[MdO2019] Equilibrium | Myr

Nuit du 1er au 2e jour de la 1ere ennéade de Verimios 15 : XI
Départ de l'armée pour Sol'Dorn : J-9

De boyaux de pierre en ruelles sombres, Ferya gardait le petit groupe loin des yeux et des oreilles des aventureux habitants des pires zones du Vatna. Pour ce faire, elle avait du à plusieurs reprises laisser leur otage reprendre sa vision normale. Fermant la marche, Krish restait à l'affut d'éventuels poursuivants. Mais rien... Pour l'instant. lorsqu'ils sortirent réellement de la cité, cependant, les yeux de Myr furent de nouveau obstrués. Ils firent quelques détours pour tenter de lui faire perdre ses repères, mais but était déjà décidé.

Après plus d'une heure de marche, ils atteignirent une petite de bois épais. Elle grinça légèrement sur ses gonds et le grand homme fut précipité à l'intérieur. On lui fit monter un escalier de pierre, passer une seconde porte et on le projeta rudement sur le sol. L'ombre se dissipa de devant ses yeux.

Krish, et ses deux sbires encapuchonnés se trouvaient tous trois entre lui et la porte qui donnait visiblement sur un petit couloir. La pièce était petite, dépourvue de fenêtre et creusée comme une alcôve dans la roche. Un logement de travailleur typique des exploitations à l'extérieur de la ville. Trop pauvre pour avoir la moindre cachette. Pas assez pour être cantonné à un dortoir d'esclaves. D'un côté, un lit pour une personne longeait le mur. De l'autre, une table, deux chaises, un coffre et un tas de pattes d'araignées entassées sous une cheminée surélevée ou était encore pendue un chaudron dépourvu de couvercle.Quelques champignons luminescents faisaient le tour du plafond, diffusant une lumière bleutée agréable aux yeux des noir-elfes.

L'homme masqué qui avait ouvert la voie durant leur périple n'attendit pas que leur otage se repère ou se redresse. A peine sa consœur avait-elle lâché son trésor qu'il s'avançait pour lui décocher un coup de pied dans le flanc.

- Jallyss ! " La voix de Krish claqua comme un fouet, sa main venant agripper l'épaule massive du guerrier masqué. " Nous devons l'interroger, pas le mettre en pièce.
- Tu veux l'épargner ?! S'il n'a pas agit seul il est au moins complice ! Gorhur ! Den ! Tu y penses ?!

Pour la première fois, il ouvrait la bouche, et laissait transparaitre l'unique raison pour laquelle il se tenait roidement près de Krish depuis deux jours sans prononcer le moindre mot. Inutile de voir son visage pour sentir toute la haine et toute la colère qu'il renfermait.

Un pas et la Triumvir transformait son avertissement en prise. La lutte dura une poignée de seconde, mais l'homme arrêta finalement de gesticuler, sous les masque impassible et les yeux terrifiés de Ferya.

- Calme toi, je t'en prie. " lui souffla-t-elle avant de se tourner vers Krish. " On sait que ça te touche autant que nous. Il ne le pensait pas vraiment.

Il y eut un moment de flottement, puis Jallyss s'écarta de deux pas, relâché. Crispé, un bras enserrant l'autre, il tourna les talons pour ressortir, crachant par dessus son épaule :

- On aurait du l'emmener directement au Monastère. Comme prévu. "

Ferya inclina légèrement la tête sur le côté et fit un vague signe à la drow démasquée qui le lui rendit, avant de passer la porte en sens inverse, tentant visiblement de rattraper son ombrageux collègue. Le battant se referma sur les deux personnages de haut rang.

Debout, les bras croisés, Krish laissa tomber son regard sur le haut homme encore entravé. Ses iris rouge et or le détaillèrent un moment, sans aucune satisfaction... Un certain voile rendait même leur attention plus diffuse. Avec un soupire, elle e secoua un peu et s'approcha à pas de loup de l'otage longiligne. Restant dans son champ de vision pour ne pas se montrer trop sournoise, elle défit avec adresse le cordon de cuir qui maintenait son bâillon, le rempocha, puis la ceinture qui lui liait les bras et la lui remis. Comme elle ne portait ni ses griffes, ni la moindre arme, l'opération fut un peu plus longue qu'elle n'aurait du, mais elle arriva au bout sans trop de mal.

Sur ses gardes, assise sur ses talons et prête à bondir, elle posa à nouveau les yeux sur le visage de Myr'Hennis.

Il haussa un sourcil. Trahis. Il se rendit compte à cet instant qu’elle n’avait pas compris et de toute façon il ne comptait pas lui expliquer, qu’elle découvre la vérité ou non elle allait devoir comprendre seule sinon rien n’allait changer. Myr’Hennis se permit une grimace à la mention des victimes, il se demandait pourquoi est-ce que Krish n’avait pas donné le nombre exact mais ça n’avait pas d’importance, pas maintenant.

Il haussa les épaules à la question rhétorique et il allait répondre par un oui laconique mais il n’en eut pas l’occasion. En se sentant plié vers l’arrière il aurait bien poussé un juron, pour une fois que son mal de dos le laissait tranquille il fallait que quelqu’un le réveille et l’empire. Il aurait voulu crier mais il ne put que grogner, un grognement plus animal que drow d’ailleurs. Il aurait voulu pousser un autre juron, pas pour la douleur mais parce qu’ils s’étaient servis de son chiffon pour ses pinceaux. Qu’ils abusent de sa confiance n’étaient donc pas suffisant, il fallait qu’ils l’humilient en plus. Où était donc passé l’élégance simple d’une menace inventive et haute et riche en détails sordide au cas où il criait ? Comme il l’avait dit au maître de l’étude noire : tout se perd.

En sentant le souffle et la main sur son torse il eut un frisson qu’il n’arrivait pas vraiment à identifier mais la sensation disparut bien vite et elle fut remplacée par celle, bien plus désagréable, des liens trop serrés qui bloquent partiellement la circulation sanguine. Il aurait aimé hocher la tête pour répondre à la question mais on le tenait bien trop fermement, de plus il n’avait pas vraiment envie d’énerver la personne qui l’entravait. Puis le temps passa sans que rien ne se passe jusqu’à ce qu’on lui demande où se trouvait l’ouverture du passage. Tout se perd. Il se demandait si c’était plus gênant pour ses capteurs ou pour lui, c’était difficile à dire, cela dit il tenta tant bien que mal d’indiquer le pilier central. Il n’avait pas envie de jouer au plus con, même s’il était très bon à ce petit jeu, ce n’était pas vraiment le moment alors il ne fit pas de bruit. Son premier geste avait désigné une des deux bibliothèques murales ce qui avait dû surprendre le repenti qui fouillait puis il rectifia son erreur. Il avait beau connaître son bureau-atelier comme sa poche c’était tout de même difficile d’indiquer quelque chose avec précision dans cette position et sans y voir quoi que ce soit.

Celle dans son dos n’eut pas eu à faire beaucoup d’effort pour le faire bouger, Myr’Hennis était très coopératif, à tel point que lorsqu’elle lui retirait les ombres qui couvraient ses yeux il les fermait lui-même. Bon c’était surtout parce que la lumière vive l’y forçait et que ses yeux n’avaient que rarement le temps de s’habituer au changement de luminosité. En se cognant contre le linteau de la porte il se demanda si c’était fait exprès, une question bien futile vu qu’il ne pouvait de toute façon pas la poser mais comme on le jeta au sol peu de temps après il se disait que oui, c’était sûrement le cas. Tout se perd. Quand sa vue lui revint il referma instinctivement les yeux, une fois de plus puis, comme il les rouvrit lentement, il les garda plissé pendant un bon moment. Une petite pièce aveugle en dehors de la cité, tout ne se perd... Sa réflexion fut interrompue par un coup de pied des plus violents, en tout cas pour la constitution de Myr’Hennis il était très violent. Ce dernier toussa avec peine à cause du bâillon, un bâillon qui était plein de glaires ensanglantées qu’il avait tenté d’expectorer, pendant que Krish reprenait son homme de main.

L’architecte regarda la triumvir avec appréhension, se demandant si elle allait à nouveau le frapper et lorsqu’elle bougea il se raidit, tentant tant bien que mal de se préparer au choc mais il ne vint jamais et à la place il fut libéré. Il devait admettre qu’il ne s’y attendait pas vu qu’ils voulaient l’interroger. Tout se perd. De nouveau libre il se massa les côtes en poussant un grognement de douleur puis il remit sa toge correctement, il n’aimait pas être torse-nu, et remit sa ceinture. Myr’Hennis n’osa pas se lever alors il resta assis et, tout en se massant les poignets il regarda Krish dans les yeux.

« Vaervy va venir me chercher, elle l’a juré devant Uriz : deux mais pas trois. Préviens tes… camarades, je n’ai pas envie d’un combat. Et toi non plus d’ailleurs, je l’ai déjà vu se débarrasser de deux morgals. » Ce qui était faux, il n’avait rien vu du tout, il avait juste entendu des soldats le dire mais il ne doutait pas qu’elle en était capable. « En attendant, je t’en prie, poses-moi tes questions, ce que je t’ai dit il y a trois ans est toujours vrai : je reste au service du triumvirat. »

Effectivement, Vaervy était sur les traces des repentis. En sortant du bureau elle était restée devant la porte, hors de question de faire confiance à Myr’Hennis pour assurer sa propre sécurité alors elle allait s’en charger. Si elle n’entendait pas grand-chose de ce qui se passait à l’intérieur c’était aussi le cas de son côté de la porte. Sur les deux gardes qui se tenaient comme des statues elle en ordonna à l’un de retirer son casque et lui fit un suçon, l’ecchymose était assez discrète sur la peau sombre du drow puis elle lui susurra d’aller dire à Ashal qu’elle lui avait fait ça. Le soldat n’hésita pas même s’il se posa quelques questions en route.

Pendant ce temps la capitaine écoutait en collant son oreille contre la double-porte et même si elle n’entendait pas grand-chose il y avait un bruit qu’elle reconnaissait entre mille, un bruit qu’elle s’était entraîné à reconnaître, un bruit qu’elle craignait d’entendre dans la villa. Le bruit d’un passage qui s’ouvre. Son cœur manqua un battement. La discipline enracinée en elle prit le dessus, écrasant la panique qui commençait à sortir de son trou. Alors elle se débarrassa de son armure, le dernier garde l’aida sans poser de question. La capitaine remit son ceinturon d’arme, elle y glissa sa hache et prit d’un mouvement souple l’épée qui pendait aux hanches du soldat qui l’avait aidé sans demander quoi que ce soit. D’un coup d’épaule elle ouvrit violemment la porte et se précipita au fond de la pièce, elle prit un pot de peinture rouge et renversa la table où étaient posés les bustes qui servaient de modèles à Myr’Hennis puis elle enfonça violement la dalle sur laquelle était posé le second pied de la table pour que s’ouvre le mur juste derrière puis elle s’engouffra à l’intérieur.

Il n’y avait que trois personnes à connaître tous les passages secrets du Puy : le Grand Architecte évidemment, Plynnil parce qu’elle avait accès à tous ses documents et qu’elle travaillait sans cesse avec Myr’Hennis et Vaervy qui se devait de les connaître tous pour remplir au mieux son devoir. Sauf que contrairement aux deux autres Vaervy les connaissait tous physiquement, c’était son domaine à elle, c’était pour ça que les autres soldats l’appelaient la Prima. Vaervy remontait de temps en temps pour s’assurer qu’elle ne perdait pas leur trace, elle avait forcément du retard sur eux, retard qu’elle gardait sciemment pour ne pas se faire repérer car grâce aux passages secrets elle aurait pu les rattraper ; elle ne le fit pas car elle n’avait aucune idée du niveau des deux personnages qui accompagnaient Krish et que si elle agissait maintenant elle n’aurait aucun avantage à magnifier pour contrebalancer leur supériorité numérique.

- Je me doute que ta capitaine viendra. En fonçant tête baissée, elle mettra quelque heures au bas mot avant de tenter quoi que ce soit. Et, comme tu l'a très justement fait remarqué, elle ne risquera pas que nous te mettions à mort en attaquant frontalement. Les deux seuls moyen d'entrer dans cette pièce sont cette porte et cette cheminée. Si elle veut minimiser les risques de nous faire paniquer, elle en aura même pour quelques jours. "

Après tout, elle avait réquisitionné les quartiers de vie les plus à l'écart et les plus isolés de l'élevage d'araignée à soie de Viconia. Si certains passages arrivaient sûrement dans la propriété, il n'y en avait aucun dans ce baraquement en particulier. Lorsqu'elle avait parlé de cette stratégie de repli quelques mois plus tôt avec Viconia, leur élémentaliste avait vérifié que tout le complexe de petits logements avait été creusé en pleine roche. Les cheminée étaient trop petites pour qu'un adulte y circule, surtout en armure, et les seules arrivées d'eau étaient à l'extérieur, longeant l'immense alcôve dévolue aux araignées, qu'il fallait traversé pour arriver jusque là. Alors certes, il y avait bien plus de travailleurs que d'esclaves et bien plus d'esclaves que de gardes véritablement rompus au combat, mais l'endroit était fréquenté et les accès n'en étaient pas libre. De plus, il lui faudrait cibler dans quelle cahute ils s'étaient enfermés.

Elle ne se sentait donc pas pressée par le temps. Elle l'écoutait, le regardait... et malgré la douleur manifeste que le coup de Jallyss avait provoqué chez lui, il n'avait en rien perdu sa superbe. Le même port atelier, le même calme malgré la protestation de ses côtes. Il parlait posément, rajustait sa tenue comme si de rien était. Ces dernières années, elle l'avait vu faire bien des fois, mais elle n'aurait jamais imaginé qu'il garde un tel flegme en de telles circonstances. Étrangement, la fureur qu'elle aurait du ressentir à son égare, s'en trouvait assagie. L'ombre d'un sourire lui vint en réalisant que, parfois, un peu de courage suffisait à être traité en homme et non en chien.

- Arrête de jouer sur les mots. Je ne suis pas aussi bête que tu sembles le croire. " son simili sourire était crispé... douloureusement crispé ?

Fidèle au Triuvirat. Tu parles. Comme si c'était là la question... Et c'était pour ça qu'elle avait besoin de savoir. Voyant qu'il ne se levait pas, elle s'assit tout simplement en tailleurs où elle était. Cette entrevue était bien plus difficile qu'elle ne l'aurait cru. Elle avait prit le dessus. Elle l'avait vu entravé et soumis à sa volonté. Elle pouvait accomplir une vengeance rapide et définitive... bien que ce ne soit pas sa façon préféré de procédé, étant donné le rang important de cet homme, c'était préférable à une guerre de position de plusieurs centaines d'années.

Et même hors de cette perspective funeste, elle s'était suffisamment exercé sur Wik pour lui faire cracher la vérité en quelques jours. Quelques heures s'il ne résistait pas trop... Et pourtant, en vrillant ses iris sanglantes dans le rouge profond du regard de Myr'Hennis, les quatre dernières années de respect et de confiance lui tombaient sur les épaules. Quelque chose en elle était révulsé à l'idée de le détruire. Une autre partie d'elle brûlait d'une vengeance sans fin à l'encontre de ce traitre qu'elle pensait être un allié... On est jamais blessé que par ceux auxquels on prête le dos.

Un artisan au talent délicat et raffiné, dont l'esprit aiguisé rappelait à chaque instant qu'on pouvait obtenir gloire et respect sans passer par la voie des armes... En créant à la place de détruire. Si la voie de l'eldéenne était maintenant liée au Destructeur, elle n'avait pas oublié son Art. Elle accordait toujours la même importance aux talents que la société eldéenne préféré sous-estimer. Le Grand Architecte s'était élevé à la force de son savoir faire. Comment ne pas se sentir proche de lui ? Ne lui avait-elle pas assez montré qu'elle l'estimait ? Ou au contraire, avait-elle été aveuglé par l'estime qu'elle avait pour lui ?

A l'évidence, la colère qu'elle ressentait n'était qu'en partie dirigée contre lui. D'ordinaire, sa culpabilité s'exprimait en colère. Un carburant pour aller de l'avant et accomplir sa vengeance. C'était bien plus facile à gérer. Mais là... Elle n'y arrivait pas. Pas sans comprendre. Et elle repoussait ce magma d'émotion contradictoires qui lui intimaient de repasser chacune de leurs entrevues pour savoir ce qu'elle avait bien pu dire ou faire. Car si toutes les informations qu'elle avait trouvées concordaient avec l'implication de cet homme dans la mort de ses camarades, il n'y avait aucune raison qu'il se retourne ainsi contre le triumvirat... Non. A présent qu'elle le regardait dans les yeux, deux possibilités semblaient logiques, et les deux étaient du fait de la Prime Feu.

- Dit moi plutôt. C'était pour me punir, moi ? Ou pour punir les Repentis dans leur totalité ? "

Son armure de cuir noire renforcée de plaque émit un léger bruit tandis qu'elle se penchait légèrement en avait, les coudes appuyés sur les genoux, scrutant intensément les yeux de l'Architecte.

« Je t’ai donné l’information, tu en fais bien ce que tu veux mais je te déconseille vivement de la sous-estimer, comme tu l’as si bien dit : je suis si bien protégé. » Une fois que Myr’Hennis eut terminé de se masser les poignets il se mit en tailleur et resserra une ceinture, celle qui l’entravait encore il y a peu. Il ignora sa remarque mais leva la tête lorsqu’elle posa ses deux questions.

« Alors on en est là : tu penses sincèrement que c’est moi ? » Il la regarda dans les yeux, c’était un regard dur et sombre comme la pierre du Vatna. « Non. Tu ne le penses pas. Ou en tout cas tu n’en es pas certaine mais après tout qui de mieux placer que celui qui a construit le monastère ? Tu doutes et c’est normal. C’est normal parce que tu sais que si j’avais fait quoi que ce soit tu ne serais plus là pour avoir cette conversation avec moi ; au mieux je serai paisiblement en train de dormir et au pire… au pire disons que notre belle cité serait à feu et à sang. Ça tu le sais parce que, tout comme toi, j’ai survécu au Puy. » Un sourire amer releva légèrement ses lèvres, un sourire teinté de rancœur, de jalousie pour ceux qui s'étaient dédiés au métier des armes. « Les guerriers peuvent se permettre une erreur, deux s’ils sont vraiment bons ou chanceux. Mais pas nous. Et c’est justement pour ça que tu te trompes : si j’avais voulu punir tes repentis je n’en aurai pas laissé un seul en vie et, fatalement, tu serais morte avec. Au fond de toi tu sais que ce n’est pas moi parce qu’ai eu tant d’occasions de te tuer que si je l’avais voulu je l’aurai déjà fait : le Barra n’est pas le seul à pouvoir faire s’effondrer des champignonnières. Mais ce n’est pas mon style, c’est bien trop brutal, ça laisse bien trop de traces. Si j’avais voulu te punir je n’avais qu’à laisser tes erreurs le faire à ma place au lieu de t’aider à les éviter. »

L’architecte fut pris d’une quinte de toux et lorsqu’elle fut terminée il s’essuya la main sur sa toge, laissant une trace sanglante avant de reprendre.

« Mais supposons que ce soit moi comment ai-je fait à ton avis ? Si tu m’as suspecté j’imagine que la première chose que tu as cherché ce sont des passages secrets mais tu n’en as trouvé aucun, simplement parce qu’il n’y en a pas. Ce qui ne laisse que la porte vu que la cour intérieure est recouverte, impossible d’entrer par là sans réveiller tout le monde donc. Tes camarades étant d’anciens du IVème ils ont sûrement dû fermer la porte d’une façon ou d’une autre même si j’imagine qu’ils ont gardé le système de poutre que j’ai mis en place. Tu sais parfaitement que je n’ai pas de mages à mon service, je n’ai donc pas pu traverser les murs ou bien… passer d’une ombre à l’autre, par exemple. Alors dis-moi : comment ai-je bien pu m’introduire dans ce monastère sans réveiller les repentis ? » Myr’Hennis s’épousseta, restant toujours assis il scrutait Krish avec le même regard que lorsqu’il avait commencé son plaidoyer.

Le regard froid de Myr'Hennis força Krish a se ressaisir. Son propre visage se fit plus distant et retrouva son côté narquois habituel. Évidemment qu'il n'allait pas lui facilité la tâche. Comment avait-elle pu croire un instant qu'il s'expliquerait seulement parce qu'elle lui demandait. La mort de Gorhur l'avait-elle tant chamboulée ?

A chaque fois qu'il sous entendait d'une autre façon qu'elle était une incurable idiote qui n'aurait su survivre sans ses conseils, son sourire se creusait un peu plus, mais elle ne l'interrompit pas. Elle soutint sans peine son regard, sincèrement amusé par tout ce déballage de grands mots rhétoriques qui sonnaient creux. Il se mettait à sa place, reprenait ses arguments pour guider son raisonnement vers un ailleurs qui l’arrangeait. Très loin des questions simples qu'elle lui avait posées. Il refaisait le monde à sa manière... en bon architecte.

Bien sûr, il n'avait pas faux sur tout. Sa position d'artisan en haut de la chaine alimentaire faisait durement échos dans l'esprit de l'eldéenne. Mais même si elle avait curieusement envie de le croire, les arguments étaient trop fallacieux, les ficelles trop visibles.

Il apportait cependant un peu plus de lumière à tout cela. Justement sur sa nature d'artisan. Il avait raison. Ceux qui ne maniaient pas les armes n'avaient pas le droit à l'erreur. S'il voulait s'en prendre aux repentis, il aurait été tout aussi simple pour lui de coordonner une attaque sur tous ceux qui avaient mis les pieds au palais ou au monastère, deux endroits à partir desquels, un œil aguerrit aurait put le suivre. Mais rien n'avait été tenté. Ni avant. Ni après. Cela n'était donc pas dirigé contre eux. C'était un message. Une menace. Une technique de déstabilisation. Et cela s'adressait à elle... A travers un risque si grand...

Le regard de Krish flambait en silence au dessus de ses lippes amusées, prêt à déverser tout sa rage et sa frustration sur celui qui lui faisait face... Lorsqu'une quinte de tout le poussa légèrement en avant. Les yeux de l'eldéenne se firent happés par la trace rouge. Un froid étrange lui enserra la gorge. Le voir comme ça... Elle souffla doucement par le nez et tenta de s'accrocher aux braises fumantes de sa soif de sang.

- Habile. Mais tu as encore du chemin a faire pour te mettre au niveau de mes très chers camarades du Conseil de Thaar. " ronronna-t-elle en dépliant les jambes, s'appuyant en arrière sur ses bras. " Les belles histoires font toujours de mauvais mensonges. Tu a envoyé des assassins, justement parce que tu n'attaque jamais au grand jour et que tu n'aimes pas laissé de trace. " Une main vint ponctuer son discours. " Tu as tout. Le moyen, le savoir, l'occasion. Tu ne réponds à mes questions que par d'autres questions rhétoriques et tu refuses de faire nettement une promesse pourtant très simple. Tu es la personne la plus qualifié pour cacher, créer et détruire toutes sortes de passages. Viconia peut attesté que ta garde est nombreuse. Vaervy était Streea, assez douée pour tuer l'ancien Streea du IVe. Alors, non. Je ne doute pas, Myr'Hennis. " Ses genoux se plièrent à nouveau pendant qu'elle se redressait pour rouler sur sa hanche, entrant sans gêne dans l'espace personnel du Grand Architecte. " Tu sais, les morts aussi peuvent être affamés et nous, Repentis, marchons à la guerre avec nos semblables trépassés. Lorsque les autres voulaient t'amener au Monastère, ce n'était pas pour papoter. Le Triumvirat est derrière moi et attend que les têtes tombent. Ils n'ont que des soupçons, mais ça leur suffit. Moi, au contraire, je veux savoir pourquoi pour pouvoir sauver les meuble au lieu d'affaiblir toujours un peu plus le Puy en tuant nos meilleurs éléments. " Elle s'approcha encore, sa large main saisissant la mâchoire fine au menton effacé dans une étreinte de fer. " Je sais que c'est toi. Et tu as raison, tu n'aurais pas laisser des Repentis s'en tirer si c'était vraiment contre eux que tu en avais. Alors c'est contre moi. Tu ne m'as pas tué. Tu voulais me faire douter. Tu voulais m'envoyer un message. Et bien tu as toute mon attention. Je t'écoute. Fait preuve d'un minimum de courage au lieu de te cacher derrière tes grande mots. "

« Alors c’était vrai, Gorhur faisait partie des vingt-uns ? »

D'un geste calme, tendre même, il effleura la main de Krish qui lui tenait le menton. Il aurait dû le savoir mais Vaervy lui avait juste dit qu’il y avait vingt-trois victimes, elle ne lui avait rien dit de plus, elle ne lui avait pas donné de noms, pas de description ; seulement que c’était fait et qu’ils avaient réussi. Il ferma les yeux lorsqu’elle confirma ce qu’il avait appris à peine une minute plus tôt : Gorhur était mort. Il ne l’avait pas connu, jamais rencontré, mais il adressa une prière muette à Uriz malgré les mouvements de ses lèvres, si ce qu’il savait était vrai il le méritait bien. L’architecte le voyait comme un personnage triste. Tragique même, comme le personnage principal d’une tragédie : peu importe ce qu’il faisait il ne pouvait pas gagner mais il avait essayé de toutes ses forces, tant qu’il avait pu il s’était battu pour ne pas sombrer. Le temps était passé et sa gloire avec et maintenant qu’il était mort… lorsqu’une ère touche à sa fin tous devraient la marquer, même les champions de la prochaine ; il ne savait pas si sa capitaine avait fait quoi que ce soit pour marquer le coup mais il l’espérait sincèrement : aucun héro ne devrait disparaître sans qu’on en fasse le deuil. Lorsqu’il eut terminé sa prière il rouvrit les yeux, ils n’étaient plus durs, froids et sombres, ils étaient compatissants mais surtout compréhensifs, Myr'Hennis n'osait pas imaginer sa réaction si quelqu'un tuait Vaervy.

Alors il répondit d’une voix lasse : « Il me faut deux voir trois ennéades pour sceller un passage secret sans laisser de traces qu’un enfant pourrait suivre. » Mais dans ce qu’elle avait dit il y avait une chose qui l’avait touché plus que ce qu’il pensait et qui était passé sous sa garde pour lui faire mal. « J’espérais que tu me respectes assez, et surtout que tu la respectes assez pour ne pas traiter Vaervy d’assassin. » Il ne savait pas comment ça s'était passé mais si elle avait bien tué Gorhur il ne doutait pas que ce fut à la loyale, l'adversaire était, ironiquement, bien trop beau pour un lâche coup de poignard dans le dos. « Oui ma garde est nombreuse, presque autant que la garde d’ébène et je peux t’en donner la liste si tu veux, tu pourra vérifier par toi-même où ils étaient. » L’architecte desserra ses ceintures, d’un mouvement d’épaule il se défit de sa toge et la soie ruissela le long de son torse en révélant sa cicatrice pour finalement s’arrêter de tomber au niveau de ses hanches, retenue par les deux ceintures desserrées. « Mais ce n’est pas ce que tu veux. Tu ne veux pas la vérité. Tu veux du sang. » Il se leva péniblement et une fois debout sa respiration se fit sifflante quelques instants avant qu’il ne reprenne. « Gagnons du temps tu veux bien ? Je ne vais pas pouvoir répondre à tes questions et peu importe ce que je te dis tu ne vas pas me croire alors finissons-en. » Myr’Hennis prit une grande inspiration pour tenter de calmer son cœur qui s’emballait alors qu’il levait la tête pour présenter sa gorge afin de lui donner une cible facile de plus.

Elle frémit à son contact, sa main se desserrant un instant... Ce changement du tout au tout la surprenait. Il était une énigme... Tantôt froid. Tantôt mordant. Tantôt respectueux. Tantôt rebelle. Il semblait jouer avec une palette d'émotions et d'attitudes aussi facilement que d'autres respirent. Il était dangereux. Un véritable prêtre de Tesso...

Elle laissa finalement tomber sa prise en reconnaissant sur ses lèvres une prière à Uriz. Là... Les yeux clos... Il lui rendait hommage... Pour Gorhur ? Les traits nets de son visage fin et osseux restaient paisibles. Elle même entonna silencieusement une prière pour son compagnons défait, sans pour autant fermer les yeux ni bouger les lèvres. La sérénité fervente qui se dégageait du Grand Architecte... lui faisait chaud au cœur. Il n'était pas un simple arriviste. Il comprenait... peut-être... un peu... Les yeux de l'architecte s'ouvrirent à nouveau.

Un frisson lui remonta le long du dos.

Bon sang ! Ce foutoir la mettait hors d'elle ! Pourquoi fallait-il que ce soit lui, justement, au centre de tout ça ?!

Cette garce de Vaervy ne méritait aucun respect ! Surtout pas celui qu'elle entendait dans sa voix !

- Oh mais je compte bien vérifier où chacun d'eux se trouvait ces cinq derniers jours. Je vais interroger tes soigneurs, tes gardes, tes serviteurs. La Doth'Ka va vider ta demeure pierre par pierre pour trouver tous les passages qui en vienne avant de s'attaquer au monastère. Tes apprentis seront mis sous bonne garde tout comme ta maquette incomplète ! " gronda-t-elle, un sourire carnassier sur les lèvres, en se relevant à moitié. Un genoux toujours à terre, elle s'étendit pour le dominer d'un courte distance. La main puissante de la guerrière vint rudement s'accrocher à la nuque de l'homme, le forçant bien inutilement à regarder dans sa direction. La lueur dispensée d'en haut lançait une ombre écrasée sur le visage aux lèvres fines, faisant ressortir la couleur intense de ses iris imperturbables.

Un bruit de tissus sec. Par réflexe, sa main libre se referma sur le bras de l'architecte qui venait de détendre sa ceinture. Un coup d e lame était trop vite arrivé et son corps avait apprit à réagir sans passé par le filtre de sa raison. Mais il n'était pas question d'arme ici. Elle relâcha sa prise, défiée par son regard, et libéra même sa nuque pour se relever tout a fait. Un grondement rageur accompagna son geste. Elle se détourna à demi avant de faire de nouveau face à son prisonnier, les poings serrés.

Torse nu, il se relevait difficilement. La soie blanche qui nimbait ses hanches soulignait le gris cendré de sa peau. Des abdominaux bien plus frêles que la moyenne se dessinaient avec légèreté sur des cotes saillantes. Deux cicatrices impressionnantes barraient son torse. Une particulièrement ancienne. L'autre qu'elle devinait être celle dont Urgoll leur avait parlé quelques années plus tôt. Toutes deux semblaient mortelles, arborées comme des trophées par un corps qui ne semblait pas fait pour y survivre. Les seules irrégularités de cette peau... Mis à part un bleu étrangement appuyé qui s'étendait sur son côté droit. Elle frémis. Jallyss ne l'avait pas raté... Avec une marque pareille, ses côtes étaient peut-être fêlées, ou pire... Et le sang qu'il crachait depuis tout à l'heure bien moins anodin que prévu.

Ses yeux, happés par la blessure qui avait fait vaciller sa colère, remontèrent sur le visage haut de l'architecte... qui lui offrait son cou. En un éclair sa main d'arme se referma sur le cou gracile, le poussant jusqu'au mur à deux pas derrière lui dans sa brusque avancée. Le dos plaqué contre la roche, il était à elle. Son pouce sentait les battements de son pouls précipité. La respiration qu'il s'efforçait de garder son contrôle alors qu'elle semblait ne tenir qu'à un fil encore un instant plus tôt. Elle respirait aussi fort que lui, la poitrine gonflée par une colère qu'elle voulait assouvir tout de suite. Il la dominait d'une bonne tête et pourtant, elle se savait en position de force.

Il avait raison. Elle voulait le voir mort ! Elle voulait en finir avec cette histoire et avec le risque qu'il représentait. Elle voulait le voir souffrir longtemps pour avoir livrer à la mort chacun de ses camarades. Personne ne viendrait lui demander de comptes. Les tambours de guerre résonnaient derrière ses iris rouge et or.

MAIS BON SANG POURQUOI ELLE ?!

Avec un cri de rage, sa main libre s'écrasa se toutes ses forces contre le mur de pierre, juste à côté de la tête de l'architecte. Puis elle s'arracha d'un coup à son contact, reculant de trois pas. Enserrant de son autre main les doigts qu'elle venait de malmenée, le buste soulevé par un souffle saccadé, elle lança un ultime regard à Myr'Hennis... Un regard qui aurait aimé d'être qu’emplit de rage et soif de sang, mais qui était bien plus douloureux que ça. Presque perdu.

Elle se détourna immédiatement, passant la porte et la claquant derrière elle. Un chuintement indiqua que le battement était barré de l'extérieur.

A grands pas, Krish remonta le minuscule couloir, ouvrit deux autres alcôves - vides - dégringola l'escalier, poussa la porte de la salle commune et trouva enfin Jallyss et Ferya encore en train de se disputer. D'une main si tendue qu'elle en tremblait presque, elle tira le fusain et le carnet de cuir noir qu'elle portait toujours dans la sacoche de sa ceinture pour en arracher deux pages.

Arcboutée sur un coin de table bas de gamme, elle se mit à griffonner sous le regard étonné et anxieux des deux guerriers, soudain parfaitement attentifs. Le premier document était une lettre adressé au Barra, lui intimant l'ordre d'interroger les serviteurs, les gardes et les soigneurs de Myr'Henis, pour trouver des meurtriers de 21 eldéens ayant choisis de servir directement le Feu d'Uriz en entrant dans l'ordre des repentis - et par la même occasion de menacer indirectement la vie de la Triumvir qu'était le Feu d'Uriz. Elle expliquait avec détails comment le monastère avait été retrouvé, donnait les noms et les origines des 21 victimes officielles et des 2 victimes officieuses.

- Quoi ?! Tu veux vraiment qu'on perde la main sur cette enquête ?!
- Je veux que ça soit réglé le plus vite possible. " gronda Krish sans arrêter d'écrire malgré la rage palpable de Jallyss.

La seconde était bien plus courte.

J'ai vu celui dont nous avons parlé. J'ai saisi une occasion et il est maintenant seul avec moi dans notre petit cocon. Il n'a rien contre le triumvirat. C'est une vengeance entre lui et moi.

Pour ne rien laisser au hasard, j'ai quand même envoyé la Doth'Ka s'occuper d'interroger tous ses gardes, ses soigneurs et son personnel. S'il y a le moindre détail suspect, il sera trouvé avant demain soir. Je ne doute pas qu'il y en aura.

Quelle que soit ma façon de gérer ça, je te demande d'accepter ma décision.

Elle plia les deux papiers et les tendis à Jallyss qui lisaient toujours par dessus son épaule.

- Le premier est pour le Barra. Le deuxième doit être porté à Viconia au Haut-Temple de Valas, par un messager officier de l'Etat Major. Après tu préviendras les autres de ce qu'il se passe ici et tu passeras au Haut-Temple d'Uriz pour leur dire que notre accord est définitif et que j'aurai besoin d'eux plus tôt que prévu.

Leurs yeux s'affrontèrent quelques instants, puis il lui tendit le bras en soupirant. Une accolade scella leur paix relative et Jallyss partit au pas de course vers les grands bâtiments de l'exploitation pour s'emparer d'une monture.

A peine avait-il franchis la porte que Krish se laissa tomber sur la chaise la plus proche, l’œil bas, la tête appuyé sur une main qui la ballonnait en même temps à moitié. Le silence se referma sur les deux femmes... Et Krish aurait aimé qu'il en soit ainsi pendant bien plus longtemps.

- Quelque chose ne va pas, n'est-ce pas...?

Ferya s'était approché à hauteur de la pensive eldéenne. Elle ne l'avait jamais vu dans un tel état d'agitation... Et cela ne pouvait que l'inquiéter. S'appuyant sur la table, elle ne se répéta pas mais toute sa présence appuyant la question qu'elle venait de poser. Au bout d'un long moment, Krish finit par soupirer. Se redressant légèrement, elle ouvrait et fermait la main pour faire circuler le sang dans les doigts qu'elle avait abimés contre le mur de pierre.

- Je ne sais pas...
- Tu n'as pas fermé l’œil depuis deux jours. Même moi j'ai dormi plus que toi. Prend toi une heure pour te reposer.
- Non. Je ne...
- Tu seras inutile si tu commences à prendre des décisions flous.
- Je préfère m'occuper personnellement de Myr'Hennis.
- Écoute... Je surveille notre invité et je te réveille dans deux heures. Il seras tout à toi.
- Une heure. Plus, ce serait tenter les P'leik avec sa capitaine qui doit roder pas très loin.
- Très bien. Une heure. " sourit Ferya. Pour accepter ainsi, Krish devait réellement être déboussolée ou épuisée.

L'ancienne du C'nros accrocha une bourrade amicale sur l'épaule de sa sœur d'arme qui se leva avec un sourire narquois. Un bon mot et elle sortait un instant pour remplir un sceau d'eau froide juste devant la bâtisse. Partout sur ce paysage de roche, de champignons et de viande morte, les araignées grouillaient... Heureusement, il n'y en avait pas pour longtemps et il ne fallut qu'une poignée de minutes pour que Krish remonte l'escalier quatre à quatre et se glisse dans l'alcôve jouxtant celle dans laquelle était enfermée Myr'Hennis.

Après une brève toilette, ne gardant que son pantalon de cuir et sa tunique noire à manches longues et au col ample, elle se glissa dans le lit solitaire. Les draps étaient fins. La largeur honorable pour une personne seule lui semblait ridiculement étroite. Pourtant, son esprit embrouillé et ensommeillé sombra dans le sommeil à la seconde même où sa tête tomba sur le matelas.

De son côté, Ferya attendit une dizaine de minutes pour se glisser comme une ombre jusqu'à la porte barrée.

Capuchon et masque toujours en place, elle tira la poutre qui servait de verrou puis le battant.

L'ancienne du C'nros avait toujours été d'un naturel calme et pragmatique. Hors, aujourd'hui, malgré toute la crainte et le respect qu'elle avait pour sa sœur d'arme, ils n'avaient pas de temps à perdre en circonvolution. Si cet homme était encore une menace pour l'un d'eux, elle devait le savoir.

Elle n'était pas sadique et ne ferait que le strict minimum, mais pour savoir si, pourquoi et comment cet homme avait procédé, elle n'hésiterait pas. Bardée de son épée, ses dagues et ses poignards, elle espérait ne pas avoir besoin de s'en rendre à un point aussi salissant. Quelques coups biens placés et une pression sur ses cotes suffiraient peut-être étant donné la façon dont le coup de Jallyss l'avait plié en deux.

Ce qu'elle ne pouvait pas connaitre en revanche, c'était la finesse de l'ouïe de sa consœur. Un seul cri de Myr, un seul appel suffirait à la tirer du sommeil en sursaut.

Il se demandait ce que la Doth’ka allait pouvoir trouver en fouillant sa demeure. Pas grand-chose à son avis. Les esclaves qui avaient creusé les passages avaient tous disparut durant les deux ans qui séparaient leur construction de l’attaque sur le monastère ; un était mort dans un tragique accident sur le chantier du temple d’Uriz ; un autre fut retrouvé mort dans le Labyrinthe, sûrement un règlement de compte ; un troisième fut tué par un garde de Myr’Hennis après qu’il fut accusé d’avoir voler quelque chose ; l’un avait même pu voyager avant de mourir : il avait pu goûter aux nuits fraiches et mortelles de Thaar, les drows s’étaient déplacés pour les jeux et l’architecte y avait vu une belle occasion. Ils étaient tous morts, Myr’Hennis s’en était assuré. Pour ce qui est de sa villa… la main de Krish lui relevant le menton brisa son cheminement.

En sentant sa main se saisir du cou qu’il offrait, il ne bougea pas. Non pas qu’il ne voulait pas bouger. Encore que, si, il ne voulait pas bouger.

Myr’Hennis avait, au fil des ans, agencé son esprit comme un palais, un palais d’autant plus grandiose qu’il était architecte de profession et que, dans sa tête, il pouvait ignorer sans vergogne les lois de la physique. Mais ce palais n’était pas pour lui. Dans ce palais régnait son égo, d’ordinaire il s’y pavanait nonchalamment sous les formes de l’architecte tel que lui se voyait : bien plus beau qu’il ne l’était réellement. Mais là, depuis que la camarade de Krish l’avait attrapé, son égo avait une forme toute différente. Il avait également changé de démarche. Tel un prédateur titanesque il arpentait les grands et longs couloirs, ses griffes rayaient le marbre blanc sur lequel il marchait et de la vapeur se dégageait de ses muscles à nu. Relevant lentement la tête, la créature cherchait quelque chose, ou du moins quelqu’un, qu’elle venait de trouver. Il s’élança de toutes ses forces, comme un chien fou le Monstre dérapa dans un tournant, laissant des sillons dans la pierre il s’écrasa contre un mur avant de continuer de plus belle. Le Monstre passait devant tant et plus de portes en courant dans ce couloir qui semblait s’étendre à l’infini, derrière chacune de ces portes fermées par de lourdes chaînes et un cadenas se cachaient un souvenir, souvent sombre, son propriétaire ne pouvant les oublier tentait de les emprisonner. Tous les souvenirs de Myr’Hennis n’étaient pas sombres, loin de là, mais le Monstre se trouvait dans les niveaux inférieurs, à un ou deux étages des oubliettes. Les oubliettes étaient réservées à deux personnes en particulier et l’une venait de s’échapper. Comment avait-elle fait ? Ça le Monstre n’en avait aucune idée mais ça ne lui importait pas, tout ce qu’il voulait c’était que cette personne retourne dans sa prison pour ne plus jamais en sortir. Un vœu bien vain car ce n’était pas la première fois et ça ne serait sans doute pas la dernière. Sauf si Myr’Hennis avouait son crime. C’était pour ça que le Monstre courait aussi vite qu’il le pouvait car lui, il voulait vivre. Elle ne pouvait pas être bien loin se disait-il en ralentissant son allure, tendant l’oreille et c’est là qu’il l’entendit. La créature se retourna pesamment à cause de sa taille et vit qu’une porte s’était ouverte alors, avec la lenteur d’un animal sur ses gardes, il s’en approcha.

A l’intérieur se trouvait un jeune Myr’Hennis à quatre pattes dans la boue qui luttait de toute ses forces pour se relever. Il faisait tout ce qu’il pouvait mais la lourde botte ferrée d’un sergent instructeur le maintenait à quelques centimètres du sol. Le futur architecte n’était pas seul mais aucun adolescent ne bougeait, le soldat les mettait au défi d’aider leur camarade. Puis, à bout de force, le jeune drow lâcha prise et s’écroula, la botte le suivit et le guerrier prit la pose comme un chasseur triomphal, son pied sur le dos de sa proie. Le kyorl continua d’appuyer jusqu’à entendre les os craquer et le hurlement de Myr’Hennis fut étouffé par la boue.

Le Monstre ferma violemment la porte en donnant un coup de patte rageur. Trop absorbé par la contemplation de ce souvenir il n’entendit que maintenant les bruits de pas qui résonnaient pourtant dans l’immense couloir. Ils étaient derrière lui, à nouveau il se retourna lentement et c’est là qu’il la vit directement. Elle était toujours aussi belle que dans ses souvenirs et c’était exactement pour ça qu’il ne devait jamais la laisser s’échapper : lorsqu’elle était là, la tentation était trop forte. Alors il se jeta à sa poursuite, il était facilement vingt fois plus grand et il serait vite sur elle. Elle ne devait pas s’échapper. Le Monstre lui sauta dessus, tous crocs dehors, alors qu’elle allait passer par un escalier. Sous cette forme il ne pouvait pas sourire mais ce n’était pas bien grave, il allait l’attraper. En tout cas le pensait-il mais les dieux en décidèrent autrement, lorsque ses deux pattes avant touchèrent le sol et qu’il allait fermer sa gueule sur celle qu’il avait enfin rattrapé avant qu’elle ne nuise à Myr’Hennis, le sol se déroba sous ses pattes.

L’architecte fut plaqué contre le mur dur et tranchant propre à la pierre volcanique. Son mal de dos, dont il venait de se souvenir l’origine sans savoir pourquoi, se rajouta au choc pour former une explosion de douleur dont l’onde traversa tout son corps. S’il n’avait pas à se focaliser sur la douleur il aurait pu entendre un long rugissement frustré mais il n’entendit rien et personne d’autre ne pouvait l’entendre.

Sous le crâne de Myr’Hennis, le Monstre courait comme un dératé dans les couloirs à la recherche de celle qui avait osé lui échapper, ne prenant aucune précaution il traversait les murs sans se soucier des dommages qu’il causait si ça voulait dire prendre un raccourci. Il était bien trop gros pour les escaliers mais ça ne l’empêchait pas de changer d’étages, un partout il y avait des rampes hélicoïdales, c’était juste plus long et surtout bien plus prévisibles mais il n’avait pas besoin de l’effet de surprise car il savait où elle allait. Alors il montait aussi vite que possible car il savait qu’il n’avait pas beaucoup de temps ; pour l’instant il contrôlait encore l’architecte mais s’il ne se dépêchait pas ça n’allait pas durer.

Myr’Hennis avait fermé les yeux en voyant le poing de Krish arriver, il s’était crispé mais, encore une fois, il n’avait pas bougé. Parce qu’il ne pouvait pas trop, mais pas que. Il resta les yeux fermés pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’il l’entende sortir de la pièce et que la porte claque. A ce moment-là il relâcha tout le contrôle qu’il avait sur ses jambes qu’il avait maintenu prisonnières comme dans un étau. Il ne pouvait plus contrôler le tremblement qui les agitaient, à bout de force et à cause des crampes qui le tiraillaient, il glissa lentement le long du mur, la pierre perçait sa peau mais c’était le cadet de ses soucis. De nouveau au sol il poussa un long soupir. Un soupire de… il ne savait pas vraiment. De soulagement ? Oui, mais pas que, il y avait autre chose qu’il n’arrivait pas à nommer.

Quant au Monstre il  n’arrivait toujours pas à trouver l’évadée, elle était petite et le palais était vaste : cinq siècles et demi de pièces construites les unes après les autres, il n’avait jamais regardé le palais de l’extérieur mais ce dernier devait être monstrueux : un amalgame informe, un chaos sans nom avec des pièces qui n’avaient pas la même taille ni la même forme et encore moins les mêmes matériaux de construction. Mais le palais tenait et tant qu’il était là pour le surveiller il allait continuer à tenir, c’était sa mission et comme n’importe quel gardien dévoué il allait la mener à bien. Il arriva finalement au dernier étage. C’était une grande pièce ronde, une grande bibliothèque au centre de laquelle trônait une statue gigantesque de Myr’Hennis brandissant triomphalement une épée, entourée de quatre braseros. Les murs étaient percés de fenêtres qui donnaient sur un vide blanc aveuglant. Elle était là, il pouvait le sentir. Il avançait lentement entre les rayons, près du sol, le ventre frôlant la pierre, prêt à bondir, faisant attention à ne pas griffer la pierre afin de ne pas trahir sa position. Il l’entendit avant de la voir, elle était derrière la statue, et seul le grattement d’une plume sur du parchemin brisait le silence pesant qui régnait ici. Tel le prédateur qu’il était, le Monstre sauta sur sa proie, brisant sans peine la statue sur son passage. Elle se jeta sur le côté pour éviter de justesse la patte de la créature gigantesque qui lui avait sauté dessus puis elle se releva difficilement et courut droit devant elle. Dos au mur, elle regarda le Monstre couvert de poussière se relever des décombres de la statue puis la chercher de ses huit yeux pendant quelques secondes avant de reprendre sa course folle. Le Monstre la vit se lancer dans le vide en détruisant une vitre alors il la suivit en défonçant le mur car il était trop petit pour passer autrement. Il s’était attendu à la poursuivre dans les airs pour l’attraper avec ses grosses pates mais lorsqu’il regarda vers le bas il ne vit personne jusqu’à ce que ses deux yeux les plus à gauche la virent pendre d’une main à une corniche.

Cette fois Myr’Hennis entendit le rugissement frustré du Monstre et il en sourit. Il n’était plus aux commandes alors il allait en profiter. Du moins pour le moment. C’est donc un architecte avec le sourire que vit Ferya en entrant mais le sourire ne resta pas longtemps accroché à ses lèvres. Il toussa à nouveau, une toux qui le fit se plier en deux de profil pour éviter de souffrir davantage à cause du coup porté plus tôt. Du sang tachait la paume de sa main, du sang qui vint vite rejoindre l’autre trace d’hémoglobine sur sa toge. Alors qu’elle approchait il releva la tête.

« Elle n’a même pas le courage de le faire elle-même ? »

Jeta-t-il sur un ton légèrement moqueur pour cacher l’inquiétude qui s’emparait de lui. Pour toute réponse il n’eut droit qu’à un regard haineux à travers le masque de la repentie. Elle le força à se relever en le prenant par les aisselles, le mouvement brusque arracha un grognement de douleur puis elle lui posa enfin une question, toujours de cette voix nasillarde qui tapait sur les nerfs du Grand Architecte.

« Comment ? »

« Tu veux la vérité ? » Elle hocha lentement la tête. « Je n’ai p… » Elle ne voulut pas en entendre davantage, elle plaqua sa main gauche sur la bouche du prisonnier et s’appuyant sur lui pour que son futur cri soit le plus étouffé possible, elle plaça son pied gauche contre son pied droit pour le décaler légèrement. Sa main droite vint s’appuyer sur son épaule alors qu’elle armait son genou avant de lui décocher un coup vicieux dans l’aine. Bloqué contre le mur il n’eut même pas le réconfort de se couvrir. La mage l’accompagna au sol pour qu’il ne s’effondre pas et elle le regarda se recroqueviller alors qu’il haletait.

« Comment ? »

« J’en sais r… »

Il avait déjà du mal à articuler mais, une nouvelle fois, elle ne le laissa pas terminer. Lorsqu’il avait commencé sa phrase elle s’était accroupie et avait pris un poignard avec lequel elle déchira la manche de sa toge. De sa main libre elle attrapa le bout de toge et avec le pommeau du poignard elle fit pression sur son front pour lui tirer la tête en arrière, sa bouche s’ouvrit par réflexe et fut comblée par le tissu blanc. Elle déplaça légèrement sa botte à côté de sa tête, lâcha sa dague et avec sa main droite elle plaqua sa tête contre sa botte pour absorber l’hypothétique son qui arriverait à passer le bâillon puis de sa main gauche elle lui donna un coup bien senti dans le ventre, juste au-dessus de l’hématome déjà présent.

« Comment ? » Toujours accroupie elle retira le bâillon de la bouche de Myr’Hennis pour qu’il puisse répondre.

***

Pendant ce temps Vaervy était sortie des passages secrets, elle était arrivée dans une remise, à cette heure il n’y avait personne alors elle profita de cet instant de solitude pour réfléchir à un plan. Elle avait couru sans s’arrêter et n’avait pas pu le faire auparavant. Elle en trouva un simple mais qui, selon elle, pouvait marcher alors elle se défit de son ceinturon d’arme et le posa délicatement dans le passage secret avant de le refermer. Elle sortit à pas de loup et elle chercha un garde. La capitaine ne mit pas longtemps à en trouver, deux pour le prix d’un même. Elle s’approcha d’eux lentement, en levant les mains pour montrer qu’elle n’était pas une menace. Une fois que Vaervy eut leur attention elle leur expliqua succinctement qu’elle était une esclave au service du Feu d’Uriz et qu’elle avait un message important pour sa maîtresse. Les deux soldats dévisagèrent leur interlocutrice et l’un répondit qu’elle l’avait vu passé en désignant une vague direction, l’esclave d’un jour s’inclina profondément et s’en alla. Elle ne fit que quelques pas avant que le second garde l’interpelle, elle se retourna lentement et attendit docilement qu’ils approchent. Le second garde se planta devant elle tandis que le premier fit le tour, entrant dans un tunnel sinueux pour lui couper toute retraite.

« Montre-moi ta marque. »

La capitaine hocha la tête et commença à remonter sa manche tout en faisant un pas vers le second garde, un pas durant lequel elle inspira et bloqua sa respiration. Elle se mit de profil et banda son muscle comme pour montrer un tatouage sur son biceps. Puis tout arriva très vite. Avec son bras plié elle donna un coup de coupe dans le menton du soldat et dans le même mouvement de sa main gauche elle alla chercher l’épée qui pendait à sa ceinture. Une fois son coup porté elle tenait fermement la poignée de l’arme et elle laissa l’élan de sa victime déloger l’arme de son fourreau alors que le soldat tombait en arrière. Elle accéléra le mouvement d’une torsion du poignet et fit un tour complet sur elle-même pour trancher la gorge du premier garde. Lorsqu’elle avait presque terminé son tour elle lâcha l’épée pour la reprendre l’arme en vol avec sa main droite. Grâce à la vitesse et l’agilité qui lui avait permis de tuer Gorhur elle rattrapa le second garde par le bras grâce à sa main gauche avant qu’il ne touche le sol puis elle continua son mouvement et lui planta sa propre lame sous l’aisselle, l’épée passa entre les côtes pour percer les poumons et termina sa course dans le cœur. Le premier garde écrasa deux araignées trop curieuses en s’écroulant au sol mais ses congénères n’allaient pas laisser un tel affront impuni, très vite ses sœurs se lancèrent sur l’impudent avec la très ferme intention de se venger. Vaervy tourna la tête et, de surprise, laissa tomber sa dernière victime. Voyant l’application avec laquelle les araignées achevèrent le mourant, elle délogea l’épée du flanc du soldat puis elle l’essuya avant de jeter le cadavre aux araignées. Elle recula en voyant que de plus en plus de ces charmantes créatures se jetaient sur leur nouveau repas et elle s’en alla vers la direction que lui avait indiqué le premier cadavre.

Elle fut soulagée de voir que le peu de bruit qu’elle avait fait n’avait alerté personne mais en regardant un peu autour d’elle, visiblement les dernières habitations encore debout étaient abandonnées. N’ayant aucune idée d’où se trouvaient son patron elle avançait lentement, comme une ombre, les oreilles dressées, à la recherche de la moindre voix. Ils ne pouvaient pas être allé bien loin alors elle se fondit dans les ombres, attendant. Elle tentait de se rassurer en se disant que s’ils voulaient vraiment tuer Myr’Hennis ils ne l’auraient pas amené avec eux, ils auraient fait ça dans le bureau quand elle était sorti et ils seraient partis par le même passage secret. L’architecte avait donc un peu de temps devant lui. Elle lui donnait une heure ou deux avant qu’il ne craque. Le temps jouait donc contre elle, contre elle et lui. Mais elle ne voulait pas faire d’erreur tragique pour autant, elle tenta de calmer son cœur qui battait la chamade mais un bruit de pas pressé lui fit lever la tête. Elle resta immobile, attendant que l’étranger passe. Elle ne mit qu’un battement de cœur à le reconnaître, c’était celui qui avait accompagné Krish, les dieux l’avaient mis sur la bonne voie. Son épée toujours en main, elle regarda la silhouette engoncée dans une armure lourde s'éloigner. Elle luttait contre son envie impérieuse de tuer ceux qui s'en étaient pris à Myr'Hennis, d'autant plus que c'étaient des traîtres et qu'ils ne méritaient aucune pitié. La capitaine se força a décrisper ses doigts qui enserraient l'arme, elle n'avait aucune chance de le tuer proprement ou au moins discrètement et si elle faisait du bruit... elle ne préférait pas y penser. Pourtant la tentation était grande, elle aurait peut-être pu le battre, même sans sa hache ; il y avait bien une ou deux failles à exploiter dans son armure mais elle était bien faite: aucune ne permettait un coup réellement handicapant et encore moins mortel. De toute façon maintenant c'était trop tard, il s'était éloigné et si Vaervy bougeait maintenant elle allait perdre l'effet de surprise alors elle attendit quelques secondes pour se glisser hors des ombres, il n'y avait pas trente-six solutions, elle reprit en sens inverse le chemin qu'il avait prit. Au loin elle vit quelqu’un rentrer et fermer la porte. Ils étaient encore là.

Le repos n'est pas à la portée de tous...

Tout commence par un rire. Moqueur. Lointain. Familier. Un rire de défi dont je ne me souviens pas l'origine.

Puis une lumière dorée et brulante. La lumière du soleil d'été lorsqu'il luit au zénith, dans le désert. Qui transperce la peau pour réchauffer le corps, l'esprit et jusqu'à la Braise Vie. Une puissance infinie, bien trop grande pour être contenue dans un être de cher, qui finit par lui ôter toute substance. Le réduit en cendre.

Mais moi, je m'y complais. Ma peau se désagrège et mes os s'effritent, mais je résiste. Cette puissance qui me gave et emplit mon être aux limite de la rupture, je l'accueille avec joie, fierté et crainte. Ma liberté est toujours intacte. C'est elle qui me mène à chercher ce contact propre à écourter ma vie. Je m'approche de cette silhouette dont l'apparence échappe à l'entendement. J'y ai perdu mes yeux plus d'une fois et pourtant je recommence encore aujourd'hui. Et comme à chaque fois je scrute des champs de batailles qui ne sont plus, des maîtres d'armes oubliés, et j'ai au cœur la vaillance d'un millier de porte-flammes. Je me bats. Je me défends. Je survis comme je peux, attaquée de toute part.

Bercée par un uniquement rugissement de rage absolu, poussé par des milliers de gorges en des milliers d'époques, je combats avec chacun d'eux. Je donne et reçoit les coups d'un millier de batailles. Leurs voix m'écartèlent et me galvanisent. Je lève un millier d'armes...

... Et deux puissants bras me tirent brusquement en arrière.

Plus de douleur. Plus de puissance. Mais le vide et le froid sont absents. Ce n'est pas une arme que j'ai entre les doigts, mais mon marteau de forge. Le souffle chaud des fourneaux caresse mon corps nu, ramenant les souvenirs de mes plus beaux chef d’œuvre. Des jours et des nuits à frapper, à tordre, à fondre, à plier, à chauffer et à refroidir. Les étincelles qui meurent en marquant mon corps de ces traces blanchâtres qui n'existent plus depuis qu'Il m'a choisi. Elles n'existent plus... Mais je les ai sous les yeux, pourtant. Moins musclée, plus marquée. Moi. Et toujours ces bras qui enlacent ma taille. Ce torse longiligne pressé contre mon dos. Cette nudité contre la mienne qui me rappelle à ce que je suis.

Coupée en deux.

Durant un instant, une douleur indicible m'assaille, mais je ne sais déjà plus pourquoi.

Je suis là où je dois être. L'homme qui me serre et m'enlace projette son ombre sur l'enclume devant moi. Mes mains dépourvues de griffes trouvent ses coudes, suivent ses muscles fins, jusqu'à ses mains déformées par un travail qui est si loin de celui des armes. Doucement, je serre mes doigts autours des siens. Il m'enlace plus étroitement. Je me sens coincée, entravée... Et pourtant, pour la première fois de ma vie, je n'ai pas peur. Je veux simplement qu'il continue. Et j'en veux plus.

L'odeur de sa peau crée un cocon infranchissable dans lequel il n'y a plus que lui et moi. Nous ? Oui. Nous. Il n'y a plus de retenue. Plus de méfiance. Plus de barrière. Ses mains d'artiste me tournent vers lui. Pourquoi résister ?  Sa haute taille, presque écrasante, se courbe pour venir nicher ses lèvres fines sur les miennes. Je connais si bien ce visage noble aux traits gravés dans un marbre cendré que même en dormant, je le vois dans ses moindres détails. Je devine ses expressions les plus infimes.

C'est si bon de lâcher prise.

Contre lui, je frissonne, je frémis, je gémis, je m'abandonne. Il peut tout exigé. Tout. Tout lui est déjà acquis. Nos flammes brûlent à l'unisson. Ses yeux ne désirent rien de plus que les miens. Sa peau ne rougit que pour moi. Ses doutes, ses peines, ses douleurs. Mes douleurs, mes peines, mes doutes. Une seule conscience. Un seul corps. Un plaisir qui n'est rien comparé à l'absolu bonheur de le savoir en vie, entre mes bras. De partager son souffle et le gout de sa peau. La complicité de ses regards. Mon extase n'est rien par rapport à la notre... Et ma terreur est insurmontable lorsqu'une main aux griffes d'or lui arrache le cœur de la poitrine.  


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Krish se redressa en sursaut, un bref cri de terreur aiguë déraillant dans sa gorge. Haletante, la bouche grande ouverte pour chercher de l'air, mais la gorge trop tendu pour émettre le moindre son, les lieux lui restent inconnus. Les circonstances mettent d'interminables instants à lui revenir... Et même alors, elle se recroqueville un instant, remontant un genoux contre sa poitrine, la tête entre les mains.

Elle n'a pas mal. Elle n'a pas peur. Elle a peur. Elle préfèrerait avoir mal plutôt que de subir cette incompréhensible sensation de dissociation. Entre les draps froissés du lit étroit, une jambe pendant à demi sur le sol, elle prend plusieurs inspirations profondes avant de s'obliger à se lever.

Dédaignant son armure, elle s'envoie une rasade d'eau sur le visage. Un peu mieux. Un peu. Sa main lui fait mal. Elle se dirige vers sa ceinture pour la passer à nouveau. Il y a un nécessaire de soin dans sa sacoche, mais avant d'accomplir ce à quoi elle pensait, une autre idée chasse la première. Alors elle se dirige vers la porte. Ce battant de bois lourd, cette poignée sur laquelle se pose sa main nue. Elle n'est pas armée. Oui. Ses armes sont chez My... l'Architecte. Depuis combien de temps dort-elle ?

Ne pouvant savoir qu'à peine une poignée de minutes se sont écoulées, elle sort de la chambre, pieds nus, cheveux en bataille. Tiens... Sa main lui fait mal. Mais il faut qu'elle trouve Ferya pour savoir combien de temps...

Elle tend la jambe, prête à poser le pied sur la première marche descendante, lorsqu'elle remarque la porte déverrouillée. Un coup dans l'estomac. En quelques enjambées, elle est près de la porte. Sans hésitation, elle l'ouvre à la volée... Ferya. Assise sur ses talon au dessus du grand architecte... muselé. Torse nu.

- Qu'est-ce qu... "

Torturé.

Le masque de Ferya se tourne vers elle. Un reflet d'argent dans la lumière bleutée de la pièce. Ses yeux ne sont pas visibles, gommés par l'ombre de son capuchon. Elle tient son couteau. Il serait facile d'approcher et de la désarmer... Mais Krish n'y pense même pas.

Le visage déformé par la rage, elle n’émit pas un son en se jetant sur sa sœur d'arme. Décontenancée, Ferya lève ses armes pour arrêter la Triumvir qui ne ralentit pas un instant. Prenant appui sur les épaules de l'imposante mage de guerre qui n'a qu'un vague réflexe conditionné pour la frapper, elle enroule ses jambes autour de son cou en un mouvement de balancier et la projette au sol. La table craque sous l'impact. La guerrière se redresse maladroitement, protégée par son armure, que déjà la furie désarmée est à califourchon sur elle pour lui arracher son masque d'un coup sec et la frapper au visage. Sa main agile se glisse sous le gorgerin pour presser sa jugulaire tandis que la mage se débat.

Le métal limait le dos de sa paume, le sang perlait. Mais une poignée de secondes suffirent pour que la guerrier repose, inerte. Essoufflée, Krish se redressa, renvoyant ses cheveux dans son dos d'une main tremblante d'adrénaline. Lorsqu'elle se leva, sa respiration eut un raté sous un léger pic de douleur. Tiens... Ferya avait réussi à la toucher au côté. Rien de grave. Seulement de la chair et du sang. Elle se tourna plutôt vers Myr'Hennis, se laissant tomber à genoux près de lui pour le libérer du bâillon. Une peur viscérale faisait briller ses yeux d'habitude si prompts à se jouer de tous ceux qu'elle rencontrait.

- Myr'Hennis... " souffla-t-elle en un murmure qui hésitait entre peur et soulagement.

Elle accrocha son regard, encore tendu, crispé sur une conscience qui aurait du lui échappé. Ferya avait soigneusement éviter de le frapper au visage pour qu'il soit toujours en était de parler. La Salope.

Pour ne pas le brusquer, Krish avança sa main vers la sienne, doucement.

- Je t'en prie, laisse moi voir... Je ne te ferai aucun mal. Je le jure devant Uriz. "

S'il la laissait faire ou s'il ne réagissait pas, elle l'aiderait à s'étendre doucement sur le dos. Cela ne faisait pas dix minutes que l'homme subissait les assauts de Ferya, mais comment aurait-elle su que cela faisait si peu de temps alors que le corps qu'elle avait sous les yeux marquait si facilement ? Cela faisait quoi ? une demi-heure que Jallyss l'avait poussé à terre et la contusion avait déjà pris une allure peu engageante. Il devait vraiment s'être cassé quelque chose. Pour le reste s'était plus indistinct. Et cela la laissait à la fois terrifiée et folle de rage... Mais envers qui ?

Myr’Hennis n’était pas un guerrier, il n’avait pas l’habitude de prendre des coups et ça se voyait : il marquait facilement et il marquait vite, le coup de Jallys avait formé un hématome bleu violacé qui lui couvrait maintenant tout le flanc droit ; le repenti ne l’avait pas loupé et, engoncé dans son armure lourde, il avait sûrement brisé quelques chose. Il n’avait pas non plus l’habitude de se défendre et pour cause il n’avait que ses réflexes pour tenter de limiter les dégâts, aucune technique. Alors, déjà affaibli, il n’arrivait même plus à se défendre des coups de Ferya. Des coups certes qui étaient moins puissants, faits pour faire mal plus que pour blesser mais c’étaient tout de même des coups qui ajoutaient davantage de marques sur son corps meurtri. Des coups faits pour faire mal jusqu’à ce qu’elle frappe dans les côtes du prisonnier. Des échardes d’os brisés se mirent à bouger dans son corps, s’approchant dangereusement de ses poumons, menaçant de percer ce que ses côtes étaient censés protéger. Pourtant, avec une voix rauque, il continuait tant qu’il pouvait de provoquer son bourreau. Des provocations qui restèrent lettre morte mais ça ne l’empêchait pas d’essayer.

Le Monstre avançait aussi vite qu’il le pouvait, se reposant sur sa patte avant droite car la gauche était cassée, il était tombé pendant ce qui lui sembla être une éternité jusqu’à s’écraser au sol. Il montait toujours pourtant, il montait dans un palais dont les murs commençaient à se fissurer. Il passa par les murs qu’il avait défoncé pour aller le plus vite mais déjà elle réagençait le palais pour le ralentir et elle ouvrait des portes que le Monstre voulait garder fermées mais il n’avait pas le temps de s’en occuper. Elle pouvait bien ravager le palais, il devait l’arrêter avant de pouvoir s’occuper de faire le ménage et des réparations. Il devait l’arrêter avant qu’il ne soit trop tard car la Raison était naïve : le Monstre savait que Ferya n’allait pas tuer Myr’Hennis. Il devait l’arrêter avant que la Raison ne s’en rendre compte et qu’elle fasse avouer l’architecte pour s’assurer qu’il soit tué. Il n’avait pas le temps d’être à nouveau discret, c’était bien trop dangereux, il ne pouvait pas se permettre de perdre davantage de temps.

Quant à Myr’Hennis, prostré au sol, il avait arrêté de parler de sa voix rauque fut remplacée par une respiration sifflante, il ne bougeait plus, la douleur le tétanisait. Son dos déjà fragile avait aussi reçu des coups, Ferya n’avait plus la patience de le tourner ou le relever à chaque fois qu’elle posait inlassablement la même question. Il était sur le côté et après une éternité il entendait la voix de la repentie comme s’il était sous l’eau, il avait arrêté de parler, de toute façon il n’arrivait plus à articuler, il n’arrivait plus qu’à produire des borborygmes difficilement compréhensibles. Alors lorsque la porte s’ouvrit il ne l’entendit pas. Les bruits de combat n’attirèrent pas son attention, ils étaient bien trop lointains et puis ses sens étaient tout entiers concentrés sur la douleur omniprésente. Il ne faisait pas non plus attention au sang qui lui coulait de la bouche et du nez pour se faire absorber par ses fins cheveux d’argent.

Le Monstre était tout près de la grande bibliothèque au sommet du palais, il en voyait la titanesque double-porte grande ouverte, la statue qu’il avait détruite avait rétrécit, elle avait changé : l’architecte avait un genou à terre, le poing gauche au sol, le poing droit placé sur son cœur et la tête baissée. Il entendit encore le grattement d’une plume sur du parchemin et fonça, reprenant son appui sur sa patte cassée. Il souffrait mais ce n’était pas bien grave, il pouvait souffrir un peu si c’était pour rester en vie. Cette fois il ne fit pas la même erreur, son objectif n’était plus de passer à travers la statue pour l’attraper mais bien de pousser la statue pour broyer la Raison. Il s’écrasa contre le socle et avec ses appendices dorsaux il fit tomber la grande statue.

En entendant la voix de Krish, Myr’Hennis se recroquevilla encore plus sur lui-même, son regard était à moitié vide lorsqu’il leva difficilement la tête en entendant son prénom. La phrase de la triumvir n’était pas du goût de l’architecte mais même si ce dernier avait voulu résister il ne pouvait plus, il avait déjà tant de mal à respirer. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose maintenant qu’il était allongé sur le dos mais il ne fit que cracher du sang ; en tout cas il essaya mais il n’en avait plus la force, sur le dos le sang resta au fond de sa bouche, l’empêchant de respirer, il commença à suffoquer.

Le Monstre chercha sa proie dans les décombres de la statue, il retournait les blocs de pierre de ses coups de patte gigantesques puis enfin il la vit : elle était allongée sous un roc qui faisait la moitié de sa taille, il avança lentement, se méfiant de ce qu’elle pouvait faire mais elle ne bougeait plus alors il l’écrasa d’un coup puissant, rageur, broyant la pierre et la chair sous sa patte musclée. Toujours avec difficulté il se retourna pour reprendre enfin ce qui lui revenait de droit : le contrôle du Grand Architecte.

Vaervy avançait lentement vers les baraquements, prête à punir une araignée trop aventureuse, elle restait sur ses gardes et se retournait régulièrement pour voir si l’une de ces charmantes créatures n’essayaient pas de la prendre en traître. Lorsqu’elle arriva enfin devant la porte elle la poussa avec précaution. La capitaine se mordit la lèvre inférieure en entendant les gonds grincer elle se figea, ses oreilles se dressèrent à l’affut du moindre bruit ; elle cherchait des bruits de pas, une lame qu’on sort de son fourreau, le mécanisme d’une arbalète que l’on charge, quoi que ce soit qui puisse indiquer qu’elle fut repérée mais rien ne se passa. Alors elle entra. Elle tenait fermement son arme, une épée trop longue pour être utile dans cet endroit exigu, elle posa la pointe contre le sol et elle accompagna délicatement le pommeau contre le mur et après s’être assurée que l’épée allait tenir en équilibre elle la lâcha. C’était bien mieux ainsi, elle était une bonne combattante armée mais elle excellait à main nue, les passages étroits aussi jouaient pour elle : Vaervy ne savait pas combien il y avait de personnes, Krish pouvait très bien être seule mais d’autres repentis pouvaient les avoir attendus ici. L’étroitesse des couloirs réduiraient voire annuleraient l’avantage numérique. Après s’être assurée qu’il n’y avait personne au rez-de-chaussée elle lança un regard aux escaliers. La capitaine alla chercher l’épée qu’elle avait volé, si jamais elle était attaquée dans les escaliers sans arme elle était morte. Elle avait de la chance que celui-ci ne tourne pas pour gêner les combattants qui montaient. Ce n’est pas un bâtiment fait pour être défendu, ce n’est pas non plus une base d’opération, c’est trop excentré… Vaervy sourit en terminant son raisonnement. Ils ne veulent pas être trouvés, ils sont une poignée tout au plus. A pas de loup elle monta les escaliers jusqu’à arriver au sommet. Deux portes étaient ouvertes mais c’était la seconde qui attira son attention. Elle vit Myr’Hennis sur le côté, elle le vit contusionné, elle le vit ensanglanté et le sang de celui qu’elle avait juré de protéger vint lui voiler les yeux alors que la colère prenait le pas sur sa raison.

Lorsqu’Ashal avait vu le garde et surtout la marque qu’il portait au cou il sut rapidement que quelque chose n’allait pas et il ne mit pas longtemps à faire le lien entre le signal et la présence de Krish dans la villa. Il congédia le garde et se mit à aboyer des ordres. Ce furent les deux éclaireurs, Shak’ty et Zep’nyr, qui répondirent les premiers à l’appel, les jumeaux étaient toujours prêts, on les surnommait les insomniaques parce que personne ne les voyait jamais dormir. Le lieutenant les envoya tout de suite au bureau de Myr’Hennis, ils avaient pour ordre de suivre Vaervy sans attendre qui que ce soit ils partirent au pas de course alors qu’Ashal se retournait vers les soldats qui commençaient à affluer. En quelques minutes il avait les survivants de l’attaque sur le monastère au grand complet, enfin presque, il en manquait trois. Ils s’équipèrent tous comme s’ils étaient de retour dans le Premier Ost. Ashal et sa troupe s'engouffra à son tour dans le passage secret.

Lorsque les deux éclaireurs arrivèrent dans le bureau ils ne mirent pas longtemps à voir la table renversée et surtout le passage secret toujours grand ouvert. Ils s’engouffrèrent à l’intérieur et suivirent les traces de peintures rouges que Vaervy avait laissé derrière elle à chaque intersection. Ils arrivèrent rapidement, bien plus vite que leur capitaine vu qu’ils ne s’étaient pas arrêté et qu’ils n’étaient pas retournés à la surface, devant le mur de la remise. Ils ne prirent pas le temps de s’interroger sur le ceinturon d’arme devant. Shak’ty banda son arc en se tenant à un mètre du mur tandis que son frère activait le mécanisme. Zep’nyr sortit en se rangeant directement sur le côté droit tandis que son jumeau sortait du passage en visant de son arc court le côté gauche. Baissant leurs armes de concert ils sortirent de la remise. Ils arrivèrent rapidement là où Vaervy avait tué les deux gardes mais ils n’étaient pas les seuls, un éleveur s’était déplacé en voyant que les araignées se concentraient autour de cette zone. Le drow approcha lentement des araignées et en reconnaissant deux cadavres sous les arachnides il recula d’un pas terrifié avant de se prendre une flèche à l’arrière de la tête qui le fit rejoindre les deux gardes défunts. Zep’nyr avait préparé une dague de lancer au cas-où il y avait un autre curieux qui se promenait dans les parages mais ils étaient seuls. Ils se dépêchèrent de chercher d’autres traces de peinture et ils en trouvèrent sur un bâtiment abandonné mais la piste s’arrêtait là ; jusqu’à ce qu’ils repèrent une trace de pied rouge un peu plus loin sur la pierre. Ils se regardèrent et tous deux sentirent leurs cœurs se serrer.  C’est ce qui faisaient d’eux de si bons éclaireurs, une si bonne équipe, ils n’avaient même pas besoin de communiquer via des signes, ils se comprenaient d’un simple regard : Vaervy avait abandonné toute discrétion et donc toute sécurité pour s’assurer qu’elle soit bien suivie.

Les mains sur la bride, les messages glissés contre sa peau sous son plastron, Jallyss poussait le cheval qu'on lui avait remis au delà de toute limite acceptable. La fureur au ventre et la Vengeance au cœur, il priait Meingal et Uriz pour arriver plus vite. La bête pouvait bien crever, il n'en avait rien à foutre. Les quelques kilomètres qui les séparaient de la ville et qu'ils avaient mis une bonne heure à couvrir à pied seraient couverts en moins de dix minutes ou il démantèlerait lui-même la maison de cet architecte pierre par pierre !

Il ne ralentit pas en obliquant vers le palais par les grandes artères. Son visage masqué d'argent suffit à ce que les gardes de la Chambre Magmatique ne le tirent pas à vue. Sur les deux qui tentèrent de l'arrêter pour vérifier son identité, l'un roula dans les escaliers, percutés par un sabot, l'autre s'écarta juste à temps en plongeant sur le côté.

Devant l'Etat Major, la pauvre monture couverte d'écume tremblait sur ses jambes. Il sauta à terre sans se soucier d'elle et courut à l'intérieur pour trouver messagers et destinataires. Dans le quart d'heure qui suivait - malgré quelques coups de poings donnés et reçus - les triumvirs étaient tous au courant de l'enlèvement de Myr'Hennis et de son emplacement et le Barra, tiré du lit et de trois ravissantes compagnies, avait reçu ses ordres. Pendant ce temps, Jallyss avait fait un saut au Haut-Temple d'Uriz pour transmettre la commission que le petit prêtre s'empressa d'aller porter à son supérieur. Puis il repris la même bête, restée devant, pour remonter jusqu'au domaine des lanternes bleues... Malheureusement elle s'effondra à peine arrivée dans les Profondeurs. A la première occasion, il trouva un cheval de remplacement et finit le trajet. Leur chère tour de guet était bien réveillée et mis en branle tout ce qu'il avait sous la main pour rapatrier leurs frères d'arme. Dans la grande salle de la demeure de Krish, Jallyss faisait les cent pas, crevant d'impatience en attendant l'arrivée d'au moins un autre Repentis. Ils avaient promis de ne pas se déplacer seul à moins que ce ne soit inévitable.

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Ses doigts quittant ceux de l'Architecte, Krish l'avait lentement fait basculer sur le dos pour pouvoir stabiliser sa cage thoracique... Mais la respiration sifflante s'acheva dans un gargouillis douloureux. Avant même de l'avoir tout à fait relâcher, elle le fit de nouveau basculer sur le côté droit pour que son cœur soit soulagé et que l’hématome ne compresse pas les poumons. De son second bras, elle tentait de conserver au maximum l'alignement de son long dos et rassembla les morceaux éparts de sa toge pour les masser sous sa tête, que le sang puisse s'écouler librement sans que ça ne tire sur sa nuque pour autant. A voix basse, elle prononçait son nom, lui expliquant ce qu'elle faisait pour maintenir son attention et s'aider elle-même à ignorer ses borborygmes. Ses mouvements étaient précis et calmes... Contrôlés plutôt. Ses mâchoires serrées tendaient son visage neutre, renfermant derrière ses dents la totalité des émotions qui se débattaient à cette vue.

Cette vue insupportable.

Avec d'infinies précautions, elle repoussa les cheveux d'argent du jeune homme derrière son oreille régulière pour dégager son visage. Il fallait qu'elle aille chercher quelqu'un... Il avait besoin d'un guérisseur. Il en avait besoin maintenant. Mais elle ne pouvait pas partir et le laisser seulement comme ça. Ce torse perclus de coups la révulsait. Il était encore conscient... Vaguement. Ses yeux fixes ne se posaient sur rien en particulier.

- Tu m'entends ? Myr'Hennis, tu m'entends ? " répéta-t-elle, toujours courbé sur lui, la main frôlant doucement ses doigts à peu près intacts " Il faut que tu restes conscient. Serre ma main... Bats-toi.

Il était en état de choc. Que ce soit la fatigue, la peur ou la douleur, il ne tarderait pas à trembler. D'un bon, avec le même pragmatisme que plus tôt, elle s'élança vers le lit à deux pas, attrapa la couverture en soie d'araignée et revint s'accroupir près de lui. D'un large mouvement, elle étendit le tissus sur l'Architecte, inconsciente des yeux qui venaient de tomber sur la silhouette recroquevillée.

Un cliquetis de métal sur la dernière marche de pierre fit pivoter l'eldéenne, toujours à moitié assise sur ses talons.

- Il a besoin d'un guérisseur ! Maintenant ! "

Elle ne prit pas le temps de voir de qui il s'agissait. Soit c'étaient ses hommes et elle leur ordonnait. Soit c'étaient ceux de Myr et ils étaient là pour lui. Dans les deux cas, l'urgence s'entendait dans sa voix... Plus qu'elle ne l'aurait voulu sans doute. Elle ne jeta qu'un coup d’œil par dessus son épaule pour pouvoir réagir à une attaque stupide, mais sa main était toujours sur le bras du jeune homme. Son cœur était encore à peu près régulier mais ses battements puissants remontaient jusque dans les os de sa mâchoire comprimée.

Si quelque chose la mettait en péril, elle ou le fragile équilibre qui régnait dans cette salle, elle n'hésiterait pas. Il n'y aurait pas de combat, car c'était toute sa force qu'elle mettrait dès le premier coup. La force avec laquelle elle avait encastré sans effort une lame de plusieurs dizaines de centimètres dans le sol granitique de la Place des Neuf.

Y’a quelqu’un à côté de moi ? J’espère que oui, je ne veux pas être seul. Ça fait déjà cinq siècles que je le suis. Est-ce que ça vaut le coup d’y penser ? Non, c’est du passé. Ça serait bien que Na’ri vienne s’occuper de mon dos. Ça serait bien que Na’ri vi… non, elle doit être occupée. Elle doit dormir. J’irai la voir demain. Oui, demain. Et après j’irai voir si Shyn’tae va bien. Si Plynnil va bien. Si Krish va bien. En attendant si je pouvais avoir une couverture ça serait bien. Encore que… autant en profiter, pour une fois qu’il fait froid.

A quoi est-ce que je pensais ? Ah, oui, Uriz. Non, pas Uriz. Son temple. Non, pas son temple. Son Feu. J’ai quelque chose à lui dire. Un fardeau dont je dois me soulager. Elle est devant moi. Il faut que je lui dise maintenant. Sinon je vais oublier.

Les étoiles sont belles ce soir. Elles brillent. Je ne les avais jamais remarqués. Il y en a plein. Combien ? Une… deux. Deux. Deux étoiles rouges. Deux étoiles rouges qui parlent. Pour dire quoi ? Comment pourrai-je les comprendre ? Elles parlent l’étoile et pas moi. C’est une belle langue. C’est dommage qu’elles soient si loin. J’aurai aimé les comprendre. Elles s’éloignent, pourquoi ? Non ! Qu’est-ce que j’ai fait ? Revenez !

Elles sont bien vite revenues, tant mieux. Elles brillent beaucoup moins. Elles se rallumeront. A mon réveil. J’espère.

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L’ordre de Krish fit sursauter Vaervy et dans son sursaut la brume rouge se dissipa ; elle avait raison, ça l’écorchait de le reconnaître mais elle avait raison : il avait besoin d’un guérisseur. La capitaine descendit les escaliers quatre à quatre comme si sa vie en dépendait et une fois arrivé en bas elle se précipita comme une furie dehors. Elle fut accueillie à la sortie par l’arc bandé de Shak’ty qui le baissa en la reconnaissant. Sur sa droite Zep’nyr avait un poignard dans la main, prêt à frapper. Elle lui attrapa le bras de sa main droite et d’une torsion du poignet elle le força à lâcher son arme puis de sa main gauche elle lui attrapa le col et elle le tira vers lui.

« Allez chercher Na’ri, maintenant ! » Zep’nyr ne répondit rien, c’est son frère qui prit la parole en voyant que la capitaine avait attrapé le cou de l’éclaireur et commençait à doucement le tordre en ignorant royalement ses gémissements plaintifs.

« On sait pas où elle est… » Vaervy se retourna vers lui avec les éclairs de Zhak’Bar dans les yeux.

« Est-ce que t’as l’impression que j’en ai quelque chose à foutre !? Retournez le Puy s’il le faut mais vous allez la retrouver ! »

Elle lâcha Zep’nyr et les deux éclaireurs partirent en courant de leurs longues enjambées et pendant ce temps leur capitaine retourna dans le baraquement, elle avait juré devant Uriz qu’elle mourait avant l’architecte et elle comptait bien honorer son serment. Elle remonta les escaliers aussi vite qu’elle les avait descendus. En entrant dans la pièce elle ne fit même pas attention à la table détruite ni au cadavre de Ferya, elle s’approcha au pas de course de Myr’Hennis puis elle se tourna vers Krish et dans un grognement elle lui dit de se pousser. Elle lui ordonna de se pousser. La différence de rang n’avait plus court dans cette pièce, elle avait juré devant Uriz et à moins que la divinité se décide à descendre sur Miradelphia pour lui dire d’arrêter, seule la mort l’en empêcherait. Elle était prête à se battre et même si l’envie de frapper la démangeait ce fut avec soulagement qu’elle regarda la drow en face d’elle se pousser. La capitaine s’agenouilla auprès du blessé et avec des gestes experts nés d’une expérience douloureuse du champ de bataille elle ausculta l’architecte en se mordant la lèvre de plus en plus fort à chaque nouvelle blessure découverte. Jusqu’à ce qu’elle prenne son pouls. Son cœur battait si faiblement qu’elle ne l’avait pas senti tout de suite et celui de Vaervy rata un battement. Elle luta contre l’envie impérieuse de lui faire un massage cardiaque, ça ne pouvait qu’empirer la situation. Le goût du sang sur sa langue la fit se retourner vers Krish, elle se leva et mobilisa toute sa volonté pour ne pas lui sauter dessus.

« Ne reste pas plantée là ! Va chercher un prêtre ! » Il devait bien en avoir un dans l’élevage, ne serait-ce que pour les gardes et les travailleurs libres comme les éleveurs.

Elle était tendue, tous ses mouvement suintaient l’agressivité mais elle avait besoin de Krish, Myr’Hennis ne pouvait pas rester seul, pas maintenant et Vaervy n’allait pas laisser la triumvir s’approcher de lui, c’était hors de question, pas tant que la capitaine était encore en vie.

Lorsque Vaervy tourna les talons pour dévaler l'escalier, Krish souffla doucement et s'agenouilla réellement au côté de l'Architecte. Ses yeux avaient finis par se fermer et ses paupières closes serraient la gorge de la Triumvir. En un geste pudique, furtif même, elle caressait très légèrement le bras du grand homme a travers la couverture. Sans lâcher ce visage blême des yeux, l'esprit de la noire elfe s'enfuit un bref instant.

Ferya... Elle avait attaqué Ferya... Et Ferya l'avait torturé lui. Les dieux seuls savaient pendant combien de temps. L'inconscience était une punition bien trop douce. Elle se réveillerait d'ici quelques heures avec une nausée et un mal de crâne qui mettrait KO même le plus fervent des prêtres de Kiel, mais il y avait plus urgent... Et c'était triste à dire mais si les hommes de Myr pouvaient la croire morte c'était aussi bien.

Une vague toux focalisa à nouveau son attention sur le Grand Architecte tandis que Vearvy réapparaissait... Et lui demandait de se pousser. Lâchant à regret la main de Myr'Hennis, prête à frapper plus vite qu'un serpent, Krish se leva pour faire deux pas du côté de Ferya en signe de bonne volonté. Après tout, c'est elle qui l'avait amené ici. Que sa garde ne crois pas à sa bienveillance n'avait rien d'étonnant.

Les quelques instant qu'avaient mis la capitaine à faire aller-retour jusqu'à la porte avait donné l'occasion à la Triumvir de se reprendre un peu. Elle réfléchirait plus tard. Pour l'instant, elle se tiendrait à des priorités simples. Et lorsque la voix angoissée de Vaervy s'éleva à nouveau, ce fut avec lui plus grand calme et le plus grand sérieux que Krish soutint son regard.

- Vas-y toi-même. Je reste près de lui. " C'était l'évidence même et elle ne bougerait pas. Même si Myr'Hennis semblait lui faire confiance, elle-même ne la connaissait pas et il lui en faudrait bien plus pour quitter cette pièce en laissant l'Architecte à ce point affaiblit, d'autant qu'elle n'imaginait pas un refus comme une possibilité. " Inutile de refuser. Il m'a dit que tu avais juré de le maintenir en vie devant Uriz, et le temps presse. "

Elle était désarmée, pied nus et ne portait pas la moindre armure. Sa posture souple criait toute la simplicité de sa décision. Son regard sanglant se fit plus impérieux. Les pépites d'or qu'y avait placé Sa présence luirent étrangement dans la lumière bleuté. " Deux mais pas Trois. "

L'ancienne Streea soutint le regard de Krish une poignée de seconde, les poings serrés à s'en faire blanchir les phalanges. Mais elle n'avait pas le loisir d'hésiter plus longtemps. Elle se leva d'un bond et quitta la pièce en jurant que c'était la dernière fois que la Triumvir pouvait approcher Myr'Hennis. Sans doute faudrait-il traiter ce problème. Plus tard.

A peine la cavalcade de la guerrière avait-elle atteint le bas des escaliers que Krish sortait en coup de vent de la petite pièce pour aller récupérer l'eau et les couverture de sa chambre, ainsi que sa cape. De retour, elle griffonna rapidement quelques mots sur un morceau de feuille de son carnet et le glissa sous le plastron de Ferya : " Je découvrirai la vérité, mais il n'est pas question de perdre un allier. " Un demi mensonge, mais elle l'assumerait s'il le fallait. Il fallait seulement une minuscule chance qu'ils comprennent qu'elle ne les avait pas trahit, mais qu'elle ne pouvait se trahir non plus. De leur point de vue, sa position de Triumvir le justifierait en grande partie... du moins elle l'espérait, et de toute façon, elle n'avait pas de meilleur idées.

Elle revint donc s'agenouiller près de l'Architecte. Les secondes s'égrainaient une à une. Lentement. Sans se presser. Le silence et l'absence de lumière extérieure rallongeait la chute de chaque grain de sable. Sa main était glaciale à présent, mais il respirait toujours faiblement.

- Bon sang... Tu as intérêt à survivre, imbécile. " gronda-t-elle en étendant la seconde couverture ainsi que sa propre cape sur le blessé. " Accroche-toi. " murmurait-elle sans cesse en plus de son prénom.

L'attente la rendait folle, mais elle ne voulait pas se trouver ailleurs. A genoux, courbée comme si elle avait été devant la plus imposante des idoles, elle avait glisser ses deux mains autour des doigts aux ongles bleuis de Myr'Hennis. Priant Kiran à voix basse, c'était pourtant une toute autre présence qu'elle cherchait en elle. Un pouvoir qu'elle savait capable de capturer une Flamme et de la garder entre ses griffes. Comme la Xaran. Comme Velkyn. Elle connaissait le prix a payer, mais aujourd'hui, elle n'en avait cure. Elle le paierait. Il fallait seulement qu'elle arrive à attiser cette force. Que voulait-Elle ? De la colère ? De la vengeance ? Du sang ? De l'affrontement ? Elle Lui avait donné tout cela les années passées et elle Lui en donnerait plus encore. Alors même si c'était pour ne raviver cette Flamme que pendant une poignée de secondes, le pousser à continuer la lutte un instant de plus... Mais rien ne vint. Rien ne répondit à l'ardent désir qu'elle avait et à la soif de vivre qui était encrée en elle. Rien de plus que le ronronnement sourd d'un brasier en sommeil.

Il n'y avait qu'elle ici.

La première comme la dixième fois. La frustration lui faisait mal aux dents. Son cœur battait plus vite.

Et bien cela suffirait !

Elle n'avait jamais eu besoin de Lui pour se sortir d'affaire. Elle s'en sortirait encore aujourd'hui.

Les psaumes à Kiran, Leetha et Kiel se firent plus fervents encore. Minutieusement, elle surveillait sa température et le flot de sang qui s'échappait de son corps. Le maintenir. Elle devait seulement le maintenir jusqu'à ce que les guérisseurs arrivent. Il y avait forcément un prêtre dans cette exploitation. La vie des esclaves était dispensable mais pas celle des gardes, et Viconia avait voulu s'acheter la loyauté de ses gens en employant ici une très grande majorité d'affranchis. Ils étaient même surement plusieurs, sûrement deux ou trois étant donné la taille de l'endroit. Les accidents et les blessures n'étaient pas rares. Elle respirait à longues goulées, se forçant à rester calme, contrôlant chacun de ses gestes. Elle devait seulement le maintenir.

Jusqu'à ce que des pas se fassent entendre dans l'escalier.

Vaervy avait besoin de Krish, elle avait besoin de celle qui avait mis Myr’Hennis dans cet état et ça la tuait de devoir le reconnaître. Il avait besoin d’un guérisseur et mais elle ne pouvait pas le laisser seul, pas avec la triumvir. Pourtant elle ne pouvait pas lui faire confiance pour aller chercher un prêtre ; que se passerait-il si elle décidait de tout simplement partir et d’attendre le peu de temps qui lui restait à vivre ? On est jamais aussi bien servit que par soi-même. En entendant, la capitaine maudissait la grande gueule de l’architecte, évidemment il en avait parlé et maintenant ça se retournait contre elle. Vaervy avait tout un tas de juron qui se bousculaient dans sa tête qu’elle aurait pu en abreuver l’eldéenne en face d’elle pendant une bonne minute mais le temps jouait contre elle et même si elle voulait se battre, s’il n’en restait qu’une Myr’Hennis allait mourir. Alors elle ravala difficilement sa fierté et sortit de la pièce non sans jurer que c’était la dernière fois que Krish se retrouvait avec l’architecte. Elle avait fait une erreur, elle le voyait clairement maintenant : elle aurait dû accepter la partie du plan que Myr’Hennis avait tenu à garder et au lieu de simplement délivrer la tête elle aurait dû s’introduire dans l’Etat-Major avec ses soldats pour tous les tuer jusqu’au dernier. Le Feu d’Uriz avec. Pour le moment elle avait plus important à faire, plus important à penser. Devant la porte elle se demanda où trouver un prêtre, il y en avait sûrement un dans le coin. Il devait y en avoir un.

Alors elle descendit les escaliers et une fois dehors elle entendit des cliquetis d’armure, plusieurs personnes lourdement armés approchaient. Ils étaient encore dans le virage qui permettait de monter jusqu’au baraquement alors elle retourna à l’intérieur, c’était le meilleur moyen de se débarrasser de plusieurs combattants. Elle ne pourrait pas tous les mettre hors de combat mais au moins elle essaierait de tuer le plus de repentis possible, elle essaierait de rajouter une tête ou deux à son tableau de chasse. Puis elle sortit doucement. Elle avait reconnu la voix d’Ashal qui donnait des ordres pour mettre ses soldats en position afin de prendre le bâtiment d’assaut. Une fois dehors elle prit rapidement le commandement des dix drows. Les meilleurs guerriers de la garde du Grand Architecte.

« Vous sept, vous devez trouver un prêtre, tuez tous ceux qui vous résistent s’il le faut, ne perdez du temps sous aucun prétexte. »

« Et si le prêtre ne veut pas coopérer ? » Le soldat qui avait la posé la question se trouvait juste devant elle, c’était lui qui avait l’armure la plus lourde, il portait dans ses deux mains une arbalète de siège dont le carreau disproportionné pourrait sans mal traverser n’importe quelle armure, même la sienne.

« Alors je vais lui faire redécouvrir Kiel. Exécution ! » Après un bref salut les sept guerriers désignés rebroussèrent chemin.

« On a croisé les jumeaux sur le chemin, quelle est la situation ? » Ashal s’était approché de son amante et il lui posa une main sur l’épaule. Une main dont elle se défit d’un geste nerveux.

« Myr’Hennis n’en a plus pour longtemps. Vous allez monter dans le baraquement et entrer dans la pièce en haut des escaliers, c’est là qu’il est. J’ai vu un repenti sortir en arrivant, je ne sais pas quand il va revenir ni s’il reviendra avec des renforts, tenez-vous prêts. » Ashal hocha la tête et commença à partir au pas de course avant d’être arrêté par Vaervy. « Une dernière chose. Krish est avec lui, si elle fait quoi que ce soit ou s’il meurt avant que le prêtre ne soit arrivé : tuez-la. Ou mourrez en essayant. »

Ashal ne prit pas le temps d’hocher la tête à nouveau. Vaervy lui lâcha le bras et partit rejoindre les sept soldats qui s’étaient déjà éloignés. L’ancien veldruk remonta donc les escaliers comme on le lui avait indiqué, Krish n’eut pas à attendre longtemps avant d’entendre des bruits de pas, malheureusement aucun d’eux n’était prêtre de Kiran. Aucun d’eux ne pouvaient faire quoi que ce soit pour Myr’Hennis. Mais ils n’étaient pas là pour l’architecte. Ils étaient là pour s’assurer que la triumvir ne tenterait pas de l’achever. Rentrant dans la pièce précipitamment il ne reconnut pas tout de suite l’architecte ; il ne l’avait jamais vu comme ça et son cerveau mit quelques secondes avant de mettre un nom sur ce visage ensanglanté. Mais les deux soldats qui l’accompagnaient n’avait pas regardé, pas encore, ils connaissaient leur rôle et en investissant la pièce ils se la partagèrent en deux, l’un vérifia à gauche et l’autre à droite. L’autre s’approcha de Ferya et posa un genou à terre à côté de la mage inconsciente, épée à la main il était prêt à la tuer au cas où c’était une ruse et de sa main libre il prit son pouls. Il se retourna vers Ashal et hocha positivement la tête, elle était vivante. Il se releva et resta juste devant la tête de la drow allongée et les deux soldats se tournèrent vers un Myr’Hennis allongé sur le côté. Le noir des yeux de l’ancien veldruk faisait ressortir ses deux pupilles rouges comme deux braises, deux braises vivement allumées.

« Qu’est-ce que vous lui avez fait ? »

Il avait voulu se faire menaçant, il voulait grogner la question mais il n’avait pas réussi. Son intonation laissait penser qu’il n’y croyait pas, qu'il était horrifié, il n’arrivait toujours pas à accepter que Myr’Hennis soit dans cet état. Pourquoi n’avaient-ils pas arrêté avant ? Pourquoi étaient-t-ils allé si loin ? Comptaient-ils s’arrêter avant que Vaervy n’arrive ? Tant de questions qui restaient coincées dans sa gorge mais ses grands yeux particulièrement expressifs ne se gênaient pas pour les poser.

- Pas la peine de me demander de me pousser ou de sortir. Je ne le laisserai pas.

Krish n'avait pas bougé en voyant les guerriers entrés sans la pièce. Leur capitaine avait cédé, ils ne l'attaqueraient donc pas frontalement alors qu'elle était si proche de leur maître. Mais il était hors de question qu'elle s'en éloigne une nouvelle fois. Velkyn. Halandarin. Vaerian. Tous étaient morts, trahis par ceux qui leur étaient le plus proche. Détruit par la confiance qu'ils avaient eu en d'autre. Alors dans un tel état de faiblesse, elle ne laisserait personne l'approcher mis à part Vaervy et les soigneurs.

Plongeant une fois de plus un linge dans le seau d'eau qu'elle avait ramené, elle tamponna doucement le visage de l'Architecte pour en chasser la sueur glaciale et le sang. Si ses connaissances en mécanique anatomique étaient poussées, l'art de soigner n'avait jamais été sa priorité et elle voyait très nettement ses limites. Trop nettement dans ce cas précis. D'autant plus que tout autre pouvoir se refusait toujours a elle, et qu'elle n'avait aucun problème à comprendre pourquoi. Sa puissance n'était pas faite pour sauver ceux qui le demandent. Il lui suffirait d'un bond pour abattre les trois combattants armés qui se tenaient dans cette petite pièce, mais elle était toujours aussi incapable de ralentir l'agonie de l'Architecte.

Dans son dos, l'un des nouveaux venus se glissa, arme au clair, vers Ferya. Avant qu'il ne se penche sur elle, la voix chaude de la Triumvir s'éleva à nouveau, tentant de se maîtriser avec un peu plus de mal.

- Elle est vivante. " Quelques secondes et des regards échangés. Il n'y eu rien de plus pour transmettre la validation de ce qu'elle venait de dire. " Désarmez là si vous voulez mais tuez là et ce sera un bain de sang. Elle a le crâne fissuré et la mâchoire brisée, elle ne posera pas de problème. Je m'occuperai de son cas plus tard. "

Et les secondes s'égrainaient toujours sans que rien ne vienne aider Myr'Hennis. Et la voix incertaine de ce sous-fifre qui lui faillit lui faire perdre le calme qu'elle se forçait à garder encore et encore. Elle inspira profondément. Serrant un peu plus la main de l'Architecte qui ne bougeait plus d'un cil, le linge humide retomba sur le côté du seau.  Elle se tourna à moitié vers le grand homme qui avait du mal à détourner les yeux du visage du blessé pour la regarder avec un mélange de dégoût, de peur et d'incompréhension. Il semblait réellement touché de voir l'artisan dans cet état... Si Myr'Hennis arrivait véritablement à s'attirer une telle sympathie de la part de vétérans, c'était un talent en tant que tel... Et ils étaient tous aussi incapables les uns que les autres avec leurs lames et leurs yeux ahuris.

- J'ai amené Myr'Hennis pour avoir le temps de lui parler sérieusement sans que personne ne nous écoute. Je voulais savoir s'il avait agit seul, de son propre chef ou sous la contrainte. Mais avec l'enquête ça fait plus de deux jours que je n'ai pas fermé l’œil. Quand j'ai vu que Myr'Hennis était encore à couteaux tirés, je l'ai laissée en surveillance pour prévenir votre arrivé. " Après une hésitation elle avait désigné le corps étendu de Ferya, toujours sur et sous des débris de table. L'agitation commençait sérieusement à la gagner malgré ses efforts. " Elle en a profité pour désobéir à mes ordres et l'a torturé jusqu'à ce qu'il avoue vous avoir envoyé au monastère. Je ne sais pas combien de temps ça a duré - je ne sais même pas quelle heure il est - mais je me suis occupé d'elle dès que je m'en suis aperçu. Et si ça vous préoccupe, le sortir d'ici en vie est plus important à mes yeux que sa culpabilité. " Elle ne s'arrêta presque pas, le flot de ses mots lui paraissait bien long sans que personne ne revienne avec du personnel compétant. Et pendant toute sa diatribe, elle s'était montré plus agité, reprenant à plusieurs reprises le pouls du blessé pour se rassurer elle même. " Votre capitaine est parti le chercher où ce guérisseur ? Il suffit de demander au premier garde qu'elle rencontre. Nous sommes arrivés par la grande porte et le passage de mon confrère a du les mettre à l’affût. Ils savent que les affaires qui se trament ici les dépassent. Ca ne devrait pas prendre autant de temps ! "

Elle grondait, son anxiété gagnant toujours du terrain. D'une main agile, elle ouvrit la sacoche qui pendait à sa taille pour en tirer le rouleau de cuir pressé contre son carnet. Les armes frémirent. Elle n'y prêta pas attention et déroula le paquet sur le planché. Deux aiguilles, du fil, une racine connue pour ses propriétés antidouleurs et deux fioles. Une dose d’excitant pour tenir en cas d'impératif et une huile antiseptique et coagulante. Des premiers soins connus de tous les drows qui savaient tenir une arme entre leurs mains. La dotation standard dès soldats les plus classiques.

- Ust'Kor ! " Il n'y avait rien de parlant. Elle n'avait pas suffisamment de connaissance pour savoir si l'excitant l'aiderait à tenir ou l'achèverait en en demandant trop à son cœur. Elle serrait les dents à s'en faire mal. Elle n'avait préférer ne rien donner avant. Qui sait avec les produits des guérisseurs. Même le produit coagulant pouvait avoir un effet inattendu ou Myr'Hennis une réaction inattendue.  " Et merde ! Puisqu'elle est pas capable de se sortir les doigts du cul, que quelqu'un prenne ce masque et aille prévenir la garde en disant que Shaar a des problèmes ! Et inutile de me sortir le couplet 'je ne vous laisse pas seule avec lui'. Je suis le Vaisseau du Destructeur. Il n'y a aucune différence entre tuer deux ou trois d'entre vous. Et toi. " Elle se tourna vivement vers Ashal. " Tu sais si ton patron réagit mal à l'huile de Regg ? "

Il elle ne pouvait atteindre les perforations internes, au moins, elle pourrait s'assurer que les coupures et plaies externes ne s'infectent pas et cessent de saigner... C'était un risque qu'elle ne pouvait plus retarder.

_____


- Non Jallyss !
- Mais ...!
- NON. Tu as dit qu'ils n'étaient pas danger immédiat. On ne vas pas foncer tête baissée et mener toute la Cité à ce point de replis. Le contingent de prêtres viennent de partir avec les intendants et vont aller sécuriser les lieux sous couvert de vérifier l'adhésion des gérant des élevages de ce secteur aux envoies prévus pour l'armée. Nous, on attend les autres et on s'y rend discrètement par les passages. Point.

De rage, Jallyss envoya un coup de point dans la commode à côté du large bureau. La porte du meuble se plia sous l'impact mais il ressortait déjà en grognant.

Ashal attendit, de toute façon un bain de sang allait peut-être avoir lieu mais en attendant la mort de Myr’Hennis le combat n’allaient pas commencer à cause d’eux. Pas sans ordres contraire en tout cas. Le soldat ne prit pas la peine de désarmer Ferya, pas besoin d’être un prêtre de Kiran pour se rendre compte que les blessures qu’elle avaient étaient en effet suffisantes pour la mettre hors de combat pendant un long moment. Le veldruk se trouva pris face à son impuissance totale, les compétences qu’il avait développées servaient principalement à tuer, à protéger quelqu’un mais jamais il ne s’était intéressé à la médecine. Il se rendit compte que c’était une erreur : en sachant soigner il pouvait faire d’une pierre deux coups car qui sait soigner sait par conséquent où frapper pour faire davantage de dégâts. Mais ce n’était pas le récit des évènements qui avaient menés jusqu’à cet instant particulier qui intéressait le soldat, c’était ce que la repentie avait bien pu faire pour le mettre dans cet état. Combien de temps l’avait-elle frappé ? Son cœur se serra, l’architecte avait fini par avouer. Ça ne l’étonnait pas, il ne voyait pas vraiment Myr’Hennis comme le genre de personne à pouvoir résister bien longtemps à la torture. Surtout si le bourreau était quelqu’un qui savait s’y prendre. Mais ça lui réchauffait le cœur de voir qu’il n’avait avoué qu’une fois dans cet état, le sort du Grand Architecte avait beau être scellé et le sien avec, il montait tout de même dans son estime. Ashal en aurait voulu à ceux avec qui il avait lancé l’attaque, même à Vaervy, mais Myr’Hennis n’était pas un guerrier ; il ne souffrait jamais.

Le mouvement brusque de Krish le fit sursauter et d’un geste il ordonna aux soldats de baisser leurs armes. Il se retourna pour confirmer l’ordre, Vaervy avait sûrement dû insister mais elle n’était plus là, ça ne servait donc à rien. Quand elle avait fouillé dans sa sacoche, Ashal s’était attendu à cette question/ Le problème c’est qu’il n’en savait rien. Myr’Hennis n’’était pas un combattant, il ne s’en était sûrement pas servit depuis ses classes, s’il s’en était servi un jour, et vu que la question ne s’était jamais posée, lui n’en savait rien. La capitaine le savait sûrement mais elle n’était pas là.

« … Non, j’en sais rien. » Il croisa les bras, il était passé à un cheveu de dire oui. C’était le choix sensé. C’était le choix logique. C’était le meilleur choix. Que l’architecte y réagisse mal et il mourrait, qu’il y réagisse bien et peut-être qu’il serait sauvé, peut-être. Et pourtant il avait dit non, pourquoi ? Parce que le risque était trop grand. Certes Myr’Hennis avait déjà avoué, il était donc condamné, et le tuer aurait été magnanime, ça lui aurait évité le châtiment sans doute peu plaisant qui l’attendait mais Ashal ne pouvait se résoudre à porter ce poids sur sa conscience. Il se doutait qu’il allait y passer de toute façon mais il n’avait pas envie de vivre le reste de son existence en sachant qu’il avait provoqué la mort du Grand Architecte.

Pour la défense de la capitaine, ça devait faire une minute, peut-être deux, au maximum trois, qu’elle était partie. Alor que le petit groupe s’éloignait du baraquement pour trouver un prêtre en abandonnant toute discrétion, ceux qui n’avaient pas été réveillés par le passage de Jallys ouvrirent les yeux alors que la garde du Grand Architecte. La gérante, que tout le monde sur place avait nommés avec originalité, la gérante, étaient donc sortis et lorsque Vaervy avaient exigé un prêtre de Kiran la gérante répondit vite qu’elle était mage de vie ; Vaervy avait beau être simplement habillé d’une simple chemise noire, d’un pantalon de même couleur en tissus et désarmé à côté d’une bande armés jusqu’aux dents il ne faisait aucun doute que c’était elle qui dirigeait. Elle savait que quelque chose se tramait dans le baraquement au fond et elle n’eut pas besoin qu’on lui explique où aller, la gérante n’eut pas besoin non plus qu’on lui dise que c’était urgent au vu de l’état des guerriers qui puaient la panique. Alors la capitaine se mit à courir avec elle tout en lui faisant un rapport sur les blessures qu’elle avait détecté. Les deux soldats qui se trouvaient devant le baraquement firent ce qu’ils pouvaient pour ne pas rester dans le passage. La gérante monta les escaliers et se mit au chevet de Myr’Hennis, elle le mit sur le dos, tourna sa tête sur le côté, elle enleva délicatement les couvertures. Après avoir jeté un coup d’œil aux blessures elle apposa ses mains sur le torse de l’architecte et alors qu’elle se concentrait pour se mettre au travail elle ferma les yeux.

« Sortez tous, j’ai besoin d’espace. »

C’était presque murmuré mais elle n’avait pas besoin d’élever la voix, tous l’écoutaient, en tout cas tous les gardes de Myr’Hennis tendaient l’oreille. D’un geste impatient Vaervy ordonna à ses troupes de sortir puis elle se tourna vers Krish et lui lança un regard équivoque : si le Feu restait elle restait aussi. Alors lorsque Krish lui rendit son regard avant d’aller s’adosser au mur la capitaine ferma la porte et l’imita.

Lentement, la gérante concentra sa magie dans le bout de ses doigts, des doigts qui s’étaient posés sur le torse de l’architecte, et elle se mit au boulot, massant du bout des doigts le corps meurtri. Son premier réflexe fut de stopper l’hémorragie interne qui tuait Myr’Hennis à feu moyen. Des gouttes de sueurs commençaient à perler de son front pour s’écraser sur la pierre du sol.

Combien de temps cela avait pris ? Trente secondes ? Trente minutes ? Une heure ? Pour la capitaine qui regardait l’architecte en devant se forcer à respirer pour ne pas s’évanouir, faute d’oxygène, le temps ne s’écoulait plus de la même façon. Elle en venait à se demander ce que faisait la gérante, si ce qu’elle faisait eue servie à quelque chose car rien n’avait changé, ça avait même empiré : les hématomes continuaient lentement à s’étendre ; la peau d’ordinaire d’un gris cendré prenait une teinte d’un bleu sombre insoutenable. Sa gorge se serra davantage à chaque seconde, l’air passait de plus en plus difficilement alors que Teiweon tendait lentement sa main aqueuse vers l’architecte, invitant ce dernier à la rejoindre. La capitaine lança un regard paniqué à Krish, un regard qui l’implorait de faire quelque chose, s’il y avait bien quelqu’un qui pouvait l’aider c’était bien un avatar, non Elle tomba à genoux et, en désespoir de cause, se mit à prier Uriz dans l’espoir que la divinité éloigne son alter ego d’un Myr’Hennis agonisant. C’était une tentative désespérée, elle avait échoué, pourquoi le Père des Batailles lui accorderait une seconde chance ?

La gérante se concentra ensuite sur les esquilles de côte qui gambadaient plus ou moins librement dans le corps de l’architecte, les guidant comme elle pouvait vers l’os dont elles n’auraient jamais dû s’éloigner. C’était long, c’était délicat mais c’était surtout dangereux et pour cause un bout d’os était bien trop près des poumons pour être déplacé sans prendre des risques inconsidérés alors elle se contenta d’en arrondir la pointe pour réduire les chances que ce dernier ne perce un des précieux poumons de Myr’Hennis. La mage brisa le contact, elle expira lentement, s’épongea le front et fit jouer ses épaules, ses coudes et ses poignets roidies puis elle se craqua les doigts avant de prendre une grand inspiration. Le plus dur était à venir. Elle se tourna vers la porte, la gérante allait crier pour appeler mais elle remarqua les deux eldéennes.

« J’ai besoin de vous. » Elle n’attendit pas la réponse et elle se remit au travail. Vaervy remercia Uriz de lui avoir enfin donné quelque chose à faire, d’enfin arrêter cette attente horrible. Elle se leva et vint aider la gérante. « Tenez le bien. »

La mage reposa le bout de ses doigts sur le torse de l’architecte et peu de temps après les hématomes commencèrent, avec une lenteur insupportable, à se résorber ; Myr’Hennis commença à trembler puis à vomir, ou tousser c’était assez difficile à dire, du sang, du sang bien plus sombre que d’ordinaire, du sang vicié. Ses tremblements s’intensifièrent au fur et à mesure que ses hématomes étaient drainés, au point de s’approcher d’une crise d’épilepsie. Puis la gérante s’arrêta. Il en restait évidemment mais c’était suffisant pour le moment. Une mare de sang s’était formée autour de la tête de Myr’Hennis, détrampant le pantalon de quiconque s’y trouvait et était resté.

La gérante prit encore une pause d’une trentaine de secondes pour souffler avant de s’y remettre. Elle usa du reste de ses forces pour accélérer la reconstitution du capital sanguin et donner à son cœur de quoi pomper pour alimenter le corps du Grand Architecte. Après une bonne dizaine de minutes elle arrêta, à bout de force, elle avait poussé la régénération sanguine de Myr’Hennis à son maximum et un bon litre de sang supplémentaire coulait à nouveau dans ses veines. Les doigts de la mage glissèrent lentement de son torse pour tomber au sol, dans le sang, mais elle s’en fichait.

« Il devrait s’en sortir mais il ne peut pas être déplacé, pas encore. Il faut le garder sous surveillance, j’ai fait ce que j’ai pu mais s’il survie et qu’il n’a pas de séquelle c’est que Kiran l’a béni. Il faut le laisser se reposer, son corps ne supportera pas davantage de manipulation magique. »

Elle aurait pu tenter de parler. Vu la réaction du guerrier que Vaervy avait envoyé quelques minutes plus tôt lorsque Krish lui avait dit que Myr'Hennis avait avoué, il n'y avait plus aucun doute possible. C'était vraiment lui. Ce qui voulait dire qu'elle était à cet instant précis en train de regarder un homme qui l'avait trahis en compagnie de celle qui avait conduit le massacre de ses camarades... Et tué Gorhur.

Ses mains lui brûlaient. Son cœur battait à tout rompre. Ses doigts restaient fermement encrés sur sa peau, serrant au point d'en laisser des bleus. Elle aurait pu les tuer, tous les deux. Elle aurait pu profiter du fait que la capitaine tombe à genoux pour lui briser la nuque d'un coup de pied. Elle aurait pu, tout simplement, écarter la mage de la vie de son patient... Et elle y pensa. Oui... Elle y pensa. Longuement. En fixant ces longs doigts posés sur la peau grise marbré d'un bleu maladif. Ici, dans cette petite pièce, elle pouvait s'emparer de sa vengeance une bonne fois pour toute. Elle pourrait alors s'excuser auprès de Ferya, prendre sa place parmi les repentis, les prêtres et partir pour le front, l'esprit tranquille. Elle serait alors entièrement là ou on attendait qu'elle se trouve. Il suffisait de ces deux vies pour satisfaire Uriz. Mais immobile, les bras croisés et les épaules posées contre la paroi de pierre, elle continuait à regarder le corps tuméfié de Myr'Hennis sans pouvoir en détourner les yeux.

S'il mourrait, une part d'elle-même mourrait avec lui.

Une intuition viscérale le lui rappelait à chaque instant. Une part qu'elle avait déjà sacrifiée en grande partie à son nouveau rôle. Une part qu'elle Lui avait déjà sacrifiée en grande partie. Elle ne s'était pas rendu compte plus tôt que le respect et la sympathie qu'elle avait à son endroit n'étaient pas que ça... où qu'elle ne se l'était tout simplement pas avoué. Sinon ils auraient couché ensemble et parlé bien plus souvent durant ses quatre ans, pourquoi s'abstenir ? Parce que la présence même du Grand Architecte lui rappelait ce que les Ombres lui avaient pris et ce qu'Uriz avait exigé d'elle : plus que sa vie, son Art. Elle s'en défendait, mais les faits étaient là. Elle e créait plus. Elle ordonnait. Elle organisait. Elle combattait. Elle était devenue exactement ce qu'espéraient ses parents et mieux encore.

Le souvenir du retour de sa mère avec l'étrange jeu Vaani lui revint encore une fois en mémoire, plantant ses ongles dans ses avant bras. La pièce de pierre blanche travaillée et élancée qu'elle tenait face au petit pion noir et informe de son petit frère. " La Reine ". Lui expliquait la voix maternelle tout en la tenant sur ses genoux. " C'est la plus puissante. Elle peut se déplacer d'un bout à l'autre du plateau d'un seul coup. " La prêtresse d'Uriz n'avait d'yeux que pour sa fille aînée, tandis que son fils, de l'autre côté de la table, n'avait d'yeux que pour la pièce que sa sœur tenait entre ses doigts. Krish, elle, regardait le plateau. Elle se souvenait des efforts qu'elle avait fait pour se réjouir férocement sous le regard attentif de sa mère... alors que son esprit allait sans cesse vers la main de Len et la petite pièce qui pouvait devenir n'importe quoi pourvu qu'elle le désir.

Myr'Hennis, malgré son orgueil et son manque crucial de discernement, ne l'ennuyait jamais. Il n'avait pas d'égale, pas de ressemblance et même la fragilité assumée dans laquelle il se complaisait n'avait rien d'habituel en ce monde. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi il avait ordonné le massacre des repentis, mais même ainsi, elle n'arrivait pas à lui vouer une haine sans partage. Haldren et la guerre occupaient peut-être trop de place.

L'évidence était tout autre. Elle voulait le détruire pour ce qu'il avait fait. Elle voulait le voir vivre, tout court.

Elle voulait le voir vivre. Malgré tout ce qu'il avait pu faire. Réfléchir au-delà de cette simplicité lui donnait la nausée et lui fendait le crâne en deux.

Elle en respirait à peine, priant tous les dieux de leur panthéon en agitant sans cesse ses lèvres muettes. Uriz pour qu'il continue à s'accrocher à la vie. Teiweon pour qu'elle patiente. Valas, Kiran et Leetha pour qu'elles prêtent tout leur savoir et toute leur puissance à la guérisseuse. Kiel pour qu'il puisse endurer la douleur. Elle priait pour leurs regards et leur bienveillance. Debout, elle ne s'abaissait pas à supplier ces dieux qui n'avaient que faire de la faiblesse. Mais s'ils avaient la moindre estime pour l'une des très nombreuses choses qu'elle avait accomplit au long de sa vie, alors peut-être consentiraient-ils à lui accorder un peu de crédit. Rien qu'un peu.

Le temps s'était étiré au point de ne plus avoir cours quand la guérisseuse leur demanda de l'aide. Un seul regard suffit aux deux femmes pour se mettre d'accord. Il n'y eu pas le moindre embargo. En une poignée de seconde, elle étaient au chevet du patient, obéissant scrupuleusement aux indications de la soigneuse. Toutes deux avaient déjà vu la force chaotique que pouvait déployer un corps en train de convulsé et vu l'était de l'Architecte, difficile de dire qui de Vaervy ou de Krish s'attendait au pire. La première cloua donc les jambe du grand homme filiforme de tout son poids tandis que la seconde venait s'agenouiller à sa tête pour trouver une prise sur ses épaules et ses bras qui ne risquerait pas d’aggraver une autre blessure. Une fois les deux guerrières en place, la torture nécessaire recommença.

Le corps de Myr'Hennis trembla, se tendit, se crispa. Un flot de sang noir débordait de ses lèvres. Appuyée sur le haut de son corps, elle no pouvait voir que ça. Ses lèvre. Son menton. Son cou. La flaque brunâtre sous sa tête. L'odeur de cuir et de cuivre. L'estomac de Krish se crispa violemment mais il n'y restait rien. Baissant la têt, elle ferma les yeux à s'en fendre les paupières, se concentrant sur la force à mettre dans ses bras pour clouer l'Architecte au sol et l'empêcher de se faire mal malgré ses soubresauts. Quelques secondes plus tôt, elle pensait que l'attente était la pire chose qu'elle pouvait vivre pour l'instant. Mais ça, c'était pire. Arcbouté sur sa tâche, elle ne voyait pas les hématomes se résorber. Seulement ce profil cireux aux orbites sombres qui crachait toujours plus d'un sang grumeleux de pestilence.

Pendant la pose de la guérisseuse, elle ne bougea pas. Ses muscles étaient dur comme de la pierre. Qu'elle change un seul appui et elle ne parviendrait plus à tenir. Le contrôle qu'elle s'imposait, déjà mis à rude épreuve, se craquelait et elle ne pouvait plus que s'entêter jusqu'au bout. Elle ne lâcherait pas.

Elle respirait à grands coups saccadés, sans discontinuer.

Elle ne lâcherait pas.

Les yeux ouverts, ce visage moribond et inerte qui emplissait sous son champ de vision.

Elle ne lâcherait pas...

Et tout s'arrêta.

Net.

Les deux femmes près d'elle ne l'avaient pas vu bouger ou hésiter une seconde. Elle était resté en place, les muscles bandés pour achever sa tâche du mieux qu'elle le pouvait. La tête basse.

Maintenant Myr'Hennis ne bougeait plus.

Un moment de silence seulement brisé par le son discret des doigts de la gérante tombant sur le sol de pierre mouillé de sang. Trois respiration complexes. Trop poussives. Trop intenses. Trop faibles. Trois... Krish regardait toujours le visage gris et rouge.

Un sifflement.

Un frémissement de sa gorge.

Et quelques mots de la guérisseuse.

Un long frisson remonta dans le dos de l'eldéenne jusqu'à exploser en une douleur aiguë dans ses épaules tétanisées. Vacillante, elle laissa ses bras tombés sans se soucier du sang. Sa chemise et son pantalon en étaient déjà imbibés. Même à genoux, elle se sentait nauséeuse et chancelante. Sans se soucier du regard de la gérante de Vaervy, elle laissa son front se poser au sol détrempé juste à côté de la tête de l'Architecte. Recroquevillée, elle n'émit pas un bruit mais son corps se gonflait d'air se creusait par longs à-coups. " Loués soient leurs noms. Grands sont leurs pouvoir. Haute et Claire brûlent nos Flammes. " murmura-t-elle, un tremblement dans la voix. Ce tremblement s'empara de toute son corps lorsqu'elle se força à redresser la tête, s'épongeant le front d'un revers de manche qui ne fit qu'étaler la substance sombre sur son visage. L'esprit blanc. Le corps vidé de toute force, elle regarda un instant Vaervy sans trop savoir ce qu'elle attendait. Puis elle se tourna vers la guérisseuse, la voix encore mal assurée.

- Merci... " Elle du reprendre deux fois son souffle court avant d'ajouter. " Mais, on ne peux pas le laisser baigner dans son propre sang... ?
- Le bouger serait plus dangereux. Il reste encore des éclat d'os dans sa poitrine. Il faut le sécher autant que possible et le maintenir au chaud, mais même le soulever serait trop risqué pour l'instant. " Elle respira un peu, prolongeant le silence avant d'ajouter de la même voix calme " J'ai besoin de repos. "

Krish acquiesça, la laissant prendre le temps qu'il lui faudrait. Elle-même resta au même endroit, posant de nouveau le regard sur Myr'Hennis. Il respirait bien mieux à présent, et s'il n'était pas à la fois si terne et couvert de sang, il aurait pu simplement dormir. Sa main rougit glissa doucement sur sa joue creuse pour tenter d'en chasser le sang.

Il allait vivre...

Elle aurait voulu faire son possible pour ne plus patauger dans ce liquide âcre, mais elle ne pouvait pas. Elle tremblait, et ses jambe refuseraient de la porter, ne serait-ce que pour faire un pas.

_________

Quelque part, au dehors, une délégation de prêtres et d'intendants de plusieurs Ost venait d'arriver à l'entré de l'exploitation, demandant avec courtoisie et patience le concours de la gérante des lieux. Des gardes aux visages anxieux leur avaient fait comprendre qu'elle n'était disponible de suite à cause d'un accident avec les araignée, alors la troupe s'était séparée en deux. Une dizaine était restée dans les premiers bâtiments, attendant sans faire d'esclandre, pendant que la deuxième repartait d'où elle était venue.

Le cœur de se Myr’Hennis se remit à battre plus vite, chaque battement accélérait son cœur, il n’avait toujours pas un rythme normal mais ça en prenait lentement le chemin. Avec l’accélération du cœur, le corps dans son ensemble reprenait peu à peu vie, ses poumons se gonflaient davantage même si sa respiration restait sifflante mais au moins sa respiration était audible même s’il fallait tendre l’oreille.

Vaervy laissa s’échapper un long soupir de soulagement. Elle avait vu Krish prier et sans doute la voix d’un avatar avait plus de poids que la sienne. Les dieux l’avaient écouté et avait intercédé en la faveur de l’architecte. Ce fut le Feu d’Uriz qui parla la première, sous le regard teinté d’admiration de la capitaine. Elle ne savait pas quoi dire, ni quoi faire d’ailleurs. Puis la réalisation soudaine qu’elle avait échouée la frappa comme une attaque de kerkand. Tremper les lèvres dans la coupe amère de la défaite lui fit plus mal que n’importe quel coup. Elle n’avait rien pu faire pour empêcher la mort de Myr’Hennis. Ce n’était pas elle qui l’avait sauvé. Elle avait rompu son serment fait devant Uriz et, comble de l’ironie, c’était Son Feu qui avait réussi là où elle avait échoué. Pour sa Vaervy haïssait Krish, cette dernière lui avait volé sa victoire juste devant la ligne d’arrivée. Assise sur ses jambes la capitaine regardait le sol, regardait le sang, un joli présage. Elle tira lentement sur le ruban rouge qui tenait sa queue de cheval et elle laissa sa longue chevelure tomber en cascade. Avec le cœur lourd elle le rassembla dans la paume de sa main droite et elle regarda le ruban carmin une dernière fois, les yeux humides, avant de fermer le poing ; Vaervy ignora la réponse de la gérante puis elle se leva lentement et, la tête basse, s’approcha de Krish comme si elle se battait pour faire chaque pas. Une fois à côté de la triumvir, sans dire un mot, elle posa péniblement un genoux à terre, son poings gauche sur le sol, la tête baissée elle leva son poing droit et la mort dans l’âme elle l’ouvrit pour présenter le ruban à Krish.

« Usstan xuat rytho'le ol jalamzild. »

Elle ne le voulait pas mais le déshonneur lui dictait le contraire. Elle serait la première commandante de la garde du Grand Architecte à perdre le symbole de sa fonction sans mourir. Mais elle ne pouvait pas continuer à le porter, même si dans la garde du Grand Architecte seule la mort met fin au devoir. Elle allait mourir de toute façon mais elle avait le choix de la raison. Serait-ce parce qu’elle renonçait à son rang ? Parce qu’elle avait juré sur sa vie devant Uriz de protéger Myr’Hennis ? Ou bien parce que Krish savait la vérité ? Si Ashal ne la tuait pas, elle se suiciderait et si on l’en empêchait elle était certaine que Krish allait s’en occuper. Elle savait qu’elle allait mourir mais ça ne la dérangeait pas, c’était une punition méritée et puis après tout ce temps passé à tuer il était naturel que Teiweon la réclame un jour. Ça ne la dérangeait pas de mourir, les vétérans se font vite à l’idée, elle espérait seulement mourir l’arme à la main, comme elle avait vécu.

Exténuée, un frisson de froid parcourant son corps, Krish leva péniblement les yeux vers la femme qui venait de poser un genou en terre, près d'elle. Elle vit un point se poser sur le sol et remonta vers une tête basse au visage fermé. Et un ruban rouge. Le ruban que la guerrière portait dans ses cheveux. La Triumvir ne comprit pas tout de suite le sens de ses mots. Elle n'en était plus digne... Digne de quoi ? Puis les éléments se mirent lentement en place tandis que les deux femmes restaient figées l'une en face de l'autre. Dans un autre monde, la gérante alluma un feu dans la petite cheminé et quitta la pièce.

Elle n'était plus digne de porter un insigne. Un symbole. Et quel symbole cela pouvait-il être si ce n'était celui de son lien avec l'homme qui gisait là. Deux mais pas Trois. Pourtant le simple fait qu'elle se trouve là et que Myr'Hennis respire encore était une preuve de sa victoire... Mais il y avait tant d'autres choses qui tournaient et basculaient en cet instant. Les dominos faisaient leur office, une chut en faisait basculer beaucoup d'autre.

Si Krish ne savait pas grand chose sur les us de la garde du Grand Architecte, ses membres étaient réputés pour servir jusqu'à la mort et elle n'avait pas souvenir d'un ancien capitaine de la garde encore en vie.

Deux, mais pas Trois. S'efforçant de redresser son dos raide, la Triumvir ne prit pas tout de suite le ruban, observant le visage blême.

- C'est toi qui a tuer Gorhur Dan'Hiun, dernier Streea Jabuk du IVe Ost, n'est-ce pas. " Bien qu'elle en est presque la forme, ce n'était pas vraiment une question. " C'est sur ses ordres que tu as mené la troupe qui a tué vingt-trois des miens. " Pas vingt-et-un comme le chiffre officiel qu'avait reçu le culte de Teiweon pour effacer la présence des deux anciens du IV. Vingt-trois. Elle ne se faisait aucune illusion sur le commanditaire d'un tel ordre, même si elle ne comprenait toujours pas. Pourtant, sa main était remonté de sa joue avec la même douceur qui animait chacun de ses gestes concernant l'Architecte. En elle le besoin d'explication était toujours farouche, mais elle n'avait plus un brin d'énergie à user sur un tel brasier. Un rire moqueur s'étrangla dans sa gorge fatiguée. " Tu vas vraiment tenter de mourir alors qu'il est vivant ? Tu penses avoir échoué à ce point ? "
- Oui. "

Simple. Unique. Irrévocable. Le visage de Krish se fit à la fois plus sévère et plus calme. Aussi folle que semble la suite à ceux qui ne comprenaient pas, elle n'eut pas à réfléchir une seconde pour la prononcer.

- Alors ta vie appartient à Uriz. En tant que Prime Feu, je te condamne à vivre. " Elle tremblait, sa voix était encore courte, mais il n'y avait pas le moindre soupçon d'hésitation dans ses yeux de sang et d'or. " Tu vas Le servir et tu vas expier le temps qu'il faudra pour qu'Il soit satisfait. Tu vas expier pour que toute ta vie ne finisse pas dans l'oublie et la honte. Et quand tu mourras, ce sera pour Sa gloire, les armes à la main. " Elle prit le temps de respirer et tendit une main pour relever le menton de la guerrière, l'obligeant à soutenir son regard. " Ce n'est pas de la pitié. Briser ses armes avant même de commencer une guerre n'est que folie. Je ne me couperai pas un bras pour le lancer plein de sang sur le sol sur le simple prétexte que ma lame m'a échappé pendant un combat. Tu as tué Gorhur. Si c'est réellement pour l'honneur que tu es prêtes à donner ta vie aujourd'hui et non par lâcheté, si c'est Uriz que tu crains et pas la difficulté de cette vie, alors tu rejoindras l'ordre des Repentis. Tu prêteras serment, tu porteras le masque et tu obéiras à ses volontés jusqu'à ce que nous ayons remporté la Dernière Guerre ou que tu perdes la vie en essayant. "

Elle ne répondit pas, elle avait tué Gorhur et ça ne servait à rien de dire le contraire, de toute façon Krish savait alors elle hocha lentement la tête. Visiblement elle l’avait toujours su. Cependant elle pouvait toujours tenter de le protéger. Elle releva légèrement la tête et regarda l’architecte allongé et elle sourit. Pour la première fois depuis qu’elle le connaissait il avait l’air paisible. Myr’Hennis avait presque l’air heureux.

« J’ai agi seule. Je lui ai désobéi. »

Il était vivant mais elle avait échoué. Elle ne l’avait pas protégé. Pas de lui-même. Lorsqu’il lui avait parlé de son plan elle aurait dû lui mettre une gifle mais elle n’avait rien fait, elle avait laissé sa fierté dicter ses paroles ; elle s’était dit que l’honneur de Myr’Hennis passait avant tout et que c’était bien normal vu que de toute façon les repentis étaient des traîtres. Elle s’était dit qu’ils ne pouvaient pas continuer à vivre, que c’était rendre la justice que de les tuer. Toutes ces justifications pour simplement ignorer le fait que c’était par orgueil qu’elle n’avait rien dit : elle voulait être connue comme celle qui avait tué Gorhur Dan'Hiun ; elle voulait être connue comme celle qui avait réussi là où tant d’autres avaient échoués. Mais voilà, c’était trop tard pour s’en rendre compte, c’était trop tard pour revenir en arrière. Elle ne pouvait plus que contempler jusqu’où son hubris l’avait mené. Jusqu’où elle avait mené Myr’Hennis.

Les deux questions de Krish tombèrent lourdement, comme deux couperets mais peu importe le nombre de questions réponse était la même : oui. Alors elle répondit avec une voix ferme, déterminée, sûre d’elle. Un seul mot si simple et pourtant porteur de tant de sens, elle était toujours prête à mourir et ce fut avec un certain stoïcisme qu’elle accueillit la nouvelle. Si c’était par lâcheté elle n’aurait pas laissé le choix au Feu, elle se serait attaquée à Krish et elle se serait laissée touché. Un suicide glorieux en somme mais au fond elle voulait une seconde chance, une seconde chance qu’elle ne méritait pas. Maintenant c’était à elle de s’en montrer digne. De se montrer digne aussi de la confiance qu’Uriz, à travers son avatar, plaçait en elle. Pour la première fois depuis qu’elle avait quitté le Premier Ost elle sentit quelque chose se rallumer en elle, la capitaine se sentait à nouveau vivante. Vaervy hocha lentement la tête, elle n’était pas résignée ni abattue mais au contraire une flamme brûlait dans ses yeux en amende, une flamme qui carburait à l’espoir. Une flamme qui ne s’était pas allumé depuis des siècles, faute de carburant ; on lui avait promis une rédemption et une mort avec les armes à la main : tout ce qu’elle voulait, tout ce qu’elle espérait. Alors elle répéta après Krish le serment qui marquait son entrée dans l’ordre des repenti, un ordre dont elle ne sortirait jamais.

« Unissons-nous, Repentis.
Unissons-nous dans les ombres dans lesquelles nous veillons.
Unissons-nous pour trouver la Rédemption à laquelle nous aspirons.
Puisse la corruption de Kerhel brûler dans les Brasiers de la Guerre.
A ceux qui vont mourir, je dis ceci : Votre sacrifice ne sera pas oublié.
Un jour prochain, nous vous rejoindrons dans la mort.
Puisse-t-elle nous ouvrir les portes du Nahali. »

Lorsqu’elle eut terminé de prêter serment elle ne regarda pas en arrière, elle ne regarda pas l’architecte, elle ne regarda pas la vie qu’elle laissait derrière. Sans regarder Myr’Hennis elle leva la tête pour regarder Krish dans les yeux. Vaervy tendit la main vers le Feu d’Uriz pour qu’elle lui donne une de ses armes.

« Il ne doit pas savoir. »

Vaervy retourna l’arme contre elle, elle serra les dents, c’était plus difficile que ce qu’elle pensait, d’un coup précis son oreille se détacha. Elle ne pourrait pas lui dire adieu et ça la déchirait. Si on lui avait dit à sa sortie du Premier Ost qu’elle en viendrait à admirer Myr’Hennis elle aurait ri au nez de quiconque le lui aurait prophétisé. Elle se souvenait encore du jour où le maître du Grand Architecte actuel était mort, elle s’était trouvée devant la nouvelle Grande Architecte, Vaervy tenait Myr’Hennis par les cheveux d’une main en le forçant à lever la tête, sa main d’épée maniait une lame qui se pressait contre sa gorge tel un monstre avide. Elle se souvenait de la goutte de sang qui s’était mise à couler. Elle se souvenait de l’hésitation, de celle de Nahala mais aussi la sienne ; elle pouvait lui reprocher tout un tas de choses mais pas un manque de courage : il faisait face à Teiweon comme n’importe quel soldat avec qui elle avait servi ce qui était d’autant plus digne d’admiration qu’il n’avait ni l’entraînement ni l’équipement pour ; elle avait si souvent repoussé la peur en serrant le manche de sa hache, en sentant son poids réconfortant dans sa main, Myr’Hennis n’était jamais armé et pourtant elle ne l’avait jamais vu trembler. Elle s’était dit plusieurs fois que c’était dommage qu’il soit né dans ce corps indigne. La capitaine avait rencontré tant et plus de drows prêts à mourir mais elle n’en avait rencontré qu’un, en dehors des prêtres de Kiel, qui était prêt à souffrir. C’était justement parce qu’elle n’en avait pas la force qu’elle l’admirait. Elle détestait ses manies, son sentiment de supériorité ô combien mal placé et son incapacité à se taire lorsque c’était nécessaire ; pour ne citer que ces défauts-là. Mais elle l’admirait.

« Je dois disparaître, prendre une nouvelle identité. »

Elle ne savait pas si c’était pour protéger une dernière fois Myr’Hennis de lui-même ou si c’était pour la protéger elle de lui mais elle était certaine que c’était nécessaire. Vaervy ne s’en faisait pas pour les autres repentis, ils n’allaient sûrement pas l’accepter mais elle s’en fichait royalement, désormais il n’y avait de place que pour Uriz. Juste Uriz, que son Feu puisse la purifier.

Des traitres. Des déshonorés. Des perdants. Des malchanceux... Mais ni des faibles, ni des lâches, ni des égoïstes, ni des hérétiques. Ainsi étaient les Repentis.

Ils avaient été créés pour rattraper une faute que d'aucuns jugeraient trop grave pour tout espoir de retour... Et paradoxalement, c'était grâce à Myr'Hennis qu'ils étaient rester ainsi. Par deux fois ils les avaient cantonné à leur prime identité. D'abord en convainquant Krish de ne pas faire d'eux une résurgence officielle du IVe ost, puis en oblitérant les dernières recrues qui avaient été entrainés et sélectionnées pour la guerre qui approchait. A croire que ne pouvaient tenir dans cet ordre sacré que ceux qui avaient vraiment une chance de trouver la rédemption...

Krish tremblait toujours légèrement, mais elle soutint la flamme qui venait danser à nouveau dans les pupilles de la guerrière. Elle n'avait pas souvenir d'avoir déjà croisé son regard ainsi. Vaervy n'hésita pas à répéter ces mots lourds de sens que les premiers d'entre eux avaient formulés sous le soleil brûlant des terres stériles. Elle n'hésita pas plus que Krish l'avait fait pour lui proposer cette voie. Comme pour tous ceux qui avaient eu ce choix avant elle, il n'y avait qu'une chance à saisir ou à laisser. Une chance scellée par le don d'une dague. Un ruban rouge passé de main en main. Une oreille mutilée.

- Comme tu veux. " répondit seulement l'eldéenne à la demande enfiévrée de la capitaine. Si elle ne voulait pas que Myr'Hennis soit au courant et que ce n'était absolument indispensable, elle il ne saurait rien. Chaque repentis gérait son identité comme bon lui semblait du moment qu'il ne faisait pas prendre de risque aux autres. Au départ, les masques n'étaient qu'une nécessité pour les anciens du IVe. Puis ils étaient devenus une sécurité. Puis un symbole de la défaite de leur égo. Et enfin un signe de reconnaissance et d'appartenance à un groupe dans lequel ils pouvaient réellement compter les uns sur les autres...

- Tu peux prendre celle qui te chante, tu n'auras qu'à nous dire le nom que tu voudras utiliser, mais les autres Repentis sauront la vérité. Tu as su pour le les anciens du IV et pour Gorhur. Tu as utilisé le savoir et les ressources du Grand Architecte pour mener ton plan à bien et attaquer le Monastère. "

Il n'y aurait rien de plus à dire sur la question. Une promesse tacite en gage de respect pour une nouvelle sœur d'arme.

Le regard de Krish dévia pour se poser sur Ferya. Même sa désobéissance à elle était motivé par l'attachement qu'elle avait envers ses frères d'armes. la Triumvir ne regretterai pas de l'avoir interrompu et il faudrait qu'elle s'explique longuement avec ses camarades, mais ils comprendraient. Avant de prêter serments, ils appartenaient tous à des courants, des groupes et des seigneuries différentes. Certains avaient abandonné des dizaines d'hommes, d'autre seulement une vie de bohème. Nombre d'entre eux c'étaient affrontés. Plusieurs avaient même tenté de s'entre-tuer. Alors ils comprendraient. Elle en était certaine. Vaervy mettrait peut-être un peu de temps à les convaincre, mais passé les premiers combats, ils accepteraient. Il ne pouvait pas y avoir d'autre possibilité.

Elle ramassa la pointe d'oreille grise tandis que la capitaine lui rendait le couteau qu'elle avait pris à la ceinture de Ferya un peu plus tôt. En échange de la lame, elle tendit le répugnant reliquat.

- Va la mettre dans le feu. " indiqua-t-elle en désignant la cheminée. " Je n'arriverai pas à me relever tout de suite... " ajouta-t-elle le plus sincèrement du monde. " En suite, si tu as la force de porter Ferya dans la chambre à côté, ce serait parfait. " Là encore, elle n'allait pas pouvoir le faire elle-même avant un moment. " Pour le reste, libre à toi de partir ou de gérer tes hommes. Je ne sais pas quand les miens arriveront. "

Enfin, la Capitaine... Ou plutôt l'ex-capitaine, expliqua en quelques mots la signification du ruban rouge. Les suppositions de Krish n'étaient pas si loin de la vérité, mais elle fit d'autant plus attention à ne pas trop le couvrir de sang une fois qu'elle en connu la valeur réelle. Elle acquiesça seulement aux explications de Vaervy, toujours prise dans un instant présent et un esprit fatigué qui ne lui laissaient pas le temps de réfléchir avec autant de clairvoyance qu'elle en avait l'habitude.

Une fois seule, même si ce n'était que pour un couple de minutes, Krish put enfin souffler... Mentalement parlant en tout cas. Les tremblements de son corps s'intensifièrent un peu et elle se tira jusqu'au mur pour pouvoir y appuyer le dos et respirer à fond. Un instant. Juste un instant... Elle avait remobilisé ses dernières forces, encore et encore. Creusant toujours plus le déficit pour aller jusqu'au bout. Cela faisait des siècles qu'elle n'avait pas été dans un tel état. Les yeux lui brulaient. Le seul spectacle qui habitait son esprit était celui qu'elle avait sous les yeux. Plus tard, elle penserait au reste, à ses choix et à leurs implications. Plus tard. A cet instant elle en était incapable. Près d'elle, les couvertures que la guérisseuse avaient simplement chassées pour opérer reposaient encore à peu près au sec. Les yeux de la daedhel s'attardèrent dessus sans vraiment les voir, jusqu'à ce que leur présence la ramène à l'instant présent.

Le ruban fut noué à la base de la longue tresse qu'elle portait. Capitaine ou non, pour l'heure elle ne pouvait pas en choisir d'autre. En attendant que les forces de l'Architecte et les siennes ne montent pour prendre des nouvelles après que la gérante leur ai expliqué le gros du problème, Elle commença à éponger le sang qui séchait déjà par endroit sur la pierre lisse. Un spectacle incongru, qu'elle donnait sans vraiment y penser. Elle agissait avec une conscience d'elle-même toute relative, la fatigue, la tension et les soubresauts rendant complexent la moindre action.

Elle n'eut que quelques souvenirs chaotiques des heures suivantes. Des présences multiples. La sensation de faire un effort surnaturel pour essayer de raconter les choses de façon compréhensible à bien des gens. Jallyss et son regard furieux passant à la folie pure avant de s'éteindre brusquement en entendant rappelé sa vie avant d'entrer dans l'ordre. Un prêtre d'Uriz en armure d’apparat qui lui était vaguement connu. Un grand homme... celui que Vaervy avait envoyé pour veillé sur Myr à sa place. Ashal, si elle ne se trompait pas de nom. Tout était teinté d'un brouillard cotonneux. Après deux bonne heures, Shundara, sous la surveillance de la gérante, ajouta juste la dose de magie qu'il fallait pour que plusieurs solides gaillards puissent déplacer Myr'Hennis du sol souillé au lit juste à côté. L'opération n'était pas sans risque, mais au moins étaient-ils acceptable à présent. Puis Shundara avait disparu pour s'occuper de Ferya, arguant qu'il n'y avait plus que du temps et des prière à adresser pour l'Architecte. Le reste ne pourrait être fait que le lendemain à moins de stresser son corps au-delà de l'acceptable. Quelqu'un d'autre pris le temps de laver le corps encore meurtris du grand drow à l'eau chaude et au savon... La gérante peut-être ? A moins que ce soit Krish elle-même ? Les draps furent changer. Les couvertures nombreuses. Des esclaves vinrent pour laver le sol, et retirer les débris de table.

Tout au long de préparatifs, des voix, des visages et des gestes avaient enjoins la Triumvir à aller se laver et se reposer. Elle avait refusé. Une fois, dix fois, mille fois. Jusqu'à ce qu'une main ferme ne se pose sur son épaule pour la forcer à aller se débarrasser du sang qui lui collait au corps. Elle aurait juré que c'était Gorhur...

La gérante lui trouva des vêtements propres, quoi qu'outrageusement simples : une tunique sans manches en soie d'araignée non teinte et un pantalon de grosse toile ample. Un lit lui tendait les bras, mais elle préféra retourner dans la chambre qui abritait l'Architecte. Pelotonner dans une cape de voyage en laine épaisse dont elle ne se souvenait plus la provenance, Krish s'assit sur le planché à son chevet. La main posée sur les doigts de moins en moins froids de Myr'Hennis, la tête appuyée sur le matelas fin, elle s'endormit enfin.


______________


En bas, l’atmosphère de la salle commune était tendue. Une nouvelle journée commençait doucement et une poignée de Repentis attendaient que deux d'entre eux reprennent conscience pour expliquer l'apparition de la dernière. Les gardes de Myr étaient partis avant même leur arrivée et Jallyss avait du mal à tout comprendre... Les Prêtres étaient repartis aussi, dès que Krish leur avait dit qu'ils avaient joué leur rôle à la perfection et qu'elle tiendrait parole. Jallyss avait fait l'aller-retour rien que pour engueuler Xundath d'avoir à tout pris voulu attendre les autres et hurler sa colère à l'idée que la meurtrière de Gorhur puisse se balader parmi eux sans rien avoir payé. Comme c'était souvent le cas, Xundath ne s'était pas privé de le renvoyer dans ses buts et de lui expliquer la situation sous un autre angle... moins facile, mais plus pertinent. Vaervy avait perdu bien des choses en ce jour... Mais cela n'empêchait pas l'organisateur resté aux Lanternes Bleues de doutés de la façon dont s'était déroulé cette nuit.

Pourtant il n'y avait rien à faire en attendant que les principaux intéressés se réveillent. Et vue sa fatigue, Krish promettait de ne pas reprendre conscience immédiatement.

Vaervy fut soulagée lorsque le ruban quitta sa main, il ne la brûlerait plus. Qui aurait cru qu’un simple bout de soie pouvait être aussi lourd ? Avant d’être déchue de son rang elle pensait que sa vie s’arrêterait si jamais elle le perdait, elle avait toujours eu un grade, mais maintenant qu’elle n’en avait plus elle se sentit particulièrement légère, elle se rendit enfin compte du tribut que son poste avait prélevé sur elle. Elle se racla la gorge et hocha la tête. C’était un mensonge désespéré, évidemment le Feu n’était pas dupe et pourtant elle l’acceptait tout de même et pour ça la… l’ancienne capitaine était infiniment reconnaissante. Elle devait trouver un moyen de l’en remercier, aussi pathétique soit-il.

« Si ça ne vous dérange pas j’aimerai que vous choisissiez ma nouvelle identité. »

Peu importe le nom que Krish allait choisir Vaervy allait le porter avec fierté. Alors elle obéit et jeta son bout d’oreille dans le feu, elle ne le regarda pas être consumé par le feu, le Feu lui avait demandé quelque chose alors elle s’exécuta. Elle se força à prendre Ferya avec délicatesse dans ses bras, elle avait beau avoir torturé Myr’Hennis c’était sa sœur d’arme à présent, elle avait abandonné son ancienne vie, ce qui voulait dire qu’elle avait abandonné la rancœur qui allait avec. Une fois la repentie allongée sur le lit dans la pièce d’à côté elle descendit les escaliers et appela Ashal. Le veldruk arriva au pas de course et remarqua immédiatement deux choses et son cœur s’arrêta : elle avait les cheveux détachés. Il leva une main et caressa tendrement son oreille mutilée s’empoissant les doigts de sang, il pouvait encore la voir entière, il voyait encore la pointe effilée et les replis de son pavillon. Il avait passé tant de temps regarder Vaervy que son visage était gravé dans sa mémoire et pourtant…

« N’essaye même pas. » Ashal n’avait rien dit mais il n’en avait pas besoin, si ses grands yeux rouges n’étaient pas assez expressifs l’ancienne capitaine lisait son amant comme un livre grand ouvert. Il était sur le point de la supplier et elle allait répondre qu’elle n’avait pas le choix alors autant gagner du temps.

« C’était le prix à payer pour le sauver ? »

Vaervy hocha lentement la tête. Une partie d’elle mourrait à chaque fois qu’elle lui mentait mais si un mensonge rendait les choses plus faciles, c’était un sacrifice qu’elle ferait sans hésiter. Ashal déglutit, sa main descendit de l’oreille de son amante pour venir lui caresser la joue, elle ferma les yeux et pencha la tête sur le côté, comme pour bloquer sa main entre sa joue et son épaule pour qu’elle ne s’en aille jamais. Il l’embrassa sur le front et dégagea délicatement sa main.

« Adieu, Vaervy. » Sa voix tremblait malgré ses efforts visibles pour la contrôler et elle ne fut capable de lui répondre que par un hochement de tête. Il fit un pas en arrière puis un second avant de finalement se retourner, elle ne bougea pas, elle fixait son dos, lorsqu’il fut sorti elle entendit sa voix. « On rentre. »

« Et la capitaine ? » Il y eut quelques secondes de silence avant que la réponse vienne enfin.

« Elle est morte. »

Un silence de plomb s’abattit une bonne minute avant d’être brisé par les bruits de pas des dix soldats s’éloignant. Vaervy s’adossa au mur, elle n’était plus capable de retenir ses larmes alors elle glissa le long de la pierre et une fois assise sur le sol volcanique son corps s’agita de soubresauts. Elle ne savait pas combien de temps elle était restée à pleurer la perte de… de son ancienne vie mais elle arrêta, elle sortit du baraquement avec un sceau pour le remplir et se plonger la tête dans l’eau. Elle chercha quelque chose pour se sécher puis elle remonta les escaliers.

Au retour de Jallys elle resta muette et ce fut pareil pour les autres repentis, maintenant qu’elle était l’une des leurs elle aurait tout le loisir de parler, plus tard. Elle ne parla pas non plus à Krish, elle se contenta de lui poser une main ferme, une main puissante, mais une petite main, sur l’épaule pour qu’elle se repose enfin, Vaervy allait prendre la relève. En bas elle ne répondit toujours rien à Jallys pourtant elle aurait aimé lui dire que s’il avait un problème ils pouvaient aller le régler dehors mais pour la première fois depuis tant de siècles elle n’avait pas envie de se battre, pour la première fois depuis tant de siècles l’Infatigable était fatiguée. L’ancienne… la nouvelle repentie continua de se murer dans le silence toute la nuit. Jusqu’au réveil de Myr’Hennis.

L’architecte était resté inconscient durant trois jours, murmurant quelque chose à propos de deux étoiles rouges dans son sommeil et lorsqu’il se réveilla il tenta difficilement de se redresser, il sursauta en sentant une main se poser sur son épaule. En levant la tête ses yeux se posèrent sur un masque de repenti et il sut que c’était la fin.

" Ih'ara "

Répondit-elle seulement à la toute dernière demande de Vaervy. Littéralement "La Protectrice". Le nom n'était pas des plus communs mais encore utilisés par bien des parent faisant peser leur orgueil sur leur progéniture. Un choix aussi ironique qu'à propos... Et si Krish ne savait pas comment le prendrait l'ancienne Capitaine, elle estimait qu'il lui revenait de droit.

Ferya sortie, il ne restait plus que l'odeur de viande grillée montant de l'âtre.

_______

La bouche pâteuse. Et un atroce mal de dos... Krish se réveilla en grognant.

Pas seulement un atroce mal de dos. Elle était ankylosée de partout ! Une lourde cape glissa à moitié de ses épaules dès son premier mouvement. Par Kiel pourquoi avait-elle dormi par terre ?! Et pourquoi était elle encore physiquement aussi fatiguée ? Elle se redressa pesamment, laissant les souvenirs affluer. L'enquête. La visite à Viconia, aux temples, à Kahveka, puis à Myr'Hennis. Ses répliques rhétoriques. L'élevage d'araignée. La folie de Vaervy. Et tout qui se confondait de plus en plus en un brouillard complexe.

Ferya ! Et Myr'Hennis !

Elle se tourna rapidement vers l'homme qui reposait sur le matelas. Endormit. Mais vivant. Sa main était toujours agrippée à ses longs doigts. Elle l'en éloigna mais resta assise là quelques instants de plus, un sourire mauvais gagnant du terrain de seconde en seconde. Mieux valait se moquer de sa propre folie à ce stade. Uriz n'avait pas pu la protéger de ça...

Aller... Elle ne pouvait pas rester là de toute façon. Quelque chose lui disait qu'elle aurait fort à faire aujourd'hui.

Elle prit une inspiration, ravala son malaise, son cœur et se força à se mettre debout, s'étirant comme un gros chat. Cape sous le bras, elle quitta la petite pièce, la nuque raide de ne pas pouvoir jeter un dernier regard par dessus son épaule. Ce n'était pas le moment. Les visages sombres et les regards d'incompréhensions la reçurent dès les dernières marches de l'escalier. La conversation fut longue. Les cris nombreux et les pauses nécessaires. Jallyss, Shundara, Tarlyn et Keldaarh avaient du mal à encaisser la succession de nouvelle. L'identité de Vaervy, l'impossibilité de se venger dans le sang, le fait que Krish ait mis l'une des leurs KO... Ferya était encore dans les vapes, une précaution de Shundara pour qu'elle ne tente pas les P'leiks en voulant se remettre trop vite au travail ou en essayant de mettre une droite à celle qui l'avait mise dans cet état. D'un autre côté, la désobéissance de Ferya, leurs propres mauvais choix et la perspective du départ les obligeaient à relativiser. Sans être follement réjouis, la tension finit par retombée et la discussion s'engagea sur ce qui leur restait à faire dans les jours à venir.

Lorsqu'il apparut que plusieurs visites s'imposaient pour mettre au courant tous ceux qu'ils avaient prévenu de la fin de leur enquête, Jallyss se porta volontaire pour accompagner une Krish des plus réticente jusqu'au cœur de la cité.

>> Intermède au Temple de Valas<<

Alors commença un balai d'aller-retours. Dès le premier soir, Krish trouva le temps de faire un saut à la demeure du Grand Architecte pour s'entretenir avec sa garde. En attendant que le blessé désigne un nouveau capitaine pour sa garde, elle s'arrogea l'intérim. Leur priorité était de protéger les apprentis et les documents de Myr, mais quatre gardes parmi les plus anciens furent dépêchés avec les repentis pour revenir à l'exploitation et protéger l'Architecte en personne... La Triumvir se serait bien gardée de les avoir dans les pattes, mais elle imaginait d'ici devoir expliquer à Myr'Hennis qu'il n'avait rien à craindre sans qu'une seule personne de sa garde soit présente.

Mis à part cette mise au point, elle du passer la majeure partie de son temps au Haut-Temple d'Uriz, mais la Triumvir insistait pour toujours revenir à la soierie pour la nuit. Elle ne dormait que peu et passait le plus clair de son temps de repos dans la chambre du convalescent, lisant et écrivant sur la petite table qui avait été remplacée. Xundath répercuta la fin de leur chasse à l'homme auprès des Éveillés mais ils ne lancèrent aucune autre opération, se contentant d'écouter et de surveiller.

Le troisième jour, au matin, lorsqu'elle pénétra dans la chambre avec armes et armures, elle appuya une chaise contre le battant. Elle aurait du partir sur le champ, mais elle n'en avait pas envie. Cela faisait très longtemps qu'elle n'avait pas consenti a faire quelque chose dont elle n'avait vraiment pas envie. Des années. Des siècles peut-être... Et cette perspective lui donnait l'impression de tendre le cou pour qu'on lui passe une corde. Haute-Prêtresse... Comme si toutes ses autres responsabilités de merde ne suffisaient pas. Elle allait devoir représenter et gérer l'entièreté d'un culte.

La seule chose que ce titre provoquait en elle, c'était l'envie de frapper quelqu'un.

Tout était allé trop vite. Elle avait promis sans réfléchir. Et maintenant, elle ne pouvait plus reculer au risque de créer elle-même les dissensions contre lesquelles elle et ses pairs devaient lutter depuis quatre ans pour lancer la Dernière Guerre. Ces problèmes à l'ampleur de leur monde interféraient avec une angoisse bien plus personnelle. Deux angoisses.

Alors, pour une fois, elle allait s'autoriser ce qu'elle s'était interdit ces derniers jours.

Certaine d'être seule, le visage dépourvu de masque, elle s'assit sur le bord du lit. Le matelas fin plia légèrement sous son poids. Seul résonnaient les crépitements du feu à l'autre bout de la pièce. A ce visage paisible, presque heureux, se superposait toujours les flots de sang qu'elle avait vu quelques jours plus tôt. Son esprit refusait de les laisser aller, marqué au fer rouge. Ses mains se glissèrent autour des longs doigts de l'Architecte en un geste devenu habituel. Et elle se laissa aller à l'observer sans feindre le moindre masque. Seulement l'observer. Elle n'avait pas voulu y penser jusque là et elle ne le voulait pas plus à ce moment précis, mais parmi les pensées qui ne la quittaient pas, il y en avait une qui suivait de près l'espoir de le voir ouvrir les yeux : la peur de sa réaction.

Il n'y avait rien entre eux et après ce qu'elle lui avait fait, ce que Ferya lui avait fait, elle doutait qu'il la laisse l'approcher de nouveau un jour. Alors elle pouvait au moins voler cet instant, sans se bercer d'illusion. Détailler son visage parfaitement relâché, la ligne de ses épaules, le teint de sa peau clair, ses traits droits, ses lèvres fines. Elle avait l'impression de dérober quelques instants d'une vie qu'elle n'aurait pas. Un mirage qui n'avait aucune chance de devenir réalité. Elle se courba pour poser un baiser sur ses doigts lourds. Puis, doucement, elle s'étendit jusqu'à son visage, si proche qu'elle pouvait sentir sur sa peau le souffle qu'elle avait craint de voir s'arrêter. Et elle resta là, suspendue à un fil Le dessin sculptural des lèvres mâles frissonnait à chaque expiration.

En un battement de cil, elle s'éloigna sans conclure son geste, fermant les yeux sur sa propre stupidité. A la place, sur l'extrême bord du lit, le corps à moitié dans le vide, elle se pelotonna contre lui avec d'infinies précautions. Même sa tête ne s'appuya qu'à demi au creux de son épaule.

Un battement sourd. Régulier. Lent. Un battement en deux temps. Un son simple qui suffisait à lui dénouer la gorge. Elle expira profondément et ferma les paupières pour quelques instants, avant de s'arracher au mirage, au lit, à la chambre et à l'élevage d'araignée, Ferya et Ih'ara sur les talons.

>> Élévation au rang de Haute-Prêtresse <<

Une douzaine d'heures plus tard, Jallyss, Tarlyn et deux des quatre gardes de l'Architecte jouaient aux osselets, assit sur les marches les plus basse de l'escalier. La monotonie des jours et des jours de garde. Shundara venait de les abandonner pour monter au chevet de l'Architecte. Depuis que la gérante avait déclaré qu'on pouvait le mettre sur ce fichu lit, elle s'en occupait cinq fois par jour avec la régularité d'une horloge. Son naturel respectueux et consciencieux avait l'occasion de s'exprimer dans toute sa splendeur. Répondant aux tentatives de blagues de ses camarades, en haussant un sourcil agacé, elle remonta l'escalier et s'arrêta devant la porte pour ajuster son masque et sa capuche. Elle déposa la barre de la porte à côté de cette dernière et entra pour vérifier la literie, contrôler l'état et renforcer les capacité de régénération et les réserves d'énergie de son patient. Sa peau pulsa de veinules bleues et noires en miroir à celles qui couvraient discrètement le corps du blessé. Une lueur diffuse nimba ses mains pendant un moment. Ses mouvements amples autour du corps de Myr'Hennis durèrent une poignée de minutes. Puis tout s'arrêta une nouvelle fois, sans qu'il n'ouvre un œil. Elle ne s'y attendait plus vraiment, mais Krish avait dit "fait tout ce que tu peux." et elle avait l'habitude de respecter les ordres.

Sa silhouette fine se redressait pour tourner les talons lorsqu'une respiration bien plus profonde que les autres attira son attention. Il... Il reprenait conscience ?!

Shundara se ressaisit rapidement, posant doucement une main sur son épaule pour qu'il ne fasse pas l'erreur d'essayer de se relever trop vite. Erreur. Il sursauta et ses yeux s'agrandirent de stupeur en accrochant ceux qui se cachaient dans l'ombre du masque d'argent.

- Doucement. " tenta la mage de la vie en le poussant à rester allonger. " Vous n'avez rien à craindre. Vos gardes sont en bas. Je suis là pour vous soigner. Personne ne portera plus la main sur vous ici, je le jure devant Uriz, Meingal et Teiweon. Ménagez-vous... Votre corps est encore fragile. " Puis elle se tourna légèrement pour appeler d'une voix clair, sans crier pour autant. " Jallyss. Il est réveillé. " Et pour toute réponse, avant une cavalcade dans l'escalier pour accourir vers eux, la voix lointaine du bourreau en armure lourde s'éleva :
- Tarlyn. Prend un cheval et va la prévenir. Tout de suite ! "

Quelques secondes plus tard, deux gardes personnels du Grand Architecte et l'homme qui lui avait brisé les cotes apparurent dans l'encadrement de la porte.

Le nom lui plaisait, il faisait mal, il grattait sa blessure mais c’était une bonne chose car c’était une blessure qu’elle ne devait jamais laisser cicatriser. Une blessure que seul Uriz pourrait définitivement refermer.

En les voyant, Ih’ara se demandait comment elle allait bien pouvoir se mêler à eux, elle avait abandonné son ancienne vie mais ça ne voulait pas dire qu’elle avait embrassé la nouvelle et elle peinait à trouver des points communs avec ses nouveaux camarades. Lorsqu’était venu le moment de l’explication de Krish, Ih’ara les avait regardés et elle avait caché un sourire triste. Elle partageait leur race et leur culture mais malgré tout ça ils restaient de parfaits étrangers, de nouveaux camarades avec qui elle allait devoir composer désormais mais des camarades qu’elle ne comprenait pas ; pas tout à fait. Était-ce ainsi que leur trahison avait commencé ? Séparés, éloignés, par les circonstances le Quatrième Ost avait-il fini par ne plus voir les autres osts restés au Puy comme des frères ? Avait-il fini par haïr les autres soldats qui avaient la chance de pouvoir rentrer au Puy ? Entourée par ses nouveaux compagnons, l’ancienne capitaine ne se s’était jamais sentie aussi seule, elle aurait tout donné pour qu’Ashal se joigne à elle mais là était bien le problème : elle avait déjà tout donné.

Avec la mort de Vaervy, Ashal avait pris la relève et personne ne s’y opposa, même s’il n’avait pas le ruban. De retour au domaine du Grand Architecte il avait réuni tout le monde, soldats comme esclaves, pour que tous sachent que la capitaine n’était plus. Une fois la nouvelle annoncée il y eut un temps de flottement, le veldruk était resté neutre, il attendait de voir si quelqu’un allait s’avancer pour tenter de remplir le vide. Peut-être s’était-il montré un peu trop agressif dans le regard qu’il utilisa pour embrasser la pièce mais en tout cas personne n’osa faire un pas en avant. Personne n’osa parce que tout le monde était prêt à suivre Ashal pour venger leur capitaine. Comme vous vous trompez… Il aurait aimé la venger pourtant mais il ne pouvait rien faire, personne ne pouvait rien faire. Alors lorsque Krish arriva elle fut donc accueillie par les grands yeux rouges d’Ashal, il resta muet, il désigna les jumeaux et les deux gardes les plus anciens, l’un d’eux était là avant même que Vaervy et lui-même ne rentrent au service du Grand Architecte. C’était justement à cause d’elle qu’il ne s’était pas proposé, il ne savait pas si elle était auprès de Myr’Hennis, et il y avait fort à parier qu’elle y soit, il ne voulait pas en prendre le risque. La blessure ne s’était pas encore refermée.

Les jumeaux n’avaient pas mis longtemps à proposer à qui voulait de jouer avec eux, ils étaient patients, leur boulot d’éclaireurs oblige, mais ils n’avaient aucune raison de patienter en se tournant les pouces. Shak’ty et Zep’nyr lancèrent un regard à Shundara plus par réflexe qu’autre chose, mais très vite leurs regards las retournèrent sur le jeu. Jallys n’eut pas eu le temps de ramasser le dernier osselet avant que le père ne touche le sol, c’était au tour de Shak’ty alors il se leva. Tarlyn plaça les cinq osselets sur le dos de la main de l’éclaireur et d’un coup de poignet ce dernier retourna sa main puis il tenta de tous les rattraper sur la paume de sa main et il y serait arrivé sans l’intervention de la mage de vie. Le dernier osselet tomba sur Jallys et rebondit sur son armure. Zep’nyr sourit en voyant ça avant de suivre rapidement le repenti en armure lourde, ils l’auraient bien doublé mais ce dernier prenait tout l’escalier.

Quant à Myr’Hennis il regarda celle qui réussit sans peine à le rallonger avec une certaine incompréhension. Pourquoi ? Après tout ce qu’il avait fait il s’était attendu à ce qu’ils lui fasse du mal et sa paranoïa l’incitait à se méfier… mais elle avait juré sur trois dieux. Uriz, Teiweon et surtout Meingal. En entendant le nom du dernier il se disait que s’il avait accepté de jurer qu’il n’y était pour rien il ne serait pas dans cette situation mais il ne le regrettait pas, il était coupable et s’il avait juré le contraire qui sait ce qui l’aurait attendu une fois sa mort arrivée ? Il n’avait pas envie de le découvrir. En entendant la voix lointaine de Jallys ses côtes le lancèrent et il grimaça de douleur puis il reconnut les jumeaux et son cœur affaiblit se serra dans sa poitrine. Pourquoi Vaervy n’était-elle pas là ? Son esprit embrumé sauta très rapidement à la seule conclusion qui lui paraissait logique : elle était morte. Son mal de dos se rappela douloureusement à lui, comme à son habitude.

Zep’nyr s’approcha du lit, une créature bien étrange pour l’insomniaque qu’il était, tandis que son frère restait dans l’encadrement de la porte, ne laissant personne d’autre entrer. L’éclaireur se plaça juste à côté de son patron dans l’espoir de le rassurer un peu, ce qui eut l’effet inverse. L’architecte les regarda se mouvoir parmi les repentis sans tenter quoi que ce soit et, encore une fois, son cerveau guidé par la paranoïa en conclut que non seulement s’en était fini de lui mais qu’en plus sa garde l’avait trahi ; les repentis, aidés par il ne savait quel félon, avaient décapité sa garde pour en prendre le contrôle. S’il avait pu bouger il aurait attrapé l’éclaireur mais ce dernier était trop loin et lui ne pouvait pas se mouvoir sans que la repentie ne le recloue au lit.

« Au moins faites en sorte que Nahala me succède. » Il mit un moment avant de se rendre compte de l’impossibilité de son souhait, de plus les morts-vivants font de très mauvais architectes, il secoua lentement la tête pour éclater ce bloc au sein de son cerveau où toutes ses pensées et souvenirs se mêlaient. « Que Nath’Ryna me succède, elle est plus compétente. » Ce n’était pas tout à fait vrai mais elle restait sa préféré, Myr’Hennis était prompt à la nostalgie et ça ne s’arrangeait pas avec l’âge. Mais ça n’aurait pas l’occasion d’empirer se dit-il, un fin sourire cynique sur les lèvres. La repentie avait juré que personne ne le frapperait ici, il la croyait, mais maintenant qu’il était réveillé il était certain qu’on allait le déplacer autre part pour continuer, la présence Jallys le confortait d’ailleurs dans son idée. Qu’avait-il dit ? Le monastère, hein ? C’était prévu depuis le début visiblement et vu que Krish avait dit qu’il n’irait pas pour discuter, il ne savait pas ce qui l’attendait là-bas mais il se devait d’organiser sa succession ; ils n’oseraient pas ignorer ses dernières volontés. Zep’nyr mit un genou en terre pour se mettre au niveau de Myr’Hennis.

« C’est inutile Grand Architecte, personne ne va vous tuer, vous êtes en sécurité. »

Sa voix douce, mélodieuse même, son timbre chaleureux et réconfortant, avait le don de calmer les gens, c’était bien dommage que les jumeaux ne parlent que très rarement. Ils étaient bien connus des prêtres de Kiran du Premier Ost, c’étaient eux qui veillaient sur ceux qui ne pouvaient pas être sauvés, qui les réconfortaient avant que Teiweon ne vienne les chercher et vu qu’ils ne dormaient jamais ils passaient plus de temps dans les hôpitaux de campagne que dans la tente de leur unité. Myr’Hennis leva la tête pour le regarder.

« Alors où est-elle ? »

Zep’nyr se retourna d'abord vers son jumeau puis vers les repentis, c’était la question qu’il redoutait, il espérait que des prêtres de Teiweon étaient passés mais il n’en savait rien.

L'Architecte semblait avoir du mal à reprendre pied... Ou il ne la croyait pas ce qui était d'autant plus probable que ses derniers souvenirs ne devaient pas l'inciter à avoir confiance. Incertaine, elle lança un regard aux jumeaux, espérant qu'ils puissent trouver quoi dire. Si elle était douée dans l'art de soigner et de manipuler les corps elle ne l'était pas dans celui de rassurer les esprits. Tandis que les Myr'Hennis se calmait et que l'un des éclaireurs lui certifiait qu'il n'avait rien à craindre, elle se tourna vers Jallyss, toujours dans l'encadrure. Toujours aussi raide. Toujours aussi tendu. Il hésitait à rentrer. Elle priait pour qu'il ne rentre pas.

Apercevant enfin le regard obstiné que sa consœur lui lançait, Jallyss détourna les yeux du blessé. Par rapport à lui, l'autre repentie paraissait chétive; grande mais fragile. De tous ses frères et sœur d'arme, c'était celle qui portait l'armure la plus légère et la seule a ne pas avoir un physique de guerrière. Elle avait essayé... un peu. Mais son talent n'était pas là. Après quelque s'approcha de son compagnon, posant une main nue sur le bras de son armure.

- Tu peux aller chercher quelque chose, s'il te plait ? A manger et à boire. " demanda-t-elle a voix basse. Leurs regards s'affrontèrent encore un peu. " Dois-je vraiment te supplier ?
- Ne leur tourne pas le dos. " souffla-t-il en se penchant un bref instant à son oreille avait de tourner les talons. Jouer en toute amitié avec eux ne lui posait aucune soucis, mais il n'avait pas confiance pour autant.

Elle n'eut que le temps de se retourner avant de découvrir le regard des trois hommes sur elle. Ils attendaient quelque chose. Ils avaient posé une question ?

- Pardonnez-moi, je n'ai pas entendu...
- Vaervy...
- Oh... " Par habitude, elle tenta d'attraper la trop longue que queue de cheval qui trônait d'ordinaire sur son épaule lorsqu'elle n'était pas en tenue. Son geste fini en un vague grattement de l'épaule et il devint de plus en plus clair qu'elle ne savait pas quoi faire de ses mains. " Elle n'est plus ici... Et je n'étais pas encore présente quand elle vous a quitté. Je crois qu'elle a pu parlé à son lieutenant avant. Ashal ? Il me semble. Krish vous en dira plus que moi. Elle s'est entretenue avec elle et avec votre lieutenant. " Ses mains se collèrent l'une contre l'autre. " Elle sera là dans moins d'une demie heure. Tarlyn est parti la chercher à son élévation. En attendant, vous devriez manger un peu et surtout boire. Même la magie a ses limites."


____________


Dans la foule, Krish était pourtant facilement repérable. Non que sa carrure la rende particulièrement accessible, mais sa tenue, elle, attirait l’œil de loin. Les cheveux tirés en arrière, la tête chargée d'un halo solaire propageant ses rayons auxquels pendaient milles détails luisants, la main droite couverte d'un gantelet griffu finement dentelé dans de l'or, sa tenue d'apparat créait un second soleil au cœur du Vatna. Mi armure dorée mi robe de soie rouge sang, les pans de la cape abracadabrantesque qui lui pesait sur les épaules obligeaient ceux qui l'approchaient à prendre garde à leurs pieds. Sans peine, Tarlyn se faufila jusqu'aux deux discrètes gardiennes de la femme au centre de l'attention et Ferya se chargea de l'informer.

Parlant fièrement avec un homme dont elle se fichait éperdument, Krish eu du mal à ne pas simplement se lever pour partir en courant vers l'intérieur du temple. Elle parvint poliment à écourter la discussion et fit savoir qu'elle se retirait, imposant sa volonté et faisant littéralement ployer le genou aux quelques bougons qui auraient trouvés n'importe quel prétexte pour la faire rester. Engloutie dans les couloirs du Haut-Temple, elle décrocha sa longue cape, la laissa en chemin pour accélérer le pas. Voyant qu'il ne parviendrait pas à la convaincre de se changer avant de partir, Tarlyn lui prêta sa propre cape de laine noire pour rendre sa tenue un peu moins voyante.

Les jambières renforcées qu'elle portait avaient au moins le mérite de ne pas avoir de talon et c'est en quelques minutes que les quatre déserteur s'enfoncèrent dans le passage qu'ils avaient utilisés autrefois pour sortir du Temple ravagé par les flammes. Ih'ara prit la tête du petit groupe à travers les tunnels, les guidant sans peine vers un relais de monture qui leur permis de se jeter rapidement sur les routes à l'extérieur de la cité même. Le capuchon rabattu jusqu'aux yeux et la tête basse, le galop régulier de la cavale faisait tout de même voler la cape noire de la nouvelle haute prêtresse, la rendant aisément reconnaissable en ce jour si spécial. Heureusement pour elle, ceux qui voulaient participer à la fête semblaient déjà avoir fait le chemin jusqu'à la ville et ils arrivèrent sans encombre à l'embranchement désigné pour pouvoir contourner l'entrée principale de l'exploitation.

Les quatre silhouettes se glissèrent jusqu'au baraquement de la même façon que Vaervy quelques jours plus tôt et déboulèrent sans hésitation dans la salle commune. Krish défit sa cape le temps de s'habituer à la luminosité chiche, la posa sur la rambarde de l'escalier et fini de le montrer à pas rapides.

Sans frapper, elle poussa la porte de la chambre qu'elle hantait depuis la perte de connaissance de Myr'Hennis. Et s'arrêta net, ses yeux s'ouvrant tout grands.

Il fallait qu'elle le voit pour le croire.

Myr'Hennis était éveillé...

... Et dans les réflexion contraires qui lui venait à l'esprit, elle ne savait pas quoi dire. Les pendentifs accrochés à son halo solaire cliquetaient doucement en frôlant sa joue, peinant à retrouver leur immobilité après ses précédent mouvements brusques. Elle ne parvint même pas tout à fait à modérer le soulagement abyssal qui se frayait peu à peu un chemin à travers sa stupeur.

Dans la pièce, Myr'Hennis était seul, sous son empilement de couvertures, renfoncé dans les vieux oreillers supplémentaires qui lui avaient été apportés. Les jumeaux étaient dans le couloir qu'elle venait de passer. Un plateau de nourriture à moitié entamé trônait sur un tabouret tiré au chevet du convalescent. L'âtre ronflait toujours paisiblement. L'auréole de sang qui avait imbibé la pierre pendant plusieurs heures pouvait encore être devinée par ceux qui la cherchaient spécifiquement. Un peu de poussière s'était agglutinée dans les coins ces derniers jours.

Dans ce décor d'une simplicité populaire, elle faisait tâche.

Elle n'en prit conscience qu'en croisant ce regard qu'elle attendait et redoutait depuis trois jours. Car ce regard était... Totalement différent de toutes ses prédictions, des meilleurs aux plus mauvaises.

Durant un instant interminable, l'attention de Myr resta poser sur elle, bouche bée. Il la détaillait. Il l'analysait sans accrocher le regard rouge et or. Elle sentait peser son attention sur son visage, ses traits, sa coiffure. Elle même était si surprise par cette façon d'être observé qu'elle en resta immobile aussi longtemps qu'il en eu besoin. Elle n'avait d'yeux que pour les siens, et elle aurait juré voir ces rubis teintés d'une admiration non feinte. Elle sourit, et vint la question fatidique.

- Où est-elle ? "

Une décharge lui traversa le corps. Elle souffla simplement, son regard reprenant vie et son début de sourire repartant d'où il était venu avec le reste des badinages inappropriés. Inutile de demander qui était la personne qu'il demandait à son réveil.

Régalienne, elle se retourna pour fermer la porte, déposa le plateau entamé sur la table non loin et s'assit sur le tabouret au chevet de l'Architecte. Elle allait avancer la main par réflexe mais se rattrapa à temps et réajusta un pan de soie rouge brodé d'or pour camoufler son geste. A cette distance, il pouvait se rendre compte du soin avec lequel la Triumvir avait été apprêtée, du luisant de ses jambières au maquillage léger qui renforçait l'intensité de son regard. Il pouvait percevoir également les mille défauts d'ajustement, comme si elle avait tiré le vêtement en faisant des mouvements amples pour lesquels il n'était pas prévu à l'origine. Son expression nonchalante avait laissé la place à un sérieux rare. Plus rare encore que le sérieux courroucé dont elle faisait preuve lorsqu'on s'attaquait à ses projets. Un sérieux calme, posé.

Ce fut les yeux vrillés dans ceux de Myr'Hennis, pour qu'il ne doute pas une seconde de sa sincérité, qu'elle lui avoua l'histoire.

- Vaervy n'est plus. Elle s'est sacrifiée. " Deux simples phrases. Comme une bande collée à une plaie infectée qu'on finit par arracher d'un coup sec. " Je ne sais pas ce dont tu te souviens, donc je vais essayer d'être le plus clair possible. Quand nous sommes arrivé ici, après notre première discussion, je suis allé dormir un peu. Ferya en a profité pour défier mes ordres et te faire du mal. Dès que je m'en suis aperçu, je l'ai arrêtée, mais tu étais déjà mal en point. Vaervy est arrivé presque tout de suite et une grande partie de ta garde dans les minutes suivantes. En voyant que je m'étais occupé de Ferya et que j'essayais de te stabiliser, Vaervy a préféré conclure une trêve pour que tu sois soigné dans les plus brefs délais. La gérante de l'exploitation de soie dans laquelle nous nous trouvons est une mage de la vie. Elle et Shundara se sont occupé de toi ces trois derniers jours. " Ses mains ponctuaient ses mots de légers gestes. Ses doigts se croisaient et se décroisaient. Son ton se voulait factuel et clair, simple à comprendre malgré l'énormité de la situation. " Et pour en revenir à Vaervy... Tu es passé si près de la mort que la gérante a du user jusqu'à ses dernières forces pour te garder parmi nous jusqu'à l'arrivée des renforts. Même ainsi, nous n'étions pas certaines que tu survive. " Sa main remonta légèrement sur son bras, dans un mouvement qui se voulait inconsciemment rassurant. " Vaervy a voulu me parler après ça. Elle m'a dit qu'elle avait échoué et rompu le serment qu'elle avait fait devant Uriz. Qu'elle n'était pas parvenu à te protéger. " Tout en parlant, elle avait finalement quitté Myr'Hennis des yeux pour relever son unique manche, son autre bras étant caparaçonné d'une épaulière d'apparat descendant en se raffinant jusqu'au gantelet griffu. Autour de son poignet libre, d'un rouge légèrement différent du reste de la tenu, un long ruban étant soigneusement enroulé. De ses griffes agiles, elle le défit sans le filer et le tendit, enroulé sur sa paume, au Grand Architecte. " Et elle m'a dit qu'elle n'était plus digne de ceci... Elle m'a aussi expliqué par le menu pourquoi et comment elle avait planifié, organisé et mené l'attaque de mon monastère. " Son regard chercha celui du grand homme avec un peu plus d'insistance. La façon dont elle le fixait annonçant parfaitement ce qu'elle pensait du récit de la Capitaine. " Par respect, c'est la vérité que tous les Repentis ont entendus. Ils savent qu'elle était la seule et unique fautive de tout cela. Tu n'as donc plus rien à craindre, ni d'eux, ni de moi. " Elle s'était sacrifiée. Elle avait endossé la pleine responsabilité, libérant Myr'Hennis des conséquences de ses actes, et cela arrangeait Krish comme jamais elle n'oserait le dire. Plus que du respect, c'était une véritable reconnaissance qui se décantait en elle à l'égare de la nouvelle Repentie, et elle ne le cachait pas. L'égard dont elle faisait preuve en parlant de tout ça était sincère. Tout comme il l'avait été durant sa brève entrevue avec Ashal lorsqu'ils s'étaient mis d'accord sur la même version. En quittant la demeure du Grand Architecte, elle avait d'ailleurs laissé innocemment tomber quelques mots rappelant au Lieutenant qu'elle n'était pas une gardienne de prison, et que les Repentis étaient libre de voir qui ils souhaitaient. Comme si cela pouvait rendre la chose moins douloureuse à Ih'ara... Mais c'était impossible ici. " Elle a discuté un peu avec Ashal et elle en a fini avec tout ça. Sa loyauté et sa foi m'ont vraiment impressionnés... "

Le silence s'étira un peu pour laisser le temps à Myr'Hennis de digérer la nouvelle. S'il le désirait, elle répèterait chaque morceau, dans n'importe quel sens. Cette demi-vérité, elle l'avait ressassée pendant des jours et à force de la répéter et d'en discuté avec les siens, elle en était devenue plus vrai que nature.

Idée de ce qu'elle peut porter comme breloque dorée: