la gangue, attaqué par le serviteur de feu, ses guiboles fondent dans un crépitement dégoutant. Les pans de vêtements brûlent… Et bientôt, sa main principale, subit un sort autrement plus funeste encore. Un coup de marteau de feu broie les doigts et la main, carbonisant les os, les muscles et les tendons. Une punition douloureuse, presque divine…

Lorsque la créature disparaît, et que Nulrir s’éloigne, l’heure n’est point à l’abandon ou aux griefs. Harald laisse là son marteau, conscient qu’il ne lui sera d’aucun secours. Il s’avance, faisant signe à quelques braves de l’accompagner. Ni une, ni deux, il place ses pognes avec celles de ses camarades, et soulève le corps meurtri du fanatique, l’arrachant à la gangue brulante. Et tous reviennent alors au camp…

Le guerrier s’était reculé, gardant toujours son attention porté sur le dawi de braises. Ses pognes sont fermes sur leurs prises entre sa hache et son bouclier rond. En retrait, accompagné du reste des barbes qui se sont pliés, bien que réticents, aux ordres de leur Groman-Rik. Fiers-Marteaux attendait alors, son regard braqué sur la scène, écoutant l’échange.

Main-Ferme avait bravé l’autorité d’Harald, peut-être pas curiosité, stupidité, ou même témérité, personne ne saurait le dire à cet instant. La vieille barbe s’était avancée pour prendre la parole, défiant son interlocuteur et son Seigneur. Braähm avait invoqué Mogar, cherchant peut-être à avoir l’ascendant, en vain.

Lorsque la terre trembla de nouveau, Ararün lutta pour ne pas que ses guiboles le lâchent et tout en tentant de garder ses appuis. Tétanisé, Ararün vit la créature prendre vie devant ses yeux. Un corps semblant immatériel fait de lave en fusion et de roches volcaniques. Le Fiers-Marteaux se tassa légèrement sur lui-même, comme prêt à encaisser la fureur dévastatrice de cet être, mais rien.
Il vit Braähm s’enfoncer dans la gangue magmatique. Il n’eut fallu que quelques secondes pour que le coup porté par le marteau de Nulrir atteigne les esgourdes de ceux restés en retrait. Un grand et sec craquement osseux résonna puis un cri de douleur le suivit.

Tout ceci s’était fait en si peu de temps qu’il ne put réagir, ni lui ni aucun autre. Peut-être était-ce la peur qui les maintenait en rang en retrait. Ce n’est que lorsque la terre se calma et que le nain de lave disparu dans les flammes du volcan que lui, ainsi que d’autres vinrent aux côtés du malheureux.

Du mieux qu’il le put, il aida les nains à extraire Braähm de cet enfer brûlant, ne pouvant que constater les blessures de son frère d’infortune. Il suivit alors le reste des nains et les ordres donnés par Harald afin d’apporter les soins nécessaires le plus rapidement possible.

L’agitation fut grande, dans le campement. Ceux qui, jusqu’ici, s’agitaient dans tous les sens pour monter un campement le plus renforcé possible, le plus sécuritaire possible, le plus développé possible, s’agitèrent encore plus lorsqu’ils virent revenir la petite troupe de cognard, un blessé dans les bras.

Quasiment inanimé, Braähm avait été extrait de la gangue brûlante par Harald et Ararun, aidé de deux autres cognards qui s’occupèrent de le prendre par les guiboles dès que possible. Ensemble, ils soutinrent le Gromtrommi blessé et inconscient, le ramenant aux maîtres runistes vitalistes qui, immédiatement, le placèrent sur une couche de cuir renforcée de lin et de fourrures, avant de se précipiter à son chevet. On s’occupa alors de couper ses braies, de racler les peaux brûlées qui se détachaient sans peine, de laver à grandes eaux claires et propres, les plaies et les brûlures. La fraîcheur de l’eau tranchait avec la chaleur qui émanait de la peau brûlée à un degré avancé. Mais pour sa main… Aucun onguent, aucune rune de soin, ne pu faire quoi que ce soit.

Harald, lui, avait passé le reste de la journée dans la tente de commandement. L’évènement avait provoqué l’effroi parmi les rangs des soldats et des civils. Le pourquoi de cette seconde expédition était connu de tous : répondre à la question religieuse qui hantait les esprits des Nains, secoués par Braähm, dorénavant devenu principal représentant de Mogar, le Maudit. En guise de réponse… Un Nain de feu, de lave et de flamme, œuvrant pour une créature millénaire qui était déjà là avant le Père lui-même… Doté de tant de pouvoirs qu’il avait pu commander à une créature, semblable à un golem de lave, avant de disparaître dans le flot de lave sans même ressentir le moindre affront de chaleur. Et ses mots… Ancien fanatique ayant suivi Dun Eyr, aujourd’hui honnissant le Père, recommandant même La Mère, au lieu de qui que ce soit d’autre… Même au lieu de celui qu’il servait, le Seigneur des Flammes… Un Béhémoth…

Il lutta. Son esprit, aussi, était embrumé. Ikthor, non plus, n’avait rien pu faire… Et n’avait sans doute rien fait. Lui en voulait-il ? Non, point du tout. Qu’il ne protège point non plus Braähm n’avait rien d’étonnant ; qu’il ne protège point cette montagne ni ne combatte ce Béhémoth et son serviteur de lave l’était un peu plus, mais point tant que cela non plus : Ikthor avait été des plus occupés à lutter aux côtés de son Fils sacrifié, le Gormisson, contre le Grand Vers Noir…

Mais, les mots furent prononcés, avec force et clairvoyance : « Il ne sait pas faire la part entre bravoure et folie. Il ignore la sagesse de son Groman-Rik. Il s’égare. Il prête au Père des traits qu’il n’a jamais eu et n'aura jamais. Si tu cherches une divinité pour veiller sur ta carcasse, c'est vers Brisséa qu’il faut te tourner. »

Ces phrases retentirent dans l’esprit de Harald, avec un écho des plus surprenants, une profondeur des plus surprenantes… Comme si Nulrir était de nouveau-là, mais dans une caverne profonde ; comme si ses mots retentissaient parmi les grandes salles voutées des grands temples de ce monde ; comme si, entre les lignes, quelque chose de plus explicit encore devait être entendu, compris et surtout… Mesurer.

« Groman-Rik ! Groman-Rik ! » Dit une voix, à moitié haletante, tirant alors Harald de ses profondes pensées, le forçant à tourner le visage vers l’entrée de sa tente personnelle. « Braähm s’est réveillé ! Il a pas l’air jobard, mais il est vivant ! J’pensais que ça serait important pour toi de la savoir vu… Enfin… »

Le cognard avait visiblement l’air gêné, ou du moins, inquiet. De la réaction de son souverain, sans doute ? Des décisions à venir ? De ce que tout cela pourrait provoquer ? Après un Althinkalan aux relents de sédition religieuse, voilà qu’un envoyé d’une entité divine millénaire rebattait encore les cartes dans un sens qui n’était absolument pas prévu… Et Harald avait encore besoin de réponses… Et il sebttrait pour les obtenir.

Il se leva alors, d’un bond. Comme propulsé de sa couche. Vérifiant que sa hachette était toujours dans l’anneau de sa ceinture, il agrippa la chopine qui se trouvait non loin et la vida d’un trait, avant de la jeter au travers de sa chambrée.

« Que l’on s’occupe de lui. Il ne doit pas mourir… Pas tout de suite. Et pas comme cela. Je dois… J’ai à faire. »

Sans bouclier, il revint. Sans puissant marteau de guerre, il revint. Sans sa lourde et imposante couronne, il revint. Armé d’une unique hachette pour se défendre devant l’hostilité ambiante, il revint. Mais déterminé, il était.

Nulrir avait su voir en les décisions de Harald, une sorte de sagesse, sinon un simple respect accordé à celui qui s’était présenté en toute clarté, et qui commandait le départ, sans aucune autre forme de procès ou de patience, de la cohorte royale. Harald s’était plié à cet ordre qui semblait relever du divin, ou de la survie… Contrairement à Braähm… Alors, en son for intérieur, Harald espérait que Nulrir reviendrait… Certes, pour le tenir en garde, à nouveau… Peut-être même pour le menacer, cette fois-ci… Peut-être, aussi, pour s’attaquer à lui… Rien n’était certain. Mais une certitude demeurait : Nulrir possédait bien plus de réponses qu’Harald pouvait espérer en avoir en interrogeant tous les sages et les religieux de ce monde… Alors, il lui fallait revenir.

Bras écartés du corps, montrant alors qu’il n’avait ni armes de guerres ni quoi que ce soit de menaçant, et que ses intentions n’étaient ni belliqueuses ni mauvaises, Harald avançait jusqu’au lieu de la première rencontre, à pas lents. Il s’arrêta finalement, à l’endroit où, plus tôt, il fut hélé par Nulrir.

« Par les Fils de la Première forge, je viens en paix ! » Commençait-il, à haute et intelligible voix. « Je sais que tes ordres ne souffrent d’aucune contraction… Ni tout à l’heure, ni maintenant. Cependant, quand ton devoir vis-à-vis du Seigneur des Flammes te commandait de nous barrer cet accès, le miens m’ordonne de revenir vers toi et de mander ton aide. Car tu possèdes des réponses aux questions qui font trembler les miens… Et tel un paternel parfois aussi sévère et dur que l’acier, il me faut parfois plier, afin que puissent vivre et survivre les miens. Je ne souhaite pas avancer plus avant… Seulement discuter. »

Et, comme promis, il planta ses pieds d’acier là où il se trouvait, attendant… Patientant…

Les vents brûlants soufflent les scories du volcan sur les landes désolées. Et là, entre les souffles de cendres, le Groman-Rik finit par les distinguer. L’espace d’un instant. Un instant amplement suffisant pour prendre conscience de la vie évoluant au cœur de ces lieux mortels pour lui et les siens. Il ne s’agit pas des holwerms connus pour affectionner la lave et les chaleurs insupportables. Et ce n’est pas non plus Nulrir, lui qui venait d’imposer à Main-Ferme son terrible châtiment. Cependant, ces bipèdes lui ressemblaient en bien des points.

Des frères et des sœurs à la peau aussi noires de que la suie, comme lui.
Aux yeux de braises, animés d’une ardeur sans pareille, comme lui.
Aux cheveux et aux barbes blanches ou sombres, mais toujours rougeoyantes, comme lui.
Armés et parés de tenues noircies par les scories, comme lui.

Ils sont comme lui. Ils sont des frères et des sœurs, arpentant leurs landes. C'est là l'évidence même. Nulrir n’est pas le seul dawi à avoir été touché par le Feu Primmordial, celui qu’il a appelé « le Zhaaruzbad ». C’est désormais une certitude.
Le Groman-Rik n’a droit qu’au silence des habitants du val enflammé. S’ils l’ont vu, ils ne daignent pas lui accorder leur attention. Sans doute qu’à leurs yeux, le peu qui a fut dit semble avoir plus que suffi.

Une vision d’horreur, un spectacle infernal. Alors que le souverain du Zagazorn s’attendait à une autre visite de celui qui s’était fait le messager d’une entité autrement plus puissante que toutes les armes du Zagazorn disponibles à ce jour, voilà qu’ils étaient des dizaines… Tous de suie, tous flamboyant de veines de laves et de cheveux et barbes de flammes, tous armés… Ils attendaient là, de l’autre côté de ces fleuves de laves aux fragrances brûlantes.

Aucun mot ne fut dit, aucun échange autorisé d’aucune sorte. Telle une armée de rocs, ils attendaient là. Leurs regards perçants semblaient pouvoir transpercer l’armure d’Harald par leur seule volonté… Mais rien d’autre ne vint. Ni lames, ni carreaux, ni lances ; ni insultes, ni mots, ni volontés. Tout, donc, semblait avoir été dit. Suffisant pour ce peuple unique, bizarre, nouveau ; point assez pour Harald, qui aurait préféré s’entretenir à nouveaux avec ceux qui détenaient plus de clés, de réponses et d’informations que n’importe qui d’autre sur ces terres… Mais voilà… Rien ne fut dit.

Harald eut besoin de quelques secondes, cela dit. Peut-être une minute seulement ? En tout cas, le Roi regardait cette rangée avec une certaine intensité. Chaque main coupée transformée en arme, il s’en souviendrait ; chaque visage de cendre et de flamme, il s’en souviendrait ; chaque expression, chacun de ces êtres ayant passé un pacte avec le Feu Primordial, il s’en souviendrait. Puis, il fit demi-tour, et rentra au camp.

Le retour jusqu’au camp ne fut point long, difficile, ni dangereux – si l’on oublie évidemment les risques d’éboulement et de chutes. Lorsqu’il revint, plusieurs Dawis – soldats et artisans – se précipitèrent vers lui, comme pour s’assurer que tout allait bien. Il les rassura bien rapidement, avant d’avancer à nouveau, là où il désirait se rendre. Bien vite, il retrouva Ararün, toujours aux commandes du campement et sans doute prompt à prendre des décisions pour sécuriser les lieux. Car lui aussi avait pu voir la menace, sa puissance… Les risques.

« Nous devons quitter cet endroit. Ils sont des dizaines, sans doute plus. Ils sont restés de leur côté de la lave, ils ne m’ont rien dit. Mais ils sont restés là, en ligne, silencieux… Je crois que ce qui a été dit tout à l’heure, fut tout ce que nous saurons en provenance d’eux. Nous devons partir… Pour mieux nous préparer. Que les troupes et les civils lèvent le camp le plus vite possible. Je veux que des éclaireurs et quelques artisans ou civils aguerris se dirigent plus au Sud. Sud-Est ou Sud-Ouest, qu’importe : qu’ils trouvent un endroit suffisamment éloigné pour pouvoir être en sécurité, et suffisamment en hauteur pour pouvoir nous servir d’avant-poste d’observation. Voilà ton ordre. »

Il offrit une pogne assurée sur l’épaule droite du capitaine, en marque de soutien, avant de reprendre sa route. A nouveau, il traversa le camp qui s’était à peine monté la veille, et qui survivait ici depuis quelques temps déjà avant que n’arrive le gros de l’armée. Dépassant les tentes, il arriva enfin dans celle qui servait alors d’hospice, de lieu de repos pour les épuisés et de soins pour les blessés. Là se trouvait Braähm.

Harald entra doucement. Le Nain qu’il allait voire était à l’origine de biens des émules, de bien des difficultés, de bien des fractures dans la société et sans doute, dans certains cœurs. Ce Nain-là, avait tenter de le renverser, de lui retirer la couronne, en faisant venir tous les thanes du Zagazorn, qui ne s’attendaient à se rassembler en réalité qu’une fois Harald mort, pour élire son successeur. Il avait prêché l’imprêchable ; soutenu l’insoutenable ; désiré l’indésirable. Et aujourd’hui, son fanatisme religieux lui avait coûté son intégrité physique. Une punition suffisante, en soi… Car ne venait-il pas de perdre sa réputation, une partie de son honneur, une pogne, et sans doute gagner plusieurs mois de convalescence.

Sans doute une punition suffisante, oui… Sans doute… Peut-être… L’avenir en décidera. Et Harald, encore une fois, le sait mieux que quiconque : sa décision aura des conséquences sur bien des gens dans ce monde.

« Braähm, c’est moi. Harald. » Dit-il, s’avançant quelque peu à proximité du lit du blessé qui avait bénéficier des soins des runistes et autres guérisseurs. « Comment te sens-tu ? » Demandait-il ensuite. « Nous allons partir d’ici. J’espère que tu es prêt pour le voyage de retour, car il risque de ne pas être agréable. Tu seras porté, et surveillé, ne t’en fais pas. Mais ce n’est pas pour cela que je suis venu te voir ce soir. » Harald n’avait pas voulut être gentil, ou menteur, ou malfaisant. Il s’inquiétait en effet de la santé de Braähm, mais avait quelque chose à lui dire. « Tu recevras tous les soins nécessaires, ici, plus loin, et à Kirgan. Mais, à partir de maintenant, tu n’es plus un Nain libre. Tu es fais prisonnier de la couronne, jusqu’à nouvel ordre. »

Puis, sans attendre, il fit demi-tour. Sa décision ne souffrait d’aucune forme de discorde ou de rébellion. L’esprit d’Harald avait changé, aujourd’hui…

Ararün avait remarqué le départ du monarque, mais n’avait pas jugé nécessaire de l’accompagner ou d’y apporter une protection rapprochée. Après tout, Harald l’avait fait sans prévenir personne et aurait refusé toute sécurité pour sa personne. Néanmoins, il dépêcha quelques éclaireurs à grande distance, ordonnant la discrétion, afin d’intervenir en cas d'événement déplorable.

Au retour du Groman-Rik, peu de temps après celui des barbes dépêchées qui l’avaient prévenu, Ararün le vit entrer dans la tente centrale, celle qui servait de centre d’opération. Il remarqua l'inquiétude et la hâte marquées sur le visage de son supérieur et ne put qu'accepter les directives, sans soumettre une quelconque remarque.
Sans perdre de temps, il demanda aux guerriers qui lui servaient de subordonnées de faire passer le message et à la vitesse d’une brise du grand nord, les ordres remontèrent jusqu’aux esgourdes de tous les dawis présents sur les lieux.

Chaque nain devait plier bagage et se tenir prêt au grand retour. Quelques dawis seraient choisis pour se rendre sur un plateau au Sud-Ouest, qui permettrait d’y installer un plus petit camp d’observation. Dans le même temps, laissant la charge aux civils de ranger les affaires, les soldats furent chargés de sécuriser l’organisation par une colonne se plaçant à bonne distance entre les barbes enflammées et celles du Zagazorn. Le but n’étant pas d’intimider les étrangers, mais simplement de rassurer les siens en leur offrant un cordon de sécurité si d’aventures les choses venaient à s’envenimer.

Il était pourtant parti sans attendre, de la tente du blessé. Il avait tout fait pour pouvoir lui laisser une dernière chance, infime peut-être, mais bien réelle. Mais il l’avait entendue, cette dernière parole… A peine avait-il franchit le seuil de la toile de tente qu’il avait perçu ce murmure, dans un souffle. Le souffle d’une complainte douloureuse, porteuse toutefois d’un sombre message à la destination de Harald. Un message qui laissait présager d’un avenir toujours aussi difficile, malgré ce qui venait de se dérouler aujourd’hui.

Il portait la marque des fanatiques, infligée non point par un pouvoir royal, mais bel et bien par un ancien fanatique lui-même, sauvé de la mort et de la damnation éternelle par un Feu Ancestral, remontant de l’époque d’avant les dieux. D’avant Mogar lui-même. Face à cet être de flamme et de lave, il avait tenu le discours fanatique, et sans attendre, avait reçu la punition appropriée.

Il portait la réputation, le visage, et la représentation de l’opposition au pouvoir d’Harald, depuis quelques années maintenant. S’opposant à ses décisions, se plaçant volontairement contre lui, il s’était en plus paré de atours du culte du Maudit, au fur et à mesure du temps.

De ces atours, de cette attitude, de cette façon de faire et d’être, il s’était fait voix et incarnation du retour de Mogar, quoi qu’il ait pu en dire pour en diminuer la chose. Ourdissant un Althinkalan dans le but de démettre Harald de ses fonctions offertes par les Thanes, dans la confiance d’un peuple, il avait à nouveau plaidé la cause du Maudit, de celui qui avait provoqué l’Ire, la destruction et la mort de tant des Nains.

Et aujourd’hui, il réitérait. Meurtri par le serviteur d’un Béhémoth semi-divin – ou survivant des combats divins d’antan – à cause de son fanatisme assumé jusqu’au firmament d’une cause vouée à sa chute, il réitérait dans un murmure mourant de douleur. Qu’importent les douleurs, les châtiments… Braähm avait succombé. Il n’était plus le mineur à la toison blanche avec lequel Harald avait combattu dans les entrailles de Kirgan, voilà quelques années ; il n’était plus celui avec qui il avait composé une prière pour ceux tombés sous les assauts du Kroak ; il n’était plus…

Braähm le Fanatique… Braähm le Mogarite…

La pogne du souverain se serra alors d’une vive colère qu’il contint bien comme il le pouvait. Toujours apposée contre l’un des piquets de la tenture, il s’arrêta net devant le pas de la porte drapée. Tout son corps était immobile, jusqu’à-ce qu’un court souffle d’exaspération et de tristesse ne l’anime enfin. Et puis, d’un geste, il fit demi-tour, et rentra à nouveau au cœur de l’antre de la bête meurtrie.

« Ami. » Lui dit-il alors, un ton changeant dans sa voix alors qu’il se plantait devant Braähm, de sorte qu’il n’ait point à se mouvoir pour pouvoir l’observer lui, qui était le Roi. « Il n’y aura plus nul pardon, dorénavant. Il n’y aura plus de seconde chance. Plus pour toi. » Asséna-t-il dans un soupir. « Ton fanatisme aura causé ta perte aujourd’hui. Si, même après les évènements d’aujourd’hui, tu persiste dans la voie du Maudit et du prêtre Fou et honnis… Alors, tu n’es plus digne de vivre parmi nous. » Poursuivait-il, avant de reprendre sans réellement laisser de pause. « Il ne te resteras plus qu’une seule chance, Braähm le Fou… Braähm le Mogarite. Et ce sera devant Heidum lui-même que tu devras t’en saisir. » Dit-il, illustrant alors le propos qui allait suivre. « Je te condamne à mort, Braähm. Tu seras exécuté demain matin de mes mains. Ainsi en ai-je décidé. Puisse Heidum juger ta Braise-Vie. »

Et puis, cette fois, il quitta la tente, l’endroit, le lieu. Pour ne plus y retourner. A la place, il rejoignit la tente de commandement, depuis laquelle s'activait déjà Ararün. Le visage de Harald était fermé ; son attitude transpirant la gravité des évènements qui allaient se jouer sur cette montagne. Au capitaine, il dit :

« J’ai pris ma décision concernant Braähm. Je l’ai condamné à mort. J’exécuterais moi-même la sentence demain matin, à l’aube. Que l’on prépare un endroit adéquat, capitaine. C’est un ordre. »

Puis, à nouveau, il quitta la tente pour rejoindre la sienne.

Debout, en compagnie des guerriers nommés pour diriger le départ, Ararün observait avec intérêt une carte de la région, à la recherche du meilleur itinéraire à emprunter avec un convoi aussi imposant. Sa main gantée vint caresser sa joue brûlée dans un geste machinal dont il avait pris l’habitude depuis la blessure.

Subitement, Harald pénétra dans la tente et l’officier pivota alors son buste dans sa direction. L'œil se posa sur le Groman-Rik et se fronça quelque peu, attentif aux prochains propos de son monarque.

L’ordre siffla dans l’air telle une flèche meurtrière et vint glacer l’échine du kirganais. Ainsi Harald avait parlé et la sentence était tombée. Braähm Main-Ferme ne serait plus là dès l’aube prochain. Son visage se para d’une légère grimace et avant même qu’il ne réponde quoi que ce soit, Harald se détourna. Le Capitaine eut un mouvement en avant, une main tendue vers son supérieur dans un geste pour attirer son attention, mais rien, le Groman-Riké était déjà hors de la tente.

Ararün se retourna, le regard posé sur la table, il prit une grande respiration comme pour se convaincre personnellement de ne pas céder à un quelconque élan. Lui qui avait soutenu Braähm dans son entreprise, bien qu’il n’avait pas souhaité que ce dernier aille aussi loin, se retrouvait maintenant face à la douloureuse répercussion. Lui qui avait juré d’accompagner Braähm au devant d’Harald pour discuter de Mogar, se retrouvait encore libre et vivant, tandis que Main-Ferme serait exécuté sans plus de cérémonie.  Son poing se referma sur le bois de la table et un son guttural se fit entendre avant de relever sa tête.
Il regarda les guerriers encore présents à cet instant et sortit à son tour de la tente, faisant quelques pas en solitaire.

Ce lieu avait finalement scellé le sort du vieux Main-Ferme, ce lieu qui pourtant n’était peut-être pas marqué de l’emprunte de Mogar, mais encore moins de celui d’Ikthor comme l’aurait juré Harald. Si aucun des dieux n’étaient présents à cet endroit, du moins, directement, au fond de lui Ararün ne pouvait se résoudre à ne pas y voir là encore un signe du Père. Son attention se porta en direction du cratère, qu’il ne pouvait pas voir à cet instant, mais dont il devinait les contours. Et si le Père avait réellement mit à jour le royaume de ce Béhémot pour que ses créations suivent son dessein d’antan ? Et si ce n’était qu’un défi qui leur serait envoyé ou même, un signe qu’ils doivent perpétuer les œuvres de leur paternel comme le font les fils ? Il souffla une nouvelle fois du nez et se massa le visage avant d’aller s’installer sur une pierre, semblant prompt à d’intenses réflexions.

Il était fidèle au Zagazorn et à sa couronne, oui, mais il n’était pas d’accord avec l’autorité en place. La condamnation était en partie juste, pour maintenir l’équilibre du royaume, mais il ne pouvait s’empêcher de voir une erreur de la part du monarque, qui n’arrivait tout simplement pas à y voir les signes que certains avaient vu, comme Braahm ou lui - Ou qui ne désirait tout simplement pas les voir -
Il était fidèle, oui, mais son cœur ne pouvait renier Mogar et même encore maintenant, y voyant toujours des traces de sa présence en cet instant.

Finalement, il se redressa alors après quelques minutes et se dirigea vers la tente d’Harald. Il se présenta aux gardes présents et prétexta devoir voir le Groman-Rik pour entrer.
Une fois à l’intérieur, il se planta sur ses courtes jambes, droit et fier et fixa le Roi droit dans les yeux, une expression convaincu au visage.

“Harald, tu m’as ordonné d’préparer un endroit adéquat pour l'exécution d’Braähm, mais tu devras en préparer un second…”Il laissa un court silence avant de reprendre. “Ouvre bien tes esgourdes, Groman-Rik, car moi Ararün Fiers-Marteaux, je jure sur ma barbe que je ne renierai pas mes idées concernant le Père et ce que je t’ai déjà dit. J’ai aussi promis à Main-Ferme que j’irai jusqu’au bout pour t’faire ouvrir les mires sur ce que nous avons tous les deux vu ici. Tu n’y vois pas l'œuvre du Père, mais je n’y vois pas non plus son absence. Tu sembles oublier qu’les Béhémots sont ses ennemis depuis la création de Miradelphia, tu oublies qu’il les a chassé pour qu’il puisse être en paix et aujourd’hui il nous a révélé l’emplacement d’un de ces survivants… J’y vois là encore le signe du Père, qui désire que ses créations, ses fils perpétuent son dessein… Comme Mogar l’a fait jadis en conquérant, tuant un par un ses êtres, il nous demande de reconquérir le Zagazorn de la même manière… En ça, j’y vois encore un message du Père et en ça, je suis donc un Mogarite à tes yeux…” Il soupiira alors. “Si tu condamne Braähm à rencontrer Heidum pour ça, tu devras aussi le faire pour moi.”

Il se planta alors, toujours la tête haute, assuré de ses propos

A peine était-il entré dans sa tente personnelle, qu’Harald encaissa ce qui lui restait d’une pinte de bière. L’avantage d’être aussi loin dans les hautes montagnes, résultait dans les températures très fraîches qui aidait la conservation des aliments et des condiments, comme la bière… Par exemple. Mais toute la bière du monde ne suffirait sans doute jamais à apaiser l’esprit du Roi… Car demain matin, une vie allait être anéantie ; une histoire, difficile certes, mais née pourtant sur une amitié, arriverait à son dénouement… Un dénouement fatal, pour l’un des deux partis.

Cela, évidemment, ne plaisait pas à Harald. Tuer une vie Naine, alors qu’il militait depuis des années pour la natalité, pour la sauvegarde des vies du Zagazorn, refusant d’ailleurs l’entrée en guerre contre la Péninsule pour, justement, éviter des morts inutiles. Et pourtant, ce soir, il venait de condamner une vie Naine… Et demain, il exécuterait lui-même la sentence.

Il lui aurait bien fallu, de la bière… Encore. Mais voilà : Ararün revenait. Il trouva alors un Harald affairer à ranger ses affaires, du moins, celles qu’il pouvait faire seul. Ranger les coffres, plier les draperies… Des choses basiques, qui lui rappelaient sans doute son apprentissage à Lante, lorsqu’il était encore un jeune soldat au plus bas de la hiérarchie militaire.

Se redressant, il offrit à Ararün un regard attentif, mais une mine toujours aussi fermée. Et les mots d’Ararün ne tarderaient point à faire d’Harald, un roc aussi froid que la neige des plus hauts sommets ; un être aussi fermé que la plus solide des montagnes aux racines invisibles. De la diatribe d’Ararün, Harald comprit tout : son point de vue, leur vision commune entachée par la peur et par le manque de raison ; leur propension à voir des choses là où ils le désirent, volant la parole à ceux dont deviner des dieux est la voie sacrée de la même manière qu’ils osent voler à Harald son pouvoir de décision en outrepassant ses ordres. Finalement, comme pour Braähm, il avait pardonné… Ou du moins, donné une seconde chance. Mais le mal était fait et impardonnable, au final.

« Vois-y ce que tu souhaites y voir ; rassures toi comme tu le souhaites. Tu aurais dû être prêtre, et non militaire, Ararün. Alors peut-être, tes paroles – comme celles de Braähm – auraient eu plus de valeurs que les élucubrations d’êtres effrayés. » Dit-il, levant alors la main vers Ararün, lui interdisant la parole. « Ainsi soit-il. Tu mourras demain. Gardes ! » Hélait-il, faisant entrer deux gardes sur le champ. « Mettez ce traitre aux fers, dans une autre tente que celle du Fou. Et préparez deux billots. Ce traître n’a plus droit à la parole. Allez ! »

Et, conformément aux ordres, les deux gardes désarmèrent d’abord le capitaine avant de l’emmener, bras-dessus et dessous, vers une tente laissée vacante. Il était dorénavant un prisonnier condamné.

L’aurore. Le réveil du jour, et la disparition de la nuit. Une nuit bien courte, même ici, même aux portes de l’hiver. Une nuit courte, et pleine de tumultes… Car les pensées et les actes qui se déroulaient ici, marqueraient l’histoire des Nains à n’en point douter. Aujourd’hui, ce n’est point une… Mais deux vies, qui allaient disparaître. Par son autorité, et par le danger qu’ils représentent, Harald avait condamné Braähm et Ararün à une mort néanmoins honorable : celle d’être décapiter. De mourir par le fer, plutôt que par les flammes, la pendaison ou l’abandon dans une montagne pleine de dangers. Au moins mourraient-ils rapidement.

Harald, comme d’ordinaire, avait revêtu son armure de plate couleur noire de jais et s’était dirigé vers la zone préparée par les soldats pour recevoir l’exécution des deux condamnés. Ces derniers, désarmés, traînés par deux gardes, furent amenés l’un après l’autre de deux directions différentes, leurs tentes étant diamétralement opposées. Ils n’avaient pu s’entretenir ni se voir cette nuit, et, à part leur geôliers, n’avaient eu aucune visite ni quoi que ce soit de réellement digne d’être citer ici. Un dernier repas… Et les voilà près.

Se tenant sur la place plus ou moins au centre du camp, Harald attendait. Autour de lui, les soldats étaient réunis ainsi que les gardes – ceux qui n’étaient pas en faction. Les civils et artisans avaient évidemment fait le déplacement, la nouvelle des exécutions et des décisions royales associées ayant rapidement fait le tour du camp. Certains allaient de leurs pensées… L’atmosphère, froide et sèche typique des toits de ce monde, s’emplissait doucement des murmures et autres messes basses qui allaient avec pareils évènements. Et, lorsqu’enfin arrivèrent les condamnés, Harald indiqua d’un geste la position de l’un puis de l’autre, les soldats agenouillant alors Ararün à la gauche d’Harald, et Braähm à sa droite.

« Soldats ! Thanes ! Fils et Filles du Zagazorn rassemblés ici dans les hauteurs du monde. Puissent les divinités vous bénir, vous et vos familles. » Commença Harald, les deux pognes posées sur la manche de sa hache de guerre à doubles lames, celles-ci reposant sur le sol en position d’attente. « Aujourd’hui, nous quittons cet endroit. Car les dangers sont grands, et pour les affronter, nous devrons nous préparer comme se prépare un peuple pour faire front, uni et fort. Mais aujourd’hui… Aujourd’hui, nous allons rendre la justice. Vous connaissez déjà Braähm Main-Ferme et Ararün Fiers-Marteaux. Je les connais aussi… Avec le premier, j’ai combattu dans les profondeurs de Kirgan, les nuisibles et puissants Kroaks et ait failli calencher à ses côtés. Nous nous sommes battus côtes à côtes, comme des frères… Comme des frères… » Dit-il, répétant cette comparaison avec moins de force dans la voix que la première fois. Mais, il parvint à se ressaisir. « Avec le second, nous avons organisé la sécurité de Kirgan, entraîner ses soldats, préparer notre peuple dans une harmonie féroce et sincère. » Avait-il reprit, désignant tour à tour Braähm et Ararün durant son discours. « Mais tout cela est maintenant si loin derrière nous. Vous savez toutes et tous pourquoi nous sommes ici, sur ce sommet. C’est pour comprendre ce qu’il s’est produit ici, et répondre aux questions nées des inquiétudes, tourments et visions de Braähm, nés de sa passion renouvelée pour le Père, de son fanatisme assumé. Vous le voyez blesser aujourd’hui… Vous savez très bien comment cela est arrivé. Là-bas, dans le cratère, vivent ceux qui furent jadis les Nains combattus durant la Guerre contre Dun Eyr et ses fanatiques. Pognes tranchées et vies condamnées, ils furent sauvés par le Feu Primordial, détenu par une créature des temps anciens, bien avant les dieux. Une créature, que l’on nomme Béhémoth. C’est le fanatisme assumé de Braähm qui l’aura poussé à faire face au serviteur du Béhémoth en clamant la menace de Mogar. Mais Mogar… N’a rien à voir avec ce qu’il s’est passé ici. Contrairement aux dires du Fou, Mogar n’a pas fait exploser cette montagne, pas plus que ces fleuves de lave sont l’expression de sa bénédiction, ou de sa colère. Le Maudit n’a rien à voir avec ces montagnes… Rien à voir avec ce feu. » Dit-il, résumant alors les évènements et continuant sa plaidoirie. « Mais le fanatisme de Braähm était déjà trop grand pour que même la torture d’un membre amputer et carboniser puisse lui faire entendre raison. Ainsi, en conséquence de sa fourberie et de son fanatisme, et après avoir tenter de provoquer la scission au sein de notre peuple en convoquant l’Althinkalan, et avoir désobéi à mes décisions à plusieurs reprises depuis les évènements de la Péninsule… Je le condamne à mort. » Dit-il, les mots résonnant alors dans le lointain tandis que le soleil se levait doucement, créant une myriade de couleurs chaudes et magnifiques dans un ciel dénué de nuages. « Quant à Ararün… Bien qu’il n’ait jamais été aussi prompt à défendre le Maudit et à être le bruyant porte-parole de son culte honnis, son esprit aura été finalement corrompu par Braähm et ses propos. Lui aussi voulait le retour du Père… Lui aussi, voit dans cet enfer de lave, l’emprunte du Père, à sa manière. Et, selon ses mots, lui aussi soutient les thèses fanatisées, et ce faisant, me demanda la mort pour ses idées. Mourir pour soutenir un fou… Mourir, pour soutenir un Traître qui nous aura martyriser voilà seulement vingt années… Ainsi, je le condamne également à mort. » Tel le futur couperet qui s’abattrait bientôt sur leurs nuques, les mots de Harald ne souffrait d’aucune compassion ni d’aucune liberté de négociation. « Avez-vous une dernière parole avant de vous présenter devant Heidum ? »